Réforme liturgique : ce qu’a dit le pape François et les raisons de l’attachement irréversible de la FSSPX à la messe traditionnelle – 5 septembre 2017


Le pape François s’est expri­mé sur la célé­bra­tion du culte divin, à l’oc­ca­sion de la Semaine litur­gique ita­lienne qui fêtait cette année le 70e anni­ver­saire de la fon­da­tion du Centre d’ac­tion litur­gique. Au cours de l’au­dience qu’il a accor­dée le jeu­di 24 août 2017 aux par­ti­ci­pants, le Souverain Pontife s’est éten­du, comme il ne l’a­vait encore jamais fait, sur la réforme litur­gique enga­gée au nom du concile Vatican II.

Son inter­ven­tion pré­sente la réforme de la messe entre­prise par le pape Paul VI comme le résul­tat du mou­ve­ment litur­gique encou­ra­gé par saint Pie X en 1903 et conti­nué par Pie XII en 1947 (ency­clique Mediator Dei). Pour François, il est mani­fes­te­ment vain de cher­cher la moindre solu­tion de conti­nui­té entre le rite tra­di­tion­nel, codi­fié par saint Pie V et enri­chi de manière homo­gène au cours des siècles, et le nou­veau rite fabri­qué en 1969 en appli­ca­tion de la Constitution sur la divine litur­gie Sacrosanctum Concilium (4 décembre 1963). L’allocution du pape se divise en deux parties.

Les pro­pos du pape François

Dans un pre­mier temps, le pape François, tout en recon­nais­sant que l’histoire récente de la litur­gie est mar­quée par « des évé­ne­ments sub­stan­tiels et non super­fi­ciels », s’attache à les relier au mou­ve­ment litur­gique d’avant Vatican II. Outre saint Pie X, il cite l’encyclique Mediator Dei et les réformes entre­prises par Pie XII : « ver­sion du psau­tier, atté­nua­tion du jeûne eucha­ris­tique, usage de la langue vivante dans le Rituel, impor­tante réforme de la Vigile pas­cale et de la Semaine sainte ».

Quant à la réforme vou­lue par les Pères du concile Vatican II, François s’emploie à la pré­sen­ter comme un besoin de renou­veau : « On dési­rait une litur­gie vivante pour une Eglise toute vivi­fiée par les mys­tères célé­brés ». Le moyen pri­vi­lé­gié pour ce faire fut la par­ti­ci­pa­tion des fidèles, qui devaient doré­na­vant com­prendre et prendre part à l’action sacrée (Sacrosanctum Concilium, n°48). Paul VI enga­gea l’autorité de l’Eglise pour pro­mou­voir et ani­mer « cette nou­velle manière de prier ».

Cinquante ans plus tard, François affirme que l’application pra­tique du nou­veau rite « est encore en œuvre parce qu’il ne suf­fit pas de réfor­mer les livres litur­giques pour renou­ve­ler la men­ta­li­té. Les livres réfor­més selon les décrets de Vatican II ont uni­fié un pro­ces­sus qui requiert du temps, une récep­tion fidèle, une obéis­sance pra­tique, une sage mise en œuvre de la célébration… »

Dans la seconde par­tie, le pape s’attache à com­men­ter le thème de la ren­contre : « Une litur­gie vivante pour une Eglise vivante ». Cette vita­li­té litur­gique s’exprime d’une part dans « l’actuation du sacer­doce du Christ Jésus, à savoir l’offrande de sa vie jusqu’à étendre les bras sur la croix, sacer­doce ren­du pré­sent de manière constante à tra­vers les rites et les prières, au plus haut point dans son Corps et dans son Sang, mais aus­si dans la pré­sence du prêtre, dans la pro­cla­ma­tion de la Parole de Dieu, dans l’assemblée réunie en prière en son nom ». Tout s’oriente vers l’autel autour duquel est réunie l’assemblée. C’est là qu’est « dépo­sée l’offrande de l’Eglise que l’Esprit consacre comme sacre­ment du Sacrifice du Christ ».

