Traditionis Custodes, la cohérence révolutionnaire

Martyr du Bienheureux Noël Pinot à Angers, le 21 février 1794

La Révolution en veut tou­jours plus. Dans la cité comme dans l’Église, elle broie ceux qui en acceptent les règles.

De quoi s’agit-il ?

Paru le 16 juillet 2021, le motu pro­prio Traditionis cus­todes a fait l’effet d’un séisme dans le petit monde de la Tradition. En à peine deux pages, le pape réduit presque à néant la liber­té condi­tion­nelle accor­dée à la messe tra­di­tion­nelle par Benoît XVI avec le motu pro­prio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007.

Selon le sché­ma uti­li­sé par Benoît XVI en cette occa­sion, François accom­pagne son motu pro­prio d’une lettre adres­sée aux évêques où il explique sa décision.

Une nouvelle liberté religieuse : le droit de mourir… lentement

En quelques lignes, le pape du dia­logue et de la syno­da­li­té ne laisse aucun choix aux fidèles, aux prêtres et même aux évêques. Au plan des fidèles, le docu­ment pré­cise qu’ils pour­ront avoir la messe tra­di­tion­nelle à la condi­tion sui­vante : « que de tels groupes n’excluent pas la vali­di­té et la légi­ti­mi­té de la réforme litur­gique, des pré­ceptes du concile Vatican II et du Magistère des Souverains Pontifes » (Art 3 §1).Toujours le même grain d’encens…

Le prêtre en charge de ces groupes s’attachera à consi­dé­rer, non s’ils peuvent être éten­dus, mais plu­tôt s’ils peuvent être sup­pri­més (§5). Pire, il « doit veiller à ne pas auto­ri­ser la consti­tu­tion de nou­veaux groupes » (§6). Ces com­mu­nau­tés n’ont qu’un droit : s’é­teindre len­te­ment, inexo­ra­ble­ment, définitivement.

Toujours le même grain d’en­cens…

Pour les prêtres, le motu pro­prio pré­cise que ceux « qui célèbrent déjà selon le Missale roma­num de 1962 deman­de­ront à l’évêque dio­cé­sain l’autorisation de conti­nuer à uti­li­ser cette facul­té. » (Art 5). Les jeunes prêtres n’auront pas la même lati­tude… Ils devront en faire la demande auprès de leur évêque qui devra consul­ter le Saint-Siège.

On note­ra que l’exigence doc­tri­nale men­tion­née pour les fidèles ne l’est pas pour les prêtres. Comme si le pape redou­tait davan­tage, dans les milieux Ecclesia Dei, la liber­té de parole des laïcs que celle des prêtres, les­quels sont plus faci­le­ment réduits au silence par les rouages de la machi­ne­rie ecclésiastique.

Concernant les évêques, mal­gré un rap­pel de leur auto­ri­té (art. 1), le pou­voir d’ériger des paroisses per­son­nelles pour de tels groupes tra­di­tion­nels, pou­voir pour­tant épis­co­pal, leur est reti­ré. De même qu’ils ne sont pas habi­li­tés à juger seuls si un prêtre de leur dio­cèse est apte à célé­brer l’ancien rite.

Le motif invoqué

A l’appui de ces rudes res­tric­tions, le pape en appelle essen­tiel­le­ment à l’unité de l’Église, mise en péril par la dérive traditionaliste.

Selon François, il existe en effet une men­ta­li­té sépa­ra­tiste des fidèles et prêtres atta­chés à la litur­gie tra­di­tion­nelle. De plus en plus se déve­lop­pe­rait un refus du concile Vatican II, de ses réformes, de la vie ecclé­siale qui en sont issues. Si le suc­ces­seur de Pierre n’y met fin, ce mou­ve­ment dia­lec­tique au sein de l’Église ira en s’aggravant.

