« Celui que vous aimez est malade ! »

Présence de la maladie dans la Sainte Ecriture

« Celui que vous aimez est malade ». Il y avait dans la ville de Béthanie un homme bon et riche, nom­mé Lazare, ami de Jésus. Il était frère de Marthe et Marie, et il tom­ba malade. Ses sœurs, qui savaient que Jésus l’ai­mait, lui envoyèrent dire par des amis : « Seigneur, celui que vous aimez est malade ». Ce qu’en­ten­dant, Jésus leur dit : « Cette mala­die n’est pas pour la mort, mais pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de l’Homme soit glo­ri­fié par elle (…) Notre ami Lazare dort, mais je vais le réveiller ». Les dis­ciples lui dirent : « S’il dort, il gué­ri­ra ». Jésus par­lait de sa mort, mais eux croyaient que c’é­tait du som­meil de la convalescence.

Cette scène de l’Evangile nous montre que même les fidèles amis de Notre Seigneur Jésus Christ tombent malades. La mala­die consti­tue un phé­no­mène uni­ver­sel. Nul n’échappe à son emprise. Mortelle, grave, légère, chro­nique, pas­sa­gère, elle attend tout homme dès son entrée dans le monde et l’accompagne jusqu’à son der­nier sou­pir. Comme la croix, son sym­bole le plus éle­vé, la souf­france de la mala­die est pour les uns « scan­dale », pour d’autres « folie », pour d’autres encore, suprême épreuve de fidé­li­té, pré­cieux moyen d’union au Christ et de per­fec­tion, germe de gloire.

Foi, espé­rance et cha­ri­té dépar­tagent les âmes devant la souf­france de la mala­die : d’instinct, le grand nombre la repousse avec vio­lence comme une enne­mie, ce qu’elle est, en effet, consi­dé­rée du seul point de vue natu­rel ; d’autres l’accueillent comme une mes­sa­gère de grâces. Pour les uns elle demeure sté­rile, pour d’autres elle devient dan­ge­reuse ; pour d’autres encore, elle a valeur de rédemp­tion et de satis­fac­tion. Dès lors, il est d’une sou­ve­raine impor­tance de savoir accueillir la souf­france de la mala­die et d’aider les âmes à bien por­ter leur croix.

La pre­mière grâce de la mala­die est d’é­ta­blir l’homme dans la retraite, et de l’a­ver­tir qu’il doit pen­ser à la vie qui est la vraie vie : la vie éter­nelle. Parmi les sen­ti­ments qui détournent l’homme de pen­ser à l’é­ter­ni­té, il n’en est point peut-​être de plus dan­ge­reux que ce superbe sen­ti­ment de force et d’éner­gie vitale auquel l’a­pôtre a don­né le nom d’or­gueil de la vie, « super­bia vitae » (I Jean II, v.16). Cet orgueil de la vie étour­dit l’homme, et le mène enivré jus­qu’au bord de la tombe, où il n’est guère temps de s’é­veiller. Mais le chré­tien malade nous prêche l’humilité de la vie : « Hodie mihi, cras tibi » ! Aujourd’hui à moi, demain à toi ! Notre tour vien­dra, c’est Dieu qui tient le calen­drier. Alors pour vivre l’épreuve de la mala­die avec un esprit de foi et por­ter la lourde croix de la souf­france allons à la Sainte Ecriture où sont conte­nus les ensei­gne­ments de Notre Seigneur Jésus-​Christ qui seul a les paroles de la vie éternelle.

La maladie conséquence du péché

« Par un seul homme le péché est entré en ce monde et par le péché, la mort » (Rom. V, 12). La nature humaine a été gâtée par le péché. Saint Thomas d’Aquin nous donne l’explication de la mala­die : « (…) le péché du pre­mier père Adam est cause de la mort et de tous les maux de ce genre qui sont dans la nature humaine. Voici com­ment : le péché d’Adam a sup­pri­mé la jus­tice ori­gi­nelle ; or par cette jus­tice, non seule­ment les facul­tés infé­rieures de l’âme étaient conte­nues sous le gou­ver­ne­ment de la rai­son à l’abri de tout désordre, mais le corps tout entier était conte­nu sous l’influence de l’âme à l’abri de tout défaut ; c’est pour­quoi une fois sup­pri­mée cette jus­tice ori­gi­nelle par le péché de nos pre­miers parents, de même que la nature humaine a été bles­sée quant à l’âme, par le dérè­gle­ment des puis­sances, de même le corps a été ren­du cor­rup­tible par son dés­équi­libre à lui-​même. Or la sous­trac­tion de la jus­tice ori­gi­nelle a, comme celle de la grâce, le carac­tère d’une peine : par consé­quent, la mort et toutes les misères du corps sont, elles aus­si, la peine du péché ori­gi­nel, et bien qu’elles ne soient pas cher­chées par le pécheur, elles ne laissent pas d’être ordon­nées par Dieu comme des châ­ti­ments de sa jus­tice » (Sum. th. I‑II, q.85, art.5). La mala­die étant l’un des signes de la pré­sence du péché dans le monde, logi­que­ment nous la voyons faire son entrée dans l’Ecriture Sainte dès le troi­sième cha­pitre de la Genèse : « je mul­ti­plie­rai tes souf­frances » (Gen. III, v.16), « tu es pous­sière et tu retour­ne­ras en pous­sière » (id.v.19) dit le Seigneur tout puissant.

