Quand les évêques de France déclaraient : « Les lois laïques ne sont pas des lois »

L'ACA, Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France

Il n’y a pas si long­temps, l’é­pis­co­pat fran­çais fai­sait preuve de cou­rage et de clair­voyance face aux odieuses pré­ten­tions laïcistes.

Le texte sui­vant, inti­tu­lé Déclaration sur les lois dites de la laï­ci­té et les mesures à prendre pour les com­bat­tre[1], fut publié offi­ciel­le­ment le 10 mars 1925 par l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France (ACA), deve­nue depuis 1964 l’ac­tuelle Conférence des Evêques de France (CEF).


DÉCLARATION

de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France

sur les lois dites de laïcité

et sur les mesures à prendre pour les combattre

10 mars 1925

I. Injustice des lois de laïcité

1. Les lois de laï­ci­té sont injustes d’abord parce qu’elles sont contraires aux droits for­mels de Dieu. Elles pro­cèdent de l’athéisme et y conduisent dans l’ordre indi­vi­duel, fami­lial, social, poli­tique, natio­nal, inter­na­tio­nal. Elles sup­posent la mécon­nais­sance totale de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ et de son Evangile. Elles tendent à sub­sti­tuer au vrai Dieu des idoles (la liber­té, la soli­da­ri­té, l’humanité, la science, etc.) ; à déchris­tia­ni­ser toutes les vies et toutes les ins­ti­tu­tions. Ceux qui en ont inau­gu­ré le règne, ceux qui l’ont affer­mi, éten­du, impo­sé, n’ont pas eu d’autre but. De ce fait, elles sont l’œuvre de l’impiété, qui est l’expression de la plus cou­pable des injus­tices, comme la reli­gion catho­lique est l’expression de la plus haute justice.

2. Elles sont injustes ensuite, parce qu’elles sont contraires à nos inté­rêts tem­po­rels et spi­ri­tuels. Qu’on les exa­mine, il n’en est pas une qui ne nous atteigne à la fois dans nos biens ter­restres et dans nos biens sur­na­tu­rels. La loi sco­laire enlève aux parents la liber­té qui leur appar­tient, les oblige à payer deux impôts : l’un pour l’en­sei­gne­ment offi­ciel, l’autre pour l’en­sei­gne­ment chré­tien ; en même temps, elle trompe l’in­tel­li­gence des enfants, elle per­ver­tit leur volon­té, elle fausse leur conscience. La loi de Séparation nous dépouille des pro­prié­tés qui nous étaient néces­saires et apporte mille entraves à notre minis­tère sacer­do­tal, sans comp­ter qu’elle entraîne la rup­ture offi­cielle, publique, scan­da­leuse de la socié­té avec l’Eglise, la reli­gion et Dieu. La loi du divorce sépare les époux, donne nais­sance à des pro­cès reten­tis­sants qui humi­lient et déclassent les familles, divise et attriste l’en­fant, rend les mariages ou par­tiel­le­ment ou entiè­re­ment sté­riles, et de plus elle auto­rise juri­di­que­ment l’a­dul­tère. La laï­ci­sa­tion des hôpi­taux prive les malades de ces soins dévoués et dés­in­té­res­sés que la reli­gion seule ins­pire, des conso­la­tions sur­na­tu­relles qui adou­ci­raient leurs souf­frances, et les expose à mou­rir sans sacrements.

Les lois de laï­ci­té ne sont pas des lois. Elles n’ont de loi que le nom, un nom usurpé.

On pour­rait déve­lop­per ces consi­dé­ra­tions à l’infini, y ajou­ter et mon­trer que le laï­cisme, dans toutes les sphères, est fatal au bien pri­vé et public.

