30e anniversaire des sacres – L’évêque, l’homme du bien commun

Le tren­tième anni­ver­saire des sacres du 30 juin 1988 ramène devant nos yeux la gran­deur de l’épiscopat catho­lique et l’importance vitale que revê­tait cette consé­cra­tion épis­co­pale à l’échelle de la Fraternité comme à celle de toute l’Eglise.

Evêque vient du mot grec « επισκοπος [epi­sco­pos]» lui-​même issu du verbe « επισκοπεω » : exa­mi­ner, ins­pec­ter, verbe for­mé de « επι » : sur, et « σκοπεω » : veiller, regar­der atten­ti­ve­ment, obser­ver, prendre garde. L’étymologie nous met sur la voie : l’évêque est une vigie, une sen­ti­nelle de l’Eglise, un homme de Dieu dont l’acuité de la vue lui per­met d’indiquer le port du salut et les esquifs qui menacent ; c’est un homme auquel est confié la mis­sion de veiller à la bonne marche de l’ensemble [1].

D’emblée, l’évêque appa­raît comme l’homme du bien com­mun [2]. Et il l’est tout par­ti­cu­liè­re­ment par les deux pou­voirs qui lui sont octroyés : le pou­voir de juri­dic­tion et le pou­voir d’ordre.

Le pou­voir de juri­dic­tion est le pou­voir de gou­ver­ner la socié­té ecclé­sias­tique, c’est-​à-​dire d’exercer l’autorité sur l’Eglise, en tout ou en par­tie. Ainsi un évêque peut-​il por­ter des lois dans son diocèse.

Le pou­voir d’ordre est le pou­voir spi­ri­tuel (ou sacra­men­tel) de sanc­ti­fi­ca­tion confé­ré par une consé­cra­tion. Par exemple, tout prêtre jouit du pou­voir de célé­brer vali­de­ment la sainte messe.

Le pouvoir de juridiction

L’Eglise est une socié­té sur­na­tu­relle qui repose sur une auto­ri­té gra­duel­le­ment par­ti­ci­pée. Deux degrés sont de droit divin : le sou­ve­rain pon­ti­fi­cat des papes, suc­ces­seurs de Pierre, et l’épiscopat dont les membres suc­cèdent aux Apôtres. Comme évêques, les Apôtres étaient sou­mis à saint Pierre. Les évêques le sont au pape.

L’évêque est donc pre­miè­re­ment celui qui reçoit une auto­ri­té dans l’Eglise. Il jouit du pou­voir de juri­dic­tion dit ordi­naire, c’est-​à-​dire en ver­tu de sa charge. Et la juri­dic­tion lui est confé­rée immé­dia­te­ment par le pape [3].

La consé­cra­tion épis­co­pale n’est d’ailleurs pas indis­pen­sable pour rece­voir la juri­dic­tion épis­co­pale [4], et les actes juri­dic­tion­nels d’un évêque nom­mé, mais non consa­cré, sont valides [5]. Le cas était suf­fi­sam­ment fré­quent sous l’Ancien Régime pour ne pas sou­le­ver de véri­tables doutes à cet égard.

L’autorité épis­co­pale com­porte elle-​même deux aspects : les pou­voirs d’enseignement (le magis­tère) et de gou­ver­ne­ment (pou­voirs légis­la­tif, judi­ciaire [6] et coer­ci­tif). L’évêque est monarque dans son dio­cèse [7].

Le pouvoir d’ordre

Le pou­voir de juri­dic­tion, selon l’opinion com­mune, n’est pas le seul pou­voir dont jouit l’évêque. Il pos­sède éga­le­ment le pou­voir d’ordre dans sa plé­ni­tude et peut ordon­ner les prêtres, consa­crer des évêques et confir­mer de manière ordi­naire [8].

Si l’on y regarde de plus près, ce pou­voir d’ordre est prin­ci­pa­le­ment ordon­né au bien com­mun de l’Eglise et c’est pré­ci­sé­ment en cela que l’évêque se dis­tingue du prêtre. Les sacre­ments qu’il lui appar­tient de confé­rer sont ordon­nés au bien com­mun de l’Eglise avant de l’être pour son bénéficiaire.

C’est évident pour l’ordination sacer­do­tale : l’évêque ordonne des prêtres non pour leur sanc­ti­fi­ca­tion per­son­nelle mais pour le bien de toute l’Eglise, pour la célé­bra­tion de la Sainte Messe, pour le sacre­ment de confes­sion, de bap­tême. En revanche, le prêtre a pour fonc­tion de bap­ti­ser ou de confes­ser des fidèles pour leur sanc­ti­fi­ca­tion personnelle.

C’est éga­le­ment vrai pour le sacre­ment de confir­ma­tion. Ce sacre­ment donne évi­dem­ment le carac­tère et la grâce au confir­mé, mais le carac­tère lui est don­né pour témoi­gner de la foi, comme adulte, et au sein de la cité, ce qui relève du bien com­mun.
De même, il res­sor­tit à l’évêque de consa­crer les églises ou de sacrer les che­va­liers et les rois, toutes actions ordon­nées au bien com­mun.
Monarque de par son pou­voir de juri­dic­tion, l’évêque fait éga­le­ment office de roi en ver­tu de son pou­voir d’ordre [9].

