Abbé Régis de Cacqueray-Valménier
Supérieur du District de France
Le pape Benoît XVI, dans son discours de Ratisbonne, s'est dit préoccupé
par la deshellénisation de la pensée. Il suggère, pour s'y opposer, une esquisse
de synthèse entre la philosophie pérenne et la philosophie moderne.
Son inquiétude est bien nôtre, quoique nous nous interrogions sur le remède
envisagé.
Il aurait également pu souligner le phénomène semblable de délatinisation, car
les deux déclins se trouvent en étroite dépendance l'un de l'autre. Si le premier
signifie, bien plus que la simple disparition d'une langue, une volonté de rupture
avec la pensée réaliste au profit de la philosophie moderne, l'abaissement
du latin constitue un signe aggravant de ce divorce.
En effet, il apparaîtrait pratiquement illusoire de vouloir revenir aux meilleures
sources de la sagesse grecque sans opérer en même temps un retour à l'étude
de la langue latine. Comme l'a admirablement démontré Marie-Madeleine
Martin :
« Pendant des siècles et des siècles, c'est à travers Rome que le
monde découvrira la Grèce (la Grèce classique), parce que Rome s'était emparé
d'un seul coup, et à jamais, de ce qu'Athènes avait découvert de meilleur.
(.) Ce qu'Athènes avait trouvé de plus parfait passe désormais par Rome et y
reçoit le sceau définitif de l'universalité.»
Si le recul de la langue latine indique toujours un affaiblissement de la philosophie pérenne, que
laisserait alors augurer
sa disparition
? Nous laissons
un juriste parisien
du XVIIe siècle,
Jean Belot,
répondre à cette
question :
« La
langue latine est
de la nature de
ces choses qui ne
doivent périr que
dans la ruine du
monde».
Mais
comment en réchapper
si la conscience
de ce déclin,
qui cèle pourtant l'effacement de notre mémoire et la perte de notre héritage,
a elle-même disparu ?
En réalité, nous ne nous plaignons même plus,
parce que nous avons perdu jusqu'à l'idée même que nous avions été floués.
Si nous le savions encore, nous serions saisis d'une immense rancoeur contre
l'État moderne coupable du rapt organisé des outils et du pouvoir de penser
qui nous a plongés dans la prolétarisation.
Parce que le choix divin s'est porté sur la langue latine pour être celle de sa
Tradition, l'Église catholique est demeurée à travers les siècles chrétiens sa
meilleure bienfaitrice. Elle n'a pas été chiche de sa reconnaissance pour les
bienfaits qu'Elle en a reçus puisqu'Elle en a fait sa langue sacrée, le véhicule
de la transmission de ses grâces et le gage de sa permanence jusqu'à nos
jours.
Elle savait que cette subtile alliance entre Foi et Raison ne s'est historiquement
réalisée qu'une seule fois, dans l'unique berceau tressé des plus
hautes vérités atteintes par l'élite païenne et tissu des fibres de la Révélation.
Lui disparu, il n'y en aura pas d'autre. Saint Pie X l'a écrit :
« La langue propre
de l'Eglise romaine est la langue latine.»
Cette connaturalité historique de l'Église catholique avec la langue latine était
si profonde qu'on aurait même pu penser qu'elle survivrait au Concile Vatican
II. Qu'on en juge ! L'année de son ouverture, le pape Jean XXIII promulgue
la Constitution apostolique Veterum sapientia sur la promotion de l'étude
du latin. Il y dénonce très sévèrement les progressistes :
« Qu'aucun innovateur n'ait la témérité d'écrire contre l'usage du latin dans les rites sacrés, (.)
qu'ils ne se permettent non plus, dans leur infatuation, d'atténuer sur ce point
la volonté du Siège apostolique. »
Au cours du Concile lui-même, c'est un nouvel
argument en faveur de la langue latine que l'on découvre à l'article 36 de la
Constitution sur la liturgie :
« L'usage de la langue latine (.) sera conservé
dans les rites latins.»
Quand s'est donc produite la rupture ? La lecture successive des deux textes
suivants, écrits à trois années d'écart et tous les deux signés de Paul VI, est
saisissante. Elle devrait parler à ceux qui tiennent pour infaillibles tous les mots
qui sortent de la bouche d'un pape.
