vers 177

Saints Pothin, Blandine et leurs 47 compagnons martyrs

Sainte Blandine livrée aux lions

Lyon, détruite par un incen­die vers l’an 65, ne put guère être évan­gé­li­sée au pre­mier siècle, et dut attendre que saint Pothin [1] y fût envoyé par saint Polycarpe, dis­ciple de l’Apôtre saint Jean et évêque de Smyrne. Pothin, étant né vers l’an 87, put, ado­les­cent, connaître l’Apôtre. Peu avant l’an 140, Pothin arrive au confluent de la Saône et du Rhône comme évêque et apôtre de Lyon.

Pothin s’établit sur la presqu’île, à l’endroit de l’actuelle cha­pelle Saint-​Nizier. Une tra­di­tion rap­porte qu’il y avait pla­cé une icône de la Vierge Marie. Les chré­tiens étant deve­nus plus nom­breux, Pothin démé­nage dans une grotte d’une col­line où il creuse un bap­tis­tère et une crypte dédiée à saint Jean l’Apôtre.

Il écrit à Polycarpe lui deman­dant du ren­fort : saint Irénée est ain­si envoyé à Lyon.

Saint Polycarpe est mar­ty­ri­sé à Smyrne le 23 février 155.

Sous l’empereur Marc-​Aurèle, les chré­tiens sont inter­dits d’accès à cer­tains lieux publics, puis sont tra­qués comme enne­mis de l’empire. Ainsi en 177, à Lyon et à Vienne, la popu­lace, exci­tée contre les chré­tiens, s’acharne avec l’armée contre eux, et en traîne plu­sieurs devant le tri­bu­nal, lequel les condamne à l’emprisonnement jusqu’à l’arrivée du gouverneur.

Le gou­ver­neur les fait com­pa­raître et mal­trai­ter, quand un chré­tien, notable de la cité, Vettius Epagathus [2], sur­git de la foule pour prendre leur défense et celle de l’Eglise du Christ. Le gou­ver­neur s’enquiert de la reli­gion de cet homme, lequel pro­fesse fiè­re­ment sa foi chré­tienne et subit la condam­na­tion de ses frères dans le Christ. Quoique dix chré­tiens apos­ta­sièrent devant la cruau­té qui les mena­çait, ils furent incar­cé­rés et trai­tés plus dure­ment que les autres détenus.

Le gou­ver­neur pour­sui­vit la per­sé­cu­tion et se sai­sit des esclaves païens des chré­tiens [3] dans l’espoir de les faire témoi­gner contre leurs maîtres. Ce qu’ils firent en inven­tant une calom­nie selon laquelle les chré­tiens sont anthro­po­phages, et spé­cia­le­ment d’enfants ; cette dia­lec­tique réus­sit à aug­men­ter la fureur popu­laire contre les chré­tiens, selon la parole du Seigneur : « Vient l’heure où qui­conque vous fera mou­rir croi­ra rendre hom­mage à Dieu »,

Les sol­dats tour­men­tèrent toute une jour­née le diacre Sanctus, né à Vienne, Attale [4], citoyen romain ori­gi­naire de Pergame, le néo­phyte Maturus, et Blandine, esclave chré­tienne, pour leur faire avouer les crimes dont on les incri­mi­nait. Blandine répé­tait : « Je suis chré­tienne, il ne se fait point de mal par­mi nous. » Sanctus ne don­nait qu’une réponse : « Je suis chré­tien ». On lui applique des lames rou­gies au feu à quelques jours d’intervalle sur des par­ties sen­sibles du corps, mais son corps fut mira­cu­leu­se­ment guéri.

Biblis, ou Bibliade, une des apos­tats, som­mée de dénon­cer les chré­tiens, mais vic­time de coups, pen­sa aux peines plus grandes de l’enfer, se conver­tit et répon­dit : « Et com­ment mangerions-​nous des enfants, nous à qui il n’est pas même per­mis de man­ger le sang des bêtes ? » [5]

Pothin, nona­gé­naire pou­vant à peine res­pi­rer, fut por­té devant le gou­ver­neur qui lui deman­da quel est le dieu des chré­tiens. Pothin répon­dit : « Vous le connaî­trez si vous en êtes dignes. » Il fut frap­pé des pieds et des mains de ceux qui l’environnaient et reçut toute sorte de pro­jec­tile ; reje­té en pri­son, il y décé­da comme plu­sieurs autres chrétiens.

Maturus et Sanctus furent tour­men­tés toute une jour­née dans l’amphithéâtre, de coups de verges, de rôtis­sages au fer rouge, moles­tés par des bêtes et enfin égorgés.

Blandine, sus­pen­due les bras en croix, fut livrée aux bêtes qui la res­pec­tèrent. Reléguée en pri­son, elle conver­tit, avec les autres chré­tiens, les apos­tats rete­nus en prison.

Une lettre impé­riale ordon­na de tuer les chré­tiens qui ne renie­raient pas leur foi. Ceux qui étaient citoyens romains furent déca­pi­tés, les autres livrés aux bêtes. Alexandre, méde­cin d’origine phry­gienne, encou­ra­geant les mar­tyrs, fut dénon­cé et leur fut asso­cié. Attale fut grillé sur une chaise de fer et s’exclama : « C’est ce que vous faites qui peut s’appeler man­ger des hommes. Pour nous, non seule­ment nous ne man­geons point de chair humaine, mais nous évi­tons encore tout autre sorte de crime. »

Pontique, âgé de quinze ans envi­ron, fut don­né en spec­tacle le der­nier jour, début août [6], avec Blandine qui l’encouragea dans les divers tour­ments ; il expi­ra le pre­mier. Flagellée, mor­due, brû­lée, Blandine fut enve­lop­pée dans un filet, cognée, pro­je­tée par un tau­reau, puis trans­per­cée par le glaive.