Un principe de vie

Par son pou­voir de magis­tère, l’évêque trans­met la foi à l’Eglise de son dio­cèse ; par son pou­voir de gou­ver­ne­ment et les lois qui en résultent, l’évêque assure ordre et uni­té à son dio­cèse ; par son pou­voir d’ordre, il trans­met le sacer­doce aux prêtres qui dif­fusent la grâce auprès des âmes. L’évêque est la clef de voûte de l’Eglise par­ti­cu­lière. L’évêque est un prin­cipe de vie surnaturelle.

Les leçons de l’histoire

L’histoire de l’Eglise est riche de ces princes spi­ri­tuels qui ont bâti des Eglises, conduit leur trou­peau, ensei­gné leurs bre­bis, bataillé contre l’hérésie, défen­du les cités, tenu tête aux injustes pré­ten­tions de sou­ve­rains tem­po­rels imbus de leur puissance.

Les noms de saint Irénée, mar­tyr de la toute jeune Eglise lyon­naise, saint Martin de Tours, apôtre des Gaules, saint Aignan, défen­seur de la Cité d’Orléans face aux inva­sions des Huns, saint Hilaire, pour­fen­deur de l’hérésie arienne et doc­teur de l’Eglise, saint Remi, ministre du bap­tême de la France et confes­seur du roi, et, plus près de nous le doux saint François de Sales, doc­teur de l’amour de Dieu et modèle des pas­teurs, l’aigle de Meaux, lumière du grand siècle, le car­di­nal Pie, colonne de véri­té d’une époque éga­rée, sonnent comme autant de titres de gloire de l’épiscopat dont le Sauveur a vou­lu gra­ti­fier l’Eglise dans notre pays de France.

Abbé François-​Marie Chautard, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Sources : Le Chardonnet n° 339 de juin 2018

Notes de bas de page
  1. A Athènes, les « epi­sco­pos » étaient des sortes d’inspecteurs, des sur­in­ten­dants envoyés dans les villes en vue de s’informer des prin­ci­paux pro­blèmes et d’y por­ter remède. Billot, de Ecclesiae sacra­men­tis, Tomus pos­te­rior, « de Ordine », Rome, 1922, Thesis XXXII p. 314. []
  2. Sur cette notion déli­cate du bien com­mun, se repor­ter aux expli­ca­tions four­nies par M. l’abbé Billecocq dans ce même numé­ro.[]
  3. « …si [les évêques] jouissent du pou­voir ordi­naire de juri­dic­tion, ce pou­voir leur est immé­dia­te­ment com­mu­ni­qué par le Souverain Pontife. » Pie XII, Mystici Corporis[]
  4. Comme elle ne l’est pas pour rece­voir la juri­dic­tion uni­ver­selle du pape. « Si un laïc était élu pape, il ne pour­rait accep­ter l’élection qu’à condi­tion d’être apte à rece­voir l’ordination et dis­po­sé à se faire ordon­ner ; le pou­voir d’enseigner et de gou­ver­ner, ain­si que le cha­risme de l’infaillibilité, lui seraient accor­dés dès l’instant de son accep­ta­tion, même avant son ordi­na­tion. » Pie XII, Allocution au 2e Congrès mon­dial de l’Apostolat des laïcs, 5 octobre 1957 ; Les ensei­gne­ments pon­ti­fi­caux, Consignes aux mili­tants, Desclée, 1958, p. 250.[]
  5. On mesure ici les limites de la contro­verse por­tant sur la vali­di­té des sacres épis­co­paux. Valide ou non, la consé­cra­tion épis­co­pale n’empêche pas la vali­di­té des actes juri­dic­tion­nels.[]
  6. Développement du pou­voir légis­la­tif, cf. I II 92 2 []
  7. « Bien qu’il n’ex­cède pas le pou­voir du prêtre en ce qui a trait à la consé­cra­tion du corps du Christ, [le pou­voir épis­co­pal] le dépasse cepen­dant en ce qui inté­resse les fidèles (…) ; le peuple par­ti­cu­lier d’une église requiert un évêque qui soit la tête de tout le peuple » Contra Gentes, 4, 76.[]
  8. Par dis­tinc­tion du prêtre qui ne peut vali­de­ment confir­mer qu’en cas de dan­ger de mort ou si ce pou­voir lui a été accor­dé.[]
  9. « Il appar­tient à l’évêque de vouer les per­sonnes et les choses au culte divin, régis­sant ain­si, de quelque manière comme le Christ, le culte divin. » Supp 40, 4, ad 3 []

FSSPX

M. l’ab­bé François-​Marie Chautard est l’ac­tuel rec­teur de l’Institut Saint Pie X, 22 rue du cherche-​midi à Paris.