Voici ce qu'il déclare le 15 août 1966 dans la lettre apostolique solennelle Sacrificium
laudis adressée aux Supérieurs Généraux des ordres religieux astreints
au choeur :
« Ces prières douées d'une antique excellence et d'une noble
majesté continuent à attirer vers vous des jeunes appelés à devenir les
hommes du Seigneur ; au contraire, le choeur auquel on aura enlevé cette langue
qui dépasse les frontières des nations et qu'enrichit une merveilleuse force
spirituelle et cette mélodie née dans le sanctuaire de l'âme, là où réside la foi
et brûle la charité (Nous voulons dire le chant grégorien), sera semblable à un
cierge éteint, qui n'éclaire plus et n'attire plus vers lui les yeux et les esprits
des hommes. Nous ne voulons pas (.) vous accorder une permission qui
puisse tout gâter, en se révélant peut-être pour vous la source d'un grave préjudice
et en apportant sûrement à l'Eglise de Dieu tout entière malaise et affliction.
Laissez-Nous, même malgré vous, protéger votre bien ! »
Et voilà maintenant l'allocution du 26 novembre 1969 :
« Nous perdons le langage
des siècles chrétiens. Nous devenons comme intrus et profanes dans
l'enceinte littéraire de l'expression sacrée. Et nous allons perdre aussi en
grande partie ce fait artistique et spirituel merveilleux et incomparable qu'est le
chant grégorien. Nous avons certes motif de nous affliger et presque de nous
troubler. Que substituerons-nous à cette langue angélique ? C'est un sacrifice
d'une valeur inestimable. »
Mais néanmoins, au nom de la participation du peuple moderne, après avoir évalué le prix de sa perte, il la décide :
« Mieux
vaut l'intelligence de la prière, que les étoffes de soie ancienne dont elle s'est
royalement vêtue. Mieux vaut la participation du peuple, de ce peuple moderne
saturé d'une parole claire, intelligible, qu'il puisse transporter dans sa conversation
profane. »
La suite est connue. L'Église s'étant inclinée, il n'y a plus eu
dès lors de frein à la déconfiture du latin.
On aura compris que la participation de la Fraternité à la redécouverte et à la
revivification de la langue latine n'est ni le seul effet de son attachement à la
liturgie traditionnelle, ni provoquée par sa seule estime des trésors de civilisation
auxquels elle permet d'accéder, mais tient et à l'un et à l'autre.
Elle sait, d'une part, comme l'a lumineusement expliqué Romano Amerio que :
« L'objet réel étant un et sa perception subjective étant multiple, la première
manifestation de la mentalité conciliaire fut l'abandon de l'unité pour le
pluralisme. Et puisque l'Église latine avait, presque depuis le début, l'unité de
langue grâce à l'usage du latin, l'esprit pluraliste rompit à titre de préliminaire
l'unité de langue en proclamant l'abandon du latin comme langue propre de
l'Église.»
Si la désaffection du latin ne se trouve pas enrayée, une nouvelle réaction de
rejet d'une langue religieuse que plus personne ne parle et dont plus personne
ne voit les avantages devient prévisible.
Sans doute, il est possible d'expliquer
encore les atouts de posséder une langue liturgique propre, de souligner les
facilités offertes par les missels bilingues, de montrer combien le mystère de la
messe est mis en valeur par l'emploi d'une langue qui ne soit pas profane.
Mais ces arguments suffiront-ils à la compréhension du maintien d'une langue
devenue complètement étrangère ?
C'est ici que l'on peut prendre conscience du rôle de préservation et de transmission du trésor liturgique confié à la Fraternité
pour que la langue sacrée qui le véhicule ne soit pas perdue.
