La maison de la Vierge à Lorette

Chré­tien qui viens ici ou par dévo­tion ou pour accom­plir un vœu, admire la sainte Maison de Lorette véné­rée dans le monde entier à cause des mys­tères divins et des miracles qui y ont été accom­plis. C’est là qu’est née Marie, la Très Sainte Mère de Dieu, c’est là qu’elle fut saluée par l’ange, c’est là que s’est incar­né le Verbe éter­nel de Dieu.

Tels sont les pre­miers mots de l’épigraphe com­po­sée par le pape Clément VIII et appo­sée sur le mur exté­rieur de la mai­son de Lorette. Une ancienne tra­di­tion veut en effet que la mai­son où a eu lieu l’Annonciation de l’Archange Gabriel à la Sainte Vierge ait été mira­cu­leu­se­ment enle­vée de Nazareth et por­tée à Lorette où s’élève aujourd’hui un grand sanctuaire.

Cette trans­la­tion de la Santa Casa a atti­ré des foules de pèle­rins aux siècles pas­sés, mais à notre époque ratio­na­liste, nom­breux sont les esprits, y com­pris chez les catho­liques, qui n’admettent pas le miracle. Les uns, comme Ulysse Chevalier [1] et Dom Leclercq [2], ont mis en doute dès le début du XXe siècle, l’authenticité de la Sainte Maison et donc bien sûr nient toute inter­ven­tion mira­cu­leuse. D’autres veulent bien voir dans la mai­son de Lorette la mai­son de la Sainte Vierge, mais ils refusent de croire à son trans­port mira­cu­leux et cherchent des expli­ca­tions ration­nelles à son dépla­ce­ment [3].

Mais, des recherches scien­ti­fiques menées sur la Santa Casa ont révé­lé des don­nées incon­nues du pro­blème. Et le débat est relan­cé. La mai­son de Lorette est-​elle l’authentique mai­son de la Sainte Vierge ? Que pen­ser de la tra­di­tion de sa mira­cu­leuse trans­la­tion ? Voilà les ques­tions aux­quelles nous tâche­rons de répondre.

La maison de la Vierge à Nazareth

Il nous faut d’abord ras­sem­bler les infor­ma­tions exis­tantes sur la mai­son de la Vierge à Nazareth.
Les fouilles menées à Nazareth ont pu mon­trer que les habi­ta­tions de l’époque de Notre-​Seigneur étaient géné­ra­le­ment com­po­sées d’une seule pièce sur­mon­tant une grotte qui en consti­tuait la cave [4].

Après l’Ascension de Notre Seigneur Jésus-​Christ, la petite mai­son de la Vierge fut trans­for­mée en ora­toire par les Apôtres, comme tous les lieux sanc­ti­fiés par la pré­sence de Jésus [5]. Après avoir accor­dé aux chré­tiens l’édit de paix reli­gieuse de Milan (313), l’empereur Constantin et sa mère sainte Hélène firent édi­fier de somp­tueuses églises sur plu­sieurs lieux saints de la Palestine. L’une d’elle fut éri­gée sur la petite mai­son de Nazareth, qui avec la grotte conti­guë, fut incluse dans la crypte d’une basi­lique. Un pèle­rin de Plaisance écri­vait en 570 : « domus Mariae basi­li­ca est » (la mai­son de Marie est une basi­lique) [6].

Lors de l’invasion de la Palestine par les Perses du roi Cosroes, en 615, puis par les Grecs diri­gés par l’empereur Zimisces, en 975, la basi­lique de Nazareth fut épar­gnée. La sainte Maison res­ta donc ce qu’elle était au IVe siècle [7].

A la fin du XIe siècle, la Galilée fut enva­hie par les Sarrasins qui détrui­sirent la Basilique de l’Annonciation. Celle-​ci fut peu après recons­truite par les Croisés. Mais la sainte Maison et sa grotte, étant incor­po­rées dans la crypte, ne furent pas tou­chées par les des­truc­tions des musul­mans. Les des­crip­tions lais­sées par les pèle­rins suc­ces­sifs en témoignent.

