Comme on le sait, les trois points doctrinaux principaux abordés par le concile Vatican II et qui subissent certaines critiques motivées de la part de la Fraternité Saint-Pie X sont la liberté religieuse, l’œcuménisme et la collégialité épiscopale.
La Lettre à nos frères prêtres a parlé du concile Vatican II en général dans ses numéros 48 (décembre 2010) et 50 (juin 2011). Nous avons abordé la question de la liberté religieuse dans les numéros 52 (décembre 2011) et 53 (mars 2012).
Nous nous proposons ici de commencer à examiner la question de l’œcuménisme. Nous poserons aujourd’hui quelques principes généraux d’herméneutique, puis nous étudierons dans le prochain numéro l’œcuménisme lui-même.
La Fraternité est favorable à un œcuménisme vraiment catholique
Il nous faut donc d’abord préciser certains points fondamentaux, sans lesquels notre position réelle serait méconnue et travestie, au grand dam de la vérité.
Tout d’abord, la Fraternité Saint-Pie X est évidemment favorable au « mouvement œcuménique », comme en parlait une instruction romaine publiée sous Pie XII en 1949, qui précisait :
« L’Église catholique n’a jamais cessé et ne cessera jamais à l’avenir de suivre avec le plus grand intérêt et d’aider par d’instantes prières tout effort fait en vue d’obtenir ce que le Christ Notre-Seigneur a tant à cœur, à savoir que tous ceux qui croient en lui soient consommés dans l’unité ».
Cette même instruction, charte d’un œcuménisme vraiment catholique, ajoutait :
« Dans plusieurs parties du monde, soit à cause des événements extérieurs et du changement des dispositions intérieures, soit surtout grâce aux prières communes des fidèles, sous l’inspiration de la grâce du Saint-Esprit, le désir s’est fait de jour en jour plus vif dans le cœur de beaucoup d’hommes séparés de l’Église catholique que tous ceux qui croient au Christ Notre-Seigneur reviennent à l’unité. Il y a là, pour les fils de la véritable Église, une source de sainte joie dans le Seigneur et une invitation à aider tous ceux qui cherchent sincèrement la vérité, en demandant pour eux à Dieu, par d’instantes prières, la lumière et la force nécessaires ».
Mais on ne peut promouvoir l’œcuménisme aux dépens de la vérité
Cependant, aucun catholique, et certainement pas la Fraternité Saint-Pie X, ne peut vouloir l’œcuménisme, ni le promouvoir, aux dépens de la vérité, spécialement lorsqu’il s’agit de la vérité proprement divine de la Révélation.
Certes, des personnes animées d’un zèle peu éclairé, mais aussi des personnes insouciantes voire malintentionnées, ont voulu unilatéralement « poser des actes d’unité » contraires à la saine théologie. L’exemple le plus connu est celui des « intercommunions sauvages » dans lesquelles, au mépris des divergences encore réellement existantes, des catholiques et des non-catholiques prennent l’initiative de faire « comme si » la pleine unité était déjà réalisée. Mais ceci ne peut aucunement être accepté, comme le rappelait même le décret sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio (8 § 4), dénonçant à l’avance ces tentatives malsaines :
« Il n’est pas permis de considérer la communicatio in sacris comme un moyen à employer sans discernement pour rétablir l’unité des chrétiens. (…) Elle est, la plupart du temps, empêchée du point de vue de l’expression de l’unité ».
Si, en général, l’œcuménisme ne doit pas être recherché aux dépens de la vérité, en particulier, la doctrine et la pratique de l’œcuménisme ne peuvent pas mettre le Magistère de l’Église en contradiction avec lui-même. Le magistère ne peut exister, et ne peut être reçu, que dans sa continuité objective, c’est-à-dire eodem sensu eademque sententia, comme le rappelait le pape Jean XXIII dans son discours inaugural au Concile le 11 octobre 1962 (Gaudet Mater ecclesia, texte officiel en latin), à la suite de saint Vincent de Lérins et du concile Vatican I : « dans le même sens et avec la même affirmation ».
Essentielle continuité du Magistère
Un document du Magistère doit évidemment être reçu en fonction du degré d’autorité qu’il possède et qui découle « soit de la matière traitée, soit de la manière dont il s’exprime, selon les normes de l’interprétation théologique » et des « règles générales que tous connaissent », pour reprendre la notification faite par le Secrétariat général du Concile le 16 novembre 1964 (éditions du Centurion, 1967, p. 117–118).
