Nova et Vetera : « L’antique liturgie romaine et la crise contemporaine de la foi » vues par Mgr Pozzo

1. Dans une confé­rence don­née le 18 juillet 2018 à Lichen en Pologne [1], Mgr Guido Pozzo, s’est à nou­veau [2] expri­mé sur les pro­blèmes sus­ci­tés par la mise en appli­ca­tion du concile Vatican II, spé­cia­le­ment dans le domaine de la litur­gie. « L’antique litur­gie romaine et la crise contem­po­raine de la foi » : tel était en effet l’in­ti­tu­lé de son propos.

2. Avec une per­sé­vé­rance cer­tai­ne­ment digne d’un meilleur objet, le secré­taire de la Commission Pontificale Ecclesia Dei expose ce qui serait selon lui le véri­table motif de la débâcle post-​conciliaire. S’il faut bien recon­naître qu’a­près Vatican II « une déchi­rure » s’est pro­duite dans la litur­gie et le culte, « le dan­ger ne vient pas des livres litur­giques ou du nou­veau rite mais du para­con­cile, cli­mat de l’é­poque ser­vant à la fois d’ins­pi­ra­tion à la consti­tu­tion Sacrosanctum Concilium mais aus­si à des dévia­tions ». Autrement dit, ni le concile Vatican II, avec la consti­tu­tion sur la litur­gie, ni la réforme litur­gique de Paul VI, avec le Novus Ordo Missæ , ne sau­raient être tenus pour res­pon­sables de la crise qui sévit encore dans l’Église, spé­cia­le­ment au double niveau de la pro­fes­sion de la foi et de la célé­bra­tion du culte.

3. Reprenant à son compte les réflexions de Joseph Ratzinger, à pro­pos du lien obser­vable entre cette crise ecclé­siale et la déca­dence litur­gique, Mgr Pozzo insiste avec force sur cette grille de lec­ture, à ses yeux fon­da­men­tale : « Encore une fois, le pro­blème essen­tiel n’est pas le renou­veau ordon­né par le Concile, mais sa récep­tion et la manière de l’ap­pli­quer dans la pra­tique ». […] « Les contrastes qui sont appa­rus dans la réa­li­té ne viennent pas du Concile. Je veux le sou­li­gner. Dans la consti­tu­tion conci­liaire Sacrosanctum Concilium il est dit que le latin doit être conser­vé avec large place pour les langues ver­na­cu­laires. On demande donc de conser­ver le latin. Sommes-​nous donc vrai­ment fidèles au Concile en cau­sant l’a­ban­don presque total du latin ? » Non seule­ment la consti­tu­tion conci­liaire devrait être abso­lu­ment dis­cul­pée de toutes ces dérives, mais le rite postérieure- ment réfor­mé en 1969 devrait res­ter lui aus­si indemne de tout reproche : « Il est évident, qu’il n’y a pas de telles dérives dans les livres litur­giques, mais on les retrouve sur­tout dans la manière de for­mer la conscience chré­tienne du peuple de Dieu, ain­si que des prêtres. Le manque d’é­qui­libre appa­raît aus­si dans la manière de com­prendre, d’in­ter­pré­ter, et enfin de pra­ti­quer concrè­te­ment la célébration. »