Nous avons des preuves cer­taines que la Sainte Maison était encore à Nazareth dans les années 1250–1290. Le roi de France saint Louis, fait pri­son­nier lors de la sep­tième croi­sade par le Sultan d’Égypte, puis libé­ré, res­ta en Terre Sainte quelques années. Le 23 mars 1251, il quit­tait Saint-Jean‑d’Acre, avec son épouse Marguerite, pour se rendre en pèle­ri­nage à Nazareth, où il arri­va le 25 mars. Après avoir assis­té à la messe à l’autel de l’Annonciation, il reçut la sainte com­mu­nion [8].

En 1273, les Musulmans détrui­sirent la seconde Basilique éri­gée sur la sainte Maison. Mais comme celle-​ci ne pou­vait rien offrir à leur rapa­ci­té, elle res­ta intacte. Là encore, ce sont les témoi­gnages des pèle­rins des années 1263–1290 qui nous en assurent. Dans l’Itinerarium de Ricoldo Montecroce, qui put visi­ter la Sainte Maison à Nazareth en 1288 ou 1289, on lit ceci :

« A Nazareth, nous avons trou­vé une grande église presque entiè­re­ment détruite, où rien ne res­tait des construc­tions pré­cé­dentes, si ce n’est la cel­lule où la Vierge reçut l’annonce : le Seigneur l’ayant pré­ser­vée en témoi­gnage d’humilité et de pauvreté. »

Frère Bruno Bonnet-​Eymard, C.R.C., n°317, nov. 1995, p.14

C’est en 1291, le 18 mai, que les Musulmans, s’emparant de Saint-Jean‑d’Acre, s’assurent la domi­na­tion défi­ni­tive de la Terre sainte.

C’est aus­si en 1291, le 10 mai, que la sainte Maison fait son appa­ri­tion en Occident à Tersatz, près de Fiume.

L’histoire de la translation de la Santa Casa

Elle nous est sur­tout connue par l’ouvrage de Jérôme Angelita : Virginis Lauretanae his­to­ria, pré­sen­té au pape Clément VII le 19 sep­tembre 1531. D’après cet auteur, la sainte Maison a été trans­por­tée par des anges de Nazareth à Tersatz, dans la nuit du 9 au 10 mai 1291. De là, elle est enle­vée le 10 décembre 1294, elle tra­verse la mer Adriatique et vient se poser dans le ter­ri­toire de Recanati, au milieu d’un bois de lau­riers. Le 10 août 1295, nou­veau dépla­ce­ment : elle se retrouve sur le som­met d’une col­line appar­te­nant aux deux frères Antici. Et le 9 décembre de la même année, la ville de Recanati envoie un ambas­sa­deur au pape Boniface VIII pour lui annon­cer l’arrivée de la mai­son de Nazareth sur son ter­ri­toire. Enfin, le 2 décembre 1295, qua­trième et der­nière trans­la­tion de la Santa Casa, une cen­taine de mètres plus loin, sur la route qui conduit de Recanati à Porto Recanati.

Jérôme Angelita était secré­taire per­pé­tuel de la com­mune de Recanati et il déclare s’appuyer, pour rédi­ger l’histoire de la Sainte Maison, sur les archives de Fiume et de Recanati.

Les premières critiques

Ce sont les pro­tes­tants qui les pre­miers ont nié la pos­si­bi­li­té d’une trans­la­tion mira­cu­leuse. Un évêque apos­tat, P.-P. Vergerio, pas­sé au pro­tes­tan­tisme, écri­vit en 1554 un ouvrage dont le titre est signi­fi­ca­tif : « L’idole de Lorette ». Contre ses accu­sa­tions, saint Pierre Canisius se fit le cham­pion de l’authenticité de la Santa Casa.

Trois siècles plus tard, l’historien Ulysse Chevalier et Dom Leclercq reprennent la polé­mique à ce sujet, accu­sant Jérôme Angelita d’avoir for­gé de toutes pièces l’histoire qu’il raconte et les dates qu’il donne.

La tradition

Commençons par exa­mi­ner les sources orales de l’histoire de la mai­son de Lorette.
Dans les régions voi­sines de Tersatz et de Lorette, le récit du trans­fert mira­cu­leux de la Santa Casa est lar­ge­ment répan­du et la trans­la­tion fêtée depuis long­temps. Dans les Marches, la nuit du 9 au 10 décembre, on se réveille à trois heures et on allume des feux en sou­ve­nir de ce miracle [9].

