C’est tellement simple !

Voltaire

Certaines polé­miques contre la Fraternité Saint-​Pie X se dis­cré­ditent par leur simplisme.

Image : Voltaire par Houdon

A lire cer­taines cri­tiques contre la Fraternité Saint-​Pie X, sur­tout du côté sédé­va­can­tiste, on peut résu­mer l’argument ain­si : tout acte doc­tri­nal d’un pape est du Magistère. Or tout acte du Magistère est infaillible. L’infaillibilité du Magistère requiert l’assentiment de foi divine, sous peine d’hérésie. Donc si un occu­pant du Siège de Pierre affirme quelque chose de faux, il n’est pas infaillible (et donc pas pape), et défendre sa légi­ti­mi­té revient à sou­te­nir son hérésie.

Depuis le début des démê­lés de Mgr Lefebvre avec Rome, l’attitude de la Fraternité dans l’Eglise asso­cie une recon­nais­sance de la légi­ti­mi­té de l’autorité des papes à une contes­ta­tion doc­tri­nale de leurs déci­sions. D’où la sévère cri­tique sédévacantiste.

Tout ce rai­son­ne­ment a le mérite de la clar­té et de la sim­pli­ci­té. C’est son seul mérite, parce qu’une telle sim­pli­ci­té est factice.

Lors de la dis­cus­sion de l’infaillibilité pon­ti­fi­cale au pre­mier concile du Vatican, on sou­le­va diverses dif­fi­cul­tés his­to­riques[1]. A cette occa­sion, la Députation de la Foi (la Commission conci­liaire char­gée des ques­tions doc­tri­nales) rap­pe­la les règles à suivre dans l’examen des ques­tions historiques :

  • « Quant au sujet qui pose l’acte, il faut se deman­der si le Pontife Romain a vrai­ment par­lé en tant que Docteur uni­ver­sel et Pasteur Suprême en ver­tu de son auto­ri­té apos­to­lique, ou s’il a plu­tôt par­lé comme per­sonne pri­vée ou doc­teur particulier.
  • Quant à l’objet, si la matière sur laquelle porte le juge­ment du Pontife Romain est affaire de foi et de mœurs, concer­nant l’Eglise uni­ver­selle, ou si c’est une ques­tion de fait par­ti­cu­lier ou de dis­ci­pline et de droit par­tiel et local […[2]].
  • Quant à la forme ou au mode de pro­mul­ga­tion du juge­ment, il faut se deman­der si le décret du Pontife Romain a été conçu pour appa­raître comme une vraie et propre défi­ni­tion, ou une sen­tence por­tée de manière défi­ni­tive, et non comme une réponse de cir­cons­tance ou une dis­po­si­tion provisoire.
  • A quoi il faut ajou­ter que c’est un prin­cipe reçu dans toutes les sciences, et à plus forte rai­son dans les causes de foi divine, que si une thèse est reçue en rai­son des prin­cipes mêmes de la science, il suf­fit d’une réponse pro­bable ou d’une rai­son grave pour vali­der sa conci­lia­tion avec les dif­fi­cul­tés ou hypo­thèses contraires[3]. »

Ces pré­ci­sions tech­niques sur la méthode d’étude requise pour prendre les impor­tantes déci­sions de Vatican I montrent que les déci­sions romaines pro­blé­ma­tiques demandent une inter­pré­ta­tion, et que l’autorité des actes pon­ti­fi­caux admet des dis­tinc­tions. Le rai­son­ne­ment som­maire que nous avons rap­pe­lé plus haut est sédui­sant mais trom­peur parce qu’il ignore :

  • Que tout acte doc­tri­nal accom­pli par une per­sonne qui se trouve être le pape n’est pas à prendre comme du Magistère : le pape peut par­ler comme doc­teur privé.
  • Que tout acte du Magistère, c’est-à-dire toute affir­ma­tion d’ordre doc­tri­nal n’est pas une défi­ni­tion dog­ma­tique. Il y a des ensei­gne­ments com­muns, des consi­dé­rants des déci­sions, des réponses de cir­cons­tances. Et aus­si, pos­si­ble­ment, des à‑peu-​près et des mal­adresses, voire des textes de compromis.

Il revient aux théo­lo­giens de pré­ci­ser ces dis­tinc­tions que les papes aux­quels les sédé­va­can­tistes recourent ne se donnent pas tou­jours la peine de faire.

Seulement l’esprit contem­po­rain veut aller vite. Aujourd’hui plus d’un jour­na­liste, pour pié­ger son invi­té, pose inno­cem­ment des « petites ques­tions toute simples » qui deman­de­raient des déve­lop­pe­ments nuan­cés et cir­cons­tan­ciés. La vic­time n’aura de toute façon pas le temps de les don­ner avant de se faire inter­rompre par une autre « petite ques­tion toute simple ». Un per­son­nage public contem­po­rain s’est récem­ment conten­té de répondre : « S’agit-il d’un talk show, ou pouvons-​nous par­ler sérieusement ? »

Celui qui veut abor­der la crise de l’Eglise « sérieu­se­ment » devra renon­cer à envi­sa­ger une situa­tion simple. Comme le disait Voltaire : « Je suis clair comme les ruis­seaux, parce que je suis peu pro­fond[4]. »

Notes de bas de page
  1. Les cas du pape Libère, qui excom­mu­nia saint Athanase en 357, d’Anastase II accu­sé d’avoir sou­te­nu l’hérésie mono­phy­site, celui de Vigile accu­sé d’avoir désa­voué le Concile de Chalcédoine, enfin celui d’Honorius Ier accu­sé d’avoir sou­te­nu l’hérésie mono­thé­lite.[]
  2. Le texte cite une lettre de saint Nicolas Ier à l’Empereur Michel en 865, qui remarque qu’une déci­sion du Siège apos­to­lique peut être amé­lio­rée , ou faire l’objet d’une dis­pense.[]
  3. Acta et decre­ta Sacrosancti Œcumenici Concilii Vaticani, Collectio lacen­sis, t.7, col.288, tra­duc­tion nôtre.[]
  4. Texte exact : « Vous trou­vez que je m’explique assez clai­re­ment ; je suis comme les petits ruis­seaux : ils sont trans­pa­rents parce qu’ils sont peu pro­fonds. » Œuvres com­plètes, t.34, Garnier, 1880, p.280.[]