4. Tous les déboires de la nou­velle litur­gie s’ex­pli­que­raient donc en rai­son d’un « contexte cultu­rel mar­qué par la sécu­la­ri­sa­tion ». De telle sorte que, dans un contexte dif­fé­rent, dans un cli­mat doc­tri­nal où la for­ma­tion caté­ché­tique et litur­gique eût été cor­recte, « les nou­veaux livres seraient com­pris et appli­qués confor­mé­ment au mys­tère de la foi ». Si le culte de la sainte Église a subi une éclipse dans sa dimen­sion sacrée, dans la pré­sence réelle et dans la nature sacri­fi­cielle de la Messe, il fau­drait en impu­ter la res­pon­sa­bi­li­té pro­fonde à la sécu­la­ri­sa­tion de la théo­lo­gie et de la vie chré­tienne, qui a « chan­gé la litur­gie en acti­visme ». À cet égard, Mgr Pozzo va jus­qu’à évo­quer une « pro­tes­tan­ti­sa­tion de la litur­gie catho­lique », qui vien­drait du fait que l’on en est venu, dans les dif­fé­rentes célé­bra­tions, à « sou­li­gner uni­la­té­ra­le­ment la signi­fi­ca­tion de la com­mu­nau­té et de la cène, non pas comme un ban­quet sacré (le sacrum convi­vium tho­miste), mais comme simple repas fra­ter­nel ». Pour avé­rée qu’elle soit, et dénon­cée comme telle par les plus hautes ins­tances dans l’Église, cette pro­tes­tan­ti­sa­tion ne vien­drait pas du nou­veau rite, pris en tant que tel. Elle pro­cé­de­rait de trois racines pro­fondes : la sécu­la­ri­sa­tion de la foi, de la litur­gie et de la cha­ri­té. La sécu­la­ri­sa­tion de la foi consiste à impré­gner la culture catho­lique du rela­ti­visme doc­tri­nal, reli­gieux et moral, rédui­sant la foi chré­tienne « à une opi­nion sub­jec­tive, égale à d’autres convic­tions sub­jec­tives paral­lèles ». La sécu­la­ri­sa­tion de la litur­gie consiste à rem­pla­cer la caté­go­rie du sacré par la caté­go­rie de pro­fane, la litur­gie deve­nant ain­si avant tout un évè­ne­ment social et com­mu­nau­taire. La sécu­la­ri­sa­tion de la cha­ri­té rem­place la cha­ri­té évan­gé­lique (l’a­mour de Dieu et du pro­chain) par la réa­li­sa­tion de la fra­ter­ni­té humaine, dans laquelle le rôle prin­ci­pal revient à l’ac­ti­vi­té humaine : cette sécu­la­ri­sa­tion de la cha­ri­té repré­sente « une nou­velle forme du péla­gia­nisme, qui éle­vant l’ac­ti­vi­té humaine prive l’ac­tion chré­tienne de la force et de la pri­mau­té de la grâce ». Selon Mgr Pozzo, cette triple sécu­la­ri­sa­tion serait la cause (ou du moins l’oc­ca­sion pro­chaine) de la désa­cra­li­sa­tion obser­vable dans la nou­velle litur­gie, et non point l’ef­fet propre et immé­diat de la réforme du Novus Ordo Missæ.

5. Le moyen d’é­chap­per à cette sécu­la­ri­sa­tion serait alors de sus­ci­ter un autre cli­mat, dans lequel le nou­veau rite réfor­mé par Paul VI pour­rait enfin don­ner toute sa mesure. Pour ce faire, « le Motu pro­prio Summorum Pontificum de Benoît XVI a joué un rôle pri­mor­dial ». Et pour bien carac­té­ri­ser, une fois pour toutes, ce rôle, Mgr Pozzo com­mence par rap­pe­ler quel est le prin­cipe de base de ce Motu Proprio : « La réforme litur­gique du Concile Vatican II ne peut pas être consi­dé­rée comme une rup­ture avec la tra­di­tion litur­gique, mais il faut la com­prendre comme un renou­vel­le­ment en conti­nui­té avec ce qui est essen­tiel. » Par consé­quent, il ne sau­rait être ques­tion de mettre en évi­dence quelque oppo­si­tion doc­tri­nale ou litur­gique entre l” Ordo tra­di­tion­nel de saint Pie V, qui cor­res­pond désor­mais à une « forme extra­or­di­naire » du rite romain, et le nou­vel Ordo réfor­mé par Paul VI, qui cor­res­pond à la « forme ordi­naire » de ce même rite. « Les formes extra­or­di­naires et ordi­naires du rite romain ne doivent pas être consi­dé­rées comme étant une excep­tion d’un côté, une règle de l’autre, mais comme des formes d’é­gale valeur , même si la forme ordi­naire est plus répan­due et plus cou­rante, et la forme extra­or­di­naire plus spé­ciale et excep­tion­nelle, c’est pour- quoi on lui dédie une légis­la­tion propre qu’il faut res­pec­ter en la célé­brant. » En ver­tu de ce prin­cipe de base, avec la réforme de Paul VI (cf. l” Institutio gene­ra­lis , n° 3) « la doc­trine catho­lique n’a pas été chan­gée dans le rite romain de la Messe, car la litur­gie et la doc­trine sont insé­pa­rables et par néces­si­té indi­vi­sibles ». Ce qui a pu chan­ger entre les deux formes du rite romain, « ce sont des accents qui n’in­fluent pas sur l’u­ni­té essen­tielle de la litur­gie ». Car « le Concile vou­lait réfor­mer la litur­gie de façon à gar­der l’u­ni­té avec la Tradition ».