Mais un texte du pape seul, selon la nature du document, peut avoir autant d’autorité que l’affirmation d’un concile ; un document d’un pape ancien conserve en soi toute sa valeur même vis-à-vis des textes du pape actuellement en fonction. Ce n’est pas mépriser Vatican II que d’affirmer, par exemple, que la bulle Ineffabilis Deus promulguée par le pape Pie IX le 8 décembre 1854 et enseignant infailliblement le dogme de l’Immaculée Conception possède en soi plus d’autorité magistérielle que l’ensemble de ce concile pastoral.
Or il existe un riche enseignement magistériel des papes qui se sont succédé, disons, de la Révolution française (Pie VI) à la convocation de Vatican II (Pie XII), enseignement qui porte en particulier sur l’Église, sa structure interne, ses relations avec les autres communautés chrétiennes, sa situation vis-à-vis de l’autorité civile ; qui porte donc, comme nous dirions aujourd’hui (même si c’est un peu restrictif, car ces textes dépassent largement ces sujets, et un peu anachronique, car ce vocabulaire n’était alors pas employé), sur la collégialité, sur l’œcuménisme et sur la liberté religieuse. Il doit donc être clair, selon les principes que nous venons de rappeler, que ces textes anciens possèdent aujourd’hui encore (selon leurs genres spécifiques) autant de valeur que les textes du concile Vatican II et de l’après-concile ; de plus, il n’est pas possible qu’un texte plus récent et véritablement magistériel entre en dissonance avec ces textes antérieurs, faute de quoi c’en serait fini de la continuité du Magistère, qui en est pourtant un attribut essentiel.
L’exacte position de la Fraternité Saint-Pie X
Il faut également le dire avec une extrême clarté car, trop souvent, des incompréhensions voire des caricatures circulent à ce propos : la Fraternité Saint-Pie X n’entend pas, et n’a jamais entendu juger le Magistère en tant que tel, ce qui ne serait pas une position catholique, mais plutôt un libre examen à saveur protestante. Le Magistère doit être accepté par lui-même, en vertu de l’autorité qui est la sienne, et non à cause d’un jugement de vérité proféré par la raison individuelle et privée de tel ou tel fidèle ou groupe de fidèles.
Ce n’est donc pas en jugeant le Magistère que la Fraternité Saint-Pie X intervient quelquefois dans le débat, mais en raison d’une opposition ou contradiction ou dissonance (selon les cas) qu’elle découvre entre certains textes antérieurs qui appartiennent certainement au Magistère (avec divers degrés d’autorité), et d’autres textes plus récents émanés des autorités ecclésiastiques.
La Fraternité Saint-Pie X constate cette incohérence au moins apparente et, même après une étude attentive et honnête, ne voit pas comment cette incohérence pourrait être annulée. En vertu du principe essentiel de la cohérence du Magistère, la Fraternité Saint-Pie X en conclut (de manière provisoire, en attendant des éclaircissements toujours possibles) que ces textes plus récents émanés des autorités ecclésiastiques ne peuvent appartenir, et donc n’appartiennent pas, en fait, au Magistère assisté de l’Esprit-Saint, même si certaines formulations ambiguës pourraient le faire accroire.
De plus, parce que ces textes plus récents émanés des autorités ecclésiastiques ne peuvent être harmonisés avec les textes antérieurs et certains du Magistère, la Fraternité Saint-Pie X, en vertu de la continuité qui est un attribut essentiel de ce même Magistère, affirme que ces textes plus récents ne doivent pas être suivis, puisque leur acceptation mettrait le catholique dans la tragique nécessité de choisir entre une affirmation certaine du Magistère et un texte ponctuel d’une autorité ecclésiastique (même respectable) qui contredit cette affirmation certaine du Magistère.
Telle est « l’approche » de principe, par la Fraternité Saint-Pie X, de ces difficiles problèmes posés à la conscience catholique et à l’Église en général en raison des nouveautés apparues dans le sillage du concile Vatican II. C’est à cette lumière que, dans notre prochain numéro, nous examinerons la question de l’œcuménisme après Vatican II.
Source : Lettre à nos frères prêtres n° 64 de décembre 2014