Le Christ-​Roi et la Vérité

Le Christ devant Pilate, XVe siècle, Belvedere museum, Vienne, Autriche. Crédits : Pascal Deloche / Godong.

Le titre de cet article peut paraître sur­pre­nant. Pourtant les men­tions de la véri­té à pro­pos de la royau­té du Christ ne manquent pas.

La pré­face de la fête litur­gique du Christ-​Roi demande que le Fils pro­cure « à votre immense Majesté un royaume éter­nel et uni­ver­sel, un royaume de véri­té et de vie, […] ».

Dans son ency­clique Quas Primas, le pape Pie XI déclare que le Christ « règne [certes métaphori­quement] sur les intel­li­gences humaines, à cause de la péné­tra­tion de son esprit et de l’étendue de sa science, mais sur­tout parce qu’il est la Vérité et que c’est de lui que les hommes doivent rece­voir la véri­té et l’accepter doci­le­ment ».

Le fon­de­ment de ces asser­tions se trouve dans l’Écriture. Pendant la pas­sion, saint Jean nous rap­porte le dia­logue entre Jésus et Pilate.

Pilate lui dit : « Tu es donc roi ? » Jésus répon­dit : « Tu le dis, je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoi­gnage à la véri­té : qui­conque est de la véri­té écoute ma voix. » [1]

Notre-​Seigneur éta­blit donc un rap­port clair entre la véri­té et sa royauté.

Vérité et politique

On pour­ra légi­ti­me­ment se deman­der de prime abord ce que vient faire la notion de véri­té dans la politique.

Le chef est celui qui connaît la fin à laquelle il mène ses subor­don­nés. Sans cette connais­sance, son gou­ver­ne­ment est vain. D’autre part, cette connais­sance est le fon­de­ment des lois qu’il pro­nonce, parce que la loi est une ordi­na­tion de la rai­son au bien com­mun c’est-à-dire à la fin de la socié­té. De plus, d’un point de vue judi­ciaire, le chef doit juger, et tout juge­ment droit se fait selon la véri­té. Enfin, la ver­tu par excel­lence du chef, c’est la pru­dence, laquelle est ver­tu de l’intelligence.

Ainsi, sans une intel­li­gence affer­mie dans le vrai, un chef ne peut gou­ver­ner conve­na­ble­ment. Avec ces notions, la fonc­tion du chef devient plus claire. Celui qui détient l’autorité doit mettre de l’ordre dans la socié­té. Or l’ordre, dit Aristote, est le propre du sage qui doit connaître le tout poli­tique et les par­ties qui le com­posent et les uni­fier dans et par son gou­ver­ne­ment. Sagesse et intel­li­gence des réa­li­tés sont donc néces­saires au bon chef.

A contra­rio, on constate com­ment dans les socié­tés modernes et cor­rom­pues, appe­lées par Marcel de Corte « dis­so­cié­tés », la véri­té est bafouée au pro­fit du men­songe. Que ce soit dans les pro­grammes sco­laires ou dans les médias qui modèlent la pen­sée, il y a une dic­ta­ture du mensonge.

Il faut enfin ajou­ter que, dans l’ordre sur­na­tu­rel, la fin der­nière de l’homme est la contem­pla­tion de l’intimité divine, laquelle est œuvre de l’intelligence. C’est pour cette contem­pla­tion que nous avons été créés, et c’est à cette contem­pla­tion que tout devrait mener, tant dans l’ordre sur­na­tu­rel par l’Église que dans l’ordre tem­po­rel par l’État.

Toutes ces rai­sons mani­festent clai­re­ment l’importance et la place de la véri­té dans un gouvernement.

Cependant, à tra­vers les divers titres par les­quels le Christ est roi, on décè­le­ra mieux les rai­sons qui unissent la véri­té à sa royauté.

