Pourquoi revenir sur la nouvelle messe ?

Les observateurs protestants ayant participé à la réunion du « Consilium » de liturgie pour l'élaboration de la nouvelle messe. De gauche à droite : Dr. George; Canon Jasper; Dr. Shephard; Dr. Konneth; Dr. Eugene Brand et le Frère Max Thurian, le pape Paul VI. Photo Felici, 10 avril 1970, en couverture de la DC n° 1562.

Muettes sur la cri­tique de la nou­velle messe qu’elle ont accep­tée comme légi­time même si elles ne la célèbrent pas, les com­mu­nau­tés ancien­ne­ment Ecclesia Dei paraissent conti­nuer à se déve­lop­per. Pourquoi la Fraternité Saint-​Pie X revient-​elle donc si sou­vent sur la nou­velle messe ? Pourquoi cette suite d’ar­ticles, ini­tia­le­ment parus dans Le Chardonnet, que vous pour­rez lire sur La Porte Latine ?

La messe est ce qu’il y a de plus beau et de meilleur dans l’Eglise […] Aussi le démon a‑t-​il tou­jours cher­ché au moyen des héré­tiques à pri­ver le monde de la messe.

Saint Alphonse de Liguori

A l’opposé d’une telle pen­sée, Luther ne mas­quait pas son rejet vigou­reux de la messe : « Quand la messe sera ren­ver­sée, je pense que nous aurons ren­ver­sé la papau­té ! Car c’est sur la messe comme sur un rocher que s’appuie la papau­té tout entière, avec ses monas­tères, ses évê­chés, ses col­lèges, ses autels, ses ministres et sa doc­trine… Tout s’écroulera quand s’écroulera la messe sacri­lège et abo­mi­nable » [1].

Au-​delà de la viru­lence du pro­pos, ce der­nier mani­feste l’abîme sépa­rant la concep­tion luthé­rienne de la doc­trine catho­lique au sujet de la messe.

Cette oppo­si­tion semble avoir été consi­dé­ra­ble­ment dimi­nuée par la la réforme du mis­sel romain opé­rée par Paul VI en avril 1969. Dès le mois de mai 1969, le pro­tes­tant Max Thurian de la com­mu­nau­té de Taizé affir­mait pla­ci­de­ment : « Avec la nou­velle litur­gie, des com­mu­nau­tés non-​catholiques pour­ront célé­brer la Sainte Cène avec les mêmes prières que l’Eglise catho­lique. Théologiquement c’est pos­sible » [2].

Comment expli­quer un tel chan­ge­ment ? Le nou­veau rite se serait-​il rap­pro­ché de la posi­tion pro­tes­tante ? Ou serait-​ce les pro­tes­tants qui auraient changé ?

Deux avis, l’un éma­nant d’un catho­lique, l’autre d’un pro­tes­tant, favo­risent la pre­mière interprétation.

Mgr Bugnini, prin­ci­pal arti­san de la réforme litur­gique, eut l’étonnante sim­pli­ci­té de l’avouer : « [dans la réforme litur­gique] l’Eglise a été gui­dée par l’amour des âmes et le sou­ci de tout faire pour faci­li­ter à nos frères sépa­rés le che­min de l’union, en écar­tant toute pierre qui pour­rait consti­tuer ne serait-​ce que l’ombre d’un risque d’achoppement ou de déplai­sir » [3].

Les termes employés sont révé­la­teurs : « tout faire », « l’ombre », « d’un risque », « d’achoppement ou de déplai­sir ». Pour évi­ter ce genre d’ombre de risque, Mgr Bugnini n’a rien négli­gé. Six pas­teurs pro­tes­tants ont ain­si été appe­lés pour l’aider à conce­voir cette nou­velle messe.

Le second avis pro­cède d’un pro­tes­tant. En 1984, à la suite de l’indult du pape Jean-​Paul II auto­ri­sant la célé­bra­tion de la messe de saint Pie V à cer­taines condi­tions, le jour­nal Le Monde insé­ra dans le cour­rier des lec­teurs le texte sui­vant, signé du Pasteur Viot [4] :

La réin­tro­duc­tion de la messe de saint Pie V (…) est beau­coup plus qu’une affaire de langue : c’est une ques­tion doc­tri­nale de la plus haute impor­tance, au cœur des débats entre catho­liques et pro­tes­tants, débats que pour ma part, je croyais heu­reu­se­ment clos. (…) Beaucoup de nos ancêtres dans la foi réfor­mée selon la Parole de Dieu ont pré­fé­ré mon­ter sur le bûcher plu­tôt que d’entendre ce type de messe que le pape Pie V offi­cia­li­sa contre la Réforme. Aussi nous étions-​nous réjouis des déci­sions de Vatican II sur le sujet et de la fer­me­té de Rome à l’égard de ceux qui ne vou­laient pas se sou­mettre au Concile et conti­nuaient à uti­li­ser une messe à nos yeux contraire à l’Evangile.

La pen­sée est claire, le lan­gage franc : l’irréductibilité de la doc­trine pro­tes­tante et de la messe tra­di­tion­nelle demeure.

Le chan­ge­ment de posi­tion ne pro­vient donc pas des pro­tes­tants, mais du rite catho­lique. Telle est la conclu­sion qu’il reste à étayer sur des bases plus solides.

L’étude de la messe de Paul VI n’est donc pas d’un mince inté­rêt. Ajoutons d’emblée, pour évi­ter toute équi­voque auprès de nos lec­teurs du Chardonnet, que l’examen de ce rite ne por­te­ra que sur le texte offi­ciel de 1962, et non sur d’incroyables adap­ta­tions mal­heu­reu­se­ment récurrentes.

Abbé François-​Marie Chautard

Notes de bas de page
  1. Cité par Cristiani, Du luthé­ra­nisme au pro­tes­tan­tisme, 1910[]
  2. La Croix, 30 mai 1969, p. 10[]
  3. Toutes ces cita­tions sont tirées de La messe a‑t-​elle une his­toire ? , éd du MJCF, 2002, p. 134, que nous ne sau­rions trop recom­man­der. []
  4. Revenu depuis à l’Eglise catho­lique et ordon­né prêtre[]

FSSPX

M. l’ab­bé François-​Marie Chautard est l’ac­tuel rec­teur de l’Institut Saint Pie X, 22 rue du cherche-​midi à Paris.