La charia règne dans de nombreux pays musulmans de la planète. En Europe, la charia a commencé de pénétrer, plus ou moins selon les pays. Elle s’oppose à notre civilisation, menace ce qu’il y reste de christianisme. Ce dossier fait l’enquête sur la charia et alerte. Le danger est grand.
Face à l’augmentation constante du nombre de musulmans en Europe, une des questions légitimes qui se posent concerne la place et l’impact graduels du droit islamique dans notre société française. Est-ce que la loi islamique suit les pas du croyant musulman, même dans un État non musulman ? Est-ce que la charia s’imposera de fait, et sera tolérée par nos gouvernants dans les lieux où l’islam sera puissant ? Avons-nous un espoir de faire évoluer la charia pour l’adapter à nos pays occidentaux ?
Avant de pouvoir répondre à ces questions, il est nécessaire de bien définir la charia selon la doctrine islamique, puis de faire comprendre les données de base quant à ses sources et sa méthodologie, pour parvenir enfin à un examen de sa possible évolution, qui fera l’objet de l’article suivant.
Qu’est-ce que la charia ?
La plupart des juristes ont l’habitude de classer les principales sources du droit islamique de cette façon :
- a. le Coran ;
- b. la sunna, ou tradition de Mohammed, dans le hadith ;
- c. l’ijmâ”, ou consensus de l’opinion ;
- d. le qiyâs, ou jugement selon l’analogie juridique.
Les deux premières constituent la sharî’a au sens strict. Celle-ci est ainsi la base incontestée et immuable de tout le droit et la jurisprudence musulmans. La sharî’a, que nous écrirons charia pour plus de lisibilité, signifie « la voie légale » ; elle désigne la loi qui aurait été révélée par Allah à son prophète Mohammed, et dans laquelle tout homme digne de ce nom doit marcher. On la trouve donc dans le Coran (révélation d’Allah à Mohammed) et la Sunna (application exemplaire de cette loi par Mohammed).
Voici ce que dit à ce sujet Ibn Taymiyya [1] :
Le mot « loi » se dit tantôt sur ce que nous a enseigné le messager d’Allah, comme Coran et sunna, et ceci est la loi révélée, et c’est la vérité à l’encontre de laquelle personne n’a le droit d’aller. Et tantôt on désigne par le nom de « loi » ce que les hommes ajoutent à la loi d’Allah, soit par mensonge et diffamation, soit par mauvaise compréhension ou encore par erreur, et ceci se nomme « loi modifiée » (moubaddal) et non la loi révélée, et il n’est pas obligatoire, ni même permis de la suivre…»
Ibn Taymiyya, An-noubouwwât, vol. 1, p. 329.
L’unanimité des musulmans approuve la première partie de son assertion. Quant à la seconde, il semble accuser toute loi positive humaine d’être « ajoutée » à la loi coranique, et donc mauvaise. Il précise lui-même sa pensée dans un autre ouvrage : « Et le mot « loi » est utilisé dans l’usage des gens pour trois choses :
- a) La loi révélée : c’est ce que nous enseigna le messager d’Allah, et c’est ce qui est obligatoire de suivre, et quiconque s’y oppose doit être puni pour cela.
- b) La loi déduite : ce sont les avis des érudits moujtahid comme la doctrine de Malik ou autre… Il est permis de la suivre, mais ce n’est ni obligatoire, ni interdit. Et personne n’a le droit de l’imposer à l’ensemble des gens ou de l’interdire.
- c) La loi modifiée (moubaddal) : c’est de mentir sur Allah et son messager, ou de mentir au gens par de faux témoignages ou autres choses du genre, ou l’injustice claire.
En effet, quiconque dit « ceci est la loi d’Allah » est mécréant sans aucune divergence, tout comme celui qui dit « le sang et la bête morte sont licites » ; et même s’il dit « ceci est ma méthodologie » ou quelque chose comme ça [2].»