6. Fort de ce prin­cipe, Mgr Pozzo croit décou­vrir dans le Motu pro­prio Summum Pontificum le remède grâce auquel le véri­table esprit du Concile, sa « mens », pour­rait enfin pré­va­loir sur toutes les dérives du para­con­cile, du moins en matière litur­gique. Le remède ne doit pas consis­ter à désa­vouer les prin­cipes de la réforme litur­gique, tels qu’ils se sont expri­més à tra­vers la consti­tu­tion Sacrosanctum conci­lium de Vatican II et le Novus Ordo de Paul VI. Le remède consiste à « reprendre à nou­veau ces prin­cipes et à les appli­quer aus­si dans la célé­bra­tion de la forme ordi­naire », mais à la condi­tion de dis­si­per les fausses inter­pré­ta­tions du para­con­cile. Et c’est jus­te­ment pour rem­plir cette condi­tion que le recours à la forme extra­or­di­naire, que Mgr Pozzo qua­li­fie d”« usus anti­quior de la litur­gie », s’a­vère « un tré­sor pré­cieux qu’il faut ouvrir pour tout le monde afin de gar­der la foi authen­tique, la litur­gie et la cha­ri­té ». L’usage du Missel de saint Pie V serait en effet le moyen de res­tau­rer dans l’u­sage du nou­veau rite de Paul VI « la signi­fi­ca­tion et la sacra­li­té de la litur­gie catho­lique, qui doit s’ex­pri­mer par des gestes et expri­mer l’in­té­gra­li­té de la saine doc­trine litur­gique ». Bref : « Les deux formes de la litur­gie romaine, l’or­di­naire et l’ex­tra­or­di­naire, repré­sentent un exemple de déve­lop­pe­ment et d’en­ri­chis­se­ment mutuel ». En ce sens, « le Motu pro­prio Summorum Pontificum pro­mul­gué par Benoît XVI, grâce auquel la richesse de la litur­gie romaine est deve­nue acces­sible à l’Église uni­ver­selle, consti­tue la conti­nua­tion du magis­tère de ses pré­dé­ces­seurs ». Car le recours à la forme extra­or­di­naire du Missel de saint Pie V, aus­si élar­gi et nor­ma­li­sé soit-​il, ne sau­rait remettre en cause la légi­ti­mi­té et la bon­té fon­cière, sur le double plan doc­tri­nal et litur­gique, du Novus Ordo de Paul VI. « Les obser­va­tions cri­tiques sur les manières dis­cu­tées d’ap­pli­quer le renou­vel­le­ment litur­gique ne doivent pas remettre à nou­veau en ques­tion le Missel publié par Paul VI, puis, édi­té pour la troi­sième fois avec l’ap­pro­ba­tion de Jean-​Paul II, et qui demeure la forme ordi­naire de litur­gie eucha­ris­tique. En revanche, la célé­bra­tion de la Sainte Messe selon l” usus anti­quior aide sans doute à sai­sir et rendre visibles avec plus de clar­té et pré­ci­sion cer­tains aspects, cer­taines véri­tés doc­tri­nales, qui peuvent être éclip­sées par une manière banale ou incor­recte de célé­bra­tion du rite nou­veau. » Les dif­fé­rences qui peuvent exis­ter entre les deux formes du même rite tien­draient donc à des manières diverses de mettre en relief les mêmes prin­cipes, mais il n’y aurait pas « deux manières contra­dic­toires d’être catho­lique ou de célé­brer la gloire et le sacri­fice du Seigneur » ; les deux formes doivent être appré­ciées « comme un héri­tage com­mun », même s’il com­porte « des accen­tua­tions dif­fé­rentes de la même foi ». L’enrichissement mutuel consis­te­rait alors à « retrou­ver l’u­ni­té fon­da­men­tale du culte catho­lique au-​delà de la diver­si­té des formes ». Telle est l’in­ten­tion prin­ci­pale du Motu pro­prio de Benoît XVI, selon l’ex­pli­ca­tion qu’en donne Mgr Pozzo.