Roi par sa divinité

Que le Christ soit roi en rai­son de sa divi­ni­té, cela ne fait nul doute. Dieu a tout créé. Mais saint Jean nous rap­porte que tout a été créé par le Verbe. « Tout a été fait par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui »[2]. Et puisque le Verbe est la parole de Vérité que Dieu pro­nonce de toute éter­ni­té, on com­prend donc que c’est par sa Vérité que Dieu est roi du monde.

L’unique Verbe de Dieu n’exprime pas seule­ment le Père, mais encore les créa­tures. […] Le Verbe de Dieu est pure expres­sion du mys­tère du Père, mais il est expres­sion et cause des créa­tures [3].

Roi par son humanité

Le Christ est aus­si roi par son incar­na­tion. Or pour­quoi est-​ce le Fils qui s’est incar­né plu­tôt qu’une autre per­sonne de la Trinité ? Parce qu’il est le Verbe de Vérité. Saint Thomas s’exprime ainsi :

Le Verbe de Dieu a un point de contact spé­cial avec la nature humaine, du fait qu’il est le concept de la Sagesse éter­nelle, de laquelle dérive toute sagesse humaine. C’est pour­quoi le per­fec­tion­ne­ment de l’homme dans la sagesse, en quoi se réa­lise sa per­fec­tion d’être rai­son­nable, se mesure à ce qu’il par­ti­cipe du Verbe de Dieu. C’est ain­si que le dis­ciple s’instruit dans la mesure où il reçoit la parole du maître, expres­sion du verbe intérieur.

Somme Théologique, III, q.3, a.8

Il y a donc un lien étroit en Notre-​Seigneur entre incar­na­tion, véri­té et royau­té. Son incar­na­tion lui donne un droit à la royau­té, non seule­ment parce que sa nature hu­maine est plus par­faite que toute créa­ture par l’union à la nature divine, mais aus­si parce qu’il est l’exemplaire de toute véri­té, laquelle per­fec­tionne l’homme dans sa na­ture rai­son­nable. Or le prince n’a- t‑il pas pour but de mener l’homme à sa perfection ?

Les mots le disent aus­si clai­re­ment : être sujet du Christ-​Roi, c’est être le dis­ciple de Notre-​Seigneur. Or un dis­ciple, c’est celui qui reçoit un ensei­gne­ment, l’assimile pour se confor­mer au maître et le trans­met ensuite.

Roi par sa rédemption

Enfin, par sa mort sur la croix, des mots même de Jésus, il rend té­moignage à la véri­té. Autrement dit, Jésus acquiert par sa rédemp­tion un droit de conquête sur nos âmes. Mais puisque sa rédemp­tion est essen­tiel­le­ment un témoi­gnage de véri­té, c’est aus­si en rai­son de la véri­té qu’il gou­verne les hommes.

On pour­ra se deman­der de quelle véri­té il s’agit ? Jésus rend témoi­gnage de la véri­té de son amour. Amour d’une part du Fils de Dieu pour son Père en se don­nant totale­ment comme le Père se donne sans réserve pour le Fils. Amour d’autre part de Dieu pour les hommes qu’il est venu rache­ter et qu’il a prou­vé par sa mort san­glante sur la croix. La mort de Jésus est une preuve d’amour. Or une preuve est de l’ordre de la vérité.

En un mot, toute l’œuvre du Christ est une œuvre de Révélation, donc de véri­té, d’enseignement. Quelle est donc cette Révélation ? Celle de l’amour de Dieu pour les hommes. La Révélation trouve son point culmi­nant sur la croix.

Saint Thomas résume ain­si l’œuvre de la rédemption :

Le pre­mier homme avait péché en dési­rant la science. Il conve­nait donc qu’après s’être éloi­gné de Dieu par un désir déré­glé de science, l’homme soit rame­né à Dieu par le Verbe de la vraie sagesse.

Ibid.

Source : Le Chardonnet n°407, mai 2025. 

Notes de bas de page
  1. Jean XVIII, 37[]
  2. Jean I, 3.[]
  3. Somme Théologique, I, q.34, a.3.[]