Ses propos reflètent ici la pensée générale du monde sunnite et nous permettent de définir la charia plus précisément :
- L’essentiel de la charia est la loi d’Allah contenue dans le Coran et appliquée de façon exemplaire par le prophète Mohammed dans la sunna (hadith). Ceci est immuable, universel et d’autorité divine. Quiconque diminue l’autorité de la loi coranique, accuse par le fait même Allah d’être menteur ; il devient mécréant.
- La charia coranique ne dit pas tout : il faut en déduire d’autres lois (lois déduites), dans la mesure où celles-ci sont en accord avec la méthodologie et les enseignements du Coran ; cela est l’affaire des juristes, qui se spécialisent au sein d’écoles de jurisprudence islamique (fiqh). L’autorité de ces lois est évidemment moindre que la charia coranique.
Première source de la charia : Le Coran
Pour les musulmans, puisque le Coran est la parole authentique d’Allah, il représente l’autorité absolue dont émane la notion même de légalité et de toute obligation légale.
Il ne s’agit pas d’une construction humaine, modifiable, mais :
- de quelques lois concrètes énoncées définitivement par Allah ;
- de principes de droit révélés, qui serviront de méthodologie pour toutes les lois postérieures.
Au sujet des quelques lois concrètes immuables données par la charia, nous pouvons opérer approximativement une classification des prescriptions légales qui sont contenues dans le Coran :
Les prescriptions relatives au droit de la famille sont énoncées en 70 préceptes ; celles relatives au droit civil en 70 autres ; on en compte encore 30 pour le droit pénal [les fameux châtiments] ; 13 pour la juridiction et la procédure ; 10 pour le droit constitutionnel ; 25 pour les relations internationales, et 10 pour le système économique et financier.
“Abd al-Wahhâb Khallâf, La science des sources du droit, Le Caire, 1956, p. 34. Cité par Saïd Ramadan dans As-sharî’a : le droit islamique, son envergure et son équité, éd. Al qalam, Paris, 2008, p. 48.
Plus intéressant, le Coran donne des principes de droit révélés ; tout développement ultérieur des lois en pays musulman sera conditionné par ces principes. Il faut le retenir dès qu’on parle d’évolution de la charia par un « islam modéré ». L’évolution sera forcément bornée par ces limites :
- Allah décide de façon libre ; on ne questionne pas ses décisions, car « en vérité, la création et le commandement n’appartiennent qu’à lui » (7:54).
- Seul Allah décide ce qui est licite ou illicite (10:59).
- Les hommes ne peuvent inventer des interdits autres que ceux décidés par Allah (66:1).
- Tout ce qui n’est pas explicitement interdit par le Coran est permis (2:29, 5:87).
Allah met en garde contre la volonté de faire évoluer la loi coranique et le défend absolument : « La parole de ton Seigneur s’est accomplie en toute vérité et justice. Nul ne peut modifier ses paroles. Il est celui qui entend et qui sait. Si tu obéis au plus grand nombre de ceux qui sont sur terre, ils t’égareront hors du chemin de Allah » (6:115 ‑116) ; « Il n’y a pas de changement dans les Paroles d’Allah » (10:64) ; « Ils ont failli te détourner de ce que nous t’avions révélé, pour que tu inventes contre nous autre chose que ceci ; ils t’auraient alors pris pour ami. (…) Mais tu ne trouveras pas de changement dans notre coutume » (17:73, 77).
Au final, tous seront jugés sur la fidélité à la charia, contenue dans le Coran et la sunna : « … Et quiconque obéit à Allah et à son messager, il le fera entrer dans les jardins sous lesquels coulent des ruisseaux pour y demeurer éternellement. Et voilà la grande réussite. Et quiconque désobéit à Allah et à son messager, et transgresse ses ordres, il le fera entrer au feu pour y demeurer éternellement. Et celui-là aura un châtiment avilissant » (4:13–14).
