Dans ses relations avec ROME, Mgr Lefebvre n’hésitait pas à employer une méthode toute pragmatique, :
Comme toujours, je pense que les faits sont plus convaincants que les paroles. Il y en a qui me disent : vous pourriez bien faire une grande lettre au Pape… Mais cela fait vingt ans que nous faisons des lettres qui ne servent à rien ! Encore une fois, ce sont les faits qui parlent.
Fideliter 70 p. 15
Ainsi s’exprimait Mgr Lefebvre un an après les sacres. En ce 20ème anniversaire de ce même événement, ne peut-on convenir qu’aujourd’hui encore, les faits donnent raison à Mgr Lefebvre et qu’il a été bien inspiré de se référer à ce genre de preuves comme justification du moyen exceptionnel employé pour sa succession épiscopale ?
L’approbation générale des fidèles
Les conditions tragiques dans lesquelles Mgr Lefebvre a dû procéder à la consécration de 4 jeunes évêques lui faisait craindre « une vague de défections » dans les paroisses tenues par les prêtres de la FSSPX. Sans doute ce regrettable effet d’abandon a bien eu lieu, mais dans « des proportions minimes », contrairement aux 80% de perte qu’annonçait le cardinal Gagnon.
Selon l’adage « Vox populi, Vox Dei », Mgr Lefebvre voyait un signe providentiel dans cette quasi unanimité des fidèles à soutenir son initiative si controversée :
Il est admirable de constater combien finalement les fidèles ont réagi avec un sens extraordinaire du devoir. Ils ont manifesté ainsi qu’ils S avaient véritablement le sens de l’Eglise. Sans doute, y‑a-t-il eu parfois quelques tremblements, quelques hésitations, mais finalement, ils ont parfaitement compris qu’il n’y avait pas d’autre solution que celle que j’avais adoptée. Car s’il n’y avait plus d’évêques, il n’y aurait plus de prêtres, plus rien. Il n’y aurait plus de Tradition.
Fideliter 68 p. 2
Par ailleurs, dès après les sacres, une belle surprise attendait Mgr Lefebvre puisque les quelques défections furent compensées par de nouveaux venus :
Par contre, beaucoup nous ont rejoints, parce qu’ils ont pensé avec juste raison que la continuité est maintenant assurée dans la Fraternité et dans la Tradition. Il y a maintenant des évêques fermes qui gardent la foi
Fideliter 66 p. 31
Paradoxalement, c’est parfois au sein de la FSSPX et plus précisément encore parmi certains membres prêtres que Mgr Lefebvre a été le moins bien compris. Mais comme Dom Guillou le rappelait dans sa lettre célèbre à Dom Gérard, les fidèles sont parfois plus éclairés que leurs pasteurs :
les fidèles qui l’ont spontanément choisi (Mgr Lefebvre) parce qu’ils avaient besoin d’un tel évêque, sentent bien que c’est son sort qui les concerne
Fid. 67 p. 8
La réussite manifeste des œuvres
En invoquant « les faits qui parlent » Mgr Lefebvre pensait surtout aux extensions que tout le monde peut vérifier, non seulement dans la FSSPX mais aussi dans toutes les communautés amies :
quand on ouvre un séminaire, que l’on crée des prieurés, que les Sœurs essaiment et que les couvents se multiplient, cela constitue le seul moyen d’obliger Rome au dialogue. Il ne s’agit pas de ma présence, mais bien des œuvres. Ils se rendent bien compte que ce n’est pas rien. Les évêques s’énervent un peu que l’on s’installe ici ou là. Alors ils se plaignent à Rome et Rome sait.
