Noël 2015 en Irak avec les « Jeunes Pro » de Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet, par Jean-​Baptiste Blanco

M. l’ab­bé de La Rocque et les « Jeunes Pro » de Saint-Nicolas-du-Chardonnet
en plein appren­tis­sage du rug­by pour les enfants ira­kiens de Mangesh.

Curieuse des­ti­na­tion que d’al­ler pas­ser ses vacances de Noël en Irak, pays en guerre, alors qu’il est cou­tume de se retrou­ver en famille pour les fêtes. C’est pour­tant le choix qu’ont fait six « Jeunes Pro » pari­siens accom­pa­gnés du curé de Saint-​Nicolas, en par­te­na­riat avec l’as­so­cia­tion SOS Chrétiens d’Orient.

Après un pre­mier épi­sode l’é­té der­nier consa­cré à l’en­ca­dre­ment d’un groupe de jeunes chré­tiens issus des camps de réfu­giés dans le vil­lage de Mangesh, nos volon­taires ont pas­sé Noël dans ce même vil­lage de mon­tagne, au milieu des chré­tiens, habi­tants ou réfu­giés. Ils y ont par­ta­gé leur vie, leur foi, en écou­tant leurs souf­frances et en essayant de leur insuf­fler l’es­pé­rance sur­na­tu­relle de Noël. Quelle joie sur­pre­nante de chan­ter ensemble « Il est né le divin enfant », qui en fran­çais, qui en chaldéen !

D’un point de vue humain, l’ob­jec­tif récla­mait bien sûr de décou­vrir la réa­li­té sur le ter­rain, en ren­con­trant ces Irakiens qui subissent la guerre depuis des années, afin d’a­voir leur vision de la situa­tion et de décou­vrir leur quo­ti­dien. Les mati­nées étaient consa­crées à la visite des familles du vil­lage, les après-​midis à des acti­vi­tés avec les enfants du camp de réfu­giés. L’écoute de leur his­toire et notre pré­sence, nos sou­rires, nos prières, en un mot le par­tage de ces moments com­muns, ont été le prin­ci­pal secours moral pour ces popu­la­tions mal­me­nées depuis si long­temps, au-​delà des aides maté­rielles péris­sables qui, bien que néces­saires, n’ap­portent qu’un récon­fort ponctuel.

Le jour de Noël, l’é­quipe se rend dans une minus­cule « mai­son » un peu en retrait des autres habi­ta­tions. Deux sem­blants de pièces consti­tuent l’in­té­rieur ; aucune iso­la­tion, un simple réchaud au pétrole pour l’en­semble ; ni cui­sine ni salle de bain, seule­ment des toi­lettes som­maires à l’ex­té­rieur. La maî­tresse de mai­son nous accueille, gênée, inti­mi­dée, elle répond dou­ce­ment à nos ques­tions tra­duites. La famille très pauvre a émi­gré lorsque Daesh a pris leur vil­lage proche de Mossoul. Ils y ont lais­sé leur mai­son et tous leurs biens, et leur pau­vre­té actuelle ne per­met plus de soi­gner l’un de leur fils qui doit subir des trai­te­ments médi­caux impor­tants en rai­son d’une mala­die rare. Autant que nous le pou­vons, nous les aidons à la pour­suite de ces soins indispensables.

À quelques pâtés de mai­sons, un camp de réfu­giés a été dres­sé. On y compte une qua­ran­taine de bun­ga­lows, d’une dou­zaine de mètres car­rés. En cha­cun s’y entasse une famille de 3 ou 4 per­sonnes, par­fois plus. Il est dif­fi­cile de fixer un chiffre, que les auto­ri­tés du vil­lage sont inca­pables de com­mu­ni­quer. En effet, le recen­se­ment effec­tué dans ces com­mu­nau­tés comp­ta­bi­lise le nombre de familles – cel­lule souche de la socié­té – et non l’in­di­vi­du, comme c’est le cas en nos pays ato­mi­sés. Il y a quelque chose de sain en cette concep­tion de la socié­té que nous avons pour notre part per­du depuis long­temps, et qu’ils pro­tègent au sien même de leurs épreuves. Malgré l’é­cla­te­ment des com­mu­nau­tés, on y retrouve une hié­rar­chie, un ordre natu­rel, sous l’é­gide du curé, de la maire, du mokh­tar. Ils ont gar­dé le sens du bien com­mun, vivant de manière très com­mu­nau­taire. Et si tout s’y négo­cie, il s’a­git sur­tout d’une ques­tion d’hon­neur, peu importe in fine le prix retenu.

