Dans cette conférence de 1965 à des étudiants parisiens, Mgr Lefebvre rappelle avec fermeté et sérénité les principes et applications de la liberté, quelques mois seulement avant la session du Concile Vatican II sur la liberté religieuse.
Le 2 mai 1965, Mgr Marcel Lefebvre, alors Supérieur général des Pères du Saint-Esprit, donnait une conférence à des étudiants parisiens sur le problème de la liberté. La transcription de cet exposé a été imprimée dans une petite brochure de 16 pages, sans aucune indication ni sur les organisateurs de la réunion, ni sur le lieu exact où elle se tenait. Le texte prouve que l’orateur lui-même ne connaît pas précisément son auditoire, en particulier quelles études ces jeunes gens poursuivent. S’agit-il déjà des membres de ces mouvements dont l’ancien archevêque de Dakar admirait l’enthousiasme en 1968 : « Nous voyons se lever une jeunesse nouvelle, (…) jeunes passionnés de leur découverte. (…) Ils s’aperçoivent que la vraie richesse de leur intelligence et de leur cœur leur a été cachée, alors que c’est elle qui a transformé le monde. Ils découvrent (…) la véritable histoire de la civilisation chrétienne et cela désormais, c’est leur vie, leur vie intérieure, leur vie en société, leur idéal. Ils ne l’abandonneront plus. » (Itinéraires, n° 127, pp ; 227–228 ; cité dans Marcel Lefebvre, une vie, Clovis, pp. 410–411) ?
L’intérêt de cette conférence est dans son contenu, le problème de la liberté, et dans sa date, mai 1965, soit quelques mois avant la reprise des travaux du Concile Vatican II où il sera question de la liberté religieuse. Le Supérieur général des Spiritains a divisé son propos en deux parties : après le rappel des principes, il traite des applications de la liberté, et il en vient tout naturellement à la liberté religieuse dont il aura à débattre dans l’aula conciliaire, à l’automne suivant.
A la lecture de ce document dont on appréciera la grande clarté pédagogique, on peut affirmer l’opposition invariable du fondateur de la Fraternité Saint-Pie X à la doctrine moderne de la liberté religieuse, avant, pendant et après le concile.
On m’a demandé de venir vous parler de ce sujet si délicat de la liberté. Si j’ai hésité un peu, ce n’est pas que je ne sois pas très heureux de venir vous en parler et surtout de prendre contact avec vous et de vous encourager. C’est plutôt parce que, pris par des tâches nombreuses, je craignais de ne pas vous donner satisfaction et de ne pas être tout à fait à la hauteur de la tâche qui m’était demandée. Aussi vous m’excuserez si mon exposé est un exposé très simple et en même temps convaincu. J’essaierai de vous donner d’abord quelques principes et ensuite quelques applications de cette liberté.
Je vous remercie d’avoir eu l’amabilité de m’inviter, surtout parce que je suis très heureux de prendre contact avec vous, heureux de pouvoir vous dire de continuer votre effort, heureux de pouvoir vous dire que vous êtes dans la Vérité, que vous y êtes par le fait que vous étudiez vraiment les principes chrétiens, les principes catholiques, à leur source la plus vraie, la plus sûre. Vous pouvez certainement faire beaucoup de bien, à vous-mêmes d’abord, et aussi beaucoup autour de vous. C’est pourquoi je n’ai pas hésité à accepter, espérant que vous serez un peu indulgents si mon exposé n’est pas celui que vous attendez exactement. Si à la fin de ce court exposé vous avez quelques questions à poser sur la liberté ou même sur d’autres sujets, j’essaierai d’y répondre dans la Vérité et dans la Charité.
Ce sujet de la liberté est un sujet immense. C’est un sujet qui touche tellement au cœur même de ce que nous sommes, au cœur même de l’homme et par conséquent de la société humaine tout entière, qu’il est difficile de l’embrasser d’une manière complète, totale. Et j’avoue que plutôt que de faire une analyse de la liberté, comme le Pape Léon XIII dans son Encyclique Libertas Praestantissimum, je préfère commencer par la synthèse, parce que j’ai peur que, cette analyse étant longue et difficile à faire, il n’y ait des notions qui ne soient pas très bien éclairées sur la liberté elle-même, et qu’il ne manque au jugement sur la liberté la lumière qui est nécessaire pour la prendre dans son ensemble.
Ordre de l’univers et lois naturelles
Pour bien situer la nature de notre liberté, la fin de notre liberté, il faut la voir dans l’ordre de l’univers. Je pense qu’il faut situer la place de notre liberté, son rôle, en examinant d’abord l’ordre universel que le Bon Dieu a mis dans les choses. Je ne fais pas une pétition de principe en disant cela. Je ne pars pas de principes préconçus pour en arriver à prouver la thèse que je désire prouver, mais je pars de l’évidence. En ouvrant les yeux de notre esprit, de notre intelligence nous ne pouvons pas ne pas constater qu’il y a dans l’univers qui nous entoure un ordre magnifique. Cet ordre n’est autre que l’orientation de toutes les activités de cette nature vers une fin, vers une fin utile, vers un but qui a été assigné par Dieu à toute la Création.
Vous-mêmes qui êtes étudiants, – je ne connais pas les études que vous faites d’une manière particulière -, mais d’une manière ou d’une autre, vous étudiez les lois qui se trouvent inscrites dans la nature ; à plus forte raison si vous faites des sciences. L’homme ne peut pas s’empêcher de rechercher les lois de la nature, les lois qui conduisent l’activité des êtres. Et nous nous apercevons que ces lois sont vraiment inscrites dans la nature puisque nous arrivons à les retrouver. Et nous finissons par les établir en sciences. Tous nos livres de sciences, tous les livres qui étudient la nature, – qui étudient aussi bien la nature végétale que la nature animale, la nature humaine et la nature de l’homme dans la société -, recherchent les lois qui sont intimement inscrites dans la nature. Et l’on arrive très bien à les découvrir. Et nous serions encore beaucoup plus savants si nous arrivions à les connaître toutes. C’est à cela que s’appliquent les hommes de science. Qu’il s’agisse de la médecine, qu’il s’agisse de n’importe quelle science physique ou chimique, on étudie toujours quelles sont les lois qui sont inscrites dans la nature. Et l’on s’aperçoit que bien souvent on croit être arrivé au bout de la science et que le Bon Dieu a encore caché des secrets et des mystères dans la nature que l’on ne découvre que peu à peu.
