Extrait du sermon de Mgr Fellay le 2 février 2012, au Séminaire de Winona (USA)

Traduction française. Le style oral a été conservé.

La Fraternité Saint-​Pie X a été fon­dée par l’Eglise et dans l’Eglise, et nous affir­mons qu’elle conti­nue d’exister, mal­gré le fait qu’il y a une pré­ten­tion à nier son exis­tence, en disant qu’elle a été sup­pri­mée en 1976 (mais de toute évi­dence sans aucun res­pect des lois de l’Eglise). Et c’est pour cela que nous conti­nuons. Notre véné­ré fon­da­teur a insis­té à maintes reprises sur l’importance de cette exis­tence de la Fraternité (dans l’Eglise). Aussi, alors que le temps passe, je crois que nous devons gar­der cela pré­sent à l’esprit ; il est très impor­tant que nous conser­vions cet esprit catholique.

Nous ne sommes pas une enti­té indé­pen­dante. Même si nous nous bat­tons avec Rome, nous sommes encore pour ain­si dire avec Rome. Si vous vou­lez, nous sommes en même temps en lutte contre Rome et avec Rome. Aussi nous pro­cla­mons et nous conti­nuons à dire que nous sommes catho­liques. Nous vou­lons res­ter catho­liques. Maintes fois j’ai dit à Rome : « vous essayez de nous pous­ser dehors. Et nous nous ren­dons compte qu’il serait beau­coup plus facile pour nous d’être dehors. Nous aurions beau­coup plus d’avantages. Vous nous trai­te­riez beau­coup mieux ! » Regardons les pro­tes­tants, comme ils ouvrent les églises pour eux ; et pour nous, ils les ferment. Mais nous disons : « ne nous sou­cions pas de cela ». Nous agis­sons sous le regard de Dieu. Nous souf­frons de la part de l’Eglise, c’est enten­du. Nous n’aimons pas cela, bien sûr. Mais nous devons res­ter là, dans la véri­té. Et nous devons conti­nuer à affir­mer que nous appar­te­nons à l’Eglise. Nous sommes catho­liques. Nous vou­lons être et res­ter catho­liques ; il est très impor­tant de main­te­nir cela.

Il est éga­le­ment impor­tant que nous n’imaginions pas une Eglise catho­lique qui ne serait que le fruit de notre ima­gi­na­tion, qui ne serait plus l’Eglise réelle. C’est avec l’Eglise réelle que nous avons des pro­blèmes. Voilà ce qui rend les choses encore plus dif­fi­ciles : le fait que nous avons des pro­blèmes avec elle. Cela ne nous auto­rise pas, pour ain­si dire, à « cla­quer la porte ». Au contraire, c’est notre devoir d’aller tou­jours à Rome, de frap­per à la porte et de deman­der non pas d’y entrer (puisque nous sommes déjà dedans), mais de les prier de se conver­tir, de chan­ger et de retour­ner à ce qui fait l’Eglise. C’est un grand mys­tère ; ce n’est pas simple. Parce que dans le même temps nous devons recon­naître cette Eglise – c’est ce que nous affir­mons au Credo : « je crois en l’Eglise catho­lique » – et donc nous recon­nais­sons qu’il y a un pape, qu’il y a une hié­rar­chie. Nous recon­nais­sons tout cela.

Mais dans la pra­tique, à plu­sieurs niveaux, nous sommes obli­gés de dire « non ». Pas parce que cela nous déplait, à nous, mais parce que l’Eglise s’est déjà pro­non­cé sur ces ques­tions. Et même plu­sieurs d’entre elles, l’Eglise les a condam­nées. C’est pour­quoi, dans nos dis­cus­sions doc­tri­nales avec Rome, nous étions, pour ain­si dire, blo­qués. Le problème-​clé dans ces dis­cus­sions avec Rome était en défi­ni­tive la ques­tion du Magistère, de l’enseignement de l’Eglise. Eux nous disent : « nous sommes le pape, nous sommes le Saint-​Siège », ce que nous accep­tons. Alors ils pour­suivent : « nous avons le pou­voir suprême, » et nous l’admettons. Ils insistent : « nous sommes la der­nière ins­tance dans l’enseignement et nous sommes néces­saires » – Rome nous est néces­saire pour avoir la foi, nous sommes d’accord. Ils ordonnent : « alors, obéis­sez », et nous disons « non ». Ils nous reprochent d’être des pro­tes­tants, parce que nous pla­çons notre rai­son au-​dessus du Magistère d’aujourd’hui. Alors nous leur répon­dons : « vous êtes des moder­nistes ; vous pré­ten­dez que l’enseignement d’aujourd’hui peut être dif­fé­rent de celui d’hier ». Nous disons que quand nous adhé­rons à ce que l’Eglise a ensei­gné hier, nous adhé­rons néces­sai­re­ment à ce que l’Eglise enseigne aujourd’hui. Car la véri­té n’est pas liée au temps. La véri­té est au-​dessus du temps. Ce qui a été pro­cla­mé une fois, oblige tou­jours. Voilà ce qu’est un dogme. Dieu est ain­si, au-​dessus du temps. Et la foi consiste à adhé­rer à la véri­té de Dieu. Elle est au-​dessus du temps. C’est pour­quoi l’Eglise d’aujourd’hui est liée à l’Eglise d’hier et doit lui être sem­blable, mais pas seule­ment sem­blable. Aussi, quand on entend le pape actuel dire qu’il doit y avoir conti­nui­té dans l’Eglise, nous disons : « bien sûr ! » C’est ce que nous disons depuis tou­jours. Quand on parle de la Tradition, c’est pré­ci­sé­ment ce que l’on veut dire. Ils affirment qu’il doit y avoir Tradition, qu’il doit y avoir conti­nui­té, et donc qu’il y a conti­nui­té. Vatican II a été fait par l’Eglise, or dans l’Eglise il doit y avoir conti­nui­té, donc Vatican II appar­tient aus­si à la Tradition. Et nous de réagir : « par­don, que dites-​vous là ? »

