Monseigneur Lefebvre, devant les textes du concile Vatican II, a toujours affirmé qu’il fallait distinguer trois sortes de textes. Les uns sont catholiques, fidèles à la doctrine traditionnelle de l’Eglise. D’autres textes sont ambigus et donc susceptibles d’interprétations diverses et variées, jusqu’à contredire la Tradition. Enfin, certains sont très mauvais, totalement contraires au magistère de l’Eglise transmis par les Papes précédents ce concile.
Devant cette constatation, nous est-il quand même permis de tirer quelques citations orthodoxes des documents conciliaires, afin d’étayer articles, conférences, sermons, ouvrages ? Peut-on invoquer sans restriction les passages conformes à la saine doctrine présents dans les textes de ce concile ? Peut-on citer les passages ambigus de ce concile en les interprétant à la lumière de la Tradition ? Bref, peut-on mentionner les textes de ce concile dans notre enseignement ? Ces mêmes questions peuvent s’incarner dans les membres de la Fraternité Saint-Pie X : pourquoi son fondateur, ses Évêques et ses prêtres ne citent-ils jamais le magistère orthodoxe conciliaire ou post-conciliaire ?
Il faut tout d’abord considérer le problème que pose le mélange de la vérité et de l’erreur dans un même document.
Pour répondre à cette problématique, citons d’abord Saint Denis nous donnant ce principe :
« Le bien procède d’une cause complète, mais le mal vient de défauts particuliers. » [1]
Appliquons ce principe à la vertu théologale de foi. La foi, comme toute vertu théologale, possède un objet matériel et un objet formel. Son objet matériel est l’ensemble des vérités révélées par Dieu. Son objet formel est l’autorité de Dieu Révélant.
« Il en est de même pour la foi, son objet formel n’est autre chose que la Vérité première (Dieu). Car la foi, telle que nous l’envisageons, n’adhère à une vérité, que par-ce que Dieu l’a révélée aux hommes ; par conséquent la vérité divine est comme le motif qui détermine son adhésion. » [2]
Or l’hérésiarque, en refusant un seul article de foi, refuse de ce fait l’autorité de Dieu et perd, du même coup la première des vertus théologales. En croyant à onze articles du Credo, mais refusant le douzième, le motif de son adhésion n’est plus l’autorité de Dieu, mais la sienne. Ainsi, quand un hérétique enseigne une vérité de foi, cet enseignement de la foi n’est vrai que matériellement parce que motivé par sa propre autorité et non celle de Dieu. Alors nous ne pouvons utiliser, même quand il dit vrai, les propos d’un hérétique.
Le principe de Saint Denis, cité plus haut, peut aussi s’appliquer dans l’ordre de la morale. Ainsi, en morale, plus de choses sont requises pour faire le bien que pour faire la mal. Une action sera donc bonne, parce que son objet sera bon, mais aussi parce que toutes les circons-tances de cet acte seront bonnes. A contrario, il suffira qu’une circonstance soit mau-vaise, par exemple l’intention, ou le temps, ou le lieu, pour que l’acte soit moralement mauvais. Prendre son repas dans sa salle à manger, n’a rien d’immoral. En revanche, manger un sandwich dans une église est un péché contre la vertu de religion.
Ainsi, que ce soit dans l’ordre de la foi ou de la morale, nous voyons un principe unificateur qui fait que l’acte de foi est vrai, et que cet acte moral est bon.
Maintenant, comment Notre-Seigneur Jésus-Christ agissait-Il devant un discours où erreurs et vérités se mélangeaient ? Quelle attitude avait Notre-Seigneur Jésus-Christ quand les démons professaient sa divinité ? Laissons la parole à Saint Thomas d’Aquin lorsqu’il envisage des miracles du Christ :
« Le Christ n’a pas fait le miracle d’expulser des démons dans leur intérêt, mais dans l’intérêt des hommes afin que ceux-ci Le glorifient. Et c’est pourquoi Il interdisait aux démons de pu-blier ce qui aurait servi à sa propre louange. D’abord, pour nous donner une leçon. Saint Athanase, dans son traité des synodes, dit : « Il empê-chait le diable de parler, même pour rendre hommage à la vérité, afin de nous apprendre à ne pas nous fier aux hérétiques, alors même qu’ils paraissent dire des choses vraies ; quand nous avons pour nous les divines Ecritures, devons-nous donc aller demander des lumières au diable ?. » C’est dangereux, d’ailleurs, parce que les démons mêlent souvent des mensonges à la vérité. » [3]
La deuxième tentation du démon subie par Notre-Seigneur au désert,[4] est un parfait exemple pour illustrer les propos de Saint Thomas. Le tentateur utilise les versets 11 et 12 du psaume 90 en faussant leur sens. « Les démons mêlent souvent des mensonges à la vérité » [5], parce qu’en effet, l’erreur absolue n’a aucune chance d’être acceptée. Les hérétiques alors mêlent toujours quelques vérités à l’erreur afin de faire accepter cette dernière, et abusent ainsi de la faibles-se de leurs auditeurs. Saint Augustin commentant les versets 11–12 du psaume 90 dit ceci :
« Quand satan cite la Bible, il ne cherche pas à en éclaircir le sens, mais à l’obscurcir, et même à le fausser. » [6]
Forte de ces principes et à l’exemple de son divin Fondateur, l’Eglise, devant les œuvres doctrinales des hérésiarques qui jonchent le cours de son histoire aura une attitude bien arrêtée. Il fut un temps béni dans l’Eglise de Dieu durant lequel, pour protéger la foi de ses fidèles, notre Sainte Mère avait établi un index.
