Quel signe nous donnes-​tu de ton autorité ?

Jésus chasse les marchands du temple, Giotto, 1304

Notre Seigneur avait ren­ver­sé les tables des chan­geurs et pous­sé les mar­chands du temple, mais il s’était arrê­té devant les mar­chands les plus pauvres, ceux qui ven­daient des colombes pour les sacri­fices des fidèles les moins for­tu­nés. Dans le tumulte de la cohue, il semble qu’il les ménage à cause de leur pau­vre­té même… ôtez tout cela d’ici, leur dit-​il, comme avec dou­ceur, ne faites pas de la mai­son de mon Père une mai­son de trafic. 

Il était inévi­table que les puis­sants du temple soient piqués par cette inter­ven­tion qui ne pou­vait être qu’une répro­ba­tion publique de leur cor­rup­tion. Pourtant leur ques­tion – quel signe nous donnes-​tu de ton auto­ri­té ? – nous paraît bien rési­gnée, comme s’ils recon­nais­saient la jus­tesse du reproche du Seigneur.

Donnes nous un signe. 

Un signe pour les juifs, c’est un miracle. Pour eux, nul n’a le droit de par­ler au nom de Dieu, s’il ne montre au moyen du miracle, qu’il est l’envoyé de Dieu. Jésus venait de dire que c’était au nom de l’honneur de la mai­son de son Père qu’il avait agi, alors les juifs lui demandent un signe.

Mais Jésus répond à la manière orien­tale, en posant devant ces orgueilleux doc­teurs une énigme. Détruisez ce temple, et je le rebâ­ti­rai en trois jours, le Seigneur venait de laver l’honneur du Temple de Jérusalem et voi­ci qu’il par­lait sans plus d’information du Temple de son corps… c’était l’annonce de sa Mort et de sa Résurrection. Certes la Résurrection de Notre-​Seigneur est le Signe des signes, si le Christ n’est res­sus­ci­té, notre Foi est vaine, dira saint Paul, mais en cet ins­tant, c’est une annonce que per­sonne ne peut com­prendre. Et pra­ti­que­ment, Jésus refuse à ces hommes la jus­ti­fi­ca­tion qu’ils lui réclame

Dire, détrui­sez ce temple, et le rebâ­ti­rai en trois jours, n’était pas don­ner un signe, mais don­ner la pro­messe d’un signe. Notre-​Seigneur par­lait d’un miracle qu’il pou­vait faire, mais qu’il ne fait pas. Il demande que l’on croie en son pou­voir et il ne prouve pas qu’il a ce pouvoir.

C’est une double épreuve pour ceux qui écoutent Notre-​Seigneur : non seule­ment, le divin Maître égare volon­tai­re­ment ceux qui l’écoutent en par­lant d’un autre Temple que celui auquel ils pensent, mais en plus, Il leur refuse la Lumière du signe qu’ils demandent et qui devrait sup­pléer à leur igno­rance. La dif­fi­cul­té est d’autant plus trou­blante qu’au ver­set sui­vant, saint Jean nous rap­porte que, pen­dant qu’Il était à Jérusalem durant les fêtes de la Pâque, plu­sieurs crurent en lui à la vue des miracles qu’Il accom­plis­sait… ce signe que le Seigneur refu­sait ins­tant aux grands prêtres, Il le mul­ti­plie devant les petites gens de la ville qui croient en Lui.

On peut cer­tai­ne­ment trou­ver des expli­ca­tions humaines aux choix de Notre-​Seigneur : les grands prêtres n’étaient pas bien dis­po­sés, ils avaient détour­né leur sacer­doce comme ils avaient détour­né les réa­li­tés reli­gieuses dont ils étaient gar­diens ; la mai­son de Dieu était deve­nue un lieu de pro­fit et la Présence divine, l’Amour de Dieu pour les hommes, était exploi­tée. Mais cela n’arrive pas à nous convaincre. 

Car l’évidence est là : toute la mau­vaise volon­té du monde ne peut résis­ter à la Lumière divine de la Grâce. Si Notre-​Seigneur ne donne pas de signe, c’est qu’Il ne le veut pas. Saint Jean le com­prend, c’est pour cela qu’il appose immé­dia­te­ment à la réponse faite aux doc­teurs l’autre atti­tude de Notre-​Seigneur avec le peuple de Jérusalem… parce qu’à vous, il a été don­né de connaître les mys­tères du royaume des cieux, et que cela ne leur a pas été donné.

Voici qu’au détours de cette alter­ca­tion avec les auto­ri­tés du Temple, Saint Jean nous fait com­prendre le pri­vi­lège de croire en Jésus et l’inaccessibilité aux seules forces humaines du monde sur­na­tu­rel. Le signe peut confir­mer l’autorité de celui qui parle, il ne peut pré­dis­po­ser à cette grâce de croire, à cette grâce de connaître. Rien ne dis­pose à la grâce, sinon la grâce. La grâce est un don, elle est par défi­ni­tion gra­tuite. Aucun mérite humain ne pré­cède la grâce de Dieu. Certainement l’homme doit pré­pa­rer son cœur, mais cela même ne peut se faire sans un secours spé­cial de Dieu, car ce cœur avant d’être pré­pa­ré par l’homme, a besoin d’être tou­ché par Dieu. Il est aus­si évident que la grâce n’est pas don­née à tous avec la même mesure, et cela sans injus­tice divine : le Bon Dieu dis­pense les dons de la grâce avec une admi­rable diver­si­té. Quel rap­pel pour nous qui nous habi­tuons si rapi­de­ment et qui consom­mons un peu trop faci­le­ment la grâce et les sacrements. 

Si les grands prêtres n’obtiennent pas le signe, c’est parce que Notre-​Seigneur ne veut pas leur don­ner. C’est le mys­tère du Bon Vouloir divin, c’est un mys­tère qui dépasse notre enten­de­ment. Saint François de Sales avait ce beau conseil :  

Il se faut bien gar­der de jamais recher­