7. En défi­ni­tive, cette inten­tion est de conser­ver l’u­ni­té de l’Église, telle qu’elle doit néces­sai­re­ment repo­ser sur les réformes doc­tri­nales et dis­ci­pli­naires, entre­prises par le concile Vatican II et par Paul VI. La conclu­sion du dis­cours tenu par Mgr Pozzo est très claire sur ce point. « Aujourd’hui d’une manière par­ti­cu­lière je dirais que face aux abus et erreurs, qui défi­gurent la litur­gique telle que l’a vou­lue Paul VI, telle que l’a vou­lue le Concile, et qui sont sou­vent un effet de la crise de la foi qui éclipse la dimen­sion sur­na­tu­relle de l’exis­tence chré­tienne et du mys­tère de l’Église même, nous devrions être recon­nais­sants pour le Motu Proprio Summorum Pontificum et l’ins­truc­tion Universæ Ecclesiæ qui l’ac­com­pagne, car ces deux textes ont res­tau­ré l’an­tique forme de la litur­gie de l’Église à la vie de l’Église, comme un don qui sert à ren­for­cer tout le corps de Christ, dont nous sommes tous membres et ser­vi­teurs selon le mode qui convient à cha­cun d’entre nous. »

8. Peut-​on alors dire que le Motu pro­prio de Benoît XVI a redon­né, véri­ta­ble­ment, droit de cité dans l’Église à la litur­gie catho­lique tra­di­tion­nelle ? Les pro­pos récem­ment tenus par le secré­taire de la Commission Pontificale Ecclesia Dei, même s’ils vont jus­qu’à dire que la forme extra­or­di­naire ne doit pas être consi­dé­rée comme « une excep­tion », obligent tout de même à nuan­cer consi­dé­ra­ble­ment une pareille appré­cia­tion. Il est clair que, dans l’in­ten­tion de Benoît XVI, assez fidè­le­ment expli­ci­tée ici par Mgr Pozzo, l’i­ni­tia­tive de Summorum Pontificum inter­vient plu­tôt pour ren­for­cer la mise en pra­tique du Novus Ordo Missæ de Paul VI. En somme l’an­cien rite de la Messe de tou­jours serait mis à contri­bu­tion pour puri­fier des abus qui en ter­nissent l’u­sage le nou­veau rite de Paul VI et de Vatican II, nou­veau rite que Mgr Lefebvre n’hé­si­tait pour­tant pas à qua­li­fier de « Messe de Luther ». La résur­gence des messes célé­brées selon l’an­cien Ordo de saint Pie V a pour but avé­ré de créer le cli­mat favo­rable à l’é­clo­sion des bons fruits du nou­vel Ordo , jus­qu’i­ci cen­sés occul­tés ou empê­chés à cause du cli­mat défa­vo­rable sus­ci­té par le para­con­cile. Les deux rites seraient donc l’ex­pres­sion éga­le­ment bonne et légi­time d’une même ortho­doxie catho­lique, doc­tri­nale et cultuelle. Le droit de cité, s’il en est un, recon­nu à la messe de tou­jours, fût-​il même don­né à part entière, et non à titre d’ex­cep­tion, passe donc par la recon­nais­sance de prin­cipe de l’in­con­tes­table ortho­doxie doc­tri­nale et litur­gique de la nou­velle messe. Et voi­là jus­te­ment pour­quoi ce sup­po­sé « droit de cité » ne peut guère satis­faire, dans son fon­de­ment même, un catho­lique sou­cieux de pré­ser­ver l’in­té­gri­té de sa foi et de la Tradition de l’Église. Car la doc­trine, si elle est vrai­ment ortho­doxe, ne sau­rait aller de pair avec un rite ouvrant la porte à la dimi­nu­tion et à la perte de la foi. Encore moins se mettre à son ser­vice, dans un enri­chis­se­ment réciproque.