Cet index était une liste de livres étudiés par les théologiens du Saint-Office et condamnés par ce dernier. Le Pape était le préfet de ce Saint-Office, parce que sa première charge est d’enseigner et de protéger la foi. Mais il faut noter que dans le cas de nos hérésiarques, qui choisissent et façonnent leur doctrine à la mesure de leur intelligence, tout n’est pas forcément mauvais. Arius, par exemple, nie la divinité de Jésus-Christ, mais ne nie pas son humanité. Donc, dans les propos de cet individu, tout n’est pas condamnable. Que fait l’Eglise dans un cas semblable ? Plusieurs possibilités Lui sont offertes. Selon les cas de figure, Elle peut soit condamner tous les ouvrages d’un auteur parce que hérétique, soit suspendre quelques ouvrages d’un auteur. Ce fut le cas des Pères Congar, Teilhard de Chardin avant le concile Vatican II. Enfin, le Saint-Office peut mettre à l’index les ouvrages d’un auteur hétérodoxe correspondants à une partie de sa vie. Ici nous pensons à Tertullien, grand auteur et défenseur de la Sainte Eglise, mais tombé dans l’hérésie vers 213. Ainsi l’Eglise, ne distingue pas dans de tels ouvrages ce qui est bon, de ce qui est mauvais. Elle ne condamne pas dans tel écrit, tels chapitres, telles pages, ou tels paragraphes. Non, Elle condamne le livre dans son entier ou tous les ouvrages de tel auteur.
Saint Hilaire de Poitiers, afin d’apprécier à sa juste valeur la nécessité de la clarté des textes formulant la foi catholique, disait en son temps :
« Pour que l’erreur s’élève jusqu’à la certitude, on ne parle de la vérité qu’en termes ambigus ; on sème partout le doute : il n’y a plus d’unanimité, et le partage des esprits révèle assez la présence de l’anti-christ. De là la lutte des opinions ; de là vient qu’avec la foi en un seul Christ on en prêche deux ; de là vient que l’esprit d’Arius, cet ange des ténèbres, s’est changé en ange de lumière… ». [7]
Certes, le grand Évêque de Poitiers s’arrête ici sur l’ambiguïté des termes, mais ne pouvons-nous pas étendre et appliquer son commentaire à l’ambi-guïté d’un texte ?
Maintenant qu’en est-il pour le concile Vatican II ? Tout d’abord, il faut le réaffirmer, ce concile n’a pas le caractère infaillible d’un concile dogmatique. On ne trouve pas dans ses textes la présence simultanée des quatre notes nécessaires pouvant qualifier ce concile de dogmatique. Monseigneur Lefebvre l’a dit et redit : « Il était alors impossible de définir quoi que ce soit ! ». De plus, en leur temps, les autorités de l’époque l’ont déclaré pastoral [8], donc faillible.
Puis, devant les nouveautés enseignées dans ce concile : la liberté religieuse, la collégialité et l’œcuménisme, Mgr Lefebvre rappelait la grille de lecture permettant de juger ces documents.
« Le critère de la vérité, et d’ailleurs de l’infaillibilité du Pape et de l’Eglise, est sa conformité à la Tradition et au dépôt de la foi. Quod ubique quod semper. Ce qui est enseigné partout et toujours, dans l’espace et dans le temps. S’éloigner de la Tradition c’est s’éloigner de l’Eglise. » [9].
