Des fruits venus de la nouvelle messe ?

La nou­velle messe de Paul VI : sanctifiante ?

Point n’est besoin de reve­nir sur les docu­ments éma­nant du Saint-​Siège depuis un an envi­ron à pro­pos de l’usage de la litur­gie tra­di­tion­nelle. Deux pas en avant, avec le récent Motu Proprio Traditionis Custodes, sui­vi des réponses au Dubia de la Congrégation pour le Culte divin et la dis­ci­pline des sacre­ments à pro­pos dudit Motu Proprio, puis un pas en arrière avec le décret accor­dant aux prêtres de la Fraternité Saint Pierre la facul­té d’user des livres litur­giques tra­di­tion­nels dans leurs églises et ora­toires propres.1 Le sujet n’est pas ici de cher­cher à com­prendre les inten­tions du pape dans ces revi­re­ments, même si cela est tentant…

Il est une consé­quence que nous rele­vons, c’est le zèle qu’ont à pré­sent les prêtres des ins­ti­tuts ex-Ecclesia Dei à affir­mer (peut-​être pour se dédoua­ner des griefs pon­ti­fi­caux) que la nou­velle messe est fruc­tueuse, mal­gré ses fai­blesses. A titre d’exemple, rele­vons un extrait d’article publié sur le site Claves à pro­pos de la concélébration :

« Certains diront que ce refus de concé­lé­bra­tion équi­vaut à un refus de la réforme litur­gique et donc à un refus de com­mu­nion hié­rar­chique ; mais l’argument ne tient pas, d’abord parce qu’il y a de nom­breux motifs pour les­quels cer­tains prêtres, même célé­brant habi­tuel­le­ment dans la forme ordi­naire, ne sou­haitent pas concé­lé­brer ; ensuite, parce que – comme nous essaye­rons de l’expliquer dans un autre tra­vail – les réserves qui sont les nôtres par rap­port à la litur­gie réfor­mée, et qui nous poussent en pru­dence à ne pas la célé­brer tout en la recon­nais­sant valide et sanc­ti­fiante, et tout en recon­nais­sant l’autorité du Concile Vatican II, ne consti­tuent pas un refus de com­mu­nion avec l’Église. »2

Cette vision sou­lève une dif­fi­cul­té inté­res­sante qu’un catho­lique tra­di­tion­nel ne peut pas­ser sous silence. Si, comme nous le pen­sons le nou­veau rite de la messe est mau­vais, com­ment se fait-​il qu’un nombre non négli­geable de per­sonnes se sanc­ti­fient en y assis­tant ? On ne peut en effet balayer d’un revers de main la vie chré­tienne authen­tique que mènent des catho­liques conci­liaires. Il existe cer­tai­ne­ment bien des fidèles et bien des prêtres plus saints que nous – en tous cas que l’auteur de ces lignes !

Répondre à cette dif­fi­cul­té demande de rap­pe­ler briè­ve­ment les rai­sons de notre appré­cia­tion sur la Nouvelle Messe, la qua­li­fi­ca­tion morale de ce rite, puis d’indiquer quelques règles de théo­lo­gie morale.

Les déficiences de la Nouvelle Messe

Nous ne nous attar­de­rons pas outre mesure sur les défi­ciences du Nouveau Rite. Cela a déjà été fait dans de nom­breuses études et articles. Les trois prin­ci­pales défi­ciences qu’on lui trouve sont de dimi­nuer gra­ve­ment l’affirmation de la Présence Réelle (par exemple : sup­pres­sion de la génu­flexion avant l’élévation, de l’exigence pour le prêtre de gar­der le pouce et l’index joints après la Consécration pour évi­ter de perdre des par­celles d’hosties, etc…), de mas­quer l’aspect sacri­fi­ciel de la messe, et par­ti­cu­liè­re­ment l’aspect expia­toire (trans­for­ma­tion de l’Offertoire et sup­pres­sion de la prière si expres­sive du Suscipe Sancte Pater) ; enfin, d’affaiblir le sens de la hié­rar­chie et de la dis­tinc­tion entre le prêtre et les fidèles (ain­si, la réci­ta­tion du Canon à voix haute).

On pour­rait mul­ti­plier les exemples de ces défi­ciences ; cer­taines sont graves en elles-​mêmes (fal­si­fi­ca­tion de l’Offertoire), d’autres le sont en rai­son du tout que forme ce rite (lec­ture de l’Épître par un laïc, par exemple).

