Dons de Dieu ?

« Qu’ils soient un ! » Cette prière de Notre-​Seigneur à son Père, juste avant de souf­frir sa Passion, est cer­tai­ne­ment chère au cœur de tout catholique. 

Elle l’était aux Pères du Ier Concile du Vatican, qui la mirent en tête de la pre­mière consti­tu­tion dog­ma­tique, Pastor æter­nus ; elle l’était encore au Pape Pie XII, quand, ayant expo­sé en son ency­clique Mystici Corporis la doc­trine catho­lique sur l’Église, il priait pour ceux qui n’y étaient point encore rat­ta­chés. Qu’un tel désir anime le cœur du Souverain Pontife ne sau­rait donc nous éton­ner ; mais que ce désir amène celui-​ci à consi­dé­rer « les chré­tiens d’autres confes­sions, avec leurs tra­di­tions, avec leur his­toire », comme « des dons de Dieu »[1], voi­là qui a de quoi sur­prendre. Sur quels prin­cipes le Pape appuie-​t-​il cette affir­ma­tion ? Peut-​on vrai­ment la conci­lier avec l’enseignement tra­di­tion­nel de l’Église ?

Raisonnement du Pape

Si le Pape consacre l’essentiel de sa caté­chèse à mon­trer que « l’unité est avant tout un don, une grâce à deman­der par la prière », c’est dans sa conclu­sion qu’il expose le rai­son­ne­ment condui­sant à l’affirmation énon­cée ci-​avant : « Le thème de cette Semaine de prière concerne pré­ci­sé­ment l’amour : “Demeurez dans mon amour et vous por­te­rez du fruit en abon­dance” (cf. Jn 15, 5–9). La racine de la com­mu­nion est l’amour du Christ, qui nous fait dépas­ser les pré­ju­gés pour voir dans l’autre un frère et une sœur qu’il faut tou­jours aimer. 

Alors nous décou­vrons que les chré­tiens d’autres confes­sions, avec leurs tra­di­tions, avec leur his­toire, sont des dons de Dieu, sont des dons pré­sents sur les ter­ri­toires de nos com­mu­nau­tés dio­cé­saines et parois­siales. Commençons à prier pour eux et, quand cela est pos­sible, avec eux. Nous appren­drons ain­si à les aimer et à les appré­cier. La prière, rap­pelle le Concile, est l’âme de tout le mou­ve­ment œcu­mé­nique (cf. Unitatis redin­te­gra­tio, n. 8). Que la prière soit donc le point de départ pour aider Jésus à réa­li­ser son rêve : que tous soient un. »

L’amour du Christ nous fait voir dans l’autre un frère et une sœur qu’il faut aimer

Cette affir­ma­tion repose sur le pré­sup­po­sé que nous sommes tous frères dans le Christ. L’autre dont il est ici ques­tion est au pre­mier chef, dans le contexte de cette caté­chèse, le bap­ti­sé non catho­lique : « cela vaut tout d’abord entre les chré­tiens », a dit plus haut le Souverain Pontife, et c’est bien d’œcuménisme qu’il nous parle en ce dis­cours. Néanmoins, cette affir­ma­tion s’étend aus­si à tout homme, et peut recou­vrir ain­si plus lar­ge­ment ce qu’il est conve­nu d’appeler le dia­logue inter­re­li­gieux : en effet, « la racine de nom­breuses divi­sions qui sont autour de nous – entre les per­sonnes, en famille, dans la socié­té, entre les peuples et aus­si entre les croyants – est en nous ». Les non-​baptisés, s’ils ne sont pas l’objet pre­mier des pro­pos du Pape, n’en sont donc pas exclus.