Fideliter 70, p. 15
Voilà ce qui a engagé Mgr Lefebvre à provoquer une visite canonique des représentants du Pape pour les obliger à juger l’arbre à ses fruits :
J’ai beaucoup insisté auprès de lui (le cardinal Ratzinger) pour que l’on nous visite. J’espérais que cette visite aurait pour résultat de montrer le bienfait du maintien de la Tradition en même temps que d’en constater les effets. Je pensais que cela aurait pu renforcer nos positions à Rome…
Fideliter 70 p. 2
Car jusqu’au bout Mgr Lefebvre comptait pouvoir consacrer des évêques avec l’accord de Rome. Et cet argument des faits semblait avoir réussi à convaincre le cardinal Gagnon qui, à l’issue de sa visite, ne cachait pas sa satisfaction :
Nous avons été frappés, partout, nous gardons une grande admiration pour la piété des personnes, pour l’actualité et l’importance des œuvres … certainement nous avons en main tout ce qu’il faut pour faire un rapport très positif.
Fideliter 62 page 29
Mgr Lefebvre n’a malheureusement jamais reçu le rapport annoncé et le cardinal Gagnon dès son retour à Rome s’est rétracté de manière incompréhensible en prétendant qu’on s’était mépris sur ses déclarations et qu’on avait nourri de faux espoirs.
Avec sa lucidité habituelle, Mgr Lefebvre avertissait que Rome n’était pas prête encore à reconnaître objectivement que les traditionalistes accomplissent véritablement une œuvre d’Eglise :
Je pense qu’il faut attendre – attendre malheureusement que la situation s’aggrave encore de leur côté. Mais jusqu’à présent, ils ne veulent pas en convenir.
Fideliter 70 page 15
La rébellion ouverte des évêques
La publication du Motu Proprio de juillet 2007 a eu aussi pour effet de mettre au grand jour « une crise d’obéissance envers le saint Père que l’on note … dans les rangs les plus élevés de l’Eglise … de la part d’évêques et même de cardinaux ». Un tel constat émane d’un des membres les plus représentatifs du Vatican, Mgr RANJITH, puisqu’il est l’actuel secrétaire de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements.
En effet, à la fin de l’année 2007, dans plusieurs déclarations publiques, jamais démenties depuis, Mgr RANJITH déplore que
dans certains pays et dans certains diocèses, des évêques ont promulgué des règles qui annulent pratiquement ou déforment l’intention du Pape (dans l’application du Motu Proprio)
DICI 166 page 9
Mgr RANJITH n’hésite pas à dénoncer la cause profonde d’une telle attitude :
ces actions cachent en fait d’une part des préjugés d’ordre idéologique et d’autre part de l’orgueil, l’un des péchés les plus graves
DICI 166 page 10
Enfin Mgr RANJITH engage les coupables à faire repentance :
Franchement, je ne comprends pas ces désaccords et pourquoi ne pas le dire, cette rébellion contre le Pape. J’invite tous et particulièrement les pasteurs à obéir au Pape qui est le successeur de Pierre. Les évêques en particulier ont juré fidélité au souverain pontife : qu’ils soient cohérents et fidèles à leur engagement.
DICI 166 p. 10
Déjà en 1989, Mgr Lefebvre prévoyait :
Rome est en train de se mettre à dos les évêques diocésains.
Fideliter 68 p. 6
En effet, le Motu Proprio de l’époque « Ecclesia Dei afflicta » mécontentait les évêques qui manifestaient sans vergogne leur désaccord avec Rome pour cette nouvelle autorisation du Pape à dire l’ancienne messe. Leur argument reste identique : les évêques ne veulent pas de ces traditionalistes soidisant ralliés en craignant que les fidèles se divisent dans les paroisses.
Mgr Lefebvre expliquait que de telles réactions étaient inévitables parce que Rome place les uns et les autres « en pleine contradiction » et « dans une position intenable » et il concluait catégoriquement « vouloir maintenir et faire l’expérience de la Tradition sous des évêques modernistes et libéraux, c’est une utopie et un mensonge » (Fidéliter 68 p.25)
Et depuis le récent Motu Proprio on en a une nouvelle démonstration dans les rapports conflictuels des évêques avec les communautés Ecclessia Dei. Avec ce dernier fait, complément des deux premiers, concluons qu’on a bien, sinon l’évidence, au moins une conviction suffisante pour voir dans les sacres de 1988 une œuvre salutaire bénie de Dieu digne de notre fierté et de notre action de grâce.
Abbé Pierre-Marie Laurençon
Acampado n° 29 de juillet-août 2008