9. Nous en reve­nons hélas tou­jours au même sub­ter­fuge. En dépit des meilleures dis­po­si­tions per­son­nelles qui peuvent ani­mer ici ou là les repré­sen­tants du Saint-​Siège à l’é­gard de l’an­cienne messe (et nous sommes bien conscients qu’elles sont aujourd’­hui meilleures qu’il y a seule­ment vingt ans), cette confé­rence don­née aujourd’­hui par Mgr Pozzo n’est qu’un écho de plus de tous les Discours tenus par le Pape Benoît XVI pour dis­cul­per le Concile et ses réformes. Cette expli­ca­tion tient en une dis­tinc­tion, que Joseph Ratzinger n’a ces­sé d’é­lu­ci­der et de mettre en avant comme prin­cipe de solu­tion, durant toute son acti­vi­té de théo­lo­gien et de Pape, depuis les Entretiens sur la foi en 1984, jus­qu’au Discours de 2005 en pas­sant par le Discours à la confé­rence épis­co­pale du Chili en 1988. Distinction entre le Concile et le para­con­cile, entre le concile réel et le concile vir­tuel, entre le concile des pères et le concile des médias. L’on trouve la syn­thèse par­faite de cette démarche dans l’un de ses der­niers dis­cours, le 14 février 2013, quelques jours avant que le Pape bava­rois renonce au Souverain Pontificat. « Nous savons com­bien », disait-​il, « ce Concile des médias fut acces­sible à tous. Donc, c’é­tait celui qui domi­nait, le plus effi­cace, et il a créé tant de cala­mi­tés, tant de pro­blèmes, réel­le­ment tant de misères : sémi­naires fer­més, cou­vents fer­més, litur­gie bana­li­sée… et le vrai Concile a eu de la dif­fi­cul­té à se concré­ti­ser, à se réa­li­ser ; le Concile vir­tuel était plus fort que le Concile réel. Mais la force réelle du Concile était pré­sente et, au fur et à mesure, il se réa­lise tou­jours plus et devient la véri­table force qui ensuite est aus­si vraie réforme, vrai renou­vel­le­ment de l’Église. Il me semble que, 50 ans après le Concile, nous voyons com­ment ce Concile vir­tuel se brise, se perd, et le vrai Concile appa­raît avec toute sa force spi­ri­tuelle. Et voi­là notre tâche : tra­vailler pour que le vrai Concile, avec sa force de l’Esprit Saint, se réa­lise et que l’Église soit réel­le­ment renou­ve­lée. » Comme le sou­ligne clai­re­ment aujourd’­hui Mgr Pozzo, le Motu pro­prio Summorum Pontificum de 2007 vou­drait s’ins­crire dans cette tâche. Le concile des Pères (ou réel) ayant été éclip­sé par le concile des médias (ou vir­tuel), il fau­drait accu­ser le second pour dis­cul­per le pre­mier. Et pareille­ment, la réforme litur­gique réelle de Paul VI ayant été éclip­sée par le cli­mat délé­tère de la triple sécu­la­ri­sa­tion, il fau­drait accu­ser le second pour dis­cul­per la première.

10. Cette tâche est impos­sible, et elle pro­cède d’une illu­sion pro­fonde. Illusion que déjà, au moment même de la pro­mul­ga­tion offi­cielle de la réforme de la Messe, les car­di­naux Ottaviani et Bacci s’é­taient effor­cés de dis­si­per, en pré­sen­tant au Pape Paul VI leur Bref Examen cri­tique du Novus Ordo Missæ. Ce texte n’a pas vieilli, car il est l’ex­pres­sion d’une ana­lyse théo­lo­gique défi­ni­tive. À l’ap­pui de cette ana­lyse, nous consta­tons [3] que le nou­veau rite « s’é­loigne de manière impres­sion­nante, dans l’en­semble comme dans le détail » [4] de la défi­ni­tion catho­lique de la Messe, consi­dé­rée dans ses quatre causes : maté­rielle (la Présence réelle), for­melle (la nature sacri­fi­cielle), finale (le but pro­pi­tia­toire) et effi­ciente (le sacer­doce du prêtre). Cette défaillance grave inter­dit de regar­der ce nou­veau rite comme légi­time et auto­rise même à dou­ter de la vali­di­té des célé­bra­tions dans plus d’un cas. Les messes célé­brées en confor­mi­té avec le Novus Ordo ne sont pas seule­ment moins bonnes que celles célé­brées selon l” Ordo tra­di­tion­nel de saint Pie V ; elles sont mau­vaises, du fait de l’é­loi­gne­ment signa­lé. Dans l’in­ter­ro­ga­toire des 11 et 12 jan­vier 1979, à la ques­tion posée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi : « Soutenez-​vous qu’un fidèle catho­lique peut pen­ser et affir­mer qu’un rite sacra­men­tel en par­ti­cu­lier celui de la messe approu­vé et pro­mul­gué par le Souverain Pontife puisse être non conforme à la foi catho­lique ou favens hære­sim ? », Mgr Lefebvre a répondu :

Ce rite en lui-​même ne pro­fesse pas la foi catho­lique d’une manière aus­si claire que l’an­cien Ordo Missæ et par suite il peut favo­ri­ser l’hé­ré­sie. Mais je ne sais pas à qui l’at­tri­buer ni si le pape en est res­pon­sable. Ce qui est stu­pé­fiant c’est qu’un Ordo Missæ de saveur pro­tes­tante et donc favens hære­sim ait pu être dif­fu­sé par la curie romaine.