Mais, d'autre part - Monseigneur Dupanloup peut être ici cité - elle pèse son
rôle indispensable dans la formation des hommes :
« La légèreté de nos
moeurs a fléchi sous le poids des belles et graves études littéraires.C'est alors
qu'affectant de tourner cette faiblesse en force, comme il nous arrive si souvent,
nous avons fait les entendus, et l'on a vu de toutes parts attaquer les Humanités
comme chose absurde et le temps qu'on y consacre comme temps
perdu. (.) Il n'en demeure pas moins vrai que chez toutes les nations, sauf
aux époques de barbarie, ce sont les littérateurs, les historiens, les orateurs et
les philosophes qui exercent sur leur siècle l'influence directrice la plus profonde
et la plus étendue. (.). De quelle nécessité n'est-il donc pas que les
Humanités soient bien faites !... Ce n'est pas seulement de mots grecs et latins
qu'il est ici question (.) c'est de faire l'éducation intellectuelle de la jeunesse.
»
Notre effort doit se porter dans nos écoles à convaincre nos élèves - mais il
est peine perdue de vouloir emporter l'adhésion enthousiaste des enfants si
leurs parents ne relaient pas le même discours - pour les aider à évaluer la
nécessité d'un apprentissage qui ne se monnayera pas immédiatement en euros
ou en dollars. Nous devons donc avoir à coeur de présenter nos raisons
aux parents de nos élèves.
Beaucoup d'entre eux, bien édifiants par leur souci de transmettre la foi à leurs
enfants, ne sont en revanche plus persuadés de la médiocrité intellectuelle et
culturelle dans laquelle végètent les
esprits qui n'ont pas été nourris par
une formation classique, seule alimentation
vraiment profonde de l'intelligence,
capable de lui donner sa vigueur
et sa liberté.
La précision et la répétition des arguments
développés pour obtenir la
compréhension de nos contemporains
n'est pas stérile. Ne nous pensons
pas trop rapidement vaincus parce
que nous n'avons pas cherché ou pas
trouvé les armes adéquates pour notre
combat. Seule notre propre persuasion
et notre détermination à ne
pas lâcher à notre tour suscitera cette
relève intellectuelle à laquelle nous
aspirons de tout notre coeur.
Le district de France, par la grâce de
Dieu et le labeur de quelques-uns, bénéficie
d'un Institut Universitaire dont le niveau n'a rien à envier aux meilleures universités parisiennes.
Mais, bien au-delà
de la question du niveau,
comprenons-nous
que c'est à la qualité réaliste
et thomiste de son
enseignement qu'est
liée l'émergence de l'élite
de demain ?
Cet avantage décisif
qu'il procure sur tous les
autres nous paraît trop
peu considéré et, j'oserais dire , trop
peu « prêché ».
Ne
nous laissons pas impressionner
nous-mêmes par les objections alimentaires qui arrêtent bien des
parents devant l'inscription de leur enfant à l'Institut Saint-Pie X.
Vu l'effondrement
du niveau, bien des corps d'État, bien des entreprises recherchent aujourd'hui
des candidats encore capables de rédiger, d'argumenter et de s'exprimer.
Il demeurera toujours vrai, à partir d'un certain degré de responsabilité
dans la vie professionnelle, que les chiffres ne suffisent pas.
La formation dispensée à l'Institut doit bénéficier, comme nos écoles, du triste
résultat de la décadence des études : il attire parce qu'il maintient le bon enseignement
et ne revoit pas son niveau à la baisse lorsque l'Université est devenue
déboussolante et dégradante.
Toute l'oeuvre enseignante de la Fraternité, dans ses séminaires au premier
chef, mais également dans ses instituts universitaires et dans ses écoles, doit
considérer cette bataille du latin, non pas comme un combat d'arrière-garde,
mais comme prioritaire, au coeur de sa réaction de survie pour la transmission
de la Foi.
Cette certitude demande en conséquence d'accepter de rompre
avec la grossière conception utilitariste à laquelle l'école moderne a été désormais
asservie.
Concrètement, il est nécessaire que nous nous affranchissions
suffisamment des programmes officiels pour ne pas devoir diminuer encore la
part que nous laissons aux disciplines les plus profondément formatrices.
Demandons la grâce du courage pour ne pas céder à la lassitude d'un enseignement
incompris là comme ailleurs. Maintenons l'enseignement du latin
dans nos écoles et travaillons à mettre en lumière sa mission irremplaçable
pour la formation des esprits.
Abbé Régis de Cacqueray-Valménier, Supérieur du District de France
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