François et les manuels de théologie

Vitrail de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, XIVe siècle. Crédits : Fred de Noyelle / Godong.

Le 9 décembre, le pape François a don­né une allo­cu­tion aux par­ti­ci­pants à une confé­rence inter­na­tio­nale sur l’avenir de la théo­lo­gie. Le mot d’ordre qu’il délivre est de « repen­ser notre manière de pen­ser ». Que faut-​il entendre par ce slogan ?

Le sou­ve­rain pon­tife com­mence par remar­quer qu’« il y a des choses que seules les femmes com­prennent », de sorte que la théo­lo­gie doit ces­ser d’être « exclu­si­ve­ment mas­cu­line ». L’autre reproche qu’il fait à la théo­lo­gie qu’il a reçue est, selon son voca­bu­laire cou­tu­mier, d’être « rata­ti­née, fer­mée, médiocre », sim­pli­fi­ca­trice, idéo­lo­gique, pola­ri­sée, uni­la­té­rale, mor­telle pour la com­mu­nau­té, unique, super­fi­cielle et mani­pu­la­trice… Les manuels de théo­lo­gie qu’il a uti­li­sés étaient « livresques » et « fer­més » ! Outre le fait qu’un livre sera tou­jours plus ou moins livresque, et que s’il est fer­mé, il n’y a qu’à l’ouvrir, on se demande quel reproche de fond il faut dis­cer­ner der­rière cette diatribe.

Voyons ce qu’il attend de la théo­lo­gie du futur : il faut appré­hen­der une « réa­li­té com­plexe », rele­ver des « défis variés », il faut « engen­drer de la créa­ti­vi­té et du cou­rage », façon­ner de manière adé­quate « notre volon­té et nos déci­sions ». Autrement dit, il envi­sage sur­tout la pra­tique, c’est-à-dire la pas­to­rale, résu­mée sous l’expression d’aider « cha­cun dans la recherche de la véri­té ». Le rôle de la théo­lo­gie est de faire « émer­ger la lumière du Christ et de son Evangile ».

Fort bien. Mais pour­quoi repro­cher aux manuels anciens un côté figé ? La théo­lo­gie est la science du révé­lé, c’est-à-dire son étude sys­té­ma­tique et rigou­reuse, pour expli­ci­ter, jus­ti­fier et for­mu­ler aus­si adé­qua­te­ment que pos­sible ce que Dieu a révé­lé aux hommes pour leur salut. Le don­né révé­lé étant clos à la mort du der­nier Apôtre, et l’Eglise ayant déjà réa­li­sé un immense tra­vail pour faire connaître le conte­nu de la Révélation, pour­quoi faudrait-​il repro­cher aux théo­lo­giens de conser­ver l’acquis sans pré­tendre le faire chan­ger ? Le Credo n’a pas à être évo­lu­tif. Au contraire !

A l’évidence, les reproches du pape se portent bien plus sur la fer­me­té à conser­ver les prin­cipes acquis, non pas tant en ce qui concerne la connais­sance des mys­tères révé­lés, que dans la vie morale. Car « livresque », « idéo­lo­gique », rigide, etc. sont des reproches contre cer­taines atti­tudes pru­den­tielles, et c’est dans la vie pra­tique que la vie du chré­tien néces­site une adap­ta­tion : la ver­tu de pru­dence n’est autre en effet que l’application des prin­cipes de la morale aux cas particuliers.

L’expérience de ses onze années de pon­ti­fi­cat, et sur­tout l’épisode des synodes sur la famille, nous donnent la réponse : ce que François attend de la théo­lo­gie, c’est de four­nir de nou­veaux argu­ments pour jus­ti­fier d’autoriser en pra­tique tout ce que la morale inter­dit en prin­cipe : com­mu­nion admi­nis­trée à ceux qui vivent dans des situa­tions matri­mo­niales désor­don­nées, béné­dic­tion de toutes sortes de par­te­na­riats affec­tifs, etc. : la théo­lo­gie « à genoux » du Cardinal Kasper. La théo­lo­gie renou­ve­lée de François doit conduire, non pas comme la pru­dence, à choi­sir ce qu’on a jugé bon, mais à jus­ti­fier ce qu’on a envie de choi­sir ; à jus­ti­fier le péché en excu­sant le pécheur.

On com­prend qu’il faille pour cela recou­rir à la trans­dis­ci­pli­na­ri­té – le pré­fixe « trans » dit tout ! Ainsi les consi­dé­ra­tions socio­lo­giques, celles qui per­mettent d’ignorer le vrai et le faux comme le bien et le mal, pour pri­vi­lé­gier le fait, pour­ront étouf­fer ce que l’Evangile a de contra­riant lorsqu’on le lit inté­gra­le­ment. Car l’Evangile ne se réduit pas à l’accueil incon­di­tion­nel du migrant : « Va et ne pèche plus » [1] ; « Ne vous y trom­pez pas : ni les impu­diques, ni les ido­lâtres,… n’auront de part au royaume de Dieu » [2]. L’Eglise avait tou­jours consi­dé­ré qu’avertir le pécheur sur son péché et l’aider à s’en sor­tir est une cha­ri­té à lui faire. La théo­lo­gie « fer­men­tée » de François, elle, sera enfin « gentille » !

Notes de bas de page
  1. Jean 8, 11[]
  2. 1 Corinthiens 6, 9–10 ; mais aus­si Galates 5, 19, 21 ; Ephésiens 5, 5–6[]