L’idée ain­si expri­mée d’une uni­té plus ou moins réa­li­sée entre les chré­tiens d’abord, puis entre tous les hommes, est tota­le­ment cohé­rente avec l’enseignement du concile Vatican II : « “Image du Dieu invi­sible” (Col. 1, 15), [le Christ] est l’Homme par­fait qui a res­tau­ré dans la des­cen­dance d’Adam la res­sem­blance divine, alté­rée dès le pre­mier péché. Parce qu’en lui la nature humaine a été assu­mée, non absor­bée, par le fait même, cette nature a été éle­vée en nous aus­si à une digni­té sans égale. Car, par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni Lui-​même à tout homme. »[2]

La consti­tu­tion dog­ma­tique sur l’Église pré­cise, dans cette optique, la nature et le rôle de l’Église : celle-​ci est défi­nie comme « étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacre­ment, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain. »[3] Le but de l’Église est donc « que tous les hommes, désor­mais plus étroi­te­ment unis entre eux […] réa­lisent éga­le­ment leur pleine uni­té dans le Christ. »[4] L’unité dont il est ques­tion est certes, pour une part, un but à réa­li­ser ; mais elle est en fait déjà com­men­cée. En effet, la consti­tu­tion dis­tingue, en ses numé­ros 14 à 16, comme trois degrés d’appartenance à l’Église :

  • les catho­liques, qui « sont incor­po­rés plei­ne­ment à la socié­té qu’est l’Église » ;
  • les bap­ti­sés non catho­liques , avec les­quels « l’Église se sait unie pour de mul­tiples rai­sons. […] À cela s’ajoute la com­mu­nion dans la prière et dans les autres bien­faits spi­ri­tuels, bien mieux, une véri­table union dans l’Esprit Saint » ;
  • les non-​chrétiens : « Enfin, pour ceux qui n’ont pas encore reçu l’Évangile, sous des formes diverses, eux aus­si sont ordon­nés au Peuple de Dieu. »

On remar­que­ra le choix des termes pour dési­gner ces divers degrés d’union : si les catho­liques sont incor­po­rés à la socié­té qu’est l’Église, les autres chré­tiens ont avec elle une com­mu­nion ou une union (objet de l’œcuménisme), cepen­dant que les non-​chrétiens lui sont ordon­nés (fon­de­ment du dia­logue interreligieux).

Comment cepen­dant expli­quer cette com­mu­nion des héré­tiques et schis­ma­tiques avec l’Église catho­lique ? Le pro­tes­tant ou l’orthodoxe à qui l’on dirait qu’il appar­tient à l’Église catho­lique ne serait-​il pas le pre­mier à récu­ser cette affir­ma­tion ? C’est ici qu’intervient la dis­tinc­tion entre l’Église catho­lique, socié­té visible et hié­rar­chique, et l’Église du Christ, son corps mys­tique. Si Lumen Gentium com­mence par affir­mer, en son numé­ro 8, que « cette socié­té orga­ni­sée hié­rar­chi­que­ment d’une part et le corps mys­tique d’autre part […] ne doivent pas être consi­dé­rées comme deux choses, elles consti­tuent au contraire une seule réa­li­té com­plexe, faite d’un double élé­ment humain et divin », elle apporte cepen­dant la pré­ci­sion sui­vante : « Cette Église comme socié­té consti­tuée et orga­ni­sée en ce monde, c’est dans l’Église catho­lique qu’elle sub­siste[5], gou­ver­née par le suc­ces­seur de Pierre et les évêques qui sont en com­mu­nion avec lui, bien que des élé­ments nom­breux de sanc­ti­fi­ca­tion et de véri­té se trouvent hors de sa sphère, élé­ments qui, appar­te­nant pro­pre­ment par le don de Dieu à l’Église du Christ, portent par eux-​mêmes à l’unité catholique. »

Les élé­ments évo­qués en ce pas­sage per­met­tront, dès lors, d’affiner les degrés de cette com­mu­nion avec l’Église catho­lique, comme le pré­cise la Congrégation pour la Doctrine de la Foi : « Il existe donc une unique Église du Christ, qui sub­siste dans l’Église catho­lique, gou­ver­née par le suc­ces­seur de Pierre et les Évêques en com­mu­nion avec lui. Les Églises qui, quoique sans com­mu­nion par­faite avec l’Église catho­lique, lui res­tent cepen­dant unies par des liens très étroits comme la suc­ces­sion apos­to­lique et l’Eucharistie valide, sont de véri­tables Églises par­ti­cu­lières. Par consé­quent, l’Église du Christ est pré­sente et agis­sante dans ces Églises, mal­gré l’absence de la pleine com­mu­nion avec l’Église catho­lique, pro­vo­quée par leur non-​acceptation de la doc­trine catho­lique du Primat, que l’Évêque de Rome, d’une façon objec­tive, pos­sède et exerce sur toute l’Église confor­mé­ment à la volon­té divine.