Ces lois sont suivies par les êtres qui ne sont pas intelligents d’une manière fatale, c’est-à-dire qu’ils suivent le cours de ces lois d’une manière nécessaire et déterminée.
S’il s’agit des lois de la physique, il est évident que ces lois, en général, sont des lois qui s’exercent d’une manière absolue et sans défaut. Si elles s’exercent avec défaut, c’est qu’il y a d’autres lois qui s’appliquent et que l’on ne connaît pas encore, sinon on pourrait prévoir vraiment tout ce qui est conditionné par une loi dans la nature et en prévoir jusqu’aux effets les plus extrêmes. Et s’il y a quelquefois des défauts, par exemple dans la météorologie, si la météorologie se trompe si souvent, c’est précisément parce qu’on n’en connaît encore que mal les lois. Le jour où l’on arriverait à découvrir toutes les lois qui conditionnent la météorologie, il est évident que, d’une manière absolue, on arriverait à dire : « Tel jour à telle heure, il pleuvra ou il ne pleuvra pas, il fera beau temps ou il ne fera pas beau temps… ». De toute manière donc, il faut rechercher les lois et ces lois s’appliquent d’une manière fatale dans les choses naturelles et sur les éléments qui ne sont pas vivants.
Si nous passons à la vie, les lois des végétaux sont déjà moins déterminées. Il y a certains éléments dans les végétaux qui sont, d’une certaine manière, laissés un peu à la libre détermination des végétaux eux-mêmes dans leur développement. Une plante grimpante, par exemple, s’adaptera suivant les éléments qu’elle trouvera, elle s’attachera et contournera les obstacles qu’elle rencontrera. Il y a déjà une certaine adaptation qui vient de la nature même du végétal, qui ne lui est pas imposée de l’extérieur et qui est déjà un certain vestige de liberté, un soupçon d’indétermination qui se trouve dans la vie végétale.
Et si nous allons plus loin, nous passons à la vie animale, à la vie sensible. Dans ce domaine, la détermination est encore moins grande. Il y a une indétermination dans les sens, dans les facultés sensibles qui fait que l’animal semble avoir également une certaine liberté. Il y a certainement, au moins dans une certaine mesure, une indétermination et une possibilité de se déterminer, mais non pas de se déterminer d’une manière absolument libre. L’animal est soumis à des influences auxquelles il répond d’une manière presqu’automatique. C’est ce qui fait que l’animal ne se développe pas, ne progresse pas ou peu, à moins qu’il ne soit dressé par un homme ; mais sinon, de sa nature, l’animal ne progresse pas. Il reste toujours dans les mêmes lignes car il n’a pas cette conscience de ses actes, ou, du moins, on ne peut pas dire qu’il en ait une véritable conscience comme nous. Si bien que l’on voit une certaine indétermination dans les plantes et les animaux et ce soupçon de liberté que ces derniers ont, nous l’appelons « instinct ».
Cet instinct des animaux est le centre de toutes leurs sensations, ce qui fait que, par les sensations qu’ils éprouvent, ils arrivent à se diriger d’une manière absolument admirable, mais selon les lois qui ont été inscrites dans la nature par le Créateur. Cet instinct a quelque chose qui nous émerveille et qui dépasse souvent tout ce que nous pouvons faire nous-mêmes. Ces propriétés de l’instinct des animaux sont donc de véritables merveilles, mais ils restent cependant déterminés dans leurs actes d’une manière interne. La détermination de leurs actions, de leur activité est soumise à des lois internes. Ils ne sont pas libres. Ils ne sont pas libres de cette liberté dont jouit l’homme.
La liberté humaine et ses lois
Passons maintenant de la vie animale à la vie humaine. La différence est considérable, car l’homme est libre. Pourquoi ? Parce qu’il a en lui une faculté de se déterminer lui-même sans que, dans sa nature intérieure, il puisse être déterminé par qui que ce soit. Il s’agit de la liberté psychologique, cette faculté qu’a l’homme de pouvoir se déterminer lui-même. Mais précisément, si les animaux, les végétaux, les minéraux suivent des lois et par conséquent se conforment à l’ordre de l’univers, si Dieu a donné la liberté à l’homme, il est inconcevable que cette liberté n’obéisse pas à des lois également. Et c’est là que se tient tout le nœud et la difficulté pour ceux qui ont une fausse notion de la liberté. C’est de croire que, parce que l’homme peut se déterminer lui-même à des actes dont il a conscience, et que, psychologiquement, personne ne peut, intérieurement, rien à cette détermination, cela peut être appliqué au domaine de l’homme dans son ensemble. Il est donc libre de faire ce qu’il veut. Cette simple liberté psychologique, on l’applique à l’homme dans son ensemble. C’est comme si l’on disait en analysant son intelligence : « l’homme peut connaître, l’homme a la possibilité de connaître. Donc il peut connaître tout ce qu’il veut et il n’est obligé de s’attacher à aucune connaissance particulière ». On fait abstraction de la Vérité pour laquelle l’intelligence est faite. Alors on définit une faculté sans tenir compte de sa fin. C’est absolument absurde. Il ne faut pas seulement faire l’analyse de cette faculté abstraitement, il faut la voir dans l’homme complet, dans les lois que le Bon Dieu lui impose. Alors nous verrons très bien que la liberté que le Bon Dieu a donnée à l’homme n’est pas autre chose que de permettre à l’homme de se déterminer lui-même en vue de la fin que le Bon Dieu veut lui donner.