Pourtant, ces popu­la­tions n’ont aucune ges­tion des prio­ri­tés, cha­cun dis­po­sant du super­flu (der­nier télé­phone, télé­vi­sion), alors que l’in­dis­pen­sable manque. Mais le poids des épreuves, le manque de vision d’un ave­nir meilleur qui leur paraît inac­ces­sible, le décou­ra­ge­ment qui y est lié, tout cela rend com­pli­qué, et même par­fois impos­sible, l’or­don­nan­ce­ment des actions. Seule la main secou­rable, l’é­coute atten­tive, le res­pect de leur liber­té et de leur culture, des expli­ca­tions et des actes de bien­veillance des­ti­nés à rendre la confiance peuvent per­mettre une recons­truc­tion. C’est à cette recons­truc­tion que nous vou­lons les aider. Devant leur situa­tion et leur ave­nir obs­cur­ci depuis la chute de Saddam en 2003, puis l’ar­ri­vée de l’État Islamique en 2014, ces mino­ri­tés chré­tiennes se sentent condam­nées à la migra­tion, autre­ment dit à l’a­ban­don de leurs terres, de leur iden­ti­té, de leur his­toire. Le manque de tra­vail semble faire force de loi, la sur­vie récla­mant alors l’exil.

Pourtant ce vil­lage de Mangesh, lieu de notre séjour, est plein de poten­tiel, sur­tout dans le domaine agro-​alimentaire. Les ren­contres construc­tives entre le père Nadjeeb (qui sau­va les manus­crits his­to­riques de Mossoul) et l’ab­bé de La Rocque, puis avec les auto­ri­tés de Mangesh, comme le mokh­tar, la maire, ou le curé, per­mirent peu à peu d’i­den­ti­fier les véri­tables besoins. Relancer ce poten­tiel éco­no­mique per­met­trait à cette chré­tien­té de sub­sis­ter, et même de se déve­lop­per. Cela devient une prio­ri­té, qu’ils ne peuvent réa­li­ser par eux-​mêmes, faute de moyens. Plus qu’une prio­ri­té, c’est une ques­tion de sur­vie pour cette chré­tien­té menacée.

Notre devoir est de les aider à se main­te­nir, à se battre sans fata­lisme, tout en pre­nant les riches ensei­gne­ments qu’ils nous apportent. Leur exemple nous invite à refon­der une véri­table com­mu­nau­té catho­lique soli­daire, en lut­tant contre notre indi­vi­dua­lisme ambiant, contre cette guerre de tous contre tous, en recher­chant dans la cha­ri­té le bien de l’autre et le bien com­mun par la hié­rar­chie des prio­ri­tés dans la foi.

Ces dix jours ira­kiens per­mirent encore un pas­sage sur des lieux char­gés d’his­toire : grotte de l’a­pôtre saint Thomas à Mangesh – c’est de là qu’est vrai­ment par­tie l’é­van­gé­li­sa­tion de la Mésopotamie – tom­beau du pro­phète Nahum dans l’an­cienne syna­gogue d’al Qosh, monas­tère de Rabban Hormizd… Seul le monas­tère de Mar Mati nous fut inac­ces­sible, de par une pous­sée de Daesh jus­qu’à ses pieds. Ce séjour, désor­mais gra­vé dans nos mémoires, nous a fina­le­ment per­mis de renouer avec les bases de notre propre civilisation.

Jean-​Baptiste Blanco

Source :Le Chardonnet n° 315 de février 2016