La maladie châtiment du péché

La mala­die est d’abord vue non pas seule­ment comme une consé­quence géné­rale du péché mais aus­si comme une consé­quence directe d’un péché com­mis par celui qui en était frap­pé ou par celui qui se trou­vait lié à la faute. Par exemple dans la sixième plaie d’Egypte, Pharaon ne vou­lant pas lais­ser aller les Israélites, Moïse, d’après l’ordre de Dieu, prit une poi­gnée de cendre en pré­sence de Pharaon et la lan­ça en l’air. Au même moment tous les Egyptiens, à com­men­cer par le roi, furent cou­verts d’ulcères, c’est-​à-​dire de plaies affreuses et infectes ; aucun des Israélites n’en fut atteint. Le peuple est châ­tié tout entier comme lié à la faute de son roi. Un peu plus tard, Marie, la sœur d’Aaron, jalouse et cri­tique du pou­voir de Moïse fut toute cou­verte d’une lèpre blanche avec le corps à moi­tié ron­gé par cette mala­die. Alors Moïse cria au Seigneur : « O Dieu ! Guérissez-​la, je vous en conjure ». « Qu’elle soit jetée hors du camp pen­dant sept jours, répon­dit le Seigneur, et après cela on la fera reve­nir gué­rie ». Marie revint en bonne san­té après avoir subi le châ­ti­ment de son péché per­son­nel. De Dieu on ne se moque pas.

La maladie expiation du péché

Parfois la Providence pro­pose la mala­die comme un choix par­mi d’autres pour répa­rer la faute. Après avoir com­man­dé le dénom­bre­ment du peuple, David sen­tit du remord dans son cœur. Il dit à Dieu : « Seigneur, j’ai com­mis un péché d’or­gueil par ce dénom­bre­ment, car j’ai vou­lu savoir si j’é­tais réel­le­ment le roi le plus puis­sant de l’u­ni­vers. Mais je vous prie, Seigneur, de par­don­ner à votre pauvre ser­vi­teur cette grande folie qu’il a faite ». Le len­de­main Dieu dit au pro­phète Gad : « Va dire à David : Le Seigneur vous donne le choix entre trois fléaux. Choisissez celui que vous vou­lez. Ou bien, votre pays sera affli­gé d’une famine de trois ans ; ou bien, vous fui­rez pen­dant trois mois devant vos enne­mis qui vous pour­sui­vront ; ou bien, la peste sera dans vos états durant trois jours ». David fut dans un grand trouble quand il enten­dit ces paroles du Seigneur. Il se déci­da pour­tant pour la peste, qui était le plus court des trois fléaux. Le len­de­main la peste se décla­ra dans tout Israël et au commen­cement du troi­sième jour, il était mort soixante mille per­sonnes. Alors Dieu dit à son ange : « c’est assez retiens ta main » ! Dans cer­tains cas, la mala­die peut nous faire répé­ter : « pour nous c’est jus­tice » comme le disait saint Dismas, le bon lar­ron, expiant sur sa croix.

La maladie prévention du péché

L’apôtre saint Paul nous parle de sa mala­die. D’après saint Basile le Grand, saint Grégoire de Nazianze, saint Jérôme, saint Augustin et d’autres nom­breux auteurs, il aurait contrac­té une mala­die chro­nique qui lui occa­sion­nait de vives souf­frances dont il est dif­fi­cile de don­ner la nature exacte. En tout cas, les Corinthiens sai­sirent l’allusion. « Il m’a été mis une écharde dans ma chair, un ange de Satan pour me souf­fle­ter, afin que je ne m’e­nor­gueillisse point. A son sujet, trois fois j’ai prié le Sei­gneur de l’é­car­ter de moi, et il m’a dit : « ma grâce te suf­fit, car c’est dans la fai­blesse que ma puis­sance se montre toute entière » (II Cor., XII, v.7 à 10). Une mala­die envoyée à un fidèle peut être aus­si, dans le des­sein de la Providence, un moyen pour le gar­der, le pré­ser­ver d’une chute à laquelle il pour­rait être expo­sé comme ce fut le cas pour le grand saint Paul.

