Editorial du Fideliter n°273
Il est indéniable que les temps sont pour le moins troublés. Le désordre est dans la rue comme dans les esprits. Nous sommes civilement invités à vivre en conformité avec une idée précise de l’homme et de l’histoire sur laquelle on doit désormais bâtir la société d’aujourd’hui comme celle de demain. Les critères du beau ne sont plus ceux que l’on pouvait admirer dans les constructions du passé. La vérité ne doit plus prétendre transcender les opinions de chacun et s’appuyer sur des règles de bon sens. Et le bien n’est plus une morale dont les dix commandements résumaient la quintessence. Ces trois critères n’ont plus cours dans la vie sociale et ils disparaissent de la vie privée ; ils ne doivent plus guider les citoyens dans leur recherche d’une conduit conforme à la nature dont Dieu est l’auteur et encore moins disposer à une quête de vie surnaturelle dont Jésus-Christ est le modèle et la source.
La vie sociale est organisée pour que ni le beau, ni le vrai, ni le bien ne soient plus. Le wokisme, le communautarisme, le féminisme, l’antispécisme y contribuent largement à grand renfort de publicité. Le passé est rasé et l’histoire réécrite. Notre société vit, de façon délibérée, dans les changements radicaux et très rapides. Il n’y a plus de héros desquels s’inspirer, plus de modèles auxquels se référer. Volontairement, notre vie civique a été réduite à une grande entreprise économique qui profite aux riches et appauvrit les miséreux ; elle n’a plus de véritable dimension politique, orientée vers un désir de bien commun vertueux ; elle n’est plus fondée dans la permanence de principes pérennes. Elle consiste dans un mouvement. Les hommes se succèdent, sans attache, acteurs d’une vaste usine de produits virtuels.
Sous nos yeux, et malgré nous, la vie civique lutte contre Dieu, source et fin des êtres. Soumettre la religion au régime économique qui dirige, c’est tout simplement promouvoir une laïcité combattante et totalitaire.
Malheureusement, le concile Vatican II a fait un précepte de scruter les signes des temps et l’Église conciliaire se rue à tombeau ouvert vers les mêmes folies. Romano Amerio, dans son fameux ouvrage Iota Unum, fustigeait à juste titre ce nouveau christianisme : « L’Église semble redouter d’être rejetée, comme elle l’est positivement par une grande fraction du genre humain. Alors elle cherche à décolorer ses propres particularités méritoires et à colorer en revanche les traits qu’elle a en commun avec le monde : toutes les causes juridiques soutenues par lui ont l’appui de l’Église. Elle offre au monde ses services et cherche à prendre la tête du progrès humain. J’ai donné à cette tendance le nom du christianisme secondaire. »
Face à ce péril, la fermeté catholique a toujours été le salut et il tient à nous, tout particulièrement, qu’elle le demeure. Encore faut-il que nous ayons au cœur une invincible ardeur, que la foi en la sainte Église nous vivifie toujours, et que nous soyons animés de la belle vertu théologale d’espérance.
Pour le moment, nous devons endurer bien des épreuves et des difficultés ; traverser ce monde corrompu : « Notre-Seigneur Jésus-Christ s’est livré lui-même pour nos péchés afin de nous sauver de ce monde pervers où nous sommes » (Épitre aux Galates 1, 4). Car le siècle met tout en œuvre pour nous faire défaillir : il nous offre toutes les turpitudes propices à la chute. Ce monde décadent nous choque en même temps qu’il attire vivement notre concupiscence. Il est donc nécessaire de le traverser car, chrétiens, nous attendons fermement la résurrection et la vie éternelle. Quelle grâce incroyable aujourd’hui, de saisir déjà ce bonheur futur au terme d’une vie éphémère !
Il nous faut attendre, mais surtout espérer car « C’est en espérance que nous sommes sauvés. Or voir ce qu’on espère, ce n’est plus espérer » (Épître aux Romains 8, 24). Dans toutes ses Épîtres, saint Paul nous incite à espérer la gloire future. Il nous invite à attendre patiemment dans l’écoulement du temps, la rédemption complète et définitive. « Les tribulations, les angoisses, les persécutions, la faim, la nudité, les périls et le glaive » (ibid., 35) ne sauraient arrêter le chrétien. Et la puissance donnée par l’espérance théologale consiste justement à ne pas considérer la turpitude actuelle comme un obstacle, mais bien comme une épreuve purifiante qui atteste de notre fermeté sur la route du bonheur éternel. C’est pourquoi saint Paul va jusqu’à dire : « Nous nous glorifions même dans les tribulations car nous savons que la tribulation produit l’endurance, l’endurance une vertu solide et la vertu confirmée, l’espérance » (Epître aux Romains 5, 3–4).
« Ce qu’il y a de faible dans le monde, voici ce que Dieu a choisi pour confondre sa force » (1ère Epître aux Corinthiens 1, 27). Nous savons en effet que notre force est en Jésus-Christ et notre lutte une participation à la sienne. En ce monde mauvais, l’espérance est une consolation, mais aussi une joie car elle atteste que nous nous tressons une couronne de gloire.
Source : Fideliter 273