Le lien officiel à la Rome moderniste n’est rien à côté de la préservation de la foi
Mgr Marcel Lefebvre
ON LIRA ci-après un extrait de la Vie de Monseigneur Lefebvre par Mgr. Tissier de Mallerais (Clovis, 2002, p. 587–590) relatant le « petit concile de la tradition » que notre fondateur réunit le 30 mai 1988 à Notre-Dame-du-Pointet. Il voulut faire cette ultime consultation avant de décider, avec toute la prudence nécessaire, le sacre des quatre évêques de la Tradition.
L’auteur fait ressortir le principe lumineux qui guida Monseigneur dans sa décision : « Le lien officiel à la Rome moderniste n’est rien à côté de la préservation de la foi ».
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Vingt ans après, dans sa Lettre aux Amis et Bienfaiteurs n° 72 du 14 avril 2008, Mgr. Fellay affirme le même principe en analysant la situation de l’Eglise après le Motu Proprio du 7 juillet 2007 sur la messe : « (…) quelques évènements indiquent bien clairement qu’à part l’ouverture liturgique du Motu Proprio, rien n’a vraiment changé (…) ».
« Le principe fondamental qui dicte notre action est la conservation de la foi, sans laquelle nul ne peut être sauvé, nul ne peut recevoir la grâce, nul ne peut être agréable à Dieu, comme le dit le concile Vatican I. La question liturgique n’est pas première, elle ne le devient que comme expression d’une altération de la foi et, corrélativement, du culte dû à Dieu ». (…)
« Tous les changements introduits au concile et dans les réformes post-conciliaires que nous dénonçons, parce que l’Eglise les a précisément déjà condamnés, sont confirmés. (…) il faut conclure que rien n’a changé dans la volonté de Rome de poursuivre les orientations conciliaires, malgré quarante années de crise (…).
« Voici pourquoi la Fraternité Saint-Pie X ne peut pas « signer d’accord ». (…) Sans désespérer, sans impatience, nous constatons que le temps d’un accord n’est pas encore venu. (…) Il serait très imprudent et précipité de se lancer inconsidérément dans la poursuite d’un accord pratique qui ne serait pas fondé sur les principes fondamentaux de l’Eglise, tout spécialement sur la foi ».
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Le 2 juin 1988, au lendemain de la réunion du Pointet, Mgr. Lefebvre écrivait à Jean-Paul II : « Étant donné le refus de considérer nos requêtes et étant évident que le but de cette réconciliation n’est pas du tout le même pour le Saint-Siège que pour nous, nous croyons préférable d’attendre des temps plus propices au retour de Rome à la Tradition » (…)
« Nous continuerons de prier pour que la Rome moderne, infestée de modernisme, redevienne la Rome catholique et retrouve sa Tradition bimillénaire. »
C’est bien à la même intention que notre Supérieur Général nous invite à prier Notre-Dame, en conclusion de sa lettre du 14 avril : « La nouvelle croisade du Rosaire à laquelle nous vous appelons, pour que l’Eglise retrouve et reprenne sa Tradition bimillénaire appelle aussi quelques précisions »
« Voici comment nous la concevons : que chacun s’engage à réciter un chapelet à une heure assez régulière du jour. Vu le nombre de nos fidèles et leur répartition dans le monde entier, nous pouvons être assurés que toutes les heures du jour et de la nuit auront leurs voix vigilantes et orantes, de ces voix qui veulent le triomphe de leur Mère céleste, l’avènement du règne de Notre Seigneur, « sur la terre comme au Ciel ».
En ce mois de Marie, pour l’amour de la Rome éternelle, ayons à cœur de répondre généreusement à l’appel de Mgr. Fellay ! Cette croisade de prière nous prépare à la persévérance pour un combat qui doit durer.
La réunion historique du 30 mai 1988 au Pointet [1]
e même que le prélat a consulté en 1984 au sujet de la « messe de l’induIt » les « chefs de file » de la résistance ecclésiastique : Mgr Ducaud-Bourget, le père André, l’abbé Coache, le père Vinson, dom Guillou, etc., de même il décide de convoquer au prieuré Notre-Dame-du-Pointet, le 30 mai, les prêtres grands défenseurs de la foi et les supérieurs des communautés amies de religieux et religieuses.
« J’incline, leur déclare-t-il alors, à sacrer de toute façon quatre évêques le 30 juin. Mon âge, ma santé défaillante me poussent à assurer la sauvegarde non de « mon œuvre », mais de cette petite entreprise de restauration du sacerdoce et de préservation de la foi catholique avant que le bon Dieu ne me rappelle à lui, en transmettant l’épiscopat à « des évêques libres de faire revivre la foi », « dans un milieu entièrement dégagé des erreurs modernes », comme je l’ai écrit à Jean-Paul II le 20 mai. Je vous demande votre avis. »
Chacun est touché de cette marque d’attention, de ce souci de communication, de ce désir de dégager un consensus des vétérans comme des jeunes responsables religieux. Tous comprennent l’importance de cette consultation qui doit assurer qu’après les sacres, lorsque les sanctions et les vocables infamants tomberont, le front commun de la Tradition tiendra bon.
L’abbé du Chalard, d’Albano, transmet par téléphone le texte de la lettre du cardinal Ratzinger du jour même : les candidats proposés par Mgr Lefebvre ne plaisent pas. Ils n’ont pas « le profil ». Rome va-t‑elle trouver dans la Fraternité un épiscopable ayant le profil, c’est-à‑dire conciliant, faible, libéral à souhait ? La menace n’est pas illusoire, Monsignore Perl s’est soigneusement informé à ce sujet lors de la visite apostolique.
Des avis divergeants
Alors, chacun des participants de ce petit concile de la Tradition livre franchement son opinion.