Ainsi le prélat d’Ecône voit dans ce magistère « Un magistère qui n’est pas fidèle à la Tradition »[10] ; « Un magistère qui détruit ce magistère [de toujours], qui détruit cette Tradition » [11]; « Un magistère nouveau ou une conception nouvelle du magistère de l’Eglise, conception qui est d’ailleurs une conception moderniste ».[12] Le Père Calmel [13] y voit un « magistère fuyant »[14]. Nous voyons donc qu’il est bien difficile d’accorder à ce magistère une authenticité catholique.
Ensuite, si nous regardons l’ensemble du concile, nous constatons que celui-ci a eu pour principale finalité l’œcuménisme. Ainsi, de près ou de loin, bon nombre de textes ont cette erreur pour lumière, pour leitmotiv. Le concile Vatican II appliqué, c’est d’abord la messe Paul VI, puis Assise I, II et III. D’ailleurs, le maître-mot du concile, me semble-t-il, fut l’égalité : tout d’abord l’égalité des hommes d’Église entre eux, ce fut la collégialité ; puis l’égalité des religions, ce fut l’œcuménisme ; enfin l’égalité des hommes avec Dieu, véritable relent du péché originel au dépend de l’adoration de la créature pour son Créateur, au dépend de la distinction de l’ordre naturel avec l’ordre surnaturel, ce fut la liberté religieuse [15]. Du même coup, tous les paragraphes du concile Vatican II, toutes ses phrases ne doivent-ils pas être compris sous ce seul point de vue ? Ainsi le concile, par cet unique principe directeur, par ce fameux « esprit du concile », revêt une unité, devient un tout moral. De ce fait, toute citation orthodoxe conforme à la foi enseignée par l’Eglise, n’est en définitive dans ce concile que matériellement catholique.
Enfin, les fruits, pour qui veut les voir, ne cessent de confirmer cette réalité. Toute initiative faite « au nom du concile », dans « l’esprit du concile », donne des fruits bien amers, bien éloignés de la sainteté, du renouveau mainte fois promis.
Alors sans renier le pouvoir d’enseignement du pape ou d’un concile, sans s’attribuer un pouvoir que nous ne possédons pas, nous sommes bien obligés quand même, devant de tels faits, devant de tels enseignements, d’émettre un jugement.
Ici se place le rôle délicat de la Fraternité Saint-Pie‑X. Si celle-ci est une œuvre d’Eglise à part entière, il n’est pas en son pouvoir d’attribuer officiellement à un quelconque document une quelconque note théologique. La Fraternité ne peut donc porter aucune sentence par voie d’autorité, au nom de l’Eglise, sur les textes du dernier concile. Ceci étant dit, attesté et proclamé à qui veut bien l’entendre, que pouvons-nous faire ? Quelles sont nos possibilités en la matière ? En effet, l’homme est doué d’intelligence et de volonté, il doit juger et agir. Pour toutes les raisons signalées, et surtout parce que différentes propositions dans ses textes contredisent explicitement le magistère antérieur ou en donnent une expression insuffisante et ambigüe, ce concile, qui est un tout, devrait être qualifié de déficient, comme d’ailleurs le magistère postconciliaire qui s’en fait l’écho. Ainsi, nous nous limitons à un jugement théologique prudentiel, laissant le magistère futur se prononcer au Nom de l’Eglise, et donner un jugement conforme à la Tradition. Peut-être, et sûrement, qu’un jour, un pape attribuera au concile et aux documents postérieurs qui en sont inspirés, le qualificatif de « favens haeresim », de favoriser l’hérésie, voir même d’hérésie. Nous n’en sommes pas encore là aujourd’hui malheureusement ; contentons-nous de la prudence.
Le magistère étant la vérité, devant un enseignement moderniste (puisque dans le concile une page est catholique et la suivante ne l’est pas), devant un enseignement ambigu, devant un magistère déficient dont nous pouvons facilement douter de l’authenticité et de son autorité, devant la pratique constante de l’Eglise face aux enseignements des hérésiarques ou de ce qui s’éloigne de la foi traditionnelle, il n’est pas possible de citer les enseignements matériellement orthodoxes disséminées dans les textes conciliaires, ni d’y faire référence. Il ne serait pas prudent de le faire, d’accorder une quelconque légitimité, un droit de cité à ce nouveau magistère. D’ailleurs, en actualisant la question de saint Thomas [16] vu plus haut, posons-nous celle-ci : « Quand nous avons deux mille ans de Tradition, devons-nous demander des lumières à un concile douteux ? » La réponse ne varie pas : « C’est tout aussi dangereux ». De plus, comme toute révolution, la révolution conciliaire étant un bloc, c’est donc comme un bloc que nous devons la combattre.