Si la litur­gie est pour le peuple de l’Eglise, elle est aus­si une action du peuple. Elle n’est pas clé­ri­cale mais popu­laire. De la sorte, l’assemblée litur­gique « exprime la pié­té de tout le peuple de Dieu ». Le pape met en avant le culte ain­si défi­ni comme « une expé­rience ini­tia­tique » : ne se rédui­sant ni à une doc­trine à com­prendre ni à un rite à accom­plir, elle est « une source de vie et de lumière pour notre che­min de foi » per­met­tant d’entrer dans le mys­tère de Dieu. C’est une com­mu­nion à expé­ri­men­ter, une école de vie chré­tienne, une caté­chèse mystagogique.

Le sou­ve­rain pon­tife achève son allo­cu­tion en encou­ra­geant les res­pon­sables du Centre d’action litur­gique à « ser­vir la prière du saint peuple de Dieu », de sorte que la litur­gie soit « source et som­met de la vita­li­té de l’Eglise » (Sacrosanctum Concilium, n°10).

Proclamer la conti­nui­té avec la Tradition ne suf­fit pas à la rendre effective

Contrairement à son pré­dé­ces­seur immé­diat qui avait par­lé de « des­truc­tion de la litur­gie » et avait appe­lé de ses vœux « une réforme de la réforme », le pape François reven­dique réso­lu­ment l’œuvre accom­plie. Il nie toute rup­ture avec le rite tra­di­tion­nel en affir­mant même, à la suite de Jean-​Paul II, que la nou­velle messe s’inscrit dans le « res­pect de la saine tra­di­tion et du pro­grès légi­time » au point de pou­voir dire « que la réforme litur­gique est stric­te­ment tra­di­tion­nelle ad nor­mam Sanctorum Patrum » (Lettre apos­to­lique Vicesimus quin­tus annus, 4 décembre 1988, n°4). En assu­mant ain­si la réforme litur­gique, son esprit et sa mise en œuvre qui doit se pour­suivre, François rejette de fait toute cri­tique légi­time du nou­veau rite et ne veut pas voir la réa­li­té de la crise liturgique.

Quand on connaît avec quels accents le pape Pie XII condam­na l’archéologisme litur­gique et fus­ti­gea les entre­prises des nova­teurs de son époque, on ne peut que res­ter inter­dit face à une telle pré­sen­ta­tion. Il ne suf­fit pas de pro­cla­mer la conti­nui­té de la saine tra­di­tion pour qu’elle soit effec­tive. L’insistance sur la vita­li­té de la célé­bra­tion, la par­ti­ci­pa­tion des fidèles et le rôle de l’assemblée du peuple de Dieu révèle l’exacte pen­sée du sou­ve­rain pon­tife. Il entend assu­mer toute l’entreprise réa­li­sée en la matière, une entre­prise que n’aurait pas désa­vouée Luther. En effet, le retour­ne­ment des autels, l’abandon du latin, des génu­flexions, du recueille­ment, du culte latreu­tique, le pri­mat de la parole sur le sacri­fice, de l’assemblée sur le rôle du prêtre, de l’animation sur l’action sacrée, tout cela mani­feste bien une cer­taine pro­tes­tan­ti­sa­tion de la messe catholique…

La note 10 cite une Allocution du pape Paul VI en 1977, un an après le consis­toire qui décla­ra inter­dite la messe de tou­jours. Tout en affir­mant que le nou­veau rite de la messe est res­té « sub­stan­tiel­le­ment inchan­gé », le pape s’y féli­cite du « grand pro­grès » qui a résul­té de sa pro­mul­ga­tion et de ses « fruits indis­cu­ta­ble­ment béné­fiques » : « une plus grande par­ti­ci­pa­tion à l’action litur­gique, une conscience plus vive de l’action sacrée, une connais­sance plus grande et plus ample des tré­sors inépui­sables de la Sainte Ecriture, une aug­men­ta­tion du sens com­mu­nau­taire dans l’Eglise. Le cours de ces années montre que nous sommes sur la bonne voie ». Le seul regret concerne l’existence « des abus et des liber­tés dans l’application » qu’il convient désor­mais de « lais­ser défi­ni­ti­ve­ment tomber ».

François par­tage mani­fes­te­ment cet opti­misme que l’on n’ose pas qua­li­fier de fuite en avant. Ce qui ne va pas, ce sont les abus, mais le nou­veau rite lui-​même ne sau­rait être remis en cause. Pour preuve, il a ajou­té : « Nous pou­vons affir­mer avec assu­rance et avec auto­ri­té magis­té­rielle que la réforme litur­gique est irré­ver­sible » (cette affir­ma­tion figure dans l’édition offi­cielle ita­lienne de l’allocution pontificale).