Et c’est cela qui fait toute la grandeur de l’homme, toute sa noblesse. Tandis que l’animal est conditionné intérieurement, déterminé intérieurement, l’homme, tout au contraire, peut se déterminer lui-même, sans que personne ne puisse l’influencer dans la cause même de sa liberté. On aura beau le martyriser, personne n’arrivera à lui faire croire dans l’intime de sa liberté, une chose qu’il ne veut pas croire, ou à lui faire vouloir une chose qu’il ne veut pas vouloir. Évidemment, sa volonté peut être influencée, peut finir par céder d’une certaine manière. Il pourra même exprimer, dans le cas des persécutions, quelque chose qui est conforme à ce que pensent les bourreaux, mais intimement, il n’y adhérera pas. Par conséquent, sa liberté reste totale malgré toutes les influences extérieures qui peuvent s’exercer en tous sens. On ne peut pas agir directement sur la racine même de la liberté humaine. C’est ce qui fait que l’homme est libre. Et il l’est parce qu’il est une créature intelligente.
Car on n’imagine pas quelqu’un qui soit libre sans intelligence. Comment se dirigerait cette liberté ? Comment l’homme pourrait-il se diriger dans sa vie si l’on prenait comme premier postulat de la vie humaine la liberté ? La liberté seule n’est pas concevable. Elle n’est concevable qu’avec l’intelligence et la volonté. L’intelligence qui nous montre la loi que le Bon Dieu veut que l’on applique – et qu’il exprime et qu’il manifeste -, et la volonté qui y adhère de son propre mouvement, de sa propre détermination, de sa propre autodétermination.
C’est cela qui fait précisément toute la grandeur de l’homme : connaître la loi qui est inscrite dans la nature et y appliquer sa volonté.
Mais voyez-vous, on ne peut vraiment concevoir la liberté et on ne peut vraiment la comprendre que si on la place dans cet ordre universel. Si on commence par analyser la liberté elle-même, on risque de faire la confusion entre la liberté psychologique et la liberté morale. Le Pape Léon XIII marque bien la différence entre la liberté naturelle (ou psychologique) et la liberté morale. La liberté naturelle, c’est la liberté dans son être physique. La liberté morale, c’est l’application de cette liberté à la fin de l’homme qui est déterminée par les lois que l’intelligence connaît. Par conséquent, la liberté morale n’est pas complète parce que les lois limitent cette liberté morale. Il y a des choses qui sont bonnes et il y a des choses qui sont mauvaises, il y a des choses que nous ne pouvons pas faire.
Mais direz-vous peut-être, cette liberté morale limite notre liberté psychologique ? Pas du tout ! Parce qu’elle se présente comme objet à notre liberté, à notre intelligence et n’influe pas sur le sujet lui-même. Elle influe sur notre esprit par l’intelligence, comme objet de notre faculté et non pas sur le sujet lui-même. Si la liberté morale influait sur la faculté même d’être libre, à ce moment nous ne serions plus libres, évidemment. Mais elle se présente à nous comme une loi à laquelle nous devons nous soumettre librement, de nous-mêmes.
Donc la grandeur de l’homme, certainement, réside dans cette liberté. Mais dans cette liberté qui doit s’appliquer encore une fois à exercer son activité selon ces lois qui sont dans la nature. Il serait d’ailleurs bien malheureux de penser que des hommes intelligents, capables de connaître les lois qui doivent les mener à leur fin, sont au fond moins fidèles à la loi que ne le sont les êtres irraisonnables : les oiseaux, les fleurs des champs, les êtres inanimés qui doivent suivre la loi de Dieu d’une manière absolument parfaite, sans dérèglement. Tandis que l’homme qui est intelligent, l’homme auquel le Bon Dieu a donné une intelligence exprès pour qu’il se soumette à ces lois de lui-même et que, comprenant la beauté et la grandeur de ses lois et de sa fin, il se soumette librement, et que par conséquent, il adhère de toute son âme à la grandeur de l’ordre de l’univers et à la grandeur de l’ordre voulu par Dieu, pour mériter de participer à cet ordre de l’univers et à ce but qui est la gloire de Dieu, l’homme rechercherait des voies contraires à ces lois ! C’est donc dans cette optique que j’essaie de considérer en quoi consiste la liberté et quelles sont les limites de cette liberté.
On pourrait dire peut-être que la loi est une limite de notre liberté. Or la loi, en tant qu’ordonnance de la raison destinée à orienter vers leur fin l’activité des différents êtres, tend par définition même au bien de ces êtres, puisque la fin et le bien, matériellement ne font qu’un. S’agit-il spécialement des êtres raisonnables, nous dirons que l’effet de la morale est de les rendre vertueux. Ce n’est que par la vertu que l’homme se prépare à l’obtention du Souverain Bien : tel est l’effet éloigné de la loi. La loi a des effets immédiats : sa fin prochaine est de créer dans le sujet de la loi une obligation d’agir. Chez les êtres inintelligents, cette nécessité est fatale et irrésistible. Chez les êtres raisonnables, elle est de nature morale et reçoit le nom d’obligation et de devoir. Il s’agit bien ici encore d’une nécessité, fût-ce malgré la volonté du sujet de la loi, mais elle est morale et non physique, c’est-à-dire qu’elle ne procède pas d’une détermination intrinsèque de la nature ni d’une contrainte externe : elle s’adresse à la raison mais elle respecte la liberté du sujet de la loi. Comme vous le voyez, l’obligation morale s’adresse à l’homme comme une obligation. Mais non pas une obligation qui fasse que l’homme ne soit plus libre. Le sujet reste libre, mais le sujet doit se soumettre. Cette loi qu’il conçoit comme son bien, comme sa fin, le sujet doit s’y soumettre moralement. C’est là que réside la difficulté du libéralisme qui affirme que l’obligation morale supprime notre liberté. Ce n’est pas exact. L’obligation morale ne supprime pas notre liberté. Il n’y a pas de liberté de faire ce que l’on veut. Il n’y a pas d’homme sans loi ni sans but, sans fin ni sans raison. Nous ne pouvons pas être libres sans avoir une direction à donner à notre liberté et ce choix nécessairement nous conduit à une fin, nous conduit à un but. Par conséquent, l’obligation morale ne diminue pas notre liberté mais la dirige et nous montre quel est son but, quelle est son utilité. Sa fin est la raison même du don que le Bon Dieu nous a fait de cette liberté.