La qualification morale

Venons-​en au juge­ment et la qua­li­fi­ca­tion morale que l’on peut por­ter sur ce rite. Il fait cou­rir un grand risque de perdre la foi (même si ce n’est peut-​être pas en une fois). L’immense majo­ri­té des paroisses actuelles est de cela une illus­tra­tion patente. Mais plus encore qu’un risque pos­sible par rap­port à la foi, il rend un culte à Dieu de manière défec­tueuse. La litur­gie doit pro­fes­ser cor­rec­te­ment la foi. Si ce n’est pas le cas, et si le rite est ambi­gu, il y a un mal, c’est-à-dire l’absence d’un bien dû. Dans son trai­té de la ver­tu de reli­gion de la Somme Théologique, en trai­tant des dif­fé­rents péchés de super­sti­tion, Saint Thomas nous donne des prin­cipes que nous pou­vons appli­quer et adap­ter à la situa­tion actuelle. A la ques­tion « Peut-​il y avoir dans le culte du vrai Dieu des élé­ments capables de nous perdre ? », il répond ainsi :

« Saint Augustin dit que le men­songe le plus per­ni­cieux est celui qu’on fait en ce qui touche à la reli­gion chré­tienne. Qu’est-ce donc que le men­songe ? Mentir, c’est signi­fier exté­rieu­re­ment le contraire de la véri­té. Or, on ne se sert pas seule­ment de la parole pour s’exprimer : nos faits et gestes peuvent avoir éga­le­ment valeur de signe ; et c’est de cette sorte de signe qu’est fait, comme nous l’avons dit, le culte exté­rieur de la reli­gion. Si donc ce culte vient à expri­mer quelque chose de faux, il sera per­ni­cieux.
Or cela peut arri­ver de deux façons. C’est d’abord un désac­cord entre la réa­li­té signi­fiée et les sym­boles qui l’expriment. Voilà com­ment, en l’âge de la nou­velle loi, l’accomplissement par­fait des mys­tères du Christ ne per­met plus l’usage des rites de l’Ancien Testament : Leur sym­bole regarde le mys­tère du Christ comme chose à venir. Vouloir s’y tenir, c’est tout comme si l’on pro­fes­sait en paroles que la Passion du Christ est encore à venir. Faire cela, c’est perdre son âme.
Le culte exté­rieur peut encore être men­son­ger d’une seconde manière : du fait, cette fois, de celui qui s’en acquitte. La chose peut arri­ver sur­tout dans le culte public où des ministres offi­cient au nom de toute l’Église. C’est être un faus­saire que de pré­sen­ter, de la part de quelqu’un, ce dont on ne vous a aucu­ne­ment char­gé. Ce serait le cas de celui qui offri­rait à Dieu, de la part de l’Église, un culte en oppo­si­tion avec les formes par elle éta­blies en ver­tu de l’autorité divine, et contraire à l’usage de cette même Église. « Est indigne, dit Saint Ambroise, qui­conque célèbre les divins mys­tères sans se confor­mer à la tra­di­tion reçue du Christ ». Ce qu’exprime éga­le­ment la Glose, lorsqu’elle dit que la super­sti­tion, c’est « de don­ner le nom de reli­gion à une chose humaine. »
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Nous sommes bien conscients, en citant ce texte, que les exemples don­nés ne s’appliquent pas tels quels à la situa­tion actuelle qui est inédite. Dans le cas de la nou­velle messe, il s’agit moins d’un rite men­son­ger que d’un rite gra­ve­ment ambi­gu. D’autre part, Saint Thomas n’envisage pas à cet endroit le cas où un rite en rup­ture avec la Tradition vien­drait de l’autorité. Cependant, les prin­cipes qu’il donne peuvent être uti­li­sés. C’est pour­quoi, en les sui­vant, nous pou­vons qua­li­fier le Novus Ordo Missae de super­sti­tieux.

Nous avons donc une double qua­li­fi­ca­tion morale : la pre­mière est un risque de perdre la foi. Dans la mesure où ce n’est qu’un risque, on peut ne voir là qu’une faute contre la pru­dence, comme le dit l’article de Claves cité plus haut. L’autre grief – celui du culte défec­tueux, ambi­gu et donc super­sti­tieux – ne relève pas d’une faute contre la seule pru­dence, mais contre les ver­tus de foi et de reli­gion. C’est le plus grave, et l’article de Claves ne le relève pas.

Un principe moral pour mieux comprendre

Pour pro­gres­ser dans notre réflexion, rap­pe­lons à pré­sent quelques prin­cipes de théo­lo­gie morale, concer­nant l’objet d’un acte, et ses circonstances.

L’objet d’un acte, c’est ce sur quoi il porte de manière abs­traite. Donner de l’argent à un indi­gent est un acte d’aumône. Les cir­cons­tances morales sont tout ce qui entoure l’acte et qui peut chan­ger sa mora­li­té. Pour reprendre l’exemple de l’aumône, celle-​ci peut être accom­plie en Carême (cir­cons­tance de temps), osten­si­ble­ment (manière), et pour subor­ner le pauvre en ques­tion (but), etc… Les cir­cons­tances, comme le montrent les exemples don­nés, peuvent rendre l’acte meilleur, mau­vais, ou pire.

