Le 9 décembre, le pape François a donné une allocution aux participants à une conférence internationale sur l’avenir de la théologie. Le mot d’ordre qu’il délivre est de « repenser notre manière de penser ». Que faut-il entendre par ce slogan ?
Le souverain pontife commence par remarquer qu’« il y a des choses que seules les femmes comprennent », de sorte que la théologie doit cesser d’être « exclusivement masculine ». L’autre reproche qu’il fait à la théologie qu’il a reçue est, selon son vocabulaire coutumier, d’être « ratatinée, fermée, médiocre », simplificatrice, idéologique, polarisée, unilatérale, mortelle pour la communauté, unique, superficielle et manipulatrice… Les manuels de théologie qu’il a utilisés étaient « livresques » et « fermés » ! Outre le fait qu’un livre sera toujours plus ou moins livresque, et que s’il est fermé, il n’y a qu’à l’ouvrir, on se demande quel reproche de fond il faut discerner derrière cette diatribe.
Voyons ce qu’il attend de la théologie du futur : il faut appréhender une « réalité complexe », relever des « défis variés », il faut « engendrer de la créativité et du courage », façonner de manière adéquate « notre volonté et nos décisions ». Autrement dit, il envisage surtout la pratique, c’est-à-dire la pastorale, résumée sous l’expression d’aider « chacun dans la recherche de la vérité ». Le rôle de la théologie est de faire « émerger la lumière du Christ et de son Evangile ».
Fort bien. Mais pourquoi reprocher aux manuels anciens un côté figé ? La théologie est la science du révélé, c’est-à-dire son étude systématique et rigoureuse, pour expliciter, justifier et formuler aussi adéquatement que possible ce que Dieu a révélé aux hommes pour leur salut. Le donné révélé étant clos à la mort du dernier Apôtre, et l’Eglise ayant déjà réalisé un immense travail pour faire connaître le contenu de la Révélation, pourquoi faudrait-il reprocher aux théologiens de conserver l’acquis sans prétendre le faire changer ? Le Credo n’a pas à être évolutif. Au contraire !
A l’évidence, les reproches du pape se portent bien plus sur la fermeté à conserver les principes acquis, non pas tant en ce qui concerne la connaissance des mystères révélés, que dans la vie morale. Car « livresque », « idéologique », rigide, etc. sont des reproches contre certaines attitudes prudentielles, et c’est dans la vie pratique que la vie du chrétien nécessite une adaptation : la vertu de prudence n’est autre en effet que l’application des principes de la morale aux cas particuliers.
L’expérience de ses onze années de pontificat, et surtout l’épisode des synodes sur la famille, nous donnent la réponse : ce que François attend de la théologie, c’est de fournir de nouveaux arguments pour justifier d’autoriser en pratique tout ce que la morale interdit en principe : communion administrée à ceux qui vivent dans des situations matrimoniales désordonnées, bénédiction de toutes sortes de partenariats affectifs, etc. : la théologie « à genoux » du Cardinal Kasper. La théologie renouvelée de François doit conduire, non pas comme la prudence, à choisir ce qu’on a jugé bon, mais à justifier ce qu’on a envie de choisir ; à justifier le péché en excusant le pécheur.
On comprend qu’il faille pour cela recourir à la transdisciplinarité – le préfixe « trans » dit tout ! Ainsi les considérations sociologiques, celles qui permettent d’ignorer le vrai et le faux comme le bien et le mal, pour privilégier le fait, pourront étouffer ce que l’Evangile a de contrariant lorsqu’on le lit intégralement. Car l’Evangile ne se réduit pas à l’accueil inconditionnel du migrant : « Va et ne pèche plus » [1] ; « Ne vous y trompez pas : ni les impudiques, ni les idolâtres,… n’auront de part au royaume de Dieu » [2]. L’Eglise avait toujours considéré qu’avertir le pécheur sur son péché et l’aider à s’en sortir est une charité à lui faire. La théologie « fermentée » de François, elle, sera enfin « gentille » !