« Mgr Lefebvre et le Saint-​Office », Itinéraires n° 233 de mai 1979, p. 146–147.

11. La « crise contem­po­raine de la foi » ne se réduit pas à une simple ques­tion de cli­mat. La dimi­nu­tion et la perte de la foi ne sont pas les élé­ments d’un contexte qui entra­ve­rait l’ex­pres­sion des fruits sup­po­sés béné­fiques du Concile et de la réforme de Paul VI. Cette dimi­nu­tion et cette perte de la foi sont les effets qui découlent direc­te­ment de la nou­velle messe, car elles sont ins­crites comme dans leur cause dans l’af­fai­blis­se­ment consi­dé­rable de la défi­ni­tion de la messe, qui consti­tue pour une part impor­tante la sub­stance même du nou­vel Ordo . La « pro­tes­tan­ti­sa­tion » dénon­cée par Mgr Pozzo est l’œuvre même de la nou­velle litur­gie, et cela s’ex­plique du fait que le nou­veau rite de 1969 est déjà en lui-​même un rite pro­tes­tan­ti­sé. Tous les dis­cours les plus bien­veillants du Secrétaire de la Commission Pontificale Ecclesia Dei n’y chan­ge­ront jamais rien. Le « cli­mat » de la triple sécu­la­ri­sa­tion existe sans doute. Mais il ne fait qu’ag­gra­ver cette pro­tes­tan­ti­sa­tion, qui sévit déjà en elle-​même, en rai­son du Novus Ordo de 1969. C’est pour­quoi, comme le para­con­cile, il ne sau­rait repré­sen­ter qu’une fausse excuse

12. Excuse d’au­tant plus fausse que cette triple sécu­la­ri­sa­tion résulte logi­que­ment – si on les pousse jus­qu’au bout – des amoin­dris­se­ments intro­duits dans la nou­velle litur­gie. La praxis post­con­ci­liaire ne fait, ici comme ailleurs, que tirer les consé­quences vrai­ment ultimes de l” aggior­na­men­to , de cette ouver­ture au monde vou­lue par le Pape Jean XXIII et recon­nue par le car­di­nal Ratzinger. En 1984, celui-​ci ne déclarait-​il pas que le Concile a été réuni pour faire entrer dans l’Église des doc­trines qui sont nées en dehors d’elle, doc­trines qui viennent du monde [5] ? La nou­velle litur­gie a fait de même. Le Motu pro­prio Summorum Pontificum ne sau­rait donc appe­ler à une « fécon­da­tion mutuelle des deux rites » sans main­te­nir dans sa racine pro­fonde cette « crise contem­po­raine de la foi ».

Abbé Jean-​Michel Gleize, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Sources : Courrier de rome n° 612 de juillet-​août 2018

Notes de bas de page

  1. Je tiens à remer­cier ici mon ami Wojtek Golonka, grâce auquel j’ai eu connais­sance de cette confé­rence et qui m’en a don­né une sub­stan­tielle ver­sion fran­çaise.[]
  2. Sauf pré­ci­sion contraire, toutes les cita­tions figu­rant entre guille­mets sont tirées de la confé­rence de Mgr Pozzo. La vidéo de cette confé­rence est dis­po­nible sur Gloria TV[]
  3. Cf. Abbé Jean-​Michel Gleize , Vatican II en débat , Courrier de Rome 2012, p. 59–65. []
  4. Cardinaux Ottaviani et Bacci , « Préface au pape Paul VI » dans Bref exa­men cri­tique du Novus ordo missæ , Écône, p. 6.[]
  5. Cardinal Joseph Ratzinger , Entretiens sur la foi , Paris, Fayard, 1985, p. 38.[]

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Michel Gleize est pro­fes­seur d’a­po­lo­gé­tique, d’ec­clé­sio­lo­gie et de dogme au Séminaire Saint-​Pie X d’Écône. Il est le prin­ci­pal contri­bu­teur du Courrier de Rome. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions doc­tri­nales entre Rome et la FSSPX entre 2009 et 2011.