En conséquence, toute adaptation du droit islamique doit dépendre en dernier ressort de la fidélité à ce qui est révélé dans le Coran, selon la force de la loi que le Coran lui-même impose : « Et ceux qui ne jugent pas d’après ce qu’Allah a fait descendre, les voilà les mécréants » (al-mâ’idah, 44).
Deuxième source : La Sunna de Mohammed
« Ceux qui obéissent au prophète obéissent à Allah » (4:80). La sunna, ou tradition prophétique (hadith), est la compilation des paroles, faits ou acceptations tacites de Mohammed. Mohammed est censé avoir donné durant sa vie l’interprétation concrète de la loi coranique, garantie par son caractère prophétique.
Pour en comprendre la portée, il faut se souvenir que l’application de la charia est obligatoire de façon absolue et immuable par tous, même par le prophète Mohammed :
- Mohammed et les croyants doivent appliquer la loi dictée par Allah, et non pas suivre les passions (ahwa”) des gens (5:49) ;
- Mohammed ne doit pas se soumettre à la décision de la majorité, laquelle n’est pas synonyme de vérité (6:116) ;
- Mohammed doit consulter le peuple, mais sans force légale (42:38).
Les sources secondaires du droit
La charia coranique ne suffit évidemment pas à répondre à toutes les nouvelles questions auxquelles sont confrontés les musulmans. Les situations diverses de la vie exigent une adaptation du droit islamique – non au sens de changement, mais d’application correspondant au réel. Ceci s’opère par un effort de compréhension et d’interprétation de la charia, nommé ijtihâd en arabe. Cette interprétation de la charia ne peut se faire que selon les principes et la méthodologie enseignée par le Coran, et non selon un libre examen individuel autonome. Pour tenter de préserver l’unité de la communauté islamique (l’oumma), en empêchant la dissolution de la doctrine islamique par le subjectivisme de la conscience individuelle – qui est vulnérable à toutes les influences extérieures, comme dans le protestantisme –, les écoles de jurisprudence se sont rapidement développées. C’est en leur sein que l’effort d’interprétation du Coran s’est opéré.
Des nombreuses écoles juridiques existant dans les premiers siècles de l’islam, il en demeure aujourd’hui quatre ou cinq principales. Elles ont toutes légiféré en forgeant des notions juridiques secondaires, des méthodologies de droit, et des lois. Notions, méthodologie et lois des juristes ont forgé des siècles de coutumes dans les pays islamiques. Mais on ne saurait identifier cela au droit islamique. C’est une tradition humaine, qui n’a pas l’autorité de la charia d’Allah. Ce qui provient des écoles juridiques demeure en soi relatif, et peut être réformable.
Certaines générations ultérieures ont cependant attribué un caractère définitif aux conclusions des écoles juridiques qui avaient progressivement vu le jour. Ceci a protégé le monde islamique pendant des siècles, le rendant pétrifié, donc résistant, mais sclérosé. Le monde islamique, désormais confronté à la modernité, se voit déchiré quant à l’attitude à adopter par rapport à l’évolution de son droit.
Loi islamique et loi chrétienne
Comparons le fiqh et la conception chrétienne du droit. Le christianisme considère que le Créateur a conçu de toute éternité, avant la création du monde, l’organisation de tous les êtres et leur conduite jusqu’à leur destin définitif. C’est ce qu’on appelle la Loi éternelle. Cette Loi éternelle, une fois la création réalisée, est inscrite dans la nature même de chaque être, selon leur nature propre. Cette Loi n’est pas écrite en nous, mais innée, elle en nous a pas été enseignée, mais nous en sommes tous imprégnés, sans avoir besoin de l’apprendre, nous la lisons dans notre nature. C’est la loi naturelle. Mais notre nature est blessée par le péché, et chaque être humain se retrouve le théâtre de tendances qui s’enchevêtrent et se contrarient, qui nous tiraillent vers le bien et vers le mal. Notre conscience est alors obscurcie, surtout si la société dans laquelle on vit s’oppose à cette loi naturelle qui régit le fonctionnement de notre nature humaine. Il faut donc, puisque l’homme vit en société, que les gouvernants aident les citoyens à retrouver et suivre cette loi naturelle. C’est le rôle de la loi humaine.
