11 juin 1160

Bienheureux Jean d’Espagne

Chapelle Bienheureux Jean d'Espagne

Le Bienheureux Jean d’Espagne ou l’Espagnol, naquit de parents aisés en 1123 à Almanceps (Almanza), cité du dio­cèse d’Albacete, dans la région de La Manche, au sud-​est de la Castille.

A cette époque la Castille et l’Aragon étaient aux prises avec les maho­mé­tans almo­ra­vides, quand Jean, déjà stu­dieux à l’âge de treize ans, par­tit à l’aventure avec un ami pour étu­dier dans une uni­ver­si­té. Ayant atteint Arles [1], Jean conver­sa avec des étu­diants et fut remar­qué par un pro­fes­seur qui lui pro­mit qu’un bien­fai­teur le pren­drait à sa charge. Mais la pro­messe fit si peu réa­li­sée que le peu d’argent qu’il avait empor­té s’épuisa, l’obligeant à sur­vivre dans les pri­va­tions. Ainsi la Providence vou­lut l’abaisser au-​dessous des autres avant de l’en éle­ver, lui incul­quant l’indulgence et la compassion.

Enfin un vrai bien­fai­teur le logea et l’entretint pen­dant deux ans. Jean sut mar­quer, par ses ver­tus, sa recon­nais­sance à son bien­fai­teur et à sa famille, au point que lorsqu’Alphonse VII, roi de Castille, le rap­pe­la au pays, cette famille pleu­ra son protégé.

Néanmoins, Jean se diri­gea d’abord auprès d’un prêtre ermite près d’Arles à l’approche du Carême. Il lui fit une confes­sion géné­rale de ses péchés, et reçut la voca­tion reli­gieuse, aus­si séjourna-​t-​il deux ans et demi dans cet ermi­tage, obéis­sant au Roi du Ciel plu­tôt qu’à celui de Castille.

Saint Bruno (1035–1101) avait fon­dé à Grenoble en 1084 l’Ordre des Chartreux que le Bienheureux pape Urbain II approu­va en 1099. En 1137, fut fon­dée la char­treuse de Montrieux-​le-​Vieux, sur le ter­ri­toire actuel de la com­mune de Méounes [2]

Ayant enten­du par­ler de cette fon­da­tion, Jean se ren­dit à la char­treuse de Montrieux où le prieur l’accepta comme sacris­tain pen­dant six ans. Puis il fut élu prieur de Montrieux où il réta­blit la paix, l’observance et enri­chit le domaine.

Or, le couvent fémi­nin de Prébayon, abbaye près de Vaison, fon­dée en 611 par Gémilie, proche parente de la reine sainte Radegonde, dont les reli­gieuses furent séduites par ce nou­vel Ordre car­tu­sien. Elles s’adressèrent à saint Anthelme, sep­tième Prieur de la Grande-​Chartreuse [3], pour être asso­ciées à cet Ordre qui n’avait point de branche fémi­nine. Saint Anthelme char­gea en 1147 Jean d’Espagne de rédi­ger pour elles la Règle des Chartreuses.

Le Règle fémi­nine a ceci de spé­cial : la consé­cra­tion de la vierge est appe­lée sacre de la dia­co­nesse [4] : l’évêque sacre la vierge, cou­ron­née, por­tant étole, et, mani­pule [5] au bras droit, et lui donne l’anneau, signe des fian­çailles avec le Christ. A la messe conven­tuelle, une dia­co­nesse chante l’Epître sans por­ter le mani­pule. Aux matines, en l’absence de prêtre, revê­tue de l’étole, elle lit l’Evangile. Le cos­tume des nonnes est sem­blable à celui des char­treux, mais la char­treuse est enter­rée avec ses nobles insignes. Chaque mai­son de moniales char­treuses est diri­gée par un aumô­nier char­treux, appe­lé Père vicaire, assis­té d’un autre char­treux coad­ju­teur, et gou­ver­née par une prieure. Gouvernement bicé­phale et mixte qui res­sem­ble­rait à celui des parents sur leurs filles, s’il n’y avait pas un Père coad­ju­teur. Les deux char­treux vivent là abso­lu­ment comme en Chartreuse. Ils pré­sident l’office cano­nial dans leurs stalles, sépa­rées par une double grille et un double rideau du chœur des moniales. Ultérieurement, la Règle sera adou­cie : les moniales pour­ront prendre leur repas en com­mun, et seront astreintes à un silence moins strict, tant il est rare de trou­ver une femme équi­li­brée capable d’un tel héroïsme. Aussi n’y avait-​il en France que cinq char­treuses fémi­nines, lors des spo­lia­tions révo­lu­tion­naires entre 1790 et 1792, contre soixante-​dix char­treuses mas­cu­lines [6]. En 1901, lors des spo­lia­tions par le gou­ver­ne­ment Waldeck-​Rousseau [7], il y avait trois char­treuses fémi­nines tota­li­sant cin­quante moniales.

Un com­plot de novices de Montrieux ins­pi­ra Jean l’Espagnol de quit­ter sa charge et de trou­ver refuge à la Grande-​Chartreuse où saint Anthelme le reçut. Aymon 1er de Faucigny offrit aux Chartreux le domaine de Béol, ain­si saint Anthelme envoya Jean en 1151 y fon­der une char­treuse. En le voyant, le Bx Jean s’exclama : Là est mon repo­soir, c’est-à-dire mon repos spi­ri­tuel, d’où le nom de char­treuse du Reposoir [8]. Jean y diri­gea les tra­vaux néces­saires, alter­nés avec la vie monacale.

Jean d’Espagne décé­da le 11 juin 1160. Des gué­ri­sons mira­cu­leuses eurent lieu près de son tom­beau. Charles-​Auguste de Sales, évêque de Genève-​Annecy [9], neveu du saint François, le béa­ti­fia au XVIIe siècle, le pape Pie IX approu­va ce culte le 14 juillet 1864. Le dio­cèse de Fréjus-​Toulon en fait mémoire le 25 juin.

Abbé L. Serres-Ponthieu

Notes de bas de page
  1. Les Wisigoths avaient enva­hi Arles en 477, avant que Clovis ne les repousse en Espagne.[]
  2. Terres appar­te­nant jadis au dio­cèse de Marseille avant de pas­ser à ceux de Toulon et de Fréjus.[]
  3. Le Prieur de la Grande-​Chartreuse est le Maître géné­ral de l’Ordre car­tu­sien.[]
  4. L’Etoile de la Mer, jan­vier 2013, le men­tionne (vie de Ste Roseline).[]
  5. Le mani­pule est le petit orne­ment que les ministres sacrés portent au bras gauche à la Messe.[]
  6. Les char­treux rachètent la char­treuse de Montrieux-​le-​Jeune en 1843.[]
  7. D’origine catho­lique, ren­voyé d’un exter­nat catho­lique en 1863 pour avoir copié pen­dant une com­po­si­tion.[]
  8. Le Reposoir devient un car­mel en 1932, en Faucigny, dans le dio­cèse d’Annecy, dio­cèse démem­bré de celui de Genève, où le Bx Jean y est fêté le 25 juin.[]
  9. Dont la vie est expo­sée dans Le Bachais n°3.[]