Mais cela va encore plus loin, bien chers fidèles. Ce que je viens de décrire se pas­sait pen­dant les dis­cus­sions à la fin des­quelles nous rece­vions l’invitation de Rome. Dans cette invi­ta­tion se trou­vait la pro­po­si­tion d’une solu­tion cano­nique pour régu­la­ri­ser notre situa­tion. Et je peux affir­mer que ce qui nous est pré­sen­té aujourd’hui – et qui est dif­fé­rent de ce qui nous a été pré­sen­té le 14 sep­tembre 2011 – peut être consi­dé­ré comme bon. Ils rem­plissent toutes nos condi­tions, si je puis dire, au niveau pra­tique. Il n’y a pas beau­coup de pro­blèmes sur ce plan. Mais le pro­blème demeure à un autre niveau, au niveau de la doc­trine. Toutefois, même dans le domaine doc­tri­nal, on avance très vite, mes bien chers frères. La clé du pro­blème est un prin­cipe (celui de la cohé­rence avec la Tradition). Ils nous disent : « vous devez accep­ter que dans les cas où il y a des dif­fi­cul­tés dans les docu­ments du Concile – tels points ambi­gus qui font débat – ces points, comme l’œcuménisme, la liber­té reli­gieuse, doivent être inter­pré­tés en cohé­rence avec l’enseignement de tou­jours de l’Eglise ». Et ils ajoutent : « ain­si lorsqu’il y a une ambi­guï­té dans le Concile, vous devez la com­prendre comme l’Eglise a ensei­gné depuis toujours ».

Ils vont encore plus loin et disent : « on doit reje­ter tout ce qui est oppo­sé à l’enseignement tra­di­tion­nel de l’Eglise ». Bon, c’est ce que nous avons tou­jours dit. C’est sur­pre­nant, n’est-ce pas, que Rome nous impose ce prin­cipe ? Surprenant. Alors vous pour­riez deman­der : « pour­quoi n’acceptez-vous pas ? » Eh bien, chers fidèles, c’est qu’il y a encore un pro­blème. Dans le texte de ce Préambule doc­tri­nal, ils donnent deux appli­ca­tions du com­ment nous devons com­prendre ces prin­cipes. Ils nous donnent les exemples de l’œcuménisme et de la liber­té reli­gieuse, tels qu’ils sont décrits dans le nou­veau Catéchisme de l’Eglise catho­lique, qui reprend exac­te­ment les points que nous repro­chons au Concile.

En d’autres termes, Rome nous dit : « nous avons tou­jours fait cela. Nous sommes tra­di­tion­nels ; Vatican II c’est la Tradition. La liber­té reli­gieuse, l’œcuménisme c’est la Tradition. C’est en par­faite cohé­rence avec la Tradition. » Vous vous deman­dez : « où cela nous conduit-​il ? » Quels mots trouverons-​nous pour dire que nous sommes d’accord ou que nous ne le sommes pas ? Même s’ils acceptent les prin­cipes que nous avons tou­jours sou­te­nus, c’est parce que, pour eux, ces prin­cipes signi­fient ce qu’ils pensent, mais qui est en exacte contra­dic­tion avec ce que nous affirmons.

