Le 13 octobre 1880, le préfet de l’Hérault fit expulser de leur couvent les religieux carmes. Trois jours plus tard, Monseigneur de Cabrières (1830–1921) vint en personne lui notifier son excommunication. Un acte courageux qui contraste avec l’affligeant servilisme de l’épiscopat français actuel…
Au cours de cette année 1880, la très laïque IIIe République mène tambour battant sa politique de déchristianisation forcée de la France et, une fois de plus, se sert de l’appareil législatif pour persécuter violemment l’Eglise.
Le 29 mars s’ouvre un nouvel épisode de cette sinistre campagne, le gouvernement prend arbitrairement deux décrets :
- l’un décide la dissolution de la Compagnie de Jésus, à qui Jules Ferry veut « arracher l’âme de la jeunesse française »,
- l’autre exige une demande d’autorisation aux congrégations religieuses masculines « non autorisées ».
Les congrégations refusant d’obtempérer à une telle injustice, 6500 religieux vont être odieusement chassés de leurs maisons. Ils devront être logés chez des particuliers ou prendre le chemin de l’exil afin de satisfaire le bon plaisir des loges maçonniques… A Paris, le père Pilot, supérieur des jésuites français, clamera aux fonctionnaires porteurs de l’arrêté préfectoral :
Vous vous attaquez à Dieu, avant de vous attaquer à ses prêtres. Vous voulez entraver la liberté du culte avant de juguler celle des personnes.
Des scènes scandaleuses d’expulsions par les forces de l’ordre se produisirent dans un grand nombre de villes de France.
Ce qui fut propre à Montpellier fut la visite que rendit Mgr de Cabrières au préfet de l’Hérault, dans la matinée du 16 octobre 1880. De bonne heure, l’évêque devait aller dans une communauté présider une cérémonie religieuse. Averti de l’expulsion des Carmes déchaussées, et ne pouvant pénétrer jusqu’à leur couvent, il se transporta dans la maison privée où les religieux devaient se réfugier, pour les y recevoir, les consoler et les bénir. Puis il alla célébrer la messe dans la chapelle où il était attendu. Pendant son action de grâces, il prit la résolution de protester officiellement contre les attentats commis et ceux qui se préparaient encore.
Mgr de Cabrières jugea qu’il n’y avait pas un moment à perdre et il décida de se rendre immédiatement à la Préfecture, en rochet et mosette (habits de chœur pour les évêques). Admis sans délai, et reçu froidement avec une surprise que l’on devine, Mgr de Cabrières s’assit en face du représentant de l’autorité, le préfet Henri Fresne, et lui tint le discours suivant :
M. le préfet, je viens remplir auprès de vous un bien douloureux devoir. Le couvent des Carmes a été, ce matin, forcé par votre ordre. Comme religieux, ils sont placés sous ma protection, et je dois défendre les privilèges que l’Eglise leur a de tout temps accordés. Je crois donc devoir protester devant vous contre la violence dont ils ont été l’objet et contre celles qui atteindraient les autres religieux de mon diocèse.
Et l’évêque lui notifie sa peine d’excommunication, c’est-à-dire qu’il avertit son diocésain, tout préfet qu’il soit, des peines canoniques prévues par l’Eglise qu’il a encouru :
De plus, vous êtes, je le sais, chrétien et catholique. J’ai l’obligation de vous rappeler qu’il y a des peines spirituelles[1] portées contre tous ceux qui commettent des actes pareils. Voilà, monsieur le Préfet, ce que j’avais à vous dire, et, ma visite n’ayant d’autre but, je me retire.
Pendant tout ce temps, le préfet était resté silencieux et dans une attitude réservée…
Abbé Gabin Hachette
Image : Mgr de Cabrières notifiant au préfet de l’Hérault son excommunication, vu par le journal L’Illustration, édition du 30 octobre 1880.
Sources : Gérard Cholvy, Le Cardinal de Cabrières, Cerf /Chanoine Marcel Bruyère, Le Cardinal de Cabrières, Les Editions du Cèdre /Jean Sévillia, Quand les catholiques étaient hors la loi, Perrin, coll. Tempus.
- cette peine spirituelle est l’excommunication[↩]