Dès lors, les lois de laï­ci­té ne sont pas des lois. Elles n’ont de loi que le nom, un nom usur­pé ; elles ne sont que des cor­rup­tions de la loi, des vio­lences plu­tôt que des lois, dit Saint Thomas : Magis sunt vio­len­tiae quam leges.[2] Ne nous nuiraient-​elles que dans l’ordre tem­po­rel, en soi, elles ne nous obli­ge­raient pas en conscience, tales leges (scil. leges contra­riae bono huma­no), non obli­gant in foro conscien­tiae.[3] Mais comme les lois de laï­ci­té attentent aux droits de Dieu, comme elles nous atteignent dans nos inté­rêts spi­ri­tuels ; comme, après avoir rui­né les prin­cipes essen­tiels sur les­quels repose la socié­té, elles sont enne­mis de la vraie reli­gion qui nous ordonne de recon­naître et d’a­do­rer, dans tous les domaines, Dieu et son Christ, d’adhé­rer à leur ensei­gne­ment, de nous sou­mettre à leurs com­man­de­ments, de sau­ver à tout prix nos âmes, il ne nous est pas per­mis de leur obéir, nous avons le droit et le devoir de les com­battre et d’en exi­ger, par tous les moyens hon­nêtes, l’a­bro­ga­tion. Leges posunt esse injuste per contra­rie­ta­tem ad bonum divi­num, sicut leges tyran­ni­cae indu­centes ad ido­la­triam vel ad quod­cumque aliud quod sit cen­tra legem divi­nam : et tales leges nul­lo modo licet obser­vare, quia sicut dici­tur, Act. IV, « Obedire opor­tet Deo magis quam homi­ni­bus. »[4]

II. Mesures à prendre pour combattre les lois de laïcité

Deux tac­tiques. La pre­mière consis­te­rait à ne pas heur­ter de front les légis­la­teurs laïcs ; à essayer de les apai­ser et d’obtenir qu’après avoir appli­qué leurs lois dans un esprit de modé­ra­tion, ils finissent par les lais­ser tom­ber en désué­tude. Il est pos­sible qu’avec cer­tains hommes inves­tis du pou­voir et moins mal dis­po­sés, cette méthode ait quelque chance de suc­cès. On cite­rait des cas dans l’Histoire où elle a réus­si. De plus, elle aurait l’avantage de ne point exas­pé­rer les adver­saires et de ne point pro­vo­quer de leur part des mesures d’autant plus redou­tables qu’elles seront ins­pi­rées par un sen­ti­ment plus irri­té. Cependant, cette tac­tique pré­sente plu­sieurs incon­vé­nients graves.

