Le Curé d’Ars et la Messe à Luna Park

Luna Park de Melbourne.

Le pape a recom­man­dé aux évêques la figure de saint Jean-​Marie Vianney. Ce der­nier aurait sans doute quelque chose à redire à la pra­tique litur­gique contemporaine.

Lu dans un bul­le­tin parois­sial : « Si l’eucharistie est une fête, quoi de plus natu­rel que de célé­brer, pour les forains, la messe en ce lieu de fes­ti­vi­tés qu’est Luna Park, par­mi les auto-​tamponneuses et manèges en tous genres. »

Dans le bul­le­tin d’une fon­da­tion vouée à finan­cer la res­tau­ra­tion et la construc­tion des églises : « Pour moi une église, c’est d’abord un repère dans un pay­sage… Je suis très sen­sible à ces lieux qui racontent l’histoire de Dieu mais qui sont aus­si des témoins de l’histoire des hommes… J’aime pous­ser la porte des églises, m’asseoir un ins­tant, ce sont des lieux-​refuges dans une vie trop pleine. » 

D’un autre côté, le site cath​.ch relaie les conclu­sions de la socio­logue des reli­gions Isabelle de Jonveaux à l’issue de l’enquête menée auprès des jeunes de Suisse romande, dont les résul­tats sont publiés ce 2 juin. « Elle constate que les jeunes sont deve­nus exi­geants vis-​à-​vis de l’Eglise en termes d’enseignement de la foi et de litur­gie ». « De manière éton­nante, lorsque les jeunes de l’enquête pensent « com­mu­nau­té », ils pensent d’abord paroisse. Ils ont donc des attentes par rap­port à cela et sont sou­vent déçus parce que la paroisse ne leur pro­pose pas ce qu’ils sou­hai­te­raient y trou­ver. »

Pie XII, dans l’encyclique Mediator Dei (20 novembre 1947), donne toute satis­fac­tion aux esprits les plus exi­geants en expli­quant ce qu’est la liturgie : 

La sainte litur­gie est le culte public que notre Rédempteur rend au Père comme Chef de l’Église ; c’est aus­si le culte ren­du par la socié­té des fidèles à son chef et, par lui, au Père éter­nel : c’est, en un mot, le culte inté­gral du Corps mys­tique de Jésus-​Christ, c’est-à-dire du Chef et de ses membres.

Ni une fête, ni une thé­ra­pie anti-​stress, mais un culte adres­sé à Dieu, la litur­gie est l’exercice public par l’Eglise de la ver­tu de reli­gion ; c’est pour­quoi son exé­cu­tion doit rem­plir plu­sieurs conditions.

En pre­mier lieu, être vraie : elle doit expri­mer par des gestes, des objets et des paroles, des réa­li­tés invi­sibles comme Dieu, la grâce, les dis­po­si­tions inté­rieures des fidèles, les évé­ne­ments de la Rédemption avec leurs effets ain­si que les fins der­nières. Les signes qui évoquent ces réa­li­tés doivent être vrai, c’est-à-dire ne pas trom­per sur les réa­li­tés qu’ils signi­fient : il serait indigne de men­tir quand on s’adresse à Dieu, ou de craindre d’exprimer cer­taines véri­tés par res­pect humain. La nou­velle litur­gie, en assu­mant son orien­ta­tion œcu­mé­nique, a renon­cé à mar­quer la doc­trine catho­lique dans ce qui l’oppose au pro­tes­tan­tisme. Lorsqu’elle n’exprime qu’une sorte d’humanitarisme pieux, elle manque à son rôle, et ne peut satis­faire les âmes en quête d’une vraie spiritualité.

La litur­gie doit être digne. Lorsqu’on com­mence à prier, il faut se rap­pe­ler à qui on s’adresse, or ce qui est légi­time à Luna Park n’est pas tou­jours indi­qué pour s’adresser à Dieu ! Il est frap­pant de voir dans la Sainte Ecriture et dans les récits d’apparitions authen­tiques, quelle crainte révé­ren­tielle les envoyés du ciel ins­pirent tout d’abord, avant de rassurer.

Le saint Curé d’Ars, récem­ment don­né en exemple par le pape Léon XIV aux évêques de France, mar­qua un jour un temps d’arrêt au moment de don­ner la com­mu­nion à une jeune fille dont il per­çut qu’elle n’était pas recueillie :

On ne sau­rait décrire l’an­goisse inté­rieure de cette enfant, à qui l’homme de Dieu vou­lait don­ner pour toute la vie une leçon. Ne sachant que pen­ser, elle se mit à réci­ter men­ta­le­ment les actes de foi, d’es­pé­rance et de cha­ri­té. Quand elle eut fini, le Curé d’Ars dépo­sa l’hos­tie sur ses lèvres et pas­sa. « Mon enfant, lui dit-​il lors­qu’il la revit, quand on n’a pas fait sa prière du matin et qu’on a été dis­si­pé tout le long de la route, on n’est pas trop dis­po­sé à faire la sainte communion ! »

Francis Trochu, Le Curé d’Ars, Résiac, 1983, p.361.

Enfin la litur­gie doit être valide. Lorsque les rites eux-​mêmes ont une effi­ca­ci­té sur­na­tu­relle – c’est le cas des sept sacre­ments – leur exé­cu­tion requiert plu­sieurs condi­tions pour que l’effet soit pro­duit. En 1976, dans le grand prin­temps suc­ces­sif au Concile qui nous rem­plit chaque jour d’émerveillement, Michel de Saint Pierre avait pu com­pi­ler dans le livre Les fumées de Satan, 3000 man­que­ments graves du cler­gé à la doc­trine et à la litur­gie, dont plu­sieurs cas d’administration cer­tai­ne­ment inva­lide des sacre­ments. Il est remar­quable qu’encore en 2024 le Dicastère pour la Doctrine de la Foi devait rap­pe­ler leurs condi­tions de vali­di­té[1].

Est-​il si dif­fi­cile en 2025, alors que les jeunes gens se montrent « exi­geants » en matière de for­ma­tion et de litur­gie, de se rap­pe­ler que la litur­gie est avant tout une prière adres­sée à Dieu, et l’occasion de rece­voir sa grâce ?

Image : ©Wikimédia commons

Notes de bas de page
  1. Note Gestis ver­bisque du 2 février 2024.[]