La maladie épreuve du juste

Sous l’an­cienne loi, on se scan­da­li­sait de voir un juste éprou­vé. Quel mal avait-​il donc fait ? Si on ne voyait rien de répré­hen­sible dans sa vie, on le tenait pour sus­pect, car enfin, le bon Dieu pouvait-​il trai­ter ain­si les inno­cents ? Tobie, si juste qu’il fût, n’a­vait pas une concep­tion plus haute de la souf­france. Eprouvé, il disait à Dieu : « Ne tirez pas ven­geance de mes péchés ». Quel ne fut pas son éton­ne­ment quand l’ange lui dit : « Parce que tu étais agréable à Dieu, il a fal­lu que l’é­preuve t’as­saillît ». L’idée de souf­france évoque la figure dou­lou­reuse du saint homme Job à la fois si juste et sou­mis à de si gran­des épreuves. Ses souf­frances décon­cer­taient ses meilleurs amis : le voi­là malade sur son tas de fumier, lui devant qui autre­fois les vieillards se levaient et les princes fai­saient silence. Ils met­taient en doute une ver­tu qu’ils avaient admi­rée jus­qu’a­lors. Ils lui disaient : « Dieu ne peut appe­san­tir ain­si sa main sur un homme inno­cent ». La patience de Job ne se démen­tit pas. « Dieu m’a­vait tout don­né », redisait-​il, « il m’a tout enle­vé, que son saint nom soit béni ! Si, de la main de Dieu, nous avons reçu les biens pour­quoi ne recevrions-​nous pas les maux ? » En ren­dant à Job tous ses biens, le bon Dieu confon­dait les pen­sées humaines et appre­nait aux hommes que la mala­die n’est pas tou­jours une puni­tion. « Notre Dieu est dans le ciel, tout ce qu’il veut, il le fait » (Ps. CXIII, v.11).

La maladie occasion de la manifestation de la divinité du Christ

Un jour, on pré­sen­ta à Notre-​Seigneur un aveugle-​né. Les apôtres, n’ayant pas encore reçu l’in­tel­li­gence de la souf­france, dirent au bon Maitre : « Seigneur, est-​ce lui qui a péché ou ses parents ? » Jésus les reprit : « Ce n’est pas qu’il a péché, ni lui ni ses parents, mais c’est afin que les œuvres de Dieu soient mani­fes­tées ». Et de fait, Notre‑Seigneur, pre­nant occa­sion de l’in­fir­mi­té de ce jeune homme, fit un grand miracle, mani­fes­ta sa divi­ni­té et glo­ri­fia ain­si son Père céleste. Voici ce que nous enseigne saint Thomas d’Aquin à ce sujet : « Le Seigneur dit dans saint Jean : « Les œuvres que mon Père m’a don­nées d’accom­plir me rendent elles-​mêmes témoi­gnage » (Jean V, 36). Les miracles du Christ étaient suf­fi­sants pour mani­fes­ter sa divi­ni­té. En rai­son de leur nature même, ils dépas­saient tout pou­voir créé et ne pou­vaient donc se faire que par une ver­tu divine. Aussi l’aveugle-​né disait-​il après sa gué­ri­son, comme le rap­porte saint Jean : « Jamais on n’a enten­du dire que per­sonne ait ouvert les yeux d’un aveugle-​né. Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pour­rait rien faire » (Jean IX, 32 et 33). A cause de la manière dont ces miracles étaient pro­duits, le Christ les fai­sait comme par sa propre puis­sance, et non, comme les autres thau­ma­turges, en priant. Aussi disait-​on, d’a­près saint Luc, qu” « une ver­tu sor­tait de lui et les gué­ris­sait tous » (Luc VI, 19). Cela montre, écrit saint Cyrille, « qu’il n’a­vait pas une puis­sance d’emprunt ; mais, étant Dieu par nature, il mon­trait sa propre puis­sance sur les infirmes. Aussi faisait-​il des miracles sans nombre ». Le ver­set de saint Matthieu : « D’un mot il chas­sait les esprits et gué­ris­sait tous ceux qui avaient quelque mal » (Mt. VIII, 16), saint Jean Chrysostome le com­mente ain­si : « Remarque quelle mul­ti­tude de gué­ri­sons les Evangélistes signalent en pas­sant : ils ne s’ar­rêtent pas à racon­ter chaque gué­ri­son, mais ils apportent en un seul mot une mer infi­nie de miracles » (Sum. th. III, q. 43, a.4). Oui, vrai­ment cet homme était le Fils de Dieu.