Je crois que nous devons nous attacher de toute notre âme, de tout notre cœur, à connaître ces lois si nous voulons atteindre notre fin. C’est pour cela que le Bon Dieu nous a donné une intelligence et une volonté libre. De même que les êtres inintelligents ne connaissent la loi que d’une manière non intelligente et la suivent d’une manière instinctive, fatale, nous devons rechercher de toute notre âme quelle est la loi de notre activité, la loi de notre nature qui nous conduira vers notre fin.
La loi naturelle a été inscrite dans notre propre conscience, dans nos propres cœurs, dans nos propres âmes. Elle est complétée par la loi positive : loi humaine et loi divine, loi de l’Église que Notre Seigneur a fondée pour le salut de tous les hommes. Car aucun homme n’est en dehors de l’ordre surnaturel. Jamais n’a existé un homme en dehors de l’ordre surnaturel. Adam et Eve étaient dans l’ordre surnaturel. Par leur péché ils ont été privés des biens surnaturels et ont subi de graves dommages dans l’ordre de la nature. Depuis lors tout homme a besoin de restaurer l’ordre surnaturel pour restaurer aussi l’ordre naturel et retrouver l’application des lois qui le dirigent vers sa fin, fin naturelle et surnaturelle. On a trop tendance à séparer ces ordres naturel et surnaturel. Dieu a donné à Adam et à Eve, déjà, l’ordre surnaturel. Pourquoi, nous disons-nous, Dieu a‑t-il donné ces lois d’ordre surnaturel qui compliquent notre vie ? Pourquoi ne pas nous avoir donné tout simplement une loi naturelle ? Le Bon Dieu, dans sa libéralité, sa bonté, sa grandeur, sa magnificence vis-à-vis des hommes a voulu ajouter à ce qui aurait pu être suffisant pour un certain bonheur naturel, a voulu leur donner un bonheur encore plus grand. Est-ce que nous devons reprocher à Dieu d’avoir voulu nous donner un bien encore plus grand que celui que nous aurions eu par notre simple nature ? Mais on peut dire en vérité que cette surnature que le Bon Dieu nous a donnée pour mieux le connaître, mieux l’aimer, mieux jouir de sa grandeur dans l’éternité, fait partie maintenant en quelque sorte de la nature humaine. Parce que, encore une fois, il n’existe pas d’homme, il n’a jamais existé d’homme qui ait été en dehors de l’ordre surnaturel. Je crois que c’est une erreur assez fréquente que de croire que, quand on n’a pas la Grâce, on est en dehors de l’ordre surnaturel, on est simplement dans l’ordre de la nature. Or, on a perdu l’ordre de la nature quand on n’est plus dans l’ordre de la Grâce parce que l’ordre de la grâce est nécessaire pour la perfection de l’ordre naturel. Nous ne le voyons plus maintenant. Par la perte de l’ordre surnaturel, Adam et Eve ont perdu également l’ordre naturel, en ce sens que vis-à-vis des lois de l’ordre de la nature, ils se trouvent en déficience. C’est pourquoi notre liberté se trouve atteinte aussi, touchée non mortellement, mais blessée par le péché, par la perte des biens surnaturels dont les conséquences se font sentir aussi dans l’ordre de la nature. Et notre liberté est moins capable de s’exercer que lorsqu’Adam et Eve avaient la perfection de la nature et de la surnature.
Quelques applications de la liberté
Liberté et autorité
Vous avez pu voir peut-être que dans l’Encyclique Libertas Praestantissimum, le Pape Léon XIII parle également de cette diminution de notre liberté, pour l’application de l’autorité. Et il insiste surtout sur le fait de notre faiblesse, de la faiblesse de nos facultés qui nous vient d’une manière plus particulière des conséquences du péché originel.
Saint Thomas parle des quatre blessures qui sont faites à la nature par la perte de l’ordre surnaturel : l’ignorance dans l’intelligence, la malice dans la volonté, la faiblesse et la concupiscence. Voilà les quatre blessures qui sont faites à notre nature par le fait que nous perdons l’ordre surnaturel. Donc notre nature n’est plus parfaite. Saint Thomas insiste sur ces faiblesses de la nature qui touchent également indirectement à notre liberté, qui l’amenuisent, pour dire que l’autorité est nécessaire.
Je voudrais à ce sujet corriger une erreur qui pourrait être assez commune : penser que l’autorité ne nous est donnée que pour cela ; que l’autorité ici-bas, que toutes les autorités ne nous ont été données par Dieu qu’à cause du péché originel. Ce serait évidemment une erreur. L’autorité est une perfection. Elle existera toujours. L’autorité de Dieu vis-à-vis de nous existera toujours. Si en conséquence l’autorité n’était donnée qu’à cause de notre faiblesse, de nos déficiences, l’autorité n’existerait que pendant l’existence humaine ici-bas ; après cette vie, normalement, dans le ciel et au paradis, l’autorité ne devrait plus exister. Cela n’est pas exact. D’ailleurs le mot lui-même l’indique : autorité veut dire auteur ; l’autorité est donc auteur de la vie, elle doit continuer à garder cette vie, à protéger cette vie, à continuer de donner cette vie. Ainsi l’autorité est source de vie et par les lois qu’elle donne et par l’exécution même de ces lois.
Évidemment certains diront : « il y a une contrainte » mais la contrainte est nécessaire quelquefois, justement à cause de notre faiblesse. Et c’est pourquoi existent le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire de ceux qui ont autorité. Le pouvoir législatif consiste précisément à faire des lois, à préciser les lois qui sont dans la nature. L’autorité les formule, les promulgue et les fait exécuter. Ensuite le pouvoir judiciaire consiste à punir les délinquants, ceux qui ne veulent pas se soumettre à ces lois. Tel est le pouvoir même de l’autorité qui est faite pour le bien.