Ne doit-il pas en être de même pour l’enseignement des papes subséquents au concile ? Certes, nous l’affirmons encore à qui veut l’entendre, le pape possède bien le pouvoir d’enseignement et nous ne le contestons pas le moins du monde. Mais ces papes étant modernistes, est-il prudent de les citer dans leurs textes orthodoxes ? Il semble que là aussi, il y ait un grand danger de relativisme et d’indifférentisme. Même dans leurs écrits apparemment catholiques, les mots qu’ils emploient ont-ils la même signification que l’Église leur donne traditionnellement ? Ce n’est pas automatique ! Comme exemple, prenons la « pauvreté » d’un pape François. Je doute sérieusement qu’elle soit la même que celle enseignée par Notre-Seigneur dans la première béatitude, ou celle d’un Saint François d’Assise. Est-il donc prudent de citer ces textes provenant d’un magistère douteux, sans unité, mélangeant le vrai et le faux comme savent le faire les modernistes ? Encore une fois, c’est une question de prudence, de protection de la foi des fidèles.
Mais devant ce mutisme de notre part, certains pourraient nous objecter ceci : « Vous ne citez jamais le pape, donc vous êtes contre le pape ! » A cela, nous répondons que notre reconnaissance du pape est explicite par la liturgie et par notre enseignement. Mais aussi, pour qui sait voir les choses honnêtement, la reconnaissance par notre Fraternité des prérogatives du pape est bien explicite par sa ferme opposition à la collégialité des évêques. Dans le combat de la Fraternité Saint-Pie X pour l’Église, y a‑t-il une preuve plus éclatante de son attachement indéfectible à la papauté, par la défense des droits et des pouvoirs du souverain pontife que le concile a voulu lui ravir par cette fameuse collégialité ? Ainsi, rien ne nous oblige à citer un magistère douteux comme preuve de notre reconnaissance du souverain pontife et de ses privilèges.
Au sortir de cette crise sans précédent, on peut bien penser que l’attitude des autorités de l’Église sera justement, dans un premier temps, de taire le concile. Tout bon chef d’Etat, après une guerre civile, décrète une réconciliation nationale avec interdiction de parler de cette triste période sous peine de poursuites. Ainsi, il n’est pas invraisemblable que les autorités de ce renouveau de l’Église feront table rase, cette fois-ci pour la bonne cause, du passé moderniste et ainsi interdiront toute citation du concile Vatican II et du magistère des papes modernistes postérieurs. Mais il est aussi aisé de penser que ces autorités n’en resteront pas à ce simple silence prudentiel, elles seront tenues de dénoncer les erreurs ambiantes pour les chasser des esprits contaminés. Par cela, il faudra bien un jour en arrivé à des condamnations.
En attendant cet heureux événement, laissons le mot de la fin au Révérend Père Calmel s’adressant à des religieuses voulant garder la Tradition :
« Le moderniste est un hérétique doublé d’un traître… Savoir que le modernisme garde tout en théologie, mais réinterprète tout ». C’est pourquoi, « il ne faut rien concéder. Etre religieuse maintenant, c’est cela. Ne rien concéder jusqu’au martyre. Il faut garder la ligne très ferme : la bagarre – le martyre. Pas de discours. »
Le Père Roger-Thomas Calmel, par le Père Jean-Dominique Fabre, Page 467.
Abbé Nicolas Jaquemet +, prêtre de la FSSPX
Extrait de La Sainte Ampoule n° 228 de novembre 2014
- Somme théologique III q 90 art. 2 ad 4.[↩]
- Somme théologique II II q 1 art. 1.[↩]
- Somme théologique III q 44 art. 1 ad 3.[↩]
- St Matth. ch. 4, v. 6.[↩]
- Somme théologique III q 44 art. 1 ad 3.[↩]
- Bible Glaire Page 1514 note 6.[↩]
- « Contre Auxence », évêque arien de Milan.[↩]
- Paul VI, « Discours d’ouverture de la deuxième session du concile Vatican II, le 29 septembre 1963 » dans DC n° 1410, col. 1348. Paul VI « Discours de clôture du Concile, le 7 décembre 1965 » dans DC n° 1462, col. 64.[↩]
- « J’accuse le Concile », 2ème édition, 1976, p. 112.[↩]
- Vue de haut n°13, p. 55.[↩]
- Vue de haut n°13, p. 53.[↩]
- Vue de haut n°13, p. 53.[↩]
- Le Père Roger-Thomas Calmel, par le Père Jean-Dominique Fabre, Page 529.[↩]
- Vue de haut n°13, p. 52.[↩]
- Égalité et liberté sont l’essence du code de la Franc-maçonnerie : « La conjuration antichrétienne » de Mgr Delassus Pages 139–140[↩]
- Somme théologique III q 44 art. 1 ad 3.[↩]