La maladie occasion de l’acte de foi

Un cen­tu­rion dit à Jésus : « Seigneur, mon ser­vi­teur est gra­ve­ment malade. Il est là, dans ma mai­son, et il souffre beau­coup ». Jésus lui dit : « J’irai, et je le gué­ri­rai ». Et le cen­tu­rion lui répon­dit : « Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez dans ma mai­son, mais dites seule­ment une parole, et mon ser­vi­teur sera gué­ri ». Jésus, enten­dant ces paroles, en fut éton­né et dit à ceux qui le sui­vaient : « Je vous le dis, en véri­té, je n’ai pas trou­vé une foi aus­si vive dans Israël (…) va, et qu’il te soit fait comme tu as cru ». Jésus tra­ver­sait la Samarie et la Galilée pour se rendre à Jérusalem, lorsque entrant dans un vil­lage, dix lépreux, qui s’arrê­tèrent loin de lui, crièrent : « Jésus, notre Maître, ayez pitié de nous ! » Les ayant vus, il dit : « Allez, et montrez-​vous aux prêtres ! » Et comme ils y allaient, ils furent gué­ris. L’un d’eux, lors­qu’il se vit gué­ri, revint en louant Dieu à haute voix. Et se proster­nant aux pieds de Jésus, il lui ren­dit grâces. Et celui-​là était Samaritain. Alors Jésus dit : « Est-​ce que les dix n’ont pas été gué­ris ? Les neuf autres, où sont-​ils ? Il ne s’en est pas trou­vé un seul qui revînt et qui ren­dît grâces à Dieu, sinon cet étran­ger ! » Et il lui dit : « Lève-​toi, et va ! Ta foi t’a sau­vé. » Comme le dira si bien l’aveugle né aux Pharisiens qui enquêtent sur sa gué­ri­son mira­cu­leuse : « Vous aus­si, voulez-​vous deve­nir ses dis­ciples ? » Dans les angoisses de la mala­die répé­tons la belle prière du père d’un pos­sé­dé du démon : « Seigneur je crois, mais venez en aide à mon incrédulité. »

La maladie occasion de la rémission des péchés

Parfois les infir­mi­tés des hommes étaient dues au péché ; par­fois non. Dans le deuxième cas, le Christ ne fai­sait que gué­rir le corps, dans le pre­mier, il gué­ris­sait tou­jours l’âme, puisque c’était le but de l’Incarnation (Sum. th. III, q. 43, a.4, ad 3). « Ne pas­sez pas, dit saint Anselme, sans entrer dans cette mai­son, où le para­ly­tique, des­cen­du par le toit, fut pla­cé aux pieds de Jésus ; la misé­ri­corde et la puis­sance s’y rencon­trèrent lorsque le Sauveur pro­non­ça cette parole : Aie con­fiance, mon fils, tes péchés te sont remis. » A cette occa­sion Notre Seigneur lie gué­ri­son et rémis­sion des péchés. « Or afin que vous sachiez que le Fils de l’Homme a sur terre le pou­voir de remettre les péchés : « Lève-​toi, dit-​il au para­ly­tique, je te le com­mande ; emporte ton lit et va dans ta mai­son ». Tout le monde fut frap­pé d’étonnement et glo­ri­fiait Dieu ; et tous s’écriaient : « Nous avons vu aujourd’hui des choses merveilleuses ! »

« Nous avons vu aujourd’hui des choses mer­veilleuses ! » Dans les pas­sages de l’Ecriture Sainte qui pré­cèdent, deux réa­li­tés reviennent, à chaque pas, cha­ri­té et souf­france, qui s’é­clairent mutuel­le­ment et illu­minent de leurs rayons sur­na­tu­rels les mys­tères de la voie entre le Ciel et la terre, entre Dieu et l’homme. L’amour de Dieu pour l’homme est le grand incen­die ini­tial qui allume dans le monde les ardeurs de la cha­ri­té de l’homme pour Dieu. Des deux côtés, la cha­ri­té se mani­feste par la souf­france et opère sur la souf­france ses mer­veilleuses trans­for­ma­tions. Grâce à la cha­ri­té, l’homme apprend, en dépit de ses répu­gnances natu­relles à vivre la souf­france de la mala­die avec patience, à l’ac­cep­ter avec rési­gna­tion, à la sup­por­ter avec éner­gie, pour par­ti­ci­per à l’œuvre de la Rédemption. En un mot, dans la cha­ri­té consiste le grand art de souf­frir quelque chose pour le royaume de Dieu. « Je le veux, sois guéri ! »

Abbé Vincent Robin

Source : Le Monsieur Vincent, bul­le­tin de la cha­pelle de Châtillon-sur-Chalaronne