Si le monde plonge dans le marasme, c’est parce qu’il est à la hauteur des héros qu’il s’est choisi : des hommes de pacotille dont la célébrité repose uniquement sur la diffusion médiatique et non plus sur la vertu réelle.
L’étonnement pousse à la réflexion. Un évènement insolite, une attitude inappropriée, une réplique saugrenue, nous étonne. Tous les sens mis en éveil nous incitent à trouver la raison de ces manifestations inhabituelles. Et alors, plus ou moins attentivement, nous gambergeons pour trouver le pourquoi. D’aucun se lasseront assez vite dans la recherche, mais d’autres, plus persévérants, voudront fuir cette ignorance qui les taraude. On sait que les grands penseurs furent tous de ces obstinés qui ont tourné et retourné, dans tous les sens, ces observations initiales pour découvrir enfin le secret caché sous l’apparence d’abord désopilante. On connaît, par exemple, le cri de victoire d’Archimède dans sa baignoire : eurêka, j’ai trouvé. et l’on sait le pessimisme de Blaise Pascal, inquiet, qui avouait : « Ce qui m’étonne le plus, c’est de voir que tout le monde n’est pas étonné de sa faiblesse. » Mais l’exemple le plus touchant et le plus divin de l’étonnement reste celui de la sainte Vierge Marie au discours de l’ange qui vient lui annoncer le privilège de devenir la mère de Dieu : « comment cela se fera-t-il, je ne connais point d’homme ? »
L’insolite, par définition, comme l’extraordinaire, l’inhabituel, le rare, provoque effectivement l’étonnement ; c’est une émotion qui peut élancer toute une vie dans une quête de certitude. Notre époque, pourtant déjà très riche en découvertes scientifiques, ne voit pas se calmer cette furieuse passion de nouvelles trouvailles au risque même d’abolir non seulement toute morale, mais même les lois naturelles sur lesquels pourtant elle ne peut pas ne pas s’appuyer. Mais paradoxalement les moyens électroniques actuels ont tendance à étouffer tout étonnement : la facilité qu’ils offrent de posséder tout et rapidement engendre, chez beaucoup, le désenchantement et la déception. Les esprits désabusés et blasés deviennent incapables de s’étonner ; le virtuel tue l’insolite.
Et pourtant la nature, sa flore et sa faune créées par le bon Dieu, n’aura jamais fini de nous étonner pour peu qu’on y prête attention. « Que Dieu me donne d’entendre toujours… l’immense musique des choses… de découvrir la magnifique broderie de la vie », disait un jésuite tendu vers Oméga.
Mais l’insolite peut avoir un tel charme que l’étonnement qu’il suscite se trempe de crainte révérencielle. La sainte Écriture ne tarit pas d’expressions lorsqu’elle veut dire l’émotion de l’âme face à Dieu, faite de crainte mêlée de respect pour la grandeur incompréhensible de la toute-puissance divine ; saint Pierre dit bien : « vous êtes la race choisie… afin que vous publiiez les grandeurs de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. » Tous les miracles et les discours de Notre-Seigneur étonnaient les âmes de bonne volonté ; saint Mathieu l’atteste : « Jésus ayant achevé tous ses discours, les peuples étaient dans l’admiration de sa doctrine. » Si la République abdiquait son envie, ses enfants pourraient alors découvrir le secret divin : le cœur du Fils de Dieu est le sanctuaire de la justice et de l’amour, libéral pour tous ceux qui l’invoquent.
Qui plus est, lorsque l’inhabituel est une belle action humaine, l’ébahissement s’arrête net et la contemplation envahit l’esprit. L’émotion devient admiration. Ce sentiment d’estime pour l’homme grand qui a su poser cette action provoque l’imitation et inspire le désir de reproduire, encourage à imiter ou à ressembler. L’admiration est la source de l’élévation personnelle : la magnanimité paraît alors à la portée de celui qui s’est d’abord étonné. La grandeur, naturelle ou surnaturelle, est imitable. Un héros suscite le courage de bien des hommes et un saint entraîne à la vertu. Toute une société s’en trouve finalement bonifiée. Il est alors manifeste que le ressort de la dignité d’une vie sociale humaine et vertueuse est l’admiration. Si le monde plonge dans le marasme, c’est parce qu’il est à la hauteur des héros qu’il s’est choisi : des hommes de pacotille dont la célébrité repose uniquement sur la diffusion médiatique et non plus sur la vertu réelle. Mais les catholiques, marqués du sceau du baptême de Jésus-Christ, tendent toujours de par leur vocation à être de dignes citoyens des cieux, admiratifs justement des saints et des justes qui ne cessent de leur donner l’exemple. Et pourquoi par Mgr Ghika ?