  1. Elle laisse les lois debout. A sup­po­ser qu’un minis­tère ou plu­sieurs minis­tères n’en usent qu’avec bien­veillance, ou cessent d’en user contre les catho­liques, il dépen­dra d’un nou­veau gou­ver­ne­ment de les tirer de l’oubli, de leur rendre leur vigueur et leur effi­ca­ci­té. Danger qui n’est pas ima­gi­naire, car de notre temps le pou­voir passe conti­nuel­le­ment d’un par­ti rela­ti­ve­ment tolé­rant à un par­ti extrême. Il suf­fit que le pre­mier se soit mon­tré un peu conci­liant pour que le second, par réac­tion, ne garde à notre endroit aucun ména­ge­ment. Depuis des années, nous assis­tons à ce flux et à ce reflux de la per­sé­cu­tion reli­gieuse qui, au fond, s’est tou­jours aggra­vée. Elle habi­tue les esprits, fussent-​ils sin­cè­re­ment catho­liques, à regar­der comme justes, comme com­pa­tibles avec la reli­gion les lois de laï­ci­té ; elle favo­rise ces hommes qui, oscil­lant per­pé­tuel­le­ment entre le laï­cisme et le catho­li­cisme, sont prêts à toutes les conces­sions pour gagner des voix à droite et à gauche, pour entrer dans un minis­tère, et, n’essayant que d’atténuer quelques effets du laï­cisme, en laissent sub­sis­ter le prin­cipe, et en pra­tique lui sacri­fient à peu près com­plè­te­ment le catho­li­cisme. On dira qu’une atti­tude de conci­lia­tion nous a valu quelques faveurs par­ti­cu­lières. Petits avan­tages quand on songe à l’immense cou­rant d’erreur qui enva­hit les âmes et les entraîne à l’apostasie ! Petits avan­tages qui nous enchainent et nous empêchent de réagir contre nos adversaires !
  2. Les plus mal­fai­santes de ces lois conti­nuent à agir, quelles que soient les inten­tions des minis­tères suc­ces­sifs. Au moment des accal­mies appa­rentes aux­quelles nous avons eu trop de confiance, les écoles athées fonc­tion­naient sans arrêt ; on pré­pa­rait des dos­siers contre les Ordres reli­gieux, et l’attribution des biens ecclé­sias­tiques se pour­suit sour­noi­se­ment et surement.
  3. Cette poli­tique encou­rage nos adver­saires, qui, comp­tant sur notre rési­gna­tion et notre pas­si­vi­té, se livrent chaque jour à de nou­veaux atten­tats contre l’Église. En somme, les lois de laï­ci­té se sont mul­ti­pliées au point de réduire chaque jour davan­tage la recon­nais­sance du domaine divin sur nous et le champ de nos droits et de nos liber­tés. Ces pen­sées frap­pe­ront sin­gu­liè­re­ment qui­conque se rap­pel­le­ra la série des lois dont nous sommes les vic­times, qui­conque invo­que­ra le témoi­gnage de l’histoire pen­dant le der­nier demi-siècle.

C’est pour­quoi la majo­ri­té des catho­liques vrai­ment atta­chés à leur foi demande qu’on adopte une atti­tude plus mili­tante et plus éner­gique. Elle demande que, sur tous les ter­rains, dans toutes les régions du pays, on déclare ouver­te­ment et una­ni­me­ment la guerre au laï­cisme et à ses prin­cipes jusqu’à l’abolition des lois iniques qui en émanent ; que, pour réus­sir, on se serve de toutes les armes légitimes.

III. Moyens à employer

Ces moyens peuvent se rame­ner à trois : 1. Action sur l’o­pi­nion ; 2. Action sur les légis­la­teurs ; 3. Action sur le gouvernement.

L’opinion, disait der­niè­re­ment un de nos car­di­naux, se pro­nonce pour ceux qui se battent bien. Elle aban­donne ceux qui s’a­ban­donnent eux-même.

  1. Action sur l’o­pi­nion. L’action sur l’o­pi­nion s’exer­ce­ra par la pro­pa­gande de la véri­té ; par la dénon­cia­tion des pré­ju­gés qui égarent le peuple en l’a­veu­glant ; par les démons­tra­tions extérieures.
    • a) La pro­pa­gande sera féconde si elle est per­sé­vé­rante ; si, tous d’ac­cord, les catho­liques font reten­tir par­tout la même note de répro­ba­tion contre les injus­tices de la légis­la­tion : neu­tra­li­té (men­son­gère d’ailleurs et impos­sible), et laï­ci­té de l’en­sei­gne­ment, école unique, divorce, spo­lia­tion du cler­gé, ostra­cisme des Congrégations, athéisme de l’Etat et des ins­ti­tu­tions domes­tiques, sociales, cha­ri­tables, poli­tiques, si les Lettres épis­co­pales, les Semaines reli­gieuses, les Bulletins parois­siaux, les revues, la presse, les affiches, les confé­rences, les caté­chismes, donnent le même son de cloche.