Les bour­reaux gar­dèrent six jours tous les membres des corps de saint Pothin et de ses 48 com­pa­gnons de mar­tyre, les brû­lèrent et ne jetèrent les cendres dans le Rhône. Mais quelques-​uns de ces mar­tyrs appa­rurent à des chré­tiens leur révé­lant que leurs cendres étaient extraites de l’eau, et la Providence les fit trou­ver au lieu-​dit Aynay.

Liste des mar­tyrs : – déca­pi­tés en qua­li­té de citoyens romains : Æmilia (I), Albina, Alcibiade, Bibliade, Comminus, Geminus, Grata, Helpis (ou Amnas), Julia (I), Macarius, Materna, October, Philominus, Posthumania, Pompeia (I), Primus, Quinta, Rhodana, Rogata, Silvius, Ulpius, Vettius Egapathus, Vitalis, Zacharie ; – expo­sés aux bêtes : Alexandre, Attale, Blandine, Maturus, Pontique, Sanctus ; – morts en pri­son : Æmilia (II), Alumna, Antonia (I), Antonia (II), Apollonius, Arescius, Cornelius, Gamnite, Geminianus, Julia (II), Julius, Justa, Pompeia (II), Pothin, Titus, Trophima, Zoticus, Zozimus.
Ils sont fêtés le 2 juin.

Culte local provençal

Ce serait au XIIème siècle que saint Pothin, en pro­ven­çal San Foutine, aurait été choi­si par l’évêque de Riez comme patron de Varages, aujourd’hui dans le dio­cèse de Fréjus. Jusqu’à la fin du XIXème siècle der­nier exis­tait un ermi­tage, acco­lé à la cha­pelle Saint-​Pothin, où habi­tait le frère char­gé de veiller sur les lieux et de son­ner la cloche en cas d’o­rage ou d’in­cen­die. La com­mu­nau­té lui four­nis­sait un habit, des draps, une paillasse. Pour se nour­rir, l’er­mite culti­vait son petit enclos mais comp­tait sur­tout sur la cha­ri­té publique. Il était auto­ri­sé à quê­ter à la porte de l’é­glise pour les prin­ci­pales fêtes et recueillait, au temps des récoltes, du blé aux aires et de l’huile aux mou­lins. (Extrait du livre de Monsieur Paul Bertrand « Faïences et faïen­ciers de Varages »).

Saint Pothin a tou­jours pro­té­gé contre les chutes et les ébou­le­ments, la peste, et les des­truc­tions des gens de guerre. Pendant les guerres de reli­gions, les pro­tes­tants logeaient leurs mules dans sa cha­pelle qui se rem­plis­sait de crot­tin. Un peu plus tard, les catho­liques, réfu­giés dans l’é­glise dévas­tée, auraient arra­ché les bois de son autel pour faire cuire un cochon.

A par­tir de 1793 son culte fût sévè­re­ment inter­dit. Il l’é­tait encore en 1811. A l’oc­ca­sion de la nais­sance du roi de Rome, les Varageois sol­li­ci­tèrent son réta­blis­se­ment en deman­dant au Préfet l’au­to­ri­sa­tion de se rendre de nou­veau à la cha­pelle et d’y célé­brer une messe pour atti­rer la béné­dic­tion du saint sur l’hé­ri­tier impé­rial et « l’au­guste famille Bonaparte ». La manœuvre était habile, bien que cou­sue de fil blanc. Le temps d’a­voir une réponse, il n’y avait plus d’Empire et le grand saint Pothin recou­vrait ses droits.

C’est le 2 juin que le saint quitte sa niche et sort de l’é­glise en grande pompe. Autrefois pour pas­ser la jour­née dans sa cha­pelle, sur la col­line en face du vil­lage, main­te­nant sim­ple­ment pour faire le tour de la source de la Foux. Pendant long­temps, le Capitaine de ville, armé de la pique et l’en­seigne de la jeu­nesse qui por­tait le dra­peau, étaient char­gés d’or­ga­ni­ser à leurs frais les fes­ti­vi­tés. On assu­mait cette charge à tour de rôle ; c’é­tait un hon­neur. Les consuls don­naient dix huit livres pour la poudre de la bra­vade et l’argent de « pelotes », pré­le­vé lors des mariages, ser­vait à payer les fifres et les tambourins.

Abbé Laurent Serres-​Ponthieu, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Notes de bas de page
  1. Pothin en grec signi­fie dési­rable ou aimable.[]
  2. Petit-​fils de Léocadius, séna­teur qui don­na son palais de Bourges à saint Ursin pour en faire une église.[]
  3. L’esclavage était cou­tume dans l’empire romain, mais les maîtres chré­tiens étaient invi­tés à trai­ter décem­ment leurs esclaves, et cer­tains leur accor­daient la liber­té.[]
  4. St Attale avait trans­mis au pape saint Pie 1er une lettre de saint Juste, évêque de Vienne, trai­tant d’une per­sé­cu­tion qui venait de s’y dérou­lait.[]
  5. Cette loi antique fut pro­ro­gée par le concile de Jérusalem en 54.[]
  6. Opinion com­mune pour le der­nier mar­tyre.[]