Le fait que cette tra­di­tion ait été admise jusqu’au pro­tes­tan­tisme sans être contes­tée milite en faveur de son authen­ti­ci­té. L’époque de la trans­la­tion, c’est-à-dire la fin du XIIIe siècle, est aus­si celle du plus grand rayon­ne­ment de la chré­tien­té : c’est l’époque de saint Thomas d’Aquin, saint Bonaventure, Dante et de nom­breux autres savants. S’il s’était agi d’une légende, l’autorité ecclé­sias­tique aurait dénon­cé le faussaire.

Or la tra­di­tion lau­ré­taine a été admise par l’Église à l’époque. En outre, les hommes d’Église dis­po­saient alors de docu­ments qui peuvent nous man­quer suite à des des­truc­tions : les archives de Recanati, par exemple, ont brû­lé en 1322.

Par ailleurs, on peut se deman­der com­ment une légende qui décrit dans les détails quatre trans­la­tions suc­ces­sives aurait pu naître sans fon­de­ment réel.

Les sources écrites de la translation

Quant aux sources his­to­riques et archi­vis­tiques, il est vrai qu’elles sont tar­dives. L’événement a eu lieu en 1291 ; le pre­mier récit que nous pos­sé­dions n’est pas anté­rieur à 1460. C’est là d’ailleurs le prin­ci­pal argu­ment des adver­saires de l’authenticité, mais ce n’est pas un argu­ment suffisant.

Le pre­mier récit his­to­rique conser­vé est celui de Pierre Georges Tolomei de Teramano, gou­ver­neur du sanc­tuaire de Lorette. Il a été écrit entre 1460 et 1470. La seconde rela­tion his­to­rique est due au bien­heu­reux Spagnoli, carme de Mantoue (1479 ou 1489). Il pré­tend avoir retrans­crit, pour le pré­ser­ver de l’oubli, un texte gra­vé sur une tablette appo­sée sur le mur de la Sainte Maison et qui aurait été usé par le temps [10].

En 1464, un décret du pape Paul II est le pre­mier docu­ment pon­ti­fi­cal à men­tion­ner un trans­port mira­cu­leux. Le 21 octobre 1507, une bulle de Jules II confirme inté­gra­le­ment la tradition.

C’est, comme nous l’avons vu, au début du XVIe siècle que Jérôme Angelita, secrétaire-​archiviste de la République de Recanati, écri­vit son his­toire, qui est, par­mi les ouvrages anciens sur la Sainte Maison, le plus intéressant.

Cependant, on dis­pose d’une autre source écrite : les récits des pèle­rins en Terre sainte qui viennent confir­mer a contra­rio les asser­tions des écri­vains anciens : jusqu’au XIIe siècle inclus, ils parlent de la sainte mai­son de Nazareth. A la fin du Moyen Age, ils men­tionnent seule­ment une grotte [11].

Le développement du pèlerinage

On est sûr qu’à la date de la publi­ca­tion de l’ouvrage de J. Angelita, le pèle­ri­nage à Lorette exis­tait depuis plus de deux cents ans : une bulle du pape Clément V, datée du 18 juillet 1310, men­tionne un pèle­ri­nage en Terre sainte effec­tué par le che­va­lier Charles-​Louis de Schevenden. Or celui-​ci, avant de par­tir, s’est ren­du avec son épouse « aux pieds de la mira­cu­leuse et divine Vierge Marie de Lorette » [12]. Il faut bien que les pèle­rins aient eu un motif pour se dépla­cer du pays de Bade jusqu’à Lorette.

Le sanc­tuaire qui sur­git à Lorette à la fin du XIIIe siècle, la nais­sance de la ville sur une col­line jusque-​là inculte et inha­bi­tée, où se pressent désor­mais des foules de pèle­rins, prouvent qu’un évé­ne­ment excep­tion­nel a eu lieu à cet endroit et à cette époque. Le pro­fes­seur Carlo Cecchelli affirme dans son livre Mater Christi :

« A par­tir du Moyen Age, les docu­ments ne laissent aucun doute : Lorette fut le centre de l’un des plus grands pèle­ri­nages. Il est licite d’admettre qu’un évé­ne­ment sur­na­tu­rel ait pu éclai­rer les ori­gines de la Sainte Maison de Lorette ».