      Après avoir mon­tré que les indi­vi­dus, les familles, les nations doivent à Dieu et à Notre-​Seigneur un culte offi­ciel, inté­rieur, exté­rieur ; une sou­mis­sion de l’in­tel­li­gence, de la volon­té, de l’ac­ti­vi­té, il sera et néces­saire de faire res­sor­tir les avan­tages tem­po­rels qu’ap­porte dans tous les ordres la reli­gion catho­lique, les maux sans nombre que causent, à cet égard, les lois de laï­ci­té. Par exemple, la foi en une autre vie et en un Juge suprême, l’é­du­ca­tion et la morale chré­tiennes, la doc­trine évan­gé­lique du mariage et de son indis­so­lu­bi­li­té sont les enne­mies du fléau de la dépo­pu­la­tion ; l’in­cré­du­li­té, l’é­cole laïque, le divorce en sont les com­plices. Aucune loi n’est aus­si favo­rable à l’é­du­ca­tion des jeunes esprits et des jeunes cœurs que la loi chré­tienne, tan­dis que la science et la morale ont gra­ve­ment per­du en bri­sant avec l’Eglise.

      L’application des lois de laï­ci­té a cou­té à la France des mil­liards qui auraient pu être épar­gnés, ser­vir au sou­la­ge­ment des mal­heu­reux, accroître la richesse et les réserves du pays, lui assu­rer au dehors un pres­tige gran­dis­sant. Malgré ces dépenses rui­neuses, les malades, les orphe­lins, les pauvres, les vieillards n’en ont été que plus mal soi­gnés. Que sont deve­nues, sous le régime du laï­cisme, l’im­par­tia­li­té des tri­bu­naux, la liber­té des indi­vi­dus, des familles, des offi­ciers, des magis­trats, des ins­ti­tu­teurs, des fonc­tion­naires, des mou­rants ; la par­ti­ci­pa­tion de meilleurs citoyens aux emplois publics, la jus­tice com­mu­ta­tive ou dis­tri­bu­tive, les rela­tions des classes, l’u­ni­té, la paix inté­rieure, la conscience pro­fes­sion­nelle, etc. ? Léon XIII reve­nait sou­vent à ces consi­dé­ra­tions qui émeuvent la multitude.
    • b) Il fau­drait encore confondre les pré­ju­gés qui égarent le peuple en l’a­veu­glant. En voi­ci quelques-uns : 
      • La loi, juste ou injuste, est la loi ; on est tenu de lui obéir.
      • Les lois de laï­ci­té sont intan­gibles (alors que les autres peuvent être chan­gées et que les Parlements passent leur vie à les changer).
      • Attaquer les lois laïques, c’est atta­quer la République (comme si la légis­la­tion et la Constitution n’é­taient pas dis­tinctes ; comme si les répu­bli­cains les moins sus­pects n’at­ta­quaient pas les lois qu’ils ont eux-​mêmes votées, et jus­qu’à la Constitution dont ils sont les auteurs. La véri­té est que les catho­liques devront tou­jours com­battre le laï­cisme quel que soit le régime – régime monar­chique ou répu­bli­cain – qui l’au­ra mis en vigueur).
      • Il faut sépa­rer la reli­gion et la poli­tique. (Il ne faut pas les, il faut les dis­tin­guer et les concilier.)
      • La reli­gion est affaire pri­vée. (La reli­gion est affaire pri­vée, affaire domes­tique, affaire publique. La socié­té comme l’in­di­vi­du, doit au vrai Dieu des ado­ra­tions et un culte.)
      • La reli­gion n’a rien à voir dans la poli­tique. (La reli­gion laisse à cha­cun la liber­té d’être répu­bli­cain, roya­liste, impé­ria­liste, parce que ces diverses formes de gou­ver­ne­ment sont conci­liables avec elle ; elle ne lui laisse pas la liber­té d’être socia­liste, com­mu­niste ou anar­chiste, car ces trois sectes sont condam­nées par la rai­son et par l’Eglise. A moins de cir­cons­tances par­ti­cu­lières, les catho­liques sont tenus de ser­vir loya­le­ment les gou­ver­ne­ments de fait aus­si long­temps que ceux-​ci tra­vaillent au bien tem­po­rel et spi­ri­tuel de leurs sujets ; ils ne leur est pas per­mis de prê­ter leur concours aux mesures injustes ou impies que prennent les gou­ver­ne­ments ; ils sont obli­gés de se rap­pe­ler que la poli­tique, étant une par­tie de la morale, est sou­mise, comme la morale, à la rai­son, à la reli­gion, à Dieu. C’est d’une façon ana­logue qu’il convient de réfu­ter les autres pré­ju­gés répan­dus dans la popu­la­tion.)