Bien sûr, si ces lois sont des lois injustes, des lois illégitimes, des lois qui ne sont pas conformes à l’ordre naturel ni conformes à la loi positive de Dieu, alors ces lois n’ont pas de valeur. Une loi ne peut avoir de valeur que quand elle est conforme à la loi de la nature, à la loi positive divine et aux lois positives humaines que sont, par exemple, les lois de l’Église, les commandements de l’Église qui sont des lois humaines, des lois ecclésiastiques, mais qui correspondent à la loi divine.
Vous voyez donc que l’autorité par rapport à la liberté a un très grand rôle à jouer.
Liberté et pouvoir de faire le mal
Le Pape Léon XIII a dit explicitement qu’il est évident que le pouvoir de faire le mal ne fait pas partie de l’essence de la liberté. Sinon le Bon Dieu ne serait plus libre, parce qu’il ne peut pas faire le mal. Et je pense que Dieu est souverainement libre. Et les élus qui sont dans le Ciel ne peuvent plus faire le mal non plus, mais pourtant ils adhèrent librement et d’une manière infaillible, au bien qu’ils conçoivent dans leur intelligence, parce que cette fois le bien se présente à eux totalement et directement à leur intelligence ; ils ne peuvent pas ne pas le voir, ils ne peuvent pas ne pas en jouir, ils ne peuvent pas, dans leur volonté, ne pas désirer ce bien qu’ils aperçoivent d’une manière parfaite, c’est inconcevable ; ils s’y portent de tout leur cœur, de toute leur âme, parce qu’il est impossible que, ce bien leur étant présenté par la vision béatifique d’une manière directe, ils ne voient ce bien qui est leur bien, leur propre bien, leur propre fin ; ils ne peuvent pas ne pas y adhérer, et ils y adhèrent librement, infailliblement. Donc dire de la liberté qu’elle serait le pouvoir de faire le mal, ce serait dire qu’il n’y aurait plus de liberté, ni chez les élus, ni en Dieu.
C’est un défaut de notre liberté que le pouvoir de faire le mal. Et pourquoi ce défaut ? Parce que les biens qui se présentent à nous ne sont pas des biens nécessaires. Il y a un bien nécessaire qui est notre fin, le bonheur, le désir de toutes les âmes. Mais entre ce bien final vers lequel nous marchons, et ce que nous sommes maintenant, il y a une infinité de biens qui se présentent à nous et parmi eux, il y a des biens réels et des biens trompeurs. Il y a des biens apparents, auxquels nous risquons de nous attacher si nous ne faisons pas attention ; nous pouvons quelquefois nous y attacher sans mauvaise conscience, mais nous pouvons aussi nous y attacher avec mauvaise conscience. Nous pouvons nous attacher à des biens trompeurs, de même que nous pouvons nous attacher aussi à des vérités apparentes, qui en réalité sont des erreurs. Parce que maintenant, actuellement encore, nous n’avons pas le bien total de notre intelligence et de notre volonté.
Alors si nous sommes libres du choix, on comprend très bien que le Bon Dieu ne pouvait pas nous empêcher, étant donné la nature de pèlerins qu’il nous a donnée, dans laquelle nous sommes à de nombreuses croisées de chemins et avons de nombreux choix à faire, – le Bon Dieu ne pouvait pas nous empêcher de faire de mauvais choix. Alors nous n’aurions plus la liberté humaine, qui s’attache à des biens particuliers, à des biens contingents, que nous pouvons choisir, et c’est là que nous pouvons errer, parce que nos intelligences ne sont pas parfaites, parce que nos volontés ne sont pas parfaites non plus et à plus forte raison depuis que nous sommes soumis au péché originel. Comme je vous le disais tout à l’heure, l’ignorance et la malice font malheureusement partie des défauts que nous avons d’une manière encore beaucoup plus grande que ne pouvaient l’avoir nos premiers parents.
La liberté religieuse
Voici une autre vérité importante à connaître et à affirmer : autre chose est de pouvoir faire le mal et autre chose le droit de faire le mal.
Seulement là j’en viens maintenant à une conclusion que vous devinez, et à ce chapitre qui va nous donner encore bien des soucis et bien des difficultés à la prochaine session du Concile, celui de la liberté religieuse. Pouvons-nous envisager justement que l’homme, comme il est dit et comme on l’a dit, l’homme, à cause de sa dignité humaine est moralement libre d’adhérer et de mettre en pratique publiquement la religion qu’il conçoit dans sa conscience ?
Voilà à peu près l’énoncé de ce que voudraient un certain nombre de Pères du Concile, pour dire les choses comme elles sont, de ce qu’ils voudraient nous faire adopter. L’homme est libre, a le droit par conséquent, – vous voyez que c’est grave -, a le droit, je ne dis pas le pouvoir (cela est autre chose : hélas ! nous avons le pouvoir de pécher), mais le droit de pécher. Ainsi l’homme aurait le droit, de par sa dignité humaine, – expliquez cela comme vous l’entendez -, d’adhérer et de pratiquer publiquement la religion qu’il conçoit dans sa conscience !
C’est effrayant une affirmation comme celle-là, effrayant de conséquences ! C’est épouvantable ; je suppose que ceux qui énoncent des principes comme ceux-là ne voient pas les conséquences qu’ils peuvent provoquer. « Mais enfin, dira-t-on, vous ne pouvez pas empêcher les Protestants de manifester publiquement et officiellement leur foi ! ». Évidemment, cela paraît extrême de dire le contraire. Mais autre chose est une foi qui n’est pas conforme à la Foi telle que Notre Seigneur nous l’a enseignée, autre chose sont les conséquences de cette foi.