Cité dans Autenticità del­la S. Casa, p.46

L’iconographie

Plus anciens que les sources écrites connues sont les témoi­gnages four­nis par les artistes. La plus antique allu­sion à la trans­la­tion mira­cu­leuse de la Santa Casa se trouve dans le manus­crit des Heures de Jeanne d’Evreux, enlu­mi­né à Paris aux alen­tours de 1325, soit une tren­taine d’années après l’événement. On y voit la Vierge Marie rece­vant l’annonce de l’archange Gabriel dans une petite mai­son sou­te­nue par deux anges ailés qui semblent la sou­le­ver et la trans­por­ter [13].

Dans les Marches et en Ombrie, on trouve d’autres repré­sen­ta­tions peintes ou sculp­tées de la trans­la­tion mira­cu­leuse : la fresque de Gubbio, dans le couvent Saint-​François, est datée du XIVe siècle par les experts, de même que celle de l’église Saint-​Marc à Jesi.

Les données archéologiques

Pour com­plé­ter cet ensemble de ren­sei­gne­ments, les fouilles pra­ti­quées au XXe siècle, tant à Nazareth qu’à Lorette, ont appor­té des preuves d’authenticité cer­taines. Les fouilles de Nazareth, entre­prises en 1955 par le père Bellarmino Bagatti, ont per­mis de décou­vrir sous les fon­da­tions de l’église byzan­tine édi­fiée au Ve siècle, une église anté­rieure (IIe-​IIIe siècles), spa­cieuse (si l’on en juge par le dia­mètre des colonnes retrou­vées) et où il reste des ves­tiges d’un culte ren­du à Marie : des graf­fi­ti tra­cés en ara­méen, grec et latin sur l’enduit qui recou­vrait cer­taines pierres. On déchiffre notam­ment les deux pre­miers mots grecs de la salu­ta­tion de l’Ange à Marie (cf. Lc I, 28) : XAIPE MAPIA (réjouissez-​vous, Marie) [14].

A Lorette, les fouilles ont été menées entre 1962 et 1965. Sur les murs de la Casa, le Père Giuseppe Santarelli, rec­teur du sanc­tuaire, a rele­vé aus­si des graf­fi­ti. Il en a envoyé des cli­chés, par cor­res­pon­dants inter­po­sés, à deux archéo­logues che­vron­nés du Studium bibli­cum fran­cis­ca­num, les Pères Testa et Bagatti, sans révé­ler leur pro­ve­nance. Les deux savants ont affir­mé que ces graf­fi­ti étaient d’origine pales­ti­nienne et judéo-chrétienne.

La conclu­sion tirée par le Père Santelli est la suivante :

« Il n’est pas facile d’expliquer la pré­sence à Lorette de graf­fi­ti qui, à l’examen, paraissent d’origine judéo-​chrétienne, sans admettre que les pierres de la Santa Casa pro­viennent de Nazareth, comme le veut la tradition. »

Ce témoi­gnage est d’autant plus fla­grant que dans cette région des Marches, il n’existe pas de car­rières. Toutes les autres construc­tions de Recanati et de Lorette sont en briques [15].

L’analyse chi­mique (faite en aveugle par le pro­fes­seur Ratti de l’université de Rome en 1871) de deux pierres pro­ve­nant de Nazareth et deux autres de Lorette, avait déjà four­ni des ren­sei­gne­ments conver­gents. La com­po­si­tion des quatre pierres était la même et elle dif­fé­rait de celle des pierres qu’on peut trou­ver aux alen­tours de Lorette, sur le Mont Conero ou ailleurs.

En outre, le Père Santarelli indique bien que les fouilles menées dans les années 1960 ont « confir­mé cer­taines don­nées de la tra­di­tion, comme l’absence de fon­da­tions propres à la Santa Casa et son implan­ta­tion au milieu d’une voie publique. » [16] Angelita, déjà au XVIe siècle, avait signa­lé ce fait remar­quable : la Maison tient debout sans fon­da­tions. Il est donc évident qu’elle n’a pas été bâtie sur place. Les mai­sons de Nazareth s’appuyaient direc­te­ment sur le rocher et n’avaient pas besoin de fon­da­tions ; mais ce n’est pas le cas pour les autres mai­sons de la région de Lorette. On constate en outre pour la Santa Casa un cer­tain nombre de reprises en sous-​œuvre, anté­rieures aux grands tra­vaux du XVe siècle, et qui témoignent du sou­ci de conser­ver l’édifice.

Le « noyau ori­gi­nel » de celui-​ci, comme dit le Père Santelli, est for­mé de trois murs s’élevant en lit de pierres jusqu’à une hau­teur de trois mètres. Des briques ont été ajou­tées ensuite pour les exhaus­ser [17].