        A cette action sur l’o­pi­nion par la pro­pa­gande se rat­tache la ques­tion des publi­cistes et des confé­ren­ciers. Il est très dési­rable que ceux-​ci soient for­més et pré­pa­rés sérieu­se­ment ; qu’ils ne se contentent pas de for­mules uni­ver­selles, gene­ra­lia non movent, de phra­séo­lo­gies vagues et vides, mais qu’ils fassent preuve de pré­ci­sion, de com­pé­tence, de force, de clar­té ; qu’en par­ti­cu­lier ils étu­dient les trai­tés de la foi, de l’Eglise et de l’Etat.
    • c) Action sur l’o­pi­nion par les mani­fes­ta­tions exté­rieures. En cet ordre, la pru­dence nous pres­crit de pro­cé­der sui­vant ses pré­ceptes, d’é­vi­ter la témé­ri­té, de prendre toutes les pré­cau­tions néces­saires. Mais il est sûr que les mani­fes­ta­tions exté­rieures, bien pré­pa­rées, impres­sion­ne­ront la foule en lui don­nant l’i­dée, qu’elle n’a pas, de notre nombre, de notre uni­té, de notre puis­sance et de la volon­té inébran­lable où nous sommes, de reven­di­quer nos droits jus­qu’à la vic­toire. « L’opinion, disait der­niè­re­ment un de nos car­di­naux, se pro­nonce pour ceux qui se battent bien. » Elle aban­donne ceux qui s’a­ban­donnent eux-même.
  2. Action sur les légis­la­teurs. Cette action peut abou­tir à quelques résul­tats heureux.
    • a) Par des péti­tions envoyées aux dépu­tés, aux séna­teurs de chaque dépar­te­ment. Il convien­drait que ces péti­tions vinssent de tous les grou­pe­ments : grou­pe­ments de pères de famille, d’an­ciens com­bat­tants, de Jeunesse catho­lique, de che­mi­nots, de veuves de guerre ; des Ligues fémi­nines catho­liques, des per­son­na­li­tés les plus consi­dé­rables de la banque, de l’in­dus­trie, du com­merce, etc. Ces péti­tions seraient adres­sées à tous les par­le­men­taires, sans excep­tion, et si un ministre appar­te­nait à la contrée, on aurait soin de lui faire tenir ces pro­tes­ta­tions et ces réclamations.
    • b) Des per­son­nages consi­dé­rables vou­draient qu’on allât plus loin et que l’on don­nât à tous les catho­liques la consigne de refu­ser leurs voix aux can­di­dats qui ne seraient pas en théo­rie et en pra­tique, les adver­saires du laï­cisme et des œuvres neutres. Dans l’es­prit de ces hommes graves, la théo­rie du moindre mal, pous­sée au-​delà des bornes, nous a valu des échecs et des mal­heurs de plus en plus irré­pa­rables que nous aurions pu conju­rer, au moins en par­tie, par une atti­tude plus ferme.
  3. Action sur le gou­ver­ne­ment. Ce qui remue l’o­pi­nion et les Chambres atteint déjà le gou­ver­ne­ment, mais il faut l’a­bor­der direc­te­ment. Socialistes, com­mu­nistes, fonc­tion­naires, ouvriers, com­mer­çants nous donnent l’exemple. Quand une loi ou un décret leur déplaît ou leur nuit, ils n’es­timent pas suf­fi­sante les inter­pel­la­tions de leurs repré­sen­tants à la Chambre ou au Sénat, ils s’a­dressent eux-​mêmes au pou­voir. Ils se rendent en masse aux portes des mai­ries, des pré­fec­tures, des minis­tères ; ils envoient aux titu­laires de l’au­to­ri­té des pro­tes­ta­tions, des délé­ga­tions, des ulti­ma­tums ; ils mul­ti­plient les démarches voire les grèves ; ils assiègent et ils har­cèlent le gou­ver­ne­ment qui a, presque tou­jours, finit par céder à leurs ins­tances. Pourquoi, autant que nous le per­mettent notre morale, notre digni­té, notre amour de la paix, fon­dée sur la jus­tice et la cha­ri­té, ne les imiterions-​nous pas, afin d’ef­fa­cer de notre code les lois qui, sui­vant l’éner­gique parole d’un de nos évêques, nous mènent « du laï­cisme au paganisme » ?