Le sectarisme du libéral

Comme plu­sieurs com­men­ta­teurs l’ont obser­vé, il est piquant de voir un pape plai­der d’un côté la plu­ra­li­té des reli­gions, et de l’autre, s’acharner sur une petite por­tion de catho­liques atta­chés, non au culte de la Pachamama, mais à une litur­gie qu’ont célé­brée nombre de saints que lui-​même a canonisés.

Cependant, il ne fau­drait pas écar­ter trop vite ce motif affi­ché. Il importe plu­tôt de prendre et com­prendre cet argu­ment de l’unité ecclé­siale comme l’intention pro­fonde du pape, même s’il est ten­tant de lui en prê­ter d’autres, au demeu­rant fondées.

Dans l’empire romain, les chré­tiens furent accu­sés de remettre en cause l’unité impé­riale parce qu’ils refu­saient de sacri­fier aux dieux de l’Empire. L’argument pou­vait sur­prendre à l’époque tant il y avait de cultes variés, étranges et même oppo­sés sur toute la sur­face de l’Empire.

En réa­li­té, au-​delà de cette diver­si­té de cultes aus­si bigar­rés fussent-​ils, une uni­té réelle régnait, celle de la légi­ti­mi­té de tout culte, quel qu’il fut. N’importe quelle reli­gion pou­vait se pra­ti­quer dans l’Empire du moment quelle ne remet­tait pas en cause l’existence même et la légi­ti­mi­té des autres cultes.

Or les chré­tiens bri­saient cette uni­té ; ils refu­saient, non seule­ment les dieux des cités dans les­quelles ils habi­taient, et la divi­ni­sa­tion des empe­reurs, mais jusqu’à l’idée même d’un dieu et d’une reli­gion autres que leur Christ Jésus et le chris­tia­nisme. C’était là saper le socle reli­gieux de l’Empire. Et la reli­gion de l’Empire, fort logi­que­ment, ne pou­vait accep­ter cela. Il fal­lait que l’Empire se conver­tît au chris­tia­nisme ou que ce der­nier disparût.

Il y a dans Traditionis cus­todes un réflexe sem­blable. Comme l’a sou­li­gné Louis Veuillot, « il n’y a pas plus sec­taire qu’un libé­ral ». Un libé­ral, un moder­niste, peut accep­ter toutes les reli­gions, toutes les dévia­tions les plus étranges, mais à condi­tion que demeure une uni­té, un consen­sus : la légi­ti­mi­té du plu­ra­lisme reli­gieux. Si ce der­nier est contes­té, le libé­ral se dresse en face de son enne­mi irré­duc­tible et pro­nonce le fameux prin­cipe : pas de liber­té pour les enne­mis de la liberté.

C’est ici que la décla­ra­tion du 4 février 2019 à Abou Dhabi [1] rejoint Traditionis cus­todes. L’exclusivisme litur­gique s’oppose au plu­ra­lisme. Ces « tra­di­tio­na­listes » qui mettent une si mau­vaise grâce à accep­ter le bi-​ritualisme et l’esprit de Vatican II brisent l’unité du consen­sus. Le plu­ra­lisme n’a donc d’autre choix que de mener une lutte à mort contre toute forme d’exclusivisme.

La Révolution n’est jamais terminée

Cette uni­té, omni­pré­sente dans la lettre du pape, est celle de « l’ordre » révo­lu­tion­naire. Les « ecclé­sia­déistes » ont don­né bien des signes de bien­veillance, ils ont jus­ti­fié l’acte d’Assise, ils parlent de « saint » Jean-​Paul II, ils vivent sous le joug du nou­veau code de droit cano­nique, ils jus­ti­fient la liber­té reli­gieuse, taisent les erreurs conte­nues dans la lettre du concile Vatican II et dédouanent celui-​ci au nom de l’herméneutique de la conti­nui­té, chère à Benoît XVI. Rien n’y fait. Tout cela semble néant aux yeux de François. Et c’est cohé­rent. Quels que soient les gages qu’on apporte à la Révolution, celle-​ci n’est jamais satis­faite. Ceux qui pensent pou­voir col­la­bo­rer avec elle sont mal­heu­reu­se­ment pous­sés à accep­ter ce qu’il leur répu­gnait de pro­fes­ser, ce qu’ils reje­taient, à agir à l’opposé de leurs prin­cipes ini­tiaux. Et mal­gré cela, la Révolution en veut tou­jours plus [2]. Dans la cité comme dans l’Église, elle broie ceux qui en acceptent les règles. Comme le rap­pe­lait Clemenceau, « la révo­lu­tion est un bloc dont on peut rien dis­traire. » Toute excep­tion, tout ater­moie­ment n’est qu’une len­teur mesu­rée, une paren­thèse des­ti­née à être refermée.

