Pie XII face au nazisme
Nonce en Allemagne de 1917 à 1929, puis secrétaire d’Etat de Pie XI de 1930 à 1939, le futur pape Pacelli fut placé aux premières loges pour évaluer à sa juste mesure la montée de l’idéologie nazie. C’est donc à lui que Pie XI confia la rédaction de l’encyclique Mit Brennender Sorge condamnant le nazisme et ses délires racistes. Celle-ci sera publiée le 14 mars 1937, cinq jours avant l’encyclique Divini Redemptoris condamnant le communisme. Fort de ses relais allemands, c’est encore le cardinal Pacelli qui organisa la distribution clandestine à travers toute l’Allemagne de ce texte interdit de publication par le pouvoir nazi.
A peine élu pape (1939), Pie XII profita de sa première encyclique, Summi Pontificatus, pour condamner à nouveau le racisme. Cette fois-ci, ce fut l’aviation française qui diffusa le texte en Allemagne, larguant 88 000 exemplaires de ce texte au dessus des principales villes allemandes…
Des dizaines et des centaines de fois, le cardinal puis le Pape Pacelli dénonça ainsi l’idéologie raciste du nazisme. Tandis qu’il inaugurait la basilique de Lisieux en 1937 par exemple, il évoqua l’Allemagne, « cette noble et grande nation que de mauvais bergers égarent sur les chemins dévoyés de l’idéologie de la race. » Ces condamnations continuèrent pendant la guerre. Lors de son message radiodiffusé de Noël 1941, le Pape fustigea « l’oppression, ouverte ou dissimulée, des particularités culturelles et linguistiques des minorités nationales. » Un an plus tard, alors que les bruits d’une extermination massive du peuple juif semblent se préciser, Pie XII évoque en son message de Noël 1942 les « centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute de leur part, mais seulement pour des raisons de nationalité ou de race, sont destinées à la mort ou à un progressif dépérissement. » Dès le lendemain, le New York Times commente : « La voix de Pie XII est bien seule dans le silence et l’obscurité qui enveloppe l’Europe ce Noël… Il est à peu près le seul dirigeant restant sur le Continent européen qui ose tout simplement élever la voix. »
Alors : Pie XII, pape du silence ? Il est vrai, quelquefois. Car s’il est bon et quelquefois nécessaire d’user de la parole, il peut devenir mauvais d’en abuser. C’est ainsi qu’en Pologne, l’archevêque de Cracovie supplia le pape de cesser ses protestations car elles n’avaient pour seul effet que d’aggraver la situation. Ce jugement prudentiel n’était pas sans fondement. En juillet 1942 par exemple, la forte protestation des évêques du Pays-Bas contre les persécutions antisémites avait eu pour seul effet d’étendre ces persécutions, notamment aux juifs convertis. C’est d’ailleurs à cette occasion que sera arrêtée la carmélite Edith Stein, qui bientôt offrira sa vie en réparation pour l’infidélité de son peuple qui n’a pas voulu reconnaître le Christ…
Et si Harold Tittman, délégué américain au Vatican en ces périodes dramatiques, regretta qu’en ce message de Noël 1942, le Pape ne citât point explicitement le peuple juif, il écrira plus tard, dans ses Mémoires : « Je ne peux m’empêcher de penser qu’en évitant de parler, le Saint Père a fait le bon choix ; il a ainsi sauvé bien des vies. » D’ailleurs, de ses silences mêmes, Pie XII sut faire une arme contre les nazis, au profit des vies juives à sauver. Fin 1943 par exemple, sa menace d’élever la voix suffit à arrêter la rafle de Rome, permettant à l’Eglise de sauver 80 % des juifs romains.
Pape de parole – ou de silence bienvenu – Pie XII fut plus encore un pape d’action. Il donna par exemple de nombreuses instructions pour sauver le maximum de juifs, quitte à leur donner pour cela de faux certificats de baptême : plus de 20 000 furent par exemple délivrés en Hongrie. A la demande de Pie XII, les maisons religieuses devinrent bien vite les refuges les plus surs pour ces juifs pourchassés. Le pape en personne montra l’exemple. Quand commencèrent les déportations des juifs romains, il en accueillit plusieurs centaines au Vatican, tandis que Castel Gondolfo perdit pour un tant sa fonction de résidence d’été du Pape pour devenir la résidence tout court de plus de trois mille juifs. Lorsque, fin 1943, le commandant des S.S. de Rome réclama de la communauté israélite 50 kg d’or à fournir dans les vingt-quatre heures sous peine d’une nouvelle rafle, Pie XII fournit au grand rabbin de Rome les 15 kg manquants, réunis grâce à une collecte auprès des catholiques romains.
Affirmer une passivité de Pie XII face au problème juif pendant la guerre relève de la plus pure malhonnêteté. C’est oublier un certain nombre de faits :
- que le 29 novembre 1944 par exemple, une délégation de 70 rescapés vient, au nom de la United Jewish Appeal (organisme dirigeant du mouvement sioniste mondial), exprimer à Pie XII la reconnaissance des Juifs pour son action en leur faveur ;
– que le 13 février 1945, Israël Zolli, alors grand rabbin de Rome, se convertit au catholicisme, impressionné par l’action de Pie XII en faveur des juifs et voulut, en signe de reconnaissance, prendre pour prénom Eugenio Pio, tandis que son épouse se fit baptiser Eugenia.
