Face à la déchristianisation systématique, à la destruction de la loi naturelle et à la mort programmée de notre pays, c’est une question à la fois délicate et fondamentale que celle d’une alliance tactique avec des non-traditionalistes, des non-catholiques, des non-chrétiens.
Mgr Marcel Lefebvre avait traité de ce problème dans une lettre de 1990 au président du Mouvement de la jeunesse catholique de France (MJCF) de l’époque, à propos d’un projet d’opérations antiavortement réalisées avec la « Ligue pour la Vie », groupe non confessionnel.
Nous nous inspirons ici de ses sages indications, dont la principale est un conseil de prudence : « Ce problème délicat et complexe (…) demande une grande prudence et un sérieux examen avant de s’engager. »
Notre fondateur renvoyait son correspondant aux « textes des papes », dont « vous pouvez trouver, disait-il, des références dans les livres de Solesmes Le laïcat et Consignes aux militants ».
Trois textes sont particulièrement intéressants sur ce sujet : l’un de Léon XIII, plus général, les deux autres de saint Pie X et de Pie XI sur les syndicats mixtes (catholiques et protestants).
Citons celui de Léon XIII, envoyé à Mgr Amand-Joseph Fava, évêque de Grenoble, le 22 juin 1892.
« Il est de la prudence chrétienne de ne pas repousser, disons mieux, de savoir se concilier dans la poursuite du bien, soit individuel, soit surtout social, le concours de tous les hommes honnêtes. La grande majorité des Français est catholique. Mais, parmi ceux-là mêmes qui n’ont pas ce bonheur, beaucoup conservent malgré tout un fond de bon sens, une certaine rectitude que l’on peut appeler le sentiment d’une âme naturellement chrétienne ; or, ce sentiment élevé leur donne, avec l’attrait du bien, l’aptitude à le réaliser, et plus d’une fois, ces dispositions intimes, ce concours généreux leur sert de préparation pour apprécier et professer la vérité chrétienne. Aussi n’avons-Nous pas négligé dans Nos derniers actes de demander à ces hommes leur coopération pour triompher de la persécution sectaire, désormais démasquée, et sans frein, qui a conjuré la ruine religieuse et morale de la France. »
Les règles pour une telle action en commun avec des non-catholiques sont, en résumé, les suivantes. L’objectif de l’action doit d’abord être « précis et bref » (ce sont les mots de Mgr Lefebvre). Il faut ensuite éviter « l’oecuménisme pratique », c’est-à-dire garder son entière liberté de parole et d’action, afin d’être clairement identifiés comme catholiques. Car, aux yeux de Mgr Lefebvre, la condition essentielle pour que l’union avec des non-catholiques soit moralement valable réside dans le fait de ne pas cacher sa foi catholique.
On peut cependant recourir ponctuellement à des arguments de morale naturelle, sans user explicitement d’arguments de foi. Cette manière de faire a été autorisée par saint Pie X lui-même dans l’encyclique Jucunda sane du 12 mars 1904.
« Quand il s’agira d’éclairer des hommes hostiles à nos institutions et complètement éloignés de Dieu, la prudence pourra autoriser à ne proposer la vérité que par degré. »
Le saint pontife signale en même temps les limites de cette tactique :
« Ce serait transformer une habileté légitime en une sorte de prudence charnelle que de l’ériger en règle de conduite constante et commune. »
C’est selon ces principes que Joseph Sarto, alors patriarche de Venise, arriva à convaincre le parti libéral, opposé aux francs-maçons, d’adopter pour les élections municipales un programme acceptable pour les catholiques. La mairie fut ainsi ravie aux radicaux sans que les fidèles dussent donner leur voix à un candidat présentant un programme libéral.
Ce genre d’alliance à long terme est cependant si délicat que cet épisode fut discuté lors du procès de béatification de Pie X. Le 29 juillet 1921, le Saint-Office autorisa la participation des catholiques à un congrès sur la natalité organisé dans un esprit neutre et laïc, moyennant certaines précautions.
Plus près de nous, en 1984, Mgr Lefebvre encouragea la participation aux grandes manifestations de défense de l’école libre. Enfin, en 2005, face au projet de « mariage gay », l’abbé Régis de Cacqueray, alors supérieur du district de France, encouragea vivement la participation des fidèles de la Fraternité au « Collectif contre l’homofolie » qui regroupait des associations nettement catholiques et d’autres non-confessionnelles. Et il demanda, selon ses propres mots, « à l’un des participants de commenter la belle, utile, courageuse et habile campagne contre l’homofolie » (Fideliter n° 166, juillet-août 2005).
Alors, tous contre un, est-ce possible, est-ce opportun ? Oui, pourvu qu’on le fasse avec toute la prudence requise, en suivant les sages règles que nous ont données pour ces situations les papes, ainsi que notre fondateur.
Abbé Christian Bouchacourt †, Supérieur du District de France de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Fideliter n° 241 de janvier-février 2018