En revanche, les Communautés ecclé­siales qui n’ont pas conser­vé l’épiscopat valide et la sub­stance authen­tique et inté­grale du mys­tère eucha­ris­tique, ne sont pas des Églises au sens propre ; tou­te­fois, les bap­ti­sés de ces Communautés sont incor­po­rés au Christ par le bap­tême et se trouvent donc dans une cer­taine com­mu­nion, bien qu’imparfaite, avec l’Église. »[6]

En défi­ni­tive, cette “fra­ter­ni­té” en dégra­dé, sup­po­sé­ment fon­dée sur le Christ, mais plus ou moins par­faite selon les cas, est par­fai­te­ment résu­mée par le Compendium du caté­chisme de l’Église catho­lique, publié en 2005 sous l’autorité du Pape Benoît XVI :

Qui fait par­tie de l’Église catho­lique ?
Tous les hommes, sous diverses formes, appar­tiennent ou sont ordon­nés à l’unité catho­lique du peuple de Dieu. Est plei­ne­ment incor­po­ré à l’Église catho­lique celui qui, ayant l’Esprit du Christ, est uni à elle par les liens de la pro­fes­sion de foi, des sacre­ments, du gou­ver­ne­ment ecclé­sias­tique et de la com­mu­nion. Les bap­ti­sés qui ne réa­lisent pas plei­ne­ment cette uni­té catho­lique sont dans une cer­taine com­mu­nion, bien qu’imparfaite, avec l’Église catholique.

Compendium, q. 168.

Les chrétiens des autres confessions sont donc des dons de Dieu

Remarquons dès l’abord un point impor­tant : cette affir­ma­tion ne concerne pas seule­ment la per­sonne des chré­tiens sépa­rés, mais bien aus­si « leurs tra­di­tions, leur his­toire ». Il faut donc inclure, dans ces dons de Dieu loués par le Pape, l’enseignement et le culte des héré­tiques ou schis­ma­tiques. Là encore, rien ici qui ne soit conforme à la doc­trine du concile, expri­mée par­ti­cu­liè­re­ment dans le décret sur l’œcuménisme : repre­nant et expli­ci­tant la dis­tinc­tion entre l’Église du Christ et l’Église catho­lique, celui-​ci détaille les élé­ments qui unissent les frères sépa­rés et l’Église : « De plus, par­mi les élé­ments ou les biens par l’ensemble des­quels l’Église se construit et est vivi­fiée, plu­sieurs et même beau­coup, et de grande valeur, peuvent exis­ter en dehors des limites visibles de l’Église catho­lique : la Parole de Dieu écrite, la vie de grâce, la foi, l’espérance et la cha­ri­té, d’autres dons inté­rieurs du Saint-​Esprit et d’autres élé­ments visibles. Tout cela, qui pro­vient du Christ et conduit à lui, appar­tient de droit à l’unique Église du Christ. […]

En consé­quence, ces Églises et com­mu­nau­tés sépa­rées, bien que nous croyions qu’elles souffrent de défi­ciences, ne sont nul­le­ment dépour­vues de signi­fi­ca­tion et de valeur dans le mys­tère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se ser­vir d’elles comme de moyens de salut, dont la ver­tu dérive de la plé­ni­tude de grâce et de véri­té qui a été confiée à l’Église catho­lique. »[7]

Cette der­nière pré­ci­sion sou­lève cepen­dant une ques­tion : puisque l’Église catho­lique s’est vu confier « la plé­ni­tude de grâce et de véri­té », pour­quoi devrions-​nous consi­dé­rer les frères sépa­rés comme des « dons de Dieu » ? En d’autres termes, que nous apportent-​ils que nous ne pos­sé­dions déjà ? Il faut sou­li­gner ici un élé­ment impor­tant, dans la phrase du Pape citée plus haut : « la racine de nom­breuses divi­sions qui sont autour de nous – […] entre les peuples et aus­si entre les croyants – est en nous. » L’idée sous-​jacente est celle de la res­pon­sa­bi­li­té par­ta­gée dans « le scan­dale des divi­sions entre les croyants en Jésus » : idée fon­dée sur l’affirmation sui­vante du concile : « bien que l’Église catho­lique ait été dotée de la véri­té révé­lée par Dieu ain­si que de tous les moyens de grâce, néan­moins ses membres n’en vivent pas avec toute la fer­veur qui convien­drait. Il en résulte que le visage de l’Église res­plen­dit moins aux yeux de nos frères sépa­rés ain­si que du monde entier, et la crois­sance du Royaume de Dieu en est entra­vée. »[8] Dès lors, la conscience de leur propre misère, asso­ciée à l’idée que l’Esprit-Saint agit dans les com­mu­nau­tés sépa­rées, doit ame­ner les fidèles à cette consi­dé­ra­tion bien­veillante : prin­cipe là encore fort bien résu­mé dans le Compendium :