Si l’erreur n’était que dans le domaine du dogme, ce serait déjà très grave. Supposons que dans une famille catholique par exemple, on fasse venir régulièrement une personne qui professe une foi différente et qu’on dise : « il faut que les enfants connaissent tout, il faut de l’ouverture au monde, il faut de l’ouverture aux idées ». On laisserait cette personne exposer sa foi et montrer aux enfants la foi qu’elle professe ; ce serait déjà très grave. Car si ce n’est pas la vraie foi, c’est une erreur. Cela revient à exposer des erreurs devant des enfants qui sont plus ou moins capables de se défendre devant ces erreurs. Il est toujours grave d’accepter le scandale de l’erreur.
Mais, logiquement, il faut arriver à la morale. On ne peut pas séparer le dogme de la morale. On dira : « Ah ! cela c’est différent, ne nous parlez pas de morale. Il s’agit seulement de la religion pratiquée publiquement, par exemple les offices du culte ». Je réponds : vous ne pouvez pas dire : « Nous autorisons les autres religions à faire les offices du culte » et ne pas les autoriser aussi à pratiquer leurs lois morales et par conséquent, ne pas demander aux États et aux gouvernements d’entériner leurs lois morales. La religion et la morale ne font qu’un ; le dogme et la morale ne font qu’un. Il faut donc être logique complètement. Par conséquent, il faudrait conclure qu’il faut désormais dans tous les États accepter le birth-control et le divorce et qu’il ne doit plus y avoir aucun État qui n’accepte pas le divorce. C’est logique, si c’est un droit. Et s’ils ont le droit, c’est que Dieu le donne. C’est donc que Dieu donne, par égard à la dignité humaine, le droit de pratiquer publiquement la religion conforme à sa conscience et de pratiquer la morale qui en découle.
Ce sont des principes qui sont absolument contraires à toutes les Encycliques des Papes jusqu’à présent ; c’est clair. C’est pourquoi les libéraux concluent que les États, les gouvernements ne sont pas capables de connaître la vraie religion. Il faut en arriver là pour mettre ensuite toutes les religions sur le même pied, tous les cultes et toutes les morales sur le même pied. Il faut en arriver logiquement à dire que les États n’étant pas capables de connaître quelle est la vraie religion, ils sont obligés d’admettre la liberté de tous les cultes qui peuvent s’imposer à eux. La seule limite sera soi-disant l’ordre public. Mais comment définir l’ordre public ? Car il faut le définir, cet ordre public. On peut dire par exemple, que la polygamie est l’ordre public pour les Musulmans… Eux aussi vont venir avec leur culte, eux aussi vont venir avec leur morale. Et pourquoi pas ? Alors on ne peut plus en sortir.
Que l’on dise que : « On tolère, on accepte, la prudence veut que l’on admette… » ; enfin qu’il y ait une certaine tolérance par les États Catholiques, par exemple de la pratique du culte, d’une certaine liberté religieuse, cela est laissé au jugement des chefs d’État qui doivent être conscients de leurs devoirs et de leurs responsabilités. Par exemple, pour éviter un plus grand mal qui serait des oppositions violentes entre citoyens, pour éviter des difficultés graves, on pourrait tolérer que les édifices de culte des différentes religions soient ouverts.
De là à dire ensuite que ceux qui demandent aux États cette liberté la demandent par égard à un droit, ah, non ! Cela jamais ! Est-ce que le Bon Dieu, maintenant, donnerait le droit aux hommes d’adhérer à l’erreur ? Est-ce que le Bon Dieu donnerait le droit aux hommes de faire le mal ? Le droit, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Et c’est là que toute la difficulté gît : le “jus habent’ par égard à la dignité humaine. Est-ce que la dignité de l’homme ne consiste pas dans sa fin, dans ces lois dont je vous ai parlé, dans cet ordre universel qui nous est donné par l’Église, qui nous est enseigné par Notre Seigneur qui parle par l’Église ? Alors il n’y a plus d’ordre possible. Nous ne savons plus quel est l’ordre vrai, quel est l’ordre qui n’est pas vrai. Je crois qu’il y aura encore des discussions très vives à ce sujet-là au Concile.
On se demande même comment on a pu en arriver à exprimer des choses semblables. Que ceux qui professent le libéralisme ou le modernisme explicitement aient des idées de ce genre, passe, c’est normal peut-être pour eux, mais que des théologiens aient cette audace, c’est vraiment grave, très grave, je vous assure, vous en voyez les conséquences.
Encore une fois, si on admet que les hommes ont le droit de pratiquer publiquement la religion qu’ils conçoivent dans leur conscience, ils ont droit aussi à leur morale. On ne peut pas dire : « Vous n’avez droit uniquement qu’à la pratique du culte, vous n’avez pas droit à la morale ». C’est une conséquence absolument inévitable. D’ailleurs, ceux qui veulent cette liberté du culte, certains du moins, désirent aussi cette liberté de la morale, poussés qu’ils sont par je ne sais quel esprit, mais enfin ils la désirent également parce que, il n’y a pas de doute, malheureusement il faut bien le dire, que certains esprits sont absolument mécontents, chagrins, de penser qu’il y a encore des États, des gouvernements qui peuvent interdire le divorce. Cela leur paraît inimaginable.