Nous dis­po­sons de troupes dont le nombre et le cou­rage égalent au moins le nombre et le cou­rage des autres grou­pe­ments, car une mul­ti­tude de chré­tiens sont impa­tients d’en­ga­ger la lutte.

Assurément l’œuvre est immense et dif­fi­cile, mais le propre de la ver­tu de force est d’af­fron­ter les obs­tacles et de bra­ver le dan­ger. De plus, nous dis­po­sons de troupes dont le nombre et le cou­rage égalent au moins le nombre et le cou­rage des autres grou­pe­ments, car une mul­ti­tude de chré­tiens, à comp­ter seule­ment ceux qui sont fer­vents et agis­sants, sont impa­tients d’en­ga­ger la lutte. Nos cadres – paroisses, dio­cèses, pro­vinces ecclé­sias­tiques, – sont préparés.

Ce qui a trop man­qué jus­qu’i­ci aux catho­liques, c’est l’u­ni­té, la concen­tra­tion, l’har­mo­nie, l’or­ga­ni­sa­tion des efforts. N’auront-​ils pas assez d’ab­né­ga­tion pour for­mer un corps com­pact qui tra­vaille­ra avec ensemble sous la direc­tion de leurs supé­rieurs hié­rar­chiques ? On dira que cette atti­tude nous expose à des retours offen­sifs et impi­toyables de nos adver­saires. Ce n’est pas cer­tain ; en tout cas, à quelles cala­mi­tés ne nous expose pas l’at­ti­tude contraire ? Quel ave­nir nous attend si, satis­faits d’une légère et arti­fi­cielle détente, nous nous endor­mons ? Jamais peut-​être, depuis cin­quante ans, l’heure n’a paru aus­si pro­pice ; à la lais­ser pas­ser sans en pro­fi­ter, il semble bien que nous tra­his­sions la Providence.

Paris, le 10 mars 1925

Assemblée des car­di­naux et arche­vêques de France

Source : La Documentation catho­lique, n°282, 21 mars 1925, col. 707–712.

Quelques cardinaux et archevêques de France en 1925

Notes de bas de page

  1. 10 Mars 1925, in La Documentation catho­lique, n°282, 21 mars 1925, col. 707–712.[]
  2. Ia, IIae, q. 96, art. IV. Traduction LPL : « des lois de cette sorte sont des vio­lences plu­tôt que des lois ».[]
  3. ibid. Traduction LPL : « de telles lois (c’est-​à-​dire contraires au bien humain), n’o­bligent pas en conscience ».[]
  4. S. Th., ibid. Traduction LPL : « Les lois peuvent être injustes par leur oppo­si­tion au bien divin ; telles sont les lois tyran­niques qui poussent à l’i­do­lâ­trie ou à toute autre conduite oppo­sée à la loi divine : il n’est jamais per­mis d’ob­ser­ver de telles lois car, « il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes » (Ac. 5, 29).[]