Comment consi­dé­rer les chré­tiens non catho­liques ?
Dans les Églises et Communautés ecclé­siales, qui se sont sépa­rées de la pleine com­mu­nion de l’Église catho­lique, se ren­contrent de nom­breux élé­ments de sanc­ti­fi­ca­tion et de véri­té. Tous ces élé­ments de bien pro­viennent du Christ et tendent vers l’unité catho­lique. Les membres de ces Églises et Communautés sont incor­po­rés au Christ par le Baptême ; nous les recon­nais­sons donc comme des frères.

Compendium, n. 163.

L’unité de l’Église est un idéal à poursuivre, non un bien acquis à conserver

Cette idée res­sort de la der­nière phrase du Pape en sa caté­chèse : « Que la prière soit donc le point de départ pour aider Jésus à réa­li­ser son rêve : que tous soient un. » Il découle en effet de la notion de com­mu­nion impar­faite, telle que nous l’avons détaillée plus haut, que l’unité de l’Église est, en défi­ni­tive, iden­ti­fiée avec l’unité du genre humain tout entier. Ceci res­sort clai­re­ment des deux ques­tions sui­vantes du Compendium :

Que signi­fie pour l’Église être sacre­ment uni­ver­sel du salut ?
Cela signi­fie qu’elle est signe et ins­tru­ment de la récon­ci­lia­tion et de la com­mu­nion de toute l’humanité avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain.
Pourquoi l’Église est-​elle une ?
L’Église est une, parce qu’elle a comme ori­gine et comme modèle l’unité d’un seul Dieu, dans la Trinité des Personnes ; comme fon­da­teur et comme tête, Jésus Christ, qui ras­semble tous les peuples dans l’unité d’un seul corps […].

Compendium, q. 152 et 161.

Si la notion de com­mu­nion impar­faite per­met de consi­dé­rer cette union comme com­men­cée, il est évident que l’unité effec­tive de « tous les peuples » demeure un idéal loin­tain, et en défi­ni­tive escha­to­lo­gique. Le Compendium indique les moyens sui­vants pour en hâter l’accomplissement :

Comment s’engager en faveur de l’unité des chré­tiens ?
Le désir de réta­blir l’union entre tous les chré­tiens est un don du Christ et un appel de l’Esprit Saint. Il concerne toute l’Église et il s’accomplit par la conver­sion du cœur, la prière, la connais­sance fra­ter­nelle réci­proque, le dia­logue théologique.

Compendium, q. 164.[9]

Principes de réponse

La charité envers les non-catholiques

Il est bien cer­tain, comme l’expose S. Thomas, que notre cha­ri­té doit s’étendre à tous, même nos enne­mis et même les pécheurs[10] ; seuls les démons et les dam­nés, étant défi­ni­ti­ve­ment exclus de la par­ti­ci­pa­tion de la béa­ti­tude, fon­de­ment de la cha­ri­té, en sont exclus.[11] St Augustin nous en aver­tit : « Bien sou­vent, quand il te semble haïr un enne­mi, c’est un frère que tu hais, et tu l’ignores. »[12] Mais cette cha­ri­té même nous invite à reprendre le mal chez le pro­chain : « Or, enle­ver un mal à quelqu’un est un acte de même valeur que lui pro­cu­rer un bien. Et cela est un acte de la cha­ri­té, qui nous pousse à vou­loir et à faire du bien à notre ami. C’en est donc un aus­si de cor­ri­ger son frère, car par là nous lui ôtons son mal, c’est-à-dire son péché. »[13]