Les rai­sons de notre atta­che­ment irré­ver­sible à la messe traditionnelle

La Fraternité Saint-​Pie X conti­nue pour sa part de dénon­cer comme mau­vais ce rite qui a été fabri­qué dans un but œcu­mé­nique et selon une défi­ni­tion tron­quée de la nature de la messe. Le Novus Ordo Missae de Paul VI véhi­cule une « nou­velle manière de prier » qui rompt avec la litur­gie catho­lique ; jusqu’ici celle-​ci pro­té­geait la foi des fidèles et diri­geait leur prière vers l’unique sacri­fice rédemp­teur, en concen­trant toute l’action sacrée sur la réa­li­té du sacri­fice eucha­ris­tique, confor­mé­ment à la doc­trine catholique.

Dès le 25 sep­tembre 1969, le car­di­nal Alfredo Ottaviani, pré­fet de la Congrégation pour la doc­trine de la foi, ain­si que le car­di­nal Antoinio Bacci, adres­saient une lettre au pape Paul VI. Avec res­pect, ils lui expo­saient com­ment, vu les élé­ments nou­veaux intro­duits dans le rite, le nou­vel Ordo Missae « s’éloigne de façon impres­sion­nante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théo­lo­gie catho­lique de la Sainte Messe, telle qu’elle a été for­mu­lée à la XXème ses­sion du concile de Trente, lequel, en fixant défi­ni­ti­ve­ment les « canons » du rite, éle­va une bar­rière infran­chis­sable contre toute héré­sie qui pour­rait por­ter atteinte à l’intégrité du Mystère ».

Les car­di­naux Ottaviani et Bacci pour­sui­vaient en expli­quant com­ment, sous cou­vert de « rai­sons pas­to­rales », la litur­gie réfor­mée pro­voque une rup­ture avec la doc­trine catho­lique. Les nou­veau­tés prennent le pas sur les réa­li­tés éter­nelles au grand désar­roi du peuple fidèle. Lorsque la loi se révèle nocive, il est de leur devoir « de deman­der au légis­la­teur, avec une confiance filiale, son abrogation ».

A leur suite, Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a dénon­cé l’esprit œcu­mé­nique libé­ral qui avait pré­si­dé à l’élaboration du nou­veau rite, sous la direc­tion de Mgr Annibale Bugnini et avec l’aide de pas­teurs pro­tes­tants. Dans une lettre au car­di­nal Franjo Seper, alors pré­fet de la Congrégation pour la doc­trine de la foi, le fon­da­teur d’Ecône mon­trait com­ment « la nou­velle Messe repré­sente une déva­lo­ri­sa­tion très sen­sible du mys­tère sacré ». D’une part « l’expression de la foi catho­lique dans les réa­li­tés divines de ce mys­tère » a per­du son carac­tère de subli­mi­té. D’autre part, et bien plus, « de nom­breuses sup­pres­sions et atti­tudes nou­velles finissent par engen­drer le doute dans l’esprit des fidèles et les amènent à adop­ter une men­ta­li­té pro­tes­tante, sans s’en rendre compte ».

Face à ce qu’il appe­lait « une syn­thèse catholico-​protestante », Mgr Lefebvre inter­ro­geait ses inter­lo­cu­teurs romains : « Comment le Saint-​Siège a‑t-​il pu enga­ger une telle Réforme sans se sou­cier des actes du magis­tère, et en repre­nant à son compte les erre­ments des pro­tes­tants, des jan­sé­nistes, du concile de Pistoie ? » Choisissant la voie la plus sûre, il concluait : « nous vou­lons gar­der la foi catho­lique par la Messe catho­lique, non par une Messe œcu­mé­nique, quand bien même valide et non héré­tique, mais favens hae­re­sim » [qui favo­rise l’hérésie].

Tel est le motif grave et pro­fond de l’attachement indé­fec­tible – et irré­ver­sible – à la Messe romaine de tou­jours, « qui ne peut être abo­lie et ne peut être l’objet de cen­sures selon le juge­ment infaillible de saint Pie V ». 

Sources : /​La Porte Latine du 5 sep­tembre 2017