À chaque nouvelle canonisation, c’est le même problème : nos doutes légitimes sur les conclusions de l’unique examen des vertus de l’intéressé sont compris comme des remises en cause du salut de cette âme. Ce n’est pas notre propos. Nous réaffirmons nos doutes sur la déclaration d’héroïcité des vertus des nouveaux saints parce que leur processus ne le prouve pas.
L’héroïcité des vertus de padre Pio ne fait aucun doute. Pourtant on ne peut qu’hésiter devant le procès qui a abouti à proclamer ses vertus. Cette procédure rend possible des canonisations jadis inconcevables ; c’est ainsi qu’on découvre des « saints » à la réputation controversée et chez lesquels l’héroïcité de la vertu ne brille pas d’un éclat insigne.
1. La vertu héroïque des saints est l’indice le plus éloquent de la divinité de l’Église. La canonisation, est l’acte solennel par lequel le souverain pontife jugeant en dernier ressort et portant une sentence définitive déclare la vertu héroïque d’un membre de l’Église. La canonisation est le sceau de l’Église qui se porte garante de sa propre sainteté.
2. La canonisation est l’acte par lequel le vicaire du Christ, jugeant en dernier ressort et portant une sentence définitive, inscrit au catalogue des saints un serviteur de Dieu précédemment béatifié. L’objet de la canonisation est triple : la gloire du ciel, la pratique des vertus héroïques pour mériter cette gloire et le culte public comme exemple donné à toute l’Eglise. La canonisation est un acte définitif et irréformable. La canonisation ne cause pas mais indique la sainteté d’une personne, comme un exemple. C’est pourquoi les canonisations sont rares. On peut cependant se sauver sans avoir vécu comme un saint.
3. La canonisation est infaillible parce que l’Église donne avec elle à tous les fidèles l’expression des moyens requis à la conservation du dépôt de la foi. L’infaillibilité ne fait pas l’économie d’une certaine diligence humaine. « L’infaillibilité du pontife romain est obtenue non pas par mode de révélation ni par mode d’inspiration mais par mode d’une assistance divine. C’est pourquoi le pape, en vertu de sa fonction, et à cause de l’importance du fait est tenu d’employer les moyens requis pour mettre suffisamment à jour la vérité et l’énoncer correctement… ».
4. Jusqu’à Vatican II, la procédure était l’expression d’une rigueur extrême : vérification la plus sérieuse des témoignages humains qui attestent la vertu héroïque, examen du témoignage divin des miracles, au moins deux pour une béatification et deux autres encore pour une canonisation. Le procès de la canonisation supposait lui-même un double procès accompli lors de la béatification, l’un qui se déroulait devant le tribunal de l’Ordinaire, agissant en son nom propre ; l’autre qui relevait exclusivement du Saint-Siège. Le procès de canonisation comportait l’examen du bref de béatification, suivi de l’examen des deux nouveaux miracles. La procédure se terminait lorsque le souverain pontife signait le décret ; mais avant de donner cette signature, il tenait trois consistoires successifs.
5. Deux problèmes se posent quant aux canonisations depuis Vatican II : infaillibilité et validité de la nouvelle législation.
6. Paul VI a modifié cette procédure : un unique procès, mené par l’évêque en vertu de sa propre autorité, et avec délégation du Saint- Siège. Suite au nouveau code de 1983, le procès est confié aux soins de l’évêque Ordinaire qui enquête sur la vie du saint, ses écrits, ses vertus et ses miracles. La Sacrée Congrégation examine les conclusions et se prononce avant de soumettre le tout au jugement du pape. Ne sont plus requis qu’un seul miracle pour la béatification et un autre pour la canonisation. Normalement le commencement d’un procès en béatification ne peut se faire cinq ans avant la mort du serviteur de Dieu ; cette règle n’est pas systématiquement respectée. Il est difficile d’apprécier le sérieux avec lequel la nouvelle procédure est mise en application et comment sont interprétés les miracles, du fait du secret. Il est indéniable que la nouvelle procédure n’est plus aussi rigoureuse que l’ancienne.
7. D’autre part, le fait que le pape laisse aux évêques le soin de juger immédiatement en se ré- servant uniquement le pouvoir de confirmer le jugement des Ordinaires, dans l’esprit de la collégialité, nous empêche de reconnaître les conditions des actes traditionnels d’un magistère extraordinaire du souverain pontife, conditions requises à l’exercice de l’infaillibilité… À moins d’introduire de nouvelles conditions.
8. L’objet d’une canonisation est de signaler l’héroïcité des vertus, à commencer par les vertus théologales. Si le pape donne en exemple une vie dans une optique nouvelle, inspirée davantage par la dignité de la nature humaine que par l’action surnaturelle du Saint-Esprit, on ne voit pas en quoi cet acte pourrait être une canonisation. Dans ce cas, le miracle, à supposer qu’il le soit, ne signifierait rien : un signe ne peut signifier quelque chose qui n’existe pas.
9. Depuis Vatican II, le nombre des béatifications et des canonisations a pris des proportions inouïes : la sainteté est devenue quelque chose d’universel et de normal. Cette idée est au centre du chapitre V de la constitution Lumen Gentium : cette vocation universelle oublie la distinction entre la sainteté commune et la sainteté héroïque et amoindrit l’ordre surnaturel de la grâce.
Abbé Vincent Bétin, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : L’Aigle de Lyon n° 340 de novembre 2018