La Santa Casa est en tous points conforme aux mai­sons remises au jour depuis 1968 lors des célèbres fouilles de Capharnaüm, notam­ment la mai­son de saint Pierre retrou­vée sous les fon­da­tions de l’église octo­go­nale. Dépourvues de réelles fon­da­tions, les mai­sons de Capharnaüm étaient sans étage et ne dépas­saient guère les trois mètres.

En mars 1968, un son­dage effec­tué dans le mur occi­den­tal de la Santa Casa, immé­dia­te­ment au-​dessous de la « fenêtre de l’ange », afin de pré­le­ver des échan­tillons de mor­tier pour ana­lyse, révé­la une cavi­té. On y décou­vrit une mon­naie de Ladislas d’Anjou-Durazzo, roi de Naples (1376–1414) murée au milieu d’autres objets [18]. Parmi eux des mor­ceaux de coquille d’œuf d’autruche. Or, d’une part, l’autruche vivait autre­fois et vit encore en petit nombre près de la mer Morte ; d’autre part, depuis le temps des croi­sades, l’œuf d’autruche était pla­cé dans les églises de Palestine à titre d’ornement. Et cet usage fut impor­té en Occident par les croi­sés, comme l’atteste par exemple le retable de Piero del­la Francesca (1420–1492) où l’on voit la vierge et l’Enfant entou­rés de saints et d’anges avec un œuf d’autruche sus­pen­du dans l’abside au-​dessus d’eux. Selon les bes­tiaires du Moyen Age, les œufs d’autruche, dépo­sés par la femelle sur le sable, étaient por­tés à matu­ra­tion par le soleil : figure de l’enfantement vir­gi­nal du Verbe de Dieu fécon­dé par le soleil de l’Esprit Saint dans le sein de Marie [19].

Les arguments moraux

Comme le disait déjà Paul II dans sa bulle, en 1464, les miracles qui ont eu lieu à Lorette sont innom­brables. Au XXe siècle, les gué­ri­sons mira­cu­leuses ont fait l’objet d’études scien­ti­fiques. On a pu en recen­ser 18 cas rien qu’entre 1936 et 1943.

Enfin, on relève les noms de 39 saints et 22 bien­heu­reux qui ont été pèle­rins à Lorette, de saint François de Sales, qui y a renou­ve­lé son vœu de chas­te­té, à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Est-​il pos­sible que Dieu ait per­mis que ses amis les plus chers se trompent dans leur foi dans la Sainte Maison ?

Plusieurs sou­ve­rains pon­tifes ont mani­fes­té un grand inté­rêt pour Lorette, lui octroyant des pri­vi­lèges et faveurs spi­ri­tuelles et pre­nant des dis­po­si­tions pour l’embellissement du sanc­tuaire. Beaucoup par­mi eux se sont ren­dus en pèle­ri­nage à Lorette. Dès 1375, Grégoire XI parle des nom­breux miracles que la Vierge opère à Lorette et concède des indul­gences spé­ciales pour les pèle­rins cer­tains jours de l’année [20].
Dans l’épigraphe que Clément VIII a fait appo­ser en 1598 sur la paroi de la Santa Casa, on trouve un témoi­gnage de sa foi en la trans­la­tion mira­cu­leuse : « Cette mai­son fut trans­fé­rée par les anges depuis la Palestine une pre­mière fois en Dalmatie, à Tersatz, l’an 1291, sous le pon­ti­fi­cat de Boniface VIII. » [21]

La question de la translation

On dis­pose donc d’un fais­ceau de preuves qui convergent en faveur de l’authenticité de la mai­son de Lorette. Celle-​ci vient bien de Nazareth et il s’agit bien de la mai­son de Notre-​Dame. Reste à savoir com­ment elle a fait le voyage.