C’est ici qu’intervient un prin­cipe fon­da­men­tal de morale, c’est que, pour qu’un acte soit bon, il faut non seule­ment que l’objet soit bon, mais que toutes les cir­cons­tances soient bonnes : « Bonum ex inte­gra cau­sa, malum ex quo­cumque defec­tu. » ((Le bien découle d’une cause intègre, et le mal d’un seul défaut.)) Faire l’aumône pour ache­ter le silence d’un témoin est un acte mau­vais, mal­gré un objet bon, en rai­son de la cir­cons­tance du but, de même que jouer dans une église, en rai­son de la cir­cons­tance de lieu.

Pour appli­quer ce prin­cipe à la nou­velle messe, (en sup­po­sant, ce que l’on fait ici, qu’elle est valide – nous n’excluons pas qu’elle puisse ne pas l’être dans cer­tains cas, mais ce n’est pas le sujet), il faut dire que l’objet est bon : c’est un acte de culte ren­du au vrai Dieu ; c’est le renou­vel­le­ment du sacri­fice de la croix (car toute messe valide est le renou­vel­le­ment du sacri­fice de la croix). Mais si l’objet est bon, les cir­cons­tances qui l’accompagnent néces­sai­re­ment, c’est-à-dire le rite, ne le sont pas. Par consé­quent, l’acte est mau­vais, mal­gré son objet bon.

Des fruits… par accident

Munis de ces dis­tinc­tions, il est pos­sible de rendre compte des « fruits » de la nou­velle messe. Il peut en effet arri­ver que des catho­liques de bonne volon­té ignorent de bonne foi la malice du nou­veau rite (des cir­cons­tances) et recherchent avant tout l’objet bon de l’acte qu’est la messe. Cette ques­tion de l’ignorance est lais­sée au juge­ment de Dieu.

La malice glo­bale de la nou­velle messe ne leur est alors pas impu­table (en rai­son de l’ignorance), et elles peuvent reti­rer des fruits de ce qu’il reste de bon dans la nou­velle messe célé­brée vali­de­ment, ou plu­tôt de ce qui n’a pas été infec­té par le nou­veau rite. De fait, il n’est pas rare de ren­con­trer des « Nicodème » de l’Église conci­liaire qui découvrent avec une grande joie la messe tra­di­tion­nelle, per­sonnes réel­le­ment pieuses, ayant cer­tai­ne­ment tiré pro­fit des com­mu­nions reçues jusqu’alors, et qui ne réa­lisent qu’après coup la noci­vi­té de la litur­gie nouvelle.

Ces effets pos­sibles ne viennent pas de ce qu’il y a de nou­veau, mais de ce qu’il reste de messe. En tant que nou­velle (c’est-à-dire en tant que s’accommodant avec des héré­sies), elle n’est pas sanc­ti­fiante, mais mor­ti­fère. D’ailleurs, selon le prin­cipe aris­to­té­li­cien, les effets « par acci­dent » n’arrivent pas dans la plu­part des cas : les fruits de sain­te­té que l’on peut trou­ver chez des per­sonnes assis­tant à la nou­velle messe ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt rava­gée par 50 ans d’une litur­gie protestantisée…

Est-​il donc légi­time de par­ler de fruits de la nou­velle messe ? De tels effets bons ne peuvent être qu’accidentels au nou­veau rite, puis­qu’ « un bon arbre ne peut por­ter de mau­vais fruits, ni un arbre mau­vais por­ter de bons fruits ». Il est donc équi­voque et gra­ve­ment ambi­gu de dire que la nou­velle messe est « sanc­ti­fiante » ou fruc­tueuse… même pour avoir la vie sauve. Cela trompe les âmes et leur fait mini­mi­ser la noci­vi­té du nou­veau rite.

En pratique…

Deux consi­dé­ra­tions pra­tiques s’imposent à l’issue de ces réflexions. La pre­mière est que l’ignorance de bonne foi ne concerne pas tout le monde : un catho­lique conscient de la noci­vi­té du nou­veau rite sera beau­coup moins excu­sé d’y par­ti­ci­per et ne pro­fi­te­rait pas des quelques élé­ments bons qui peuvent y sub­sis­ter. Accomplir en le sachant un acte mau­vais dans son ensemble (en rai­son de cir­cons­tances qui l’accompagnent néces­sai­re­ment), n’est pas sans péché.

La deuxième nous encou­rage à pro­fi­ter au mieux de nos messes. Le fait que des fidèles conci­liaires arrivent à se sanc­ti­fier, et cer­tains mieux que nous, au milieu d’une litur­gie mau­vaise ne peut que nous sti­mu­ler à tirer tous les fruits – vrais et authen­tiques, ceux-​là – de notre sainte litur­gie traditionnelle.

  1. L’article a été écrit avant la Lettre Apostolique Desiderio Desideravi¸ du 29 juin 2022, mais cela ne change rien à la ques­tion de fond. []
  2. https://claves.org/7–8‑faut-il-vraiment-concelebrer-pour-etre-en-communion/ []
  3. Somme Théologique, II-​II, q. 93, art. 1, cor­pus []