C’est bien d’une telle cha­ri­té que Pie XII nous montre l’exemple, réfu­tant par avance la dis­tinc­tion cap­tieuse entre Église du Christ et Église catholique : 

Par consé­quent, comme dans l’assemblée véri­table des fidèles il n’y a qu’un seul Corps, un seul Esprit, un seul Seigneur et un seul Baptême, ain­si ne peut-​il y avoir qu’une seule foi (cf. Eph. IV, 5.); et celui qui refuse d’écouter l’Église doit être consi­dé­ré, d’après l’ordre du Seigneur, comme un païen et un publi­cain (Mt. XVIII, 17.). Et ceux qui sont divi­sés pour des rai­sons de foi ou de gou­ver­ne­ment ne peuvent vivre dans ce même Corps ni par consé­quent de ce même Esprit divin.

Pie XII, Mystici Corporis.[14]

La causalité de Dieu vis-​à-​vis des séparés

Que tout bien vienne de Dieu, c’est là une cer­ti­tude. S. Thomas montre que Dieu est cause de tout être et de tout bien, y com­pris celui qui est mêlé à un acte mau­vais, mais qu’il n’en est pas pour autant cause du péché : « de même que le fait de boi­ter est attri­bué à la défor­ma­tion de la jambe, et non à la facul­té motrice, de laquelle vient cepen­dant tout ce qu’il y a encore de mou­ve­ment dans la démarche boi­teuse, Dieu est cause de l’acte du péché, et cepen­dant n’est pas cause du péché parce qu’il n’est pas cause qu’il y ait un défaut dans l’acte. »[15] Il est donc pure­ment et sim­ple­ment faux de consi­dé­rer « les tra­di­tions et l’histoire » des héré­tiques et des schis­ma­tiques comme des « dons de Dieu » ; quant aux héré­tiques ou schis­ma­tiques eux-​mêmes, Dieu ne nous les donne que pour les conver­tir. Telle est bien la pen­sée de St Augustin, com­men­tant l’ordre que Dieu donne à Abraham de « chas­ser l’esclave et son fils » :

L’Église dit aus­si : Chasse les héré­sies et leurs adeptes ; car les héré­tiques n’hériteront pas avec les catho­liques. Mais pour­quoi n’hériter pas ? Ne sont-​ils point de la race d’Abraham ? N’ont-ils pas le Baptême de l’Église ? Ils ont le Baptême, et issus d’Abraham ils en seraient les héri­tiers ; si leur orgueil ne les excluait de cet héri­tage. Tu nais de la même parole, du même sacre­ment ; mais tu ne par­vien­dras au même héri­tage de l’éternelle vie qu’à la condi­tion de ren­trer dans l’Église catho­lique. Tu es de la race d’Abraham ; mais loin d’ici le fils de la ser­vante à cause de son orgueil.

St Augustin, Sermon III, RJ 1492.

L’unité de l’Église est un fait ; aux séparés de la rejoindre

Cette erreur est réprou­vée en propres termes par Pie XI : 

Les auteurs de ce pro­jet ont pris l’habitude d’alléguer, presque à l’infini, les paroles du Christ : “Qu’ils soient un… Il n’y aura qu’un ber­cail et qu’un pas­teur” (Jn XVII, 21 ; X, 15), mais en vou­lant que, par ces mots, soient signi­fiés un vœu et une prière du Christ Jésus qui, jusqu’à ce jour, auraient été pri­vés de résul­tat […] que cette uni­té peut, certes, être sou­hai­tée et qu’elle sera peut-​être un jour éta­blie par une entente com­mune des volon­tés, mais qu’il faut entre-​temps la tenir pour une sorte de rêve. […]
On com­prend donc, Vénérables Frères, pour­quoi ce Siège Apostolique n’a jamais auto­ri­sé ses fidèles à prendre part aux congrès des non-​catholiques : il n’est pas per­mis, en effet, de pro­cu­rer la réunion des chré­tiens autre­ment qu’en pous­sant au retour des dis­si­dents à la seule véri­table Église du Christ, puisqu’ils ont eu jadis le mal­heur de s’en sépa­rer.
Le retour à l’unique véri­table Église, disons-​Nous, bien visible à tous les regards, et qui, par la volon­té de son Fondateur, doit res­ter per­pé­tuel­le­ment telle qu’il l’a ins­ti­tuée lui-​même pour le salut de tous. Car jamais au cours des siècles, l’Épouse mys­tique du Christ n’a été souillée, et elle ne pour­ra jamais l’être.