Je crois qu’on ne peut pas aller plus loin dans la confu­sion. En d’autres termes, cela signi­fie qu’ils donnent une autre signi­fi­ca­tion au mot « Tradition », et peut-​être au mot « cohé­rence ». Voilà pour­quoi nous avons été obli­gés de dire « non ». Nous n’allons pas signer cela. Nous sommes d’accord dans le prin­cipe, mais nous nous ren­dons compte que la conclu­sion est contraire. Grand mys­tère ! Alors, que va-​t-​il se pas­ser main­te­nant ? Nous avons envoyé notre réponse à Rome. Ils conti­nuent à dire qu’ils y réflé­chissent, et cela veut dire que pro­ba­ble­ment ils sont embar­ras­sés. En même temps je crois que nous pou­vons voir main­te­nant ce qu’ils veulent vrai­ment. Nous veulent-​ils vrai­ment dans l’Eglise ou non ? Nous leur avons par­lé très clai­re­ment : « si vous nous accep­tez c’est sans chan­ge­ment. Sans obli­ga­tion d’accepter ces choses ; alors nous sommes prêts. Mais si vous vou­lez nous les faire accep­ter, alors c’est non. » Et nous n’avons fait que citer Mgr Lefebvre, qui avait déjà dit cela en 1987 – plu­sieurs fois aupa­ra­vant, mais la der­nière fois qu’il l’a dit c’était en 1987.

En d’autres termes, bien chers frères, humai­ne­ment par­lant il est dif­fi­cile de dire ce que nous réserve l’avenir, mais nous savons que quand nous trai­tons avec l’Eglise, nous avons affaire avec Dieu, avec la divine Providence, et nous savons que cette Eglise est Son Eglise. Les hommes peuvent per­tur­ber, détruire. Ils peuvent mettre de l’agitation, mais Dieu est au-​dessus de cela, et Dieu sait com­ment diri­ger son Eglise sur des lignes droites, mal­gré tous ces inci­dents humains, toutes ces lignes courbes.

Cette épreuve fini­ra, je ne sais pas quand. Parfois cette fin semble s’approcher, par­fois elle semble s’éloigner. Dieu connaît les temps, mais humai­ne­ment par­lant, il fau­dra attendre un bon moment avant de com­men­cer à voir les choses s’améliorer – cinq, dix ans. Je suis per­sua­dé que dans dix ans les choses seront dif­fé­rentes parce que la géné­ra­tion issue du Concile aura dis­pa­ru et la géné­ra­tion qui suit n’entretient pas un tel lien avec le Concile. Et déjà main­te­nant, bien chers frères, nous enten­dons plu­sieurs évêques nous dire : « vous don­nez trop de poids à ce Concile ; laissez-​le de côté. Ce serait une bonne manière pour l’Eglise d’aller de l’avant. Laissez-​le de côté, oubliez-​le. Retournons à la réa­li­té, à la Tradition. »

N’est-ce pas inté­res­sant d’entendre des évêques dire cela ? C’est un lan­gage nou­veau ! Cela signi­fie qu’il y a une nou­velle géné­ra­tion qui sait que, dans l’Eglise, il y a des choses plus sérieuses que Vatican II, et que nous devons retour­ner à ce qu’il y a de plus sérieux, si vous me per­met­tez de par­ler ain­si. Vatican II c’est sérieux, à cause des dégâts qu’il a pro­duits, c’est vrai­ment sérieux. Mais en tant que concile, il a vou­lu être pas­to­ral, et il est déjà démo­dé. Nous savons que quelqu’un qui tra­vaille au Vatican a rédi­gé une thèse uni­ver­si­taire sur le magis­tère de Vatican II. Il nous l’a dit lui-​même, per­sonne dans les uni­ver­si­tés romaines ne vou­lait accep­ter ce tra­vail. Finalement un pro­fes­seur l’a fait, or la thèse est la sui­vante : l’autorité du magis­tère de Vatican II est celle d’une homé­lie des années 60. Et ce can­di­dat a été reçu !

On ver­ra, mes bien chers frères. Pour nous, c’est très clair. Nous devons tou­jours sou­te­nir la véri­té, pro­fes­ser la foi. Nous n’allons pas faire marche arrière, quoi qu’il arrive. Il y a quelques menaces de la part de Rome main­te­nant, bien sûr. On ver­ra. Nous lais­sons tout cela entre les mains du Bon Dieu et de la Très Sainte Vierge. Oh ! Oui, nous devons conti­nuer notre croi­sade de rosaires. Nous comp­tons sur elle, nous comp­tons sur Dieu. Et ce qui doit arri­ver, arri­ve­ra. Je ne peux pas vous pro­mettre un joli prin­temps. Je ne sais pas ce qui se pas­se­ra au prin­temps. Je sais seule­ment que le com­bat de la foi conti­nue­ra, quoi qu’il arrive. Soit que nous soyons recon­nus, soit que nous ne le soyons pas. Vous pou­vez être sûrs que les pro­gres­sistes ne seront pas contents. Ils conti­nue­ront, et nous conti­nue­rons à les combattre.

Pour conser­ver à ce ser­mon son carac­tère propre, le style oral a été main­te­nu. (Source : FSSPX/​Winoa – Transcription et inter­titres de DICI – 03/​02/​2012)

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.