Ainsi vous voyez combien cette notion de la liberté est faussée, et même complètement faussée. Comme si on pouvait séparer la liberté de ce qui fait l’homme tout entier. On ne peut pas séparer la liberté, pas plus qu’on ne peut séparer l’intelligence, de l’homme et définir l’intelligence en dehors de l’homme tout entier, en dehors de sa finalité ; pas plus qu’on ne peut définir la volonté de l’homme sans considérer la finalité de l’homme total, on ne peut non plus définir la liberté en dehors de l’homme. Il faut la définir donc en vue de la finalité de l’homme. La liberté nous est donnée pour cela. Toutes nos facultés nous sont données pour que nous atteignions notre fin. Et cette fin est inscrite dans une loi indiquée par l’autorité. Ce n’est pas tellement compliqué. Mais il existe une telle obsession du danger d’avoir une liberté un peu limitée que l’on voudrait appliquer cette liberté d’une manière complète, totale, en dehors de toute loi, en dehors de toute finalité. L’homme est libre, absolument libre. Il peut faire tout ce qu’il veut ; cela regarde sa conscience. C’est sa conscience qui est le critère final, le critère définitif de tout ce que l’homme peut faire. Chaque homme peut se faire sa loi, chaque homme peut se faire sa fin… Mais est-ce que le Bon Dieu nous a créés comme des êtres qui seraient chacun un monde à part ? Tous seraient des êtres d’ordre différent, ayant chacun une finalité différente ! On se demande comment on peut imaginer des choses pareilles…
Voilà ce que je voulais vous exprimer. Je m’excuse si je n’ai pas été clair. Je voudrais tellement que vous ayez, conscience de l’importance d’une claire définition de la liberté, dans notre être et dans notre vie, parce qu’elle a des conséquences non seulement pour nous, mais dans toute la vie sociale. Et sur la liberté, sur une bonne liberté, s’échafaude, vous le savez bien, toute la responsabilité, les lois, l’autorité, la justice, enfin tout ce qui fait au fond une vie humaine, une vie sociale. Parce que sans cela, pourquoi les tribunaux, pourquoi les magistrats, pourquoi la justice ? Si nous sommes libres de faire ce que nous voulons, il y a là une inconséquence invraisemblable. Sur le plan spéculatif, on nous dit : « Vous êtes libres de faire ce que vous voulez ». Puis, tout d’un coup, un gendarme vient nous prendre et nous met en prison en nous disant : « Vous avez mal fait ». « Mal fait ? Moi je fais ce que ma conscience me dit ! Cela ne vous regarde pas ! Je fais ce que je veux. Je suis libre ! ». Que faire ? Il n’y a plus de péché, il n’y a plus de mal, il n’y a plus de tribunaux, il n’y a plus de justice. Chacun se fait sa loi à soi et tout est dit. On ne voit pas où l’on peut s’arrêter. Dire : « il y a une limite » ? Quelle limite ? Quand on part des principes, il faut être logique jusqu’au bout. Si on applique cette idée de la liberté totale en dehors d’une fin, en dehors des lois que le Bon Dieu nous donne, il n’y a plus aucune possibilité de justifier une action en justice et plus de responsabilité et plus de péché et plus de mal.
De là viennent également toutes les fausses libertés contre lesquelles s’élève le Pape Léon XIII : liberté de la presse, liberté de la conscience, toutes ces erreurs modernes qui paraissent aujourd’hui normales. Mais nous dit-on : « Vous retardez, parler de la liberté de la presse… Comme si la presse n’était pas libre ! Les hommes d’aujourd’hui ne sont tout de même plus les hommes de 1888 ! Les hommes sont bien capables maintenant de juger ce qui est bien et ce qui est mal ! Pourquoi voulez-vous limiter la liberté de la presse ? Chacun est libre de faire et de publier ce qu’il veut ! ». Donc liberté du scandale, du scandale de l’erreur, du scandale des mœurs…
Il n’y a pas moyen d’en sortir. Si on commence à vouloir dire qu’il faut une liberté, il faut la liberté de la presse, il faut la liberté des mœurs, il faut la liberté de tout. Il n’y a pas de limite possible. Qu’il y ait une certaine tolérance, d’accord. Mais on ne peut tout de même pas dire que la presse n’ait pas une influence considérable. La presse, la télévision, la radio, le cinéma ont une influence énorme sur le conditionnement des esprits humains. Nous allons vers un esprit standard. On va standardiser les esprits en les amenant sous le joug de visions de l’humanité absolument diminuées : visions matérialistes, sensuelles, que sais-je ? C’est effrayant, le conditionnement que peuvent faire la radio, la Presse ! Alors je pense que des États comme le Portugal, l’Espagne et d’autres ont parfaitement raison de discipliner la presse et tous les moyens d’information.
Liberté de la presse, liberté d’enseignement, liberté de conscience : autant de libertés contre lesquelles s’élève le Pape Léon XIII. Je ne saurais trop vous conseiller de lire l’Encyclique Libertas Praestantissimum qui est vraiment le plus beau résumé qu’on ait pu faire sur la liberté et en même temps sur l’application des principes aux « erreurs modernes » qui sont toujours actuelles.
Conclusion
Union des âmes par la doctrine enseignée par l’Église
Je voudrais terminer par un petit passage de l’Encyclique Sapientiae Christianae du Pape Léon XIII. Il y demande justement l’union des âmes :
« 26 – Pour réaliser cette union des esprits et cette uniformité dans la conduite, si justement redoutées des adversaires du catholicisme, la première condition à réaliser est de professer les mêmes sentiments. Avec quel zèle ardent et avec quelle singulière autorité de langage saint Paul, exhortant les Corinthiens, leur recommande cette concorde ! Mes frères, je vous en conjure par le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dites tous la même chose ; qu’il n’y ait pas de divisions parmi vous ; ayez entre vous le plus parfait accord de pensées et de sentiments.
« 27 – La sagesse de ce précepte est d’une évidence immédiate. En effet, la pensée est le principe de l’action, d’où il suit que l’accord ne peut se trouver dans les volontés, ni l’ensemble dans la conduite, si chaque esprit pense différemment des autres. Chez ceux qui font profession de prendre la raison seule pour guide, on trouverait difficilement – si tant est qu’on la trouve jamais – l’unité de doctrine. En effet, l’art de connaître le vrai est plein de difficultés ; de plus, l’intelligence de l’homme est faible par nature et tirée en sens divers par la variété des opinions ; elle est souvent le jouet des impressions venues du dehors, il faut joindre à cela l’influence des passions, qui, souvent, ou enlèvent complètement, ou diminuent dans de notables proportions la capacité de saisir la vérité. Voilà pourquoi, dans le gouvernement politique, on est souvent obligé de recourir à la force, afin d’opérer une certaine union parmi ceux dont les esprits sont en désaccord.