Historien juif et pendant un moment consul général d’Israël à Milan, Pinchas Lapide écrivit plusieurs ouvrages sur l’attitude de l’Eglise pendant la guerre. Après de longues recherches, il conclut que le rôle de Pie XII « a été déterminant pour sauver au minimum 700 000, si ce n’est jusqu’à 860 000 juifs, d’une mort certaine. » Nous voici donc à dix mille lieux des affirmations du film Le Vicaire. Film pour film, certains pourraient peut-être se désintoxiquer de leurs préjugés en regardant le chef d’œuvre de Jerry London, Le pourpre et le noir.
Pie XII face à la subversion
La conduite de Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale a été attaquée pour la première fois en 1951 par Léon Poliakov – russe immigré issu de la bourgeoisie juive – dans son Bréviaire de la haine, consacré à la politique d’extermination des juifs par le nazisme.
Mais c’est surtout avec la pièce de théâtre Le Vicaire (1963) que ces attaques prennent forme. Elle présente un pape étrangement silencieux face au drame juif, silence vite mis sur le compte de l’indifférence et d’une secrète complaisance pour le nazisme. Son auteur, Rolf Hochhuth, prétendait s’appuyer sur une large documentation. Or, selon les révélations d’un ancien chef des services secrets roumains, Ion Mihai Pacepa, ces documents auraient été forgés de toutes pièces par le KGB. Le général Ivan Agayants, chef du service de désinformation du même KGB, serait à l’origine de la pièce… La pièce à succès n’en traversera pas moins les décennies, pour être adaptée au cinéma par Costa-Gavras avec le film Amen (2002).
Ce type d’attaques calomnieuses est récurant. Par exemple, le 31/01/2010, l’agence italienne ANSA faisait état de « révélations » faites par Giuseppe Casarrubea et Mario Cereghino qui prétendaient avoir exhumé des archives britanniques un document qui, selon eux, daterait du 19 octobre 1943, autrement dit trois jours après la rafle des juifs de Rome par les nazis.
Le chargé d’affaire américain Harold Tittman y rend compte à son gouvernement de son entretien avec Pie XII. Et l’agence ANSA de se scandaliser que Pie XII, « au lieu de s’indigner pour la déportation de plus de 1000 juifs romains s’était plutôt inquiété de la présence ‘de bandes communistes stationnées aux alentours de Rome ». La vérité est tout autre. Les « chercheurs » ont falsifiés la date du message d’Harold Tittmann, qui est du 14 et non du 19 octobre. C’est en effet ce 14 octobre (cf. Osservatore Romano du 15 octobre 1943) qu’eut lieu la fameuse rencontre. Comment alors s’étonner que Pie XII n’y déplore pas la rafle des juifs romains, puisque celle-ci n’aura lieu que deux jours plus tard. Par ailleurs, cette « révélation » des deux chercheurs n’est en rien une découverte, vu que ce message avait déjà été publié en 1964 … honnêtement daté !
Quand Bernard-Henri Lévy prend la défense de Pie XII
« Il faudrait quand même que l’on arrête avec la mauvaise foi, les partis pris et, pour tout dire, la désinformation. Je reviendrai, s’il le faut, sur la très complexe affaire Pie XII. Je reviendrai sur le cas de Rolf Hochhuth, auteur de ce fameux Vicaire qui lança, en 1963, la polémique autour des silences de Pie XII. Je reviendrai sur le fait, en particulier, que ce bouillant justicier est aussi un négationniste patenté, condamné plusieurs fois comme tel et dont la dernière provocation consista, il y a cinq ans, dans une interview à l’hebdomadaire d’extrême droite Junge Freiheit, à prendre la défense du négateur des chambres à gaz David Irving.
Pour l’heure je veux juste rappeler […] que le terrible Pie XII fut, en 1937, alors qu’il n’était encore que le cardinal Pacelli, le coauteur de l’encyclique « Avec une brûlante inquiétude » qui demeure, aujourd’hui encore, l’un des manifestes antinazis les plus éloquents de l’époque.
Pour l’heure, on doit à l’exactitude historique de préciser qu’avant d’opter pour l’action clandestine et le secret, avant d’ouvrir donc, sans le dire, ses couvents aux juifs romains traqués par les nervis fascistes, le « silencieux » Pie XII prononça des allocutions radiophoniques (celles, par exemple, de Noël 1941 et 1942) qui lui valurent, après sa mort, l’hommage d’une Golda Meir qui savait ce que parler veut dire et ne craignit pas de déclarer : « pendant les dix ans de la terreur nazie, alors que notre peuple souffrait un martyre effroyable, la voix du pape s’est élevée pour condamner les bourreaux. »
Et, pour l’heure, on s’étonnera surtout que, de l’assourdissant silence qui se fit, dans le monde entier, autour de la Shoah, on fasse porter tout le poids, ou presque, sur celui du Souverain du moment qui a) n’avait ni canons ni avions à sa disposition ; b) ne ménagea pas ses efforts pour, nous disent la plupart des historiens sérieux, partager avec ceux qui en disposaient les informations dont il avait connaissance ; c) sauva, lui, effectivement, à Rome mais aussi ailleurs, un grand nombre de ceux dont il avait la responsabilité morale
Bernard-Henri Lévy, Oss. Romano du 21/01/2010.