Les lois humaines ne peuvent donc contrevenir à la loi naturelle, elles doivent en découler et l’appliquer aux détails de la vie en société. Mais comme les gouvernants, soumis aux mêmes passions et aux mêmes déficiences que les autres hommes, peuvent promulguer des lois s’éloignant de la loi naturelle divine ; et comme les plus sages des gouvernants ne peuvent connaître par euxmêmes le but ultime de la vie des citoyens, qui est le Paradis dans l’au-delà, récompense d’une vie d’amour de Dieu ici-bas ; il est nécessaire qu’il y ait une loi révélée, qui enseigne à l’humanité la voie sur laquelle il faut marcher pour mériter cette vie éternelle. Ainsi Dieu a promulgué le Décalogue pour rappeler à toute l’humanité la loi de Dieu inscrite en notre nature. De la même manière, Dieu est descendu du Ciel en la Personne de Jésus-Christ, pour « accomplir et parfaire » la loi du Sinaï. C’est ainsi que la loi de l’Évangile, loi de perfection, nous est promulguée jusqu’à la fin des temps.
Une grande différence existe alors entre l’islam et le christianisme quant à la notion de loi : dans l’islam, il n’existe ici-bas aucune participation à Dieu, car « gloire à Allah, Il est trop élevé ». Focalisé sur la lutte contre le polythéisme et la confusion panthéiste, la vision islamique du monde est malheureusement tout aussi primitive : Allah en-haut, la créature en-bas ; « nulle ressemblance entre Dieu et la créature », répète le Coran. C’est « à Allah qu’appartient le pouvoir et la législation ». Allah nous transmet tout pouvoir législatif uniquement par la Révélation, c’est-à-dire concrètement par le Coran depuis qu’il est « descendu ».
Ils ne voient pas que la vraie gloire de Dieu est de mettre son empreinte à tous les degrés des êtres créés : au fond de leur être, et au fond de leur agir ; de se répandre et de régner dans les cœurs. Plus un roi est bon, plus il aime à déléguer de son pouvoir à des ministres, plus un père de famille est bon, plus il va déléguer de son pouvoir à son épouse. Il en est de même pour Dieu : en créant, il donne uniquement de ce qu’il possède en propre : l’Être lui appartient, la Bonté lui appartient, la Sagesse lui appartient, et il nous en transmet une participation. En faisant cela – gloire à lui ! –, il ne s’appauvrit pas et ne manifeste pas de faiblesse. De même en octroyant à l’homme l’intelligence de découvrir la loi naturelle et le pouvoir de composer des lois, c’est une gloire pour lui. Ainsi le christianisme reconnaît, comme sources de législation, la loi naturelle – manifestation concrète de la loi éternelle –, et la loi révélée. Une philosophie sage, qui cherche cette loi naturelle est donc l’usage normal de la raison humaine, et une source légitime des lois humaines.
L’islam reconnaît uniquement comme source et comme méthode législative ce qui est révélé dans le Coran.
Ainsi l’explique le Frère musulman Saïd Ramadan en commentant une étude du professeur Schacht :
Si le professeur entend l’attribution d’une quelconque autorité à une source juridique extérieure au Coran et à la sunna, ses propos sont en contradiction fondamentale avec la notion même de charia.
Saïd Ramadan, op. cit., p. 40.
Abbé Guillaume Gaud †, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Fideliter n° 241 de janvier-février 2018 – La Porte Latine du 16 mars 2018
- Ce shaykh de Damas, qui a vécu au début du XIVe siècle, est un brillant homme politique, de guerre, religieux, théologien musulman hanbali, très antichrétien, favorable à un renouveau de l’islam en opérant un retour aux sources ; c’est un des maîtres à penser du monde musulman conservateur et des salafis.[↩]
- Ibn Taymiyya, Majmoû” Fatâwâ, vol. 3, pp. 267–268.[↩]