« 28 – Il en est tout autrement des chrétiens : ils reçoivent de l’Église la règle de leur foi ; ils savent avec certitude qu’en obéissant à son autorité et en se laissant guider par elle, ils seront mis en possession de la vérité. Aussi, de même qu’il n’y a qu’une Église, parce qu’il n’y a qu’un seul Jésus-Christ, il n’y a et il ne doit y avoir entre les chrétiens du monde entier qu’une seule doctrine, un seul Seigneur, une seule foi. Ayant entre eux le même esprit de foi, ils possèdent le principe tutélaire d’où découlent, comme d’elles-mêmes, l’union des volontés et l’uniformité dans la conduite.
« 29 – Mais, ainsi que l’ordonne l’apôtre saint Paul, cette unanimité doit être parfaite.
« 30 – La foi chrétienne ne repose pas sur l’autorité de la raison humaine, mais sur celle de la raison divine ; car, ce que Dieu nous a révélé, « nous ne le croyons pas à cause de l’évidence intrinsèque de la vérité, perçue par la lumière naturelle de notre raison, mais à cause de l’autorité de Dieu, qui révèle et qui ne peut ni se tromper ni nous tromper ». Il résulte de là que, quelles que soient les choses manifestement contenues dans la révélation de Dieu, nous devons donner à chacune d’elles un égal et entier assentiment. Refuser de croire à une seule d’entre elles équivaut, en soi, à les rejeter toutes. Car ceux-là détruisent également le fondement de la foi, qui nient que Dieu ait parlé aux hommes, ou qui mettent en doute sa vérité et sa sagesse infinie.
« 31 – Quant à déterminer quelles doctrines sont renfermées dans cette révélation divine, c’est la mission de l’Église enseignante, à laquelle Dieu a confié la garde et l’interprétation de sa parole ; dans l’Église, le docteur suprême est le Pontife Romain. L’union des esprits réclame donc, avec un parfait accord dans la même foi, une parfaite soumission et obéissance des volontés à l’Église et au Pontife Romain, comme à Dieu Lui-même. »
Et c’est très important, justement parce qu’actuellement on parle beaucoup d’union. Ceux qui ne veulent pas se conformer aux opinions des autres, à l’opinion publique, on les accuse de diviser. « Vous êtes des gens qui sont toujours mécontents, qui ne sont jamais satisfaits. Vous divisez… ».
Je pense que c’est là ce qui doit nous guider et nous unir, la doctrine de l’Église enseignée par les Papes. Étudiez la doctrine des Papes !
Piété, Étude, Action
Vous connaissez ces principes que l’on a quelquefois dans certains mouvements d’Action Catholique et qui sont en soi des principes tout à fait élémentaires : « Voir, juger, agir » ?
Eh ! voir, juger, agir… encore faut-il juger selon la Vérité, encore faut-il agir selon la Vérité. « Voir, juger, agir » tout le monde fait cela ; les communistes font cela ; tout homme sensé fait cela. On voit, on juge, on agit, mais on peut voir, juger agir déraisonnablement. Il faut donc voir, il faut donc étudier. Je trouve que les consignes du Pape saint Pie X à ce propos-là étaient beaucoup plus justes : « Piété, Étude, Action ». Voilà quelle était la consigne que donnait le Pape saint Pie X aux membres de l’Action Catholique ; « Piété, Étude, Action », c’est beaucoup plus réaliste. Là au moins il y a des principes auxquels on s’attache. Piété : prier d’abord, donc s’unir à Dieu ; puis étude : étudier la Vérité. Alors on agit avec succès. Et même s’il n’y a pas de succès apparent, on a au moins l’espérance d’un succès à venir.
Je vous félicite aussi de tout cœur de vous réunir comme cela, en petits groupes, pour étudier la Vérité. Surtout à votre âge, dans les conditions où vous êtes, dans les milieux où vous vous trouvez, étant donné l’ambiance, il est absolument indispensable que vous étudiiez les principes afin que vous ayez une vue claire, un esprit qui adhère vraiment à la Vérité. Alors vous agirez dans toutes les circonstances de votre vie d’une manière qui sera vraiment conforme aux lois du Bon Dieu, à l’ordre de l’univers. Vous serez dans l’ordre. Et l’ordre produit la justice et la justice produit la paix.
Ce sont des principes fondamentaux sur lesquels on ne doit jamais transiger : il y a un ordre dans le monde, le Bon Dieu nous a ordonnés vers une fin. Si nous sortons de cet ordre, c’est fini, nous sommes dans le désordre. Si c’est un désordre moral, nous sommes dans le péché. Si c’est un désordre politique ou économique, si on sort de l’ordre qui est inscrit dans les lois de la nature, on va vers des catastrophes pour la société. Et Dieu sait si on le voit maintenant depuis quelques années. Toutes ces guerres que nous déplorons sont le fruit du désordre, du désordre moral, du désordre philosophique et du désordre qui règne dans les esprits. Alors il faut d’abord mettre de l’ordre dans les esprits. Puis viendra ensuite l’ordre dans l’action et dans tous les domaines. Car il ne faut pas exclure le domaine politique. Ce serait encore une erreur que l’on voudrait maintenant inculquer dans les esprits, les esprits des catholiques, les esprits des chrétiens, que l’on ne doit pas rechercher pour les États une législation catholique et un gouvernement catholique. Aujourd’hui, c’est proscrit !!! C’était bon pour le temps des Croisades !!! Mais maintenant il ne s’agit pas de vouloir remettre un gouvernement catholique à la tête d’un État, ou des catholique à la tête d’un gouvernement ! Alors que ce doit être l’un des buts essentiels que se propose tout citoyen catholique.
Nous sommes absolument dans une atmosphère de folie : le premier désir de tout catholique devrait être que sa commune soit catholique, que sa région soit catholique, que l’État devienne catholique, pour le bien de sa famille, pour le bien de ses concitoyens, pour que le Règne de Notre Seigneur arrive sur la terre comme au Ciel.
Source : Nouvelles de Chrétienté n° 111, mai-juin 2008 et n° 112, juillet-août 2008.