Certains cri­tiques rejettent l’explication mira­cu­leuse four­nie par Angelita et la tra­di­tion. Ils pro­posent la thèse du trans­port humain : les Croisés auraient empor­té la mai­son en Occident, et l’auraient recons­truite pierre à pierre. A l’appui de cette expli­ca­tion, ils trouvent dans le Chartularium culi­sa­nense, conser­vé à Naples, la liste des biens reçus en dot par Marguerite, fille du des­pote d’Epire Nicéphore Ier Angelo Comnène, qui épou­sa Philippe II d’Anjou, prince de Tarente, fils de Charles II, roi de Naples, en sep­tembre 1294. Or cette liste men­tionne des « saintes pierres extraites de la mai­son de Notre-​Dame, la Vierge Mère de Dieu. » [22]

Néanmoins, il faut noter que la pré­po­si­tion latine « ex » peut très bien indi­quer que d’un tout a été pré­le­vée une par­tie, de telle façon que les « petras abla­tas » pour­raient n’être que quelques pierres enle­vées de la Maison par dévotion.

La thèse du trans­port humain se heurte aus­si aux obs­tacles maté­riels. La sainte Maison était encore à Nazareth en 1288–1289. A l’époque, les Musulmans étaient par­tout vain­queurs en Palestine. La situa­tion était plus que cri­tique pour les chré­tiens. Comment auraient-​ils pu trans­por­ter à dos d’ânes un maté­riel de 100 à 200 tonnes ? Où auraient-​ils trou­vé une armée pour pro­té­ger une telle expé­di­tion ? On n’a aucune trace his­to­rique d’une telle déci­sion. Aurait-​elle échap­pé à l’autorité ecclé­sias­tique ? Et dans l’hypothèse d’une recons­truc­tion, com­ment explique-​t-​on la pré­sence des graf­fi­ti dont nous avons parlé ?

En outre, si la Sainte Maison a été réédi­fiée à Lorette, elle l’a été d’une façon contraire à toutes les règles urba­nis­tiques du Moyen Age. Elle est posée, sans fon­da­tions, au milieu d’une voie publique, qui est une ancienne voie romaine. Peut-​on admettre que l’autorité publique ait tolé­ré une construc­tion en ce lieu ? Ce serait contraire au bon sens. Et là aus­si, on n’a aucune trace dans les archives.

Pour conclure sur ce sujet pas­sion­nant, rappelons-​nous que la trans­la­tion mira­cu­leuse n’est pas un dogme de foi mais que, comme le disait l’Archange Gabriel à la Très Sainte Vierge Marie, le jour de l’Annonciation, « rien n’est impos­sible à Dieu ». Les his­to­riens pri­mi­tifs par­laient d’un trans­port des anges. Le pape Pie IX écri­vait que la mai­son de Nazareth avait été trans­por­tée « par ver­tu divine très loin ». Quant à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, qui l’avait visi­tée pen­dant son pèle­ri­nage en Italie, elle pen­sait que la Sainte Vierge l’avait trans­por­tée elle-même.

Lorette était autre­fois un des sanc­tuaires les plus fré­quen­tés d’Europe et nous pou­vons être sûrs qu’on y obtient tou­jours des grâces nom­breuses et de choix.

Abbé Pierpaolo-​Maria Petrucci

Notes de bas de page
  1. Chevalier (Ulysse), Notre-​Dame de Lorette : Etude his­to­rique sur l’authenticité de la Santa Casa, Paris : 1906, 519 p.[]
  2. Leclercq (Dom Henri), Dictionnaire d’archéologie chré­tienne et de litur­gie, article Lorette, tome IX (1930), col. 2473.[]
  3. C’est le cas de l’Abbé Georges de Nantes, dans son bul­le­tin La Contre-​Réforme Catholique au XXe siècle, n°317 de novembre 1995.[]
  4. Congrégation uni­ver­selle de la Sainte Maison, La tra­di­tion de Lorette, Lorette : 1978, p. 27.[]
  5. D’Anghiari (P. Angelo Maria), Autenticità del­la S. Casa, p. 15–16.[]
  6. La tra­di­tion de Lorette, p. 27.[]
  7. Autenticità del­la S. Casa, p.16.[]
  8. Ibidem, p. 20.[]
  9. Autenticità del­la S. Casa, p.12[]
  10. Ibidem, p. 34[]
  11. Ibidem, p. 47[]
  12. C.R.C., n°317, p.3[]
  13. La tra­di­tion de Lorette, p. 7.[]
  14. C.R.C., n°317, p.4[]
  15. Ibidem.[]
  16. Ibidem, p. 8[]
  17. Ibid.[]
  18. Ibidem, p. 10 à 12[]
  19. Ibidem, p. 10 à 12[]
  20. Autenticità del­la S. Casa, p.24[]
  21. Ibidem, p. 60[]
  22. C.R.C., n°317, p.12–13.[]