Briser le cercle

La seule solu­tion est fina­le­ment sug­gé­rée par le pape lui-même.

Benoît XVI avait ima­gi­né une réforme de la réforme de mou­ture hégé­lienne. Le rite tra­di­tion­nel (la thèse) devait ren­con­trer le rite moderne (l’antithèse) et de cette fécon­da­tion réci­proque (la syn­thèse) devait naître un rite réformé.

François est ici davan­tage dis­ciple de Parménide et plus atta­ché au prin­cipe de contra­dic­tion. Ces deux rites s’opposent et le seul authen­tique, aujourd’hui, est celui du pape Paul VI. Il n’y a, écrit le pape, qu’une « seule expres­sion de la lex oran­di du rite romain. » On ne sau­rait être atta­ché aux deux rites en même temps.

Nous serions alors ten­tés de dire à tous ces prêtres et fidèles, légi­ti­me­ment atta­chés au Siège de Pierre et à la messe tra­di­tion­nelle, écar­te­lés entre ces deux fidélités :

— Le pape lui-​même enseigne l’antinomie de ces rites. Recevez et admet­tez ce prin­cipe de rup­ture don­né par le pape, et tirez-​en les consé­quences : soit vous accep­tez la révo­lu­tion dans l’Église, et la messe et l’esprit qui vont avec, soit vous res­tez fidèles à la messe et à l’esprit de cette messe, et à toute la Tradition de l’Église, contrai­re­ment à un esprit schis­ma­tique qui vou­drait cou­per avec cette Tradition multiséculaire.

Par une vraie fidé­li­té au siège de Pierre, res­tez fidèles à la Tradition et la messe de saint Grégoire et de saint Pie V.

Ainsi par­lait Mgr Lefebvre lors de son ser­mon des sacres de 1988 :

« Nous nous trou­vons devant un cas de néces­si­té. (…) Nous ne pou­vons pas, mal­gré tous les dési­rs que nous avons d’être en pleine union avec vous. Étant don­né cet esprit qui règne main­te­nant à Rome et que vous vou­lez nous com­mu­ni­quer, nous pré­fé­rons conti­nuer dans la Tradition, gar­der la Tradition, en atten­dant que cette Tradition retrouve sa place, en atten­dant que cette Tradition retrouve sa place dans les auto­ri­tés romaines, dans l’esprit des auto­ri­tés romaines. »

Source : Le Chardonnet n°370

Notes de bas de page
  1. Affirmant que « Le plu­ra­lisme et la diver­si­té des reli­gions, des cou­leurs, du sexe, de la race et de la langue sont une sage volon­té divine ».[]
  2. Par Révolution, nous dési­gnons évi­dem­ment les hommes rom­pus aux méthodes sub­ver­sives, et plus pré­ci­sé­ment encore les offi­cines qui regroupent ces hommes. Mais plus pro­fon­dé­ment, nous enten­dons les prin­cipes et les idées qui gou­vernent ces der­niers. Et les prin­cipes sont tou­jours plus cohé­rents et constants que les hommes.[]

FSSPX

M. l’ab­bé François-​Marie Chautard est l’ac­tuel rec­teur de l’Institut Saint Pie X, 22 rue du cherche-​midi à Paris.