A la différence de l‘œcuménisme, le dialogue interreligieux conciliaire et postconciliaire est grevé d’une contradiction formidable, qui est la cause prochaine de ses incroyables ravages dans l’Église catholique. L’œcuménisme, tel qu’il est pratiqué depuis presque un demi-siècle, est évidemment pollué par cet esprit « d’irénisme imprudent » que dénonçait Pie XII dans Humani generis, et dont il prophétisait qu’il ne pourrait « qu’assurer l’union dans la ruine ». Mais enfin, le mot d’œcuménisme et ce qu’il désigne (selon les principes catholiques, évidemment, non selon Vatican II) font partie intégrante du patrimoine de la foi. Toujours l’Église a cherché à rassembler dans l’unité du bercail du Christ tous ceux qui avaient reçu le saint baptême. Cela a pris des noms variés, de l’unionisme à l’œcuménisme ; cela a revêtu des formes diverses : apologies, controverses, conciles d’union, rencontres, etc. Mais cela n’a jamais cessé d’être une vive préoccupation ecclésiale.
En revanche, le dialogue interreligieux est incontestablement une innovation majeure et contradictoire de Vatican II, aux conséquences calamiteuses. Bien sûr, les missionnaires de tous les temps se sont intéressés aux âmes qu’ils rencontraient, à leur langue, à leur culture, à leurs coutumes. Ils ont souvent utilisé ce qu’il peut y avoir de bon dans leurs traditions religieuses pour attirer leur attention au début de leur prédication. Bien sûr, dans toutes les sociétés multiculturelles et multireligieuses dans lesquelles l’Église a accompli sa mission, les catholiques, comme citoyens, ont collaboré avec des non-catholiques pour des tâches temporelles. Lorsqu’un incendie menace une maison, personne ne se préoccupe de savoir si tel pompier est catholique, juif, musulman ou athée. Mais le dialogue interreligieux n’est conçu ni comme un dialogue qui prépare une démarche de conversion, ni comme un dialogue sur le simple plan temporel. Il est proprement un dialogue « religieux », donc non « temporel » ; mais il n’a pas pour but prochain la conversion de l’interlocuteur à la foi catholique.
Alors, dira-t-on, à quoi sert ce dialogue ? Que représente-t-il ? Précisément : une étonnante contradiction dans les termes. On va y parler religion : mais très vite, on se heurte à des limites infranchissables. Comment dialoguer sérieusement avec des juifs ou des musulmans qui refusent la Trinité et le Fils de Dieu ? Avec des hindouistes polythéistes ? Avec des bouddhistes dont beaucoup ne croient pas en Dieu ? Sans délai, le dialogue s’embourbe, il perd tout sens. Que reste-t-il alors ? Des choses, nous dit la déclaration Nostra ætate, que « les hommes ont en commun » et qui sont les « valeurs spirituelles, morales, socioculturelles », « la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté », « la lutte contre les discriminations, pour la dignité humaine et les droits de l’homme ». Remarquons bien qu’au plan temporel, certaines de ces réalités (même si les mots sont souvent piégés) sont désirables et souhaitables. Qui ne serait pour la paix ? Pour les valeurs morales ? Mais ce dialogue interreligieux n’est pas un dialogue temporel : il est proprement religieux. Or, puisque la discussion sur ce qui est vraiment religieux (Dieu, le Christ, la foi, le salut, etc.) ne peut même pas commencer, ce sont tout simplement ces valeurs en soi temporelles qui deviennent religieuses.
Ce que nous voyons chaque jour de nos yeux est l’aboutissement du concept de dialogue interreligieux : la religion de la paix, de la liberté, de la lutte contre les discriminations, des droits de l’homme. Souvent, nous sommes surpris par les déclarations épiscopales, en ce sens qu’elles nous semblent aussi peu religieuses que possible, parlant du chômage, des immigrés, de la paix dans le monde, de l’écologie, etc. Elles sont tout simplement un fruit de la religion du dialogue interreligieux qui, évidemment, n’a rien à voir avec la foi catholique.
Abbé Régis de Cacqueray †, Supérieur du District de France
Fideliter n°193