Pie XI, Mortalium ani­mos.

Quant aux défaillances des membres de l’Église, voi­ci ce qu’en dit Pie XII : 

Le Christ, en effet, comme Nous l’avons dit, n’a pas vou­lu que les pécheurs fussent exclus de la socié­té for­mée par lui […]. Ce n’est cepen­dant pas à elle qu’il faut repro­cher les fai­blesses et les bles­sures de cer­tains de ses membres, au nom des­quels elle-​même demande à Dieu tous les jours : Pardonnez-​nous nos offenses, et au salut spi­ri­tuel des­quels elle se consacre sans relâche, avec toute la force de son amour maternel.

Pie XII, Mystici Corporis.

Le Pape Pie XI, dans son ency­clique Mortalium ani­mos, nous don­ne­ra la conclu­sion de cette analyse :

En véri­té, nous ne savons pas com­ment, à tra­vers une si grande diver­gence d’opinions, la voie vers l’unité de l’Église pour­rait être ouverte, quand cette uni­té ne peut naître que d’un magis­tère unique, d’une règle unique de foi et d’une même croyance des chré­tiens. En revanche, nous savons très bien que, par là, une étape est faci­le­ment fran­chie vers la négli­gence de la reli­gion ou indif­fé­ren­tisme et vers ce qu’on nomme le moder­nisme, dont les mal­heu­reuses vic­times sou­tiennent que la véri­té des dogmes n’est pas abso­lue, mais rela­tive, c’est-à-dire qu’elle s’adapte aux besoins chan­geants des époques et des lieux et aux diverses ten­dances des esprits, puisqu’elle n’est pas conte­nue dans une révé­la­tion immuable, mais qu’elle est de nature à s’accommoder à la vie des hommes.

Ne crai­gnons donc pas, en pro­fes­sant notre foi dans l’Église une, sainte, catho­lique et apos­to­lique, de le faire dans les termes de S. Clément d’Alexandrie, au com­men­ce­ment du 3e siècle :

Il n’y a qu’une seule Église véri­table, l’Église, à laquelle appar­tient à juste titre l’antériorité, et dans le cata­logue de laquelle sont ins­crits ceux qui sont justes avec la ferme volon­té de l’être. […]L’Église qui est une et que les héré­tiques essaient de divi­ser vio­lem­ment en une mul­ti­tude, s’unit donc insé­pa­ra­ble­ment dans l’individualité d’une seule et même nature.

S. Clément d’Alexandrie, Stromata, RJ 435.

Abbé Jacques Peron

Œcuménisme

Source : Courrier de Rome n° 641

Notes de bas de page
  1. Pape François, Audience géné­rale à l’occasion de la semaine pour l’unité des chré­tiens, 20 jan­vier 2021.[]
  2. Gaudium et spes, n. 22.[]
  3. Lumen Gentium, n.1[]
  4. Ibid.[]
  5. Pour une ana­lyse plus détaillée de ce terme, nous ren­voyons le lec­teur au Courrier de Rome n. 339 (décembre 2010).[]
  6. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Dominus Iesus, 6 août 2000.[]
  7. Unitatis redin­te­gra­tio, n. 3.[]
  8. Unitatis redin­te­gra­tio, n. 4.[]
  9. On remar­que­ra que le Pape François accorde bien peu d’importance au der­nier de ces moyens : « l’unité ne peut venir que comme fruit de la prière. Les efforts diplo­ma­tiques et les dia­logues aca­dé­miques ne suf­fisent pas. »[]
  10. IIa IIæ, q. 25 a. 6 et 7.[]
  11. Ibid. a. 11.[]
  12. Commentaire sur le Ps. 54, repris dans les leçons des Ténèbres du Jeudi Saint.[]
  13. IIa IIæ, q. 33 a. 1.[]
  14. Voir aus­si Pie IX, Jam vos omnes, 13 sep­tembre 1868.[]
  15. Ia IIæ, q. 79 a. 2.[]