Tandis que Dieu semble nous accorder encore du temps, nous demandons au Saint-Esprit de nous aider à employer sagement les jours de l’année 2021, selon le conseil de saint Paul : « Faisons le bien, pendant que nous avons le temps » (Gal 6, 10). La vie sur terre prépare l’éternité. Loin de gaspiller notre temps, il nous importe d’en faire bon usage pour croître dans le Christ.
Deux regards sur le temps
Les saintes Écritures dissertent sur la brièveté de la vie avec lucidité. L’homme ne fait que passer sur la terre où des épreuves l’attendent.« L’homme né de la femme vit peu de jours et il est rassasié de misères. Comme la fleur, il naît et on le coupe ; il fuit comme l’ombre sans s’arrêter » (Job 14, 1–2).
En réalité, comme l’explique Bossuet, le temps peut être considéré de deux manières [1]. En lui-même, le temps « n’est rien, parce qu’il n’a ni forme, ni substance ». Il « s’enfuit d’une course précipitée et irrévocable ». Il ne fait rien d’autre que « couler » et « périr ». Mais si l’homme attache au temps « quelque chose de plus immuable que lui », alors ce temps devient « un passage à l’éternité qui demeure ».
Aussi, poursuit l’évêque de Meaux, un « vieillard qui aurait blanchi dans les vanités de la terre » n’a pas vécu réellement, car « toutes ses années sont perdues ». Mais une vie remplie de bonnes œuvres, quand même elle serait brève, profite à l’éternité. La richesse d’une vie se mesure non à sa longévité, mais à la valeur de ses actes. L’Église qui honore la vertu du vieillard Siméon célèbre aussi le martyre des saints innocents.
Le temps est précieux, conclut Bourdaloue, car « c’est le prix de l’éternité ». Le salut dépend du temps. En outre, « ce n’est pas seulement pour nous, mais encore plus pour lui-même et pour sa gloire, que Dieu nous a donné le temps. Il veut que nous l’employions à le servir et à le glorifier » [2].
Le temps perdu
Sénèque avertit son disciple Lucilius [3] : « regarde‑y de près : la part la plus considérable de la vie se passe à mal faire, une large part à ne rien faire, toute la vie à faire autre chose que ce qu’il faudrait ». Le lecteur chrétien retrouve là des travers que dénoncent les saintes Écritures.
Faire mal, c’est emprunter le chemin spacieux « qui mène à la perdition », plutôt que la voie étroite « qui conduit à la vie » (Mt 7, 13–14). L’homme perd son temps, quand il poursuit les œuvres de la chair : « impudicité, impureté, libertinage, idolâtrie, maléfices, inimitiés, querelles, jalousies, emportements, disputes, dissensions, scissions, envie, ivrognerie, excès de table et autres choses semblables » (Gal 5, 19–21). L’homme perd son temps encore, quand il néglige les fruits de l’esprit : « charité, joie, paix, patience, mansuétude, bonté, fidélité, douceur,tempérance » (Gal 5, 22–23).
Ne rien faire : voilà à quoi incline la paresse qui fait de l’homme une loque : « sur ses gonds tourne la porte et sur son lit le paresseux » (Pr. 26, 14). Alors que la femme toujours en éveil, « qui ne mange pas le pain de l’oisiveté » (Pr 31, 27) mérite un éloge appuyé, les hommes désœuvrés qui regardent les autres travailler se font reprendre : « Pourquoi passez-vous le temps à ne rien faire ? » (Mt 20, 6). Le paresseux tarde à travailler, parce qu’il craint la fatigue. Tel le serviteur qui enfouit son talent dans la terre, il n’a rien à présenter à son maître, lorsque survient l’heure des comptes.
Le temps se dilapide également, en s’adonnant à des œuvres futiles qui s’écartent du plan de Dieu. Parmi les hommes, les uns ne sont pas là où le Seigneur les attend, car ils n’ont pas discerné les décrets de sa volonté en dépit des lumières qui leur ont été accordées. D’autres esquivent la volonté divine qu’ils jugent trop exigeante, en s’attribuant des missions plaisantes ou gratifiantes. Tel est le cas de l’âme qui fuit son devoir d’état sous apparence de bien.
Grandir en sagesse et en grâce
L’Évangile invite les hommes à faire bon usage de leur temps en imitant leur Sauveur. Avant d’évoquer la perte et le recouvrement de Jésus au temple, saint Luc note : l’Enfant « croissait et se fortifiait, étant rempli de sagesse » (Lc 2, 40). Et après cet épisode, l’Évangéliste ajoute : Jésus progressait « en grâce, auprès de Dieu et des hommes » (Lc 2, 52).
Le chrétien est appelé à développer « l’homme intérieur » (Eph 3, 16), c’est-à-dire à grandir « dans la grâce et la connaissance de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ » (2 P 3, 18). L’âme croît dans la vertu, quand elle collabore à l’action de Dieu en elle. Deux causes principales retardent habituellement ses progrès : « la négligence des petites choses dans le service de Dieu et le refus de faire les sacrifices demandés par lui » [4].
La vie spirituelle du chrétien profite à l’ensemble de l’Église, car le Corps mystique du Christ s’enrichit de tous les mérites de ses membres. Dieu prolonge le temps pour accroître son Église. Il est patient, car il veut que tous les hommes « parviennent au repentir » (2 P 3, 9). Mais ces délais inspirés par la miséricorde auront une fin et « le Jour du Seigneur viendra comme un voleur » (2 P 3, 10).
S’il n’est jamais trop tard pour revenir à Dieu, il n’est jamais trop tôt pour servir le Seigneur, car le temps presse, comme le chante sainte Thérèse de Lisieux avec son cœur d’enfant :
Ma vie n’est qu’un instant, une heure passagère
Ma vie n’est qu’un seul jour qui m’échappe et qui fuit
Tu le sais, ô mon Dieu ! pour t’aimer sur la terre
Je n’ai rien qu’aujourd’hui !
Source : La lettre de Saint-Florent n°277