Vingt ans après

Ce 30 juin 1988, le cham­pagne cou­lait de part et d’autre, quoique fort dif­fé­rem­ment. Au sens lit­té­ral du terme, plu­sieurs évêques de France se retrou­vaient autour du car­di­nal Lustiger pour arro­ser ce qu’ils consi­dé­raient comme la fin du « mou­ve­ment lefeb­vriste », et par là même de toute résis­tance tra­di­tion­nelle. Ils buvaient au triomphe du moder­nisme. Tout autre était l’allégresse d’Ecône. S’il fal­lait y par­ler d’ivresse, c’est de l’ivresse spi­ri­tuelle des apôtres au jour de la Pentecôte dont il s’agissait. Sur la célèbre pelouse d’Ecône venait de se réa­li­ser « l’opération sur­vie » de la Tradition, de cet immense tré­sor de l’Eglise mena­cé par la crise moder­niste. Monseigneur Lefebvre venait de sacrer quatre évêques, mal­gré l’absence de man­dat apostolique.

Vingt ans après… Vingt ans n’est rien devant l’histoire de l’Eglise. C’est à l’échelle du siècle que se mesurent les mou­ve­ments ecclé­siaux. Et pour­tant. Vingt ans après, que de fruits magni­fiques issus de cet ins­tant ! La seule Fraternité Saint-​Pie X est déjà une belle cou­ronne pour l’évêque consé­cra­teur. Les pré­ten­dus « spé­cia­listes » de l’époque consi­dé­raient que ladite Fraternité se rédui­rait de moi­tié, et ne sur­vi­vrait point à la mort de son fon­da­teur. L’exact inverse s’est pro­duit. La Fraternité Saint-​Pie X qui comp­tait alors moins de 200 prêtres en dénombre aujourd’hui quelque 480, et ses 76 mai­sons d’alors sont deve­nues 154. Ces fruits sont impor­tants, il sont une gloire pour l’Eglise.

L’exact inverse s’est pro­duit. La Fraternité Saint-​Pie X qui comp­tait alors moins de 200 prêtres en dénombre aujourd’hui quelque 480, et ses 76 mai­sons d’alors sont deve­nues 154.

Du geste de Mgr Lefebvre, beau­coup sont encore rede­vables. Même s’ils ont par­fois ten­dance à l’oublier, nombre d’Instituts ou de Fraternités lui doivent vie. Qu’ils s’appellent Fraternité Saint Pierre, Institut du Christ Roi ou encore du Bon Pasteur, nul n’aurait d’existence sans les sacres. Certes, ces Instituts ne com­battent pas autant qu’ils le pour­raient – et devraient – pour le bien de l’Eglise. De Mgr Lefebvre, ils ont héri­té la fidé­li­té à la Messe tra­di­tion­nelle, mais non son amour vrai et plei­ne­ment enga­gé pour le bien de l’Eglise. Le déplo­rer n’empêche pas de recon­naître que ces Instituts font quelque bien, et ce bien est à pla­cer au pal­ma­rès des sacres. Sans ces sacres enfin, point de Motu Proprio, point de recon­nais­sance du droit pérenne de la Messe de tou­jours, point de Messe tra­di­tion­nelle accor­dée à toute l’Eglise. Il n’a pas man­qué de car­di­naux pour le reconnaître.

Vingt ans. Vingt ans seule­ment et déjà tant de fruits ! Il importe de s’en réjouir. Il importe aus­si au plus haut point de réa­li­ser que ce ne sont là que des pré­misses. En son amour pour l’Eglise, Mgr Lefebvre ne vou­lait pas seule­ment que Rome retrouve sa litur­gie. Il vou­lait qu’elle renoue avec sa doc­trine, avec sa fier­té d’épouse unique du Christ, avec son rayon­ne­ment apos­to­lique sur les Cités. Autant de fruits dont il reste à pré­pa­rer l’avènement. La tâche est belle, mais l’homme n’y œuvre­ra effi­ca­ce­ment qu’à la mesure de son amour pour l’Eglise. A l’instar de Mgr Lefebvre.

Le dos­sier qui suit [ Voir ICI ] n’est donc pas fait de nos­tal­gie. Appuyé sur les grands textes de l’époque, il entend reprendre les prin­ci­paux argu­ments qui pous­sèrent Mgr Lefebvre à sa déci­sion héroïque. Qu’ils soient his­to­riques, théo­lo­giques, moraux ou cano­niques, ces argu­ments doivent deve­nir nôtres. C’est que la tâche, inache­vée, a été remise entre cha­cune de nos mains. Nous ne la mène­rons à bien qu’autant que nous serons ani­més du même amour éclai­ré de l’Eglise. Puisse donc cette lec­ture ins­truire et enflam­mer les nou­velles géné­ra­tions, ravi­ver l’idéal de ceux qui ont vécu ces grands moments.

Si le grain ne meurt, il demeure seul ; s’il meurt, il porte beau­coup de fruits (Jn 12, 24). Pour por­ter ces fruits, il fal­lut que Mgr Lefebvre meure aux yeux des hommes. Les sacres furent pour lui l’acte de mort de sa répu­ta­tion comme de son hon­neur ecclé­sias­tique, aux yeux de ses pairs comme à ceux de cette Rome tant aimée. Les hommes l’excommunièrent, le ban­nirent, le mépri­sèrent. Pour avoir réa­li­sé ses sacres épis­co­paux. Viendra le jour où l’Eglise recon­naî­tra à la face du monde ce que fut cet acte : un acte héroïque d’amour de l’Eglise, fruit d’une foi inébran­lable, d’une obéis­sance auda­cieuse. Pour ce seul acte, l’Eglise pour­rait éle­ver Mgr Lefebvre sur ses autels. Elle le fera, j’en suis sûr. Dans vingt ans ?

Abbé Patrick de LA ROCQUE

Extrait de La Croix de Saint-​Gilles – Numéro hors série

FSSPX

M. l’ab­bé Patrick de la Rocque est actuel­le­ment prieur de Nice. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions théo­lo­giques avec Rome entre 2009 et 2011.