Quand les témoins parlent
Albert Einstein, le célèbre savant juif : « Lorsque la révolution nazie survient en Allemagne, c’est sur les universités que je comptais pour défendre la liberté, dont j’étais moi-même un amoureux, car je savais qu’elles avaient toujours mis en avant leur attachement à la cause de la vérité ; mais non, les universités furent immédiatement réduites au silence. Alors je me tournai vers les grands éditeurs de journaux, dont les éditoriaux enflammés des jours passés avaient proclamé leur amour de la liberté ; mais eux aussi, en quelques courtes semaines et comme les universités, furent réduits au silence.
Dans la campagne entreprise par Hitler pour faire disparaître la vérité, seule l’Eglise catholique se tenait carrément en travers du chemin. Je ne m’étais jamais spécialement intéressé à l’Eglise auparavant, mais maintenant je ressens pour elle une grande affection et admiration, parce qu’elle seule a eu le courage et la persévérance de se poser en défenseur de la vérité intellectuelle et de la liberté morale. Je suis donc bien forcé d’avouer que, maintenant, c’est sans réserve que je fais l’éloge de ce qu’autrefois je dédaignais » (Time du 23 /12/1940).
Golda Meir, ministre israélien des affaires étrangères en 1958, à l’occasion de la mort de Pie XII :
« Nous partageons la peine de l’humanité en apprenant le décès de Sa Sainteté le pape Pie XII.
A une époque troublée par les guerres et les discordes, il a maintenu les idéaux les plus élevés de paix et de compassion.
Lorsque le martyre le plus effrayant a frappé notre peuple, durant les dix années de terreur nazie, la voix du pape s’est élevée pour condamner les bourreaux et pour exprimer sa compassion envers les victimes. » (Le Figaro du 10 /10/1958)
Elio Toaff, grand Rabbin de Rome
« Les juifs se souviendront toujours de ce que l’Eglise catholique a fait pour eux sur l’ordre du Pape au moment des persécutions raciales.
Quand la guerre mondiale faisait rage, Pie XII s’est souvent prononcé pour condamner la fausse théorie des races. »
(La Documentation Catholique du 26 /10/1958)
Alexandre Safran, grand Rabbinde Roumanie pendant la seconde guerre mondiale, assura que :
« grâce aux instructions de Pie XII, les 400 000 juifs de Roumanie furent sauvés de la déportation. »
(La Doc. catholique du 16 /10/1964)
Pinchas Lapide, Consul général d’Israël à Milan, déclare au lendemain de la pièce le Vicaire :
« Je comprends très mal que l’on s’en prenne maintenant à Pie XII, alors que pendant de nombreuses années on s’est plu, en Israël, à lui rendre hommage.
Au lendemain de la libération de Rome, j’ai appartenu à la délégation qui a été reçue par le Pape et qui lui a transmis la gratitude de l’Agence juive, qui était l’organisme dirigeant du Mouvement sioniste mondial, pour ce qu’il avait fait en faveur des juifs. »
(Le Monde, du 3 janvier 1964). Historien, il établit que l’attitude de Pie XII pendant la seconde guerre mondiale permit de sauver quelque 850 000 vies juives.
Pie XII ou Jean-Paul II, qui prier ?
Le vaticaniste Andrea Tornielli, travaillant pour le grand quotidien italien Il giornale, a reconstitué l’histoire d’un miracle supposé attribué à l’intercession du pape Pie XII, qui est évalué avec soin en ces jours de la postulation de la cause par l’archidiocèse de Sorrento-Castellammare di Stabia, sur le territoire duquel il est arrivé. Il s’agit de la guérison d’une jeune mère d’un cancer, qui a eu lieu en 2005 quand elle était enceinte de son troisième enfant.
Mais la véritable surprise est celle-ci : son mari avait prié Jean-Paul II à peine disparu et, quelques jours plus tard, il rêva pendant la nuit que Jean-Paul II lui déclarait : « Je ne peux rien faire. Il faut prier ce prêtre… », montrant une photographie d’un prêtre, mince et aux traits fins. Quelques jours plus tard, au hasard d’une photo dans un magazine sur Eugenio Pacelli étant jeune, il s’est rendu compte que c’était lui. Des neuvaines de prière à Pie XII furent dites et sa femme fut guérie.
Ce miracle supposé est à approuver par une reconnaissance du tribunal diocésain, puis par le Conseil médical de la Congrégation pour les Causes des Saints, puis par le congrès de théologiens, aux conseils des cardinaux et évêques et enfin par le Pape. Mais ce qui est très spécial dans ce miracle supposé, c’est ce rôle de Karol Wojtyla qui aurait suggéré de prier Pie XII.