L’abbé Lecareux, les capucins, l’abbé Coache et l’abbé Tissier de Mallerais se prononcent pour l’accord. Dom Gérard également :
– « Si une rupture intervenait, dit-il, nous deviendrions sociologiquement une secte, comme les « petites Eglises », dont on ne revient jamais à la grande Eglise. »
Quant aux dangers évoqués par Monseigneur :
– « A nous de nous défendre ! Ne sous-estimons pas notre force, qui est doctrinale ; et concluons entre nous une charte de charité, un pacte catholique de ne rien faire qui crève le front commun et mette nos frères en désaccord. »
En sens inverse parle le père André :
– « Maintenons nos exigences, sinon gardons notre liberté et supportons les accusations et étiquettes d’excommunication. »
L’abbé Aulagnier, pour sa part, parle le langage de la prudence :
– « A Rome, on a une pensée théologique et philosophique contraire à la pensée de l’Eglise. J’ai peur de cet accord ; je crains la ruse du démon, de l’ennemi. Je ne me vois pas discuter avec Lustiger, Decourtray, le pape d’Assise. L’évêque sacré n’aura pas l’autorité morale. Je crains le Bureau romain. « J’adhère à la Rome catholique, je refuse la Rome moderniste », qui risque d’être le Léviathan qui nous dévore. »
Les sœurs, à leur tour, sont quasi unanimement catégoriques : « Nous ne pouvons plus traiter avec des évêques qui ont perdu la foi », estiment les dominicaines de Fanjeaux ; et celles de Brignoles considèrent que la dépendance à l’égard du Bureau les forcerait « à des contacts avec leurs anciennes congrégations devenues modernistes » et que « c’est impossible ». Les sœurs de la Fraternité évoquent le « risque pour la foi et la cohésion de la Tradition ». Enfin les carmélites jugent que « c’est un cheval de Troie dans la Tradition ».
Un principe lumineux
Mgr Lefebvre, qui a objectivement exposé les avantages et inconvénients de l’accord, montre pour finir où penche la balance. Le principe est lumineux :
« Le lien officiel à la Rome moderniste n’est rien à côté de la préservation de la foi ! »
La réunion se clôt sur l’assurance de tous : – Nous nous en remettrons à la décision de Monseigneur. »
Mais, déjà, dom Gérard prend à part l’archevêque :
– « La condition du monastère est particulière, allègue-t-il, tenter sa normalisation ne crée pas les mêmes dangers que pour la Fraternité. »
Le prélat concède :
– « Vous, ce n’est pas pareil, vous avez vos moines autour de vous, moi j’ai quatre-vingts maisons et cinq cents chapelles, ce serait la division. »
Mais la division, sous-entend l’archevêque, elle sera entre vous et nous. Dom Gérard ne le saisit pas ; oublieux de son propos de pacte et front commun, il va négocier avec les autorités romaines, dès le 21 juin, un accord séparé.
Ayant consulté, Mgr Lefebvre doit maintenant décider. Ainsi le veut la vertu de prudence : être lent dans le conseil et prompt dans la décision. Cette décision, il la prendra seul. Le Vatican va le croire « prisonnier de son entourage » et lui enverra exprès, la veille des sacres, une grande Mercedès à Ecône pour le soustraire à ses prétendus geôliers.
– « C’est étonnant, dira-t-il, que l’on invoque toujours mon entourage, alors que c’est moi qui ai soutenu mon entourage pour aller jusqu’aux sacres. »
C’est vrai : ni le tenace Schmidberger, ni le bouillant Aulagnier n’ont poussé à la roue.
Seul à pouvoir décider
La décision des sacres, Mgr Lefebvre est seul à pouvoir la prendre : imbibé du sens de l’Église dès son séminaire romain, puis en Afrique comme délégué et confident de Pie XII, héraut de la foi durant le concile, qui mieux que lui peut juger de la trahison de la vérité de l’Eglise par l’Autorité ? Évêque catholique, successeur des Apôtres depuis quarante ans, il ressent fortement la responsabilité formidable qui repose sur ses épaules. Il se sent seul en place pour pouvoir estimer que le moyen exceptionnel de salut public qu’il envisage, loin d’être illicite, est légitime et catholique, que l’action, au lieu d’être un péché, sera un acte bon et vertueux, lui qui dira après le sacre :
– « Si j’avais eu conscience de commettre un péché, je ne l’aurais pas fait. »
Aussi, le jour de la Fête-Dieu, 2 juin 1988, écrit-il au pape sa résolution :
« Étant donné le refus de considérer nos requêtes et étant évident que le but de cette réconciliation n’est pas du tout le même pour le Saint-Siège que pour nous, nous croyons préférable d’attendre des temps plus propices au retour de Rome à la Tradition.
« C’est pourquoi nous nous donnerons nous-même les moyens de poursuivre l’œuvre que la Providence nous a confiée, assuré par la lettre de Son Eminence le cardinal Ratzinger datée du 30 mai, que la consécration épiscopale n’est pas contraire à la volonté du Saint-Siège, puisqu’elle est accordée pour le 15 août.
« Nous continuerons de prier pour que la Rome moderne, infestée de modernisme, redevienne la Rome catholique et retrouve sa Tradition bimillénaire. Alors le problème de la réconciliation n’aura plus de raison d’être et l’Eglise retrouvera une nouvelle jeunesse. »
Abbé Philippe François, prieur de Mulhouse
Texte extrait du Bulletin du Prieuré Marie-Reine, 195, rue de Bâle, 68100 Mulhouse - Mai 2008
- Marcel Lefebvre, une vie par Mgr. Tissier de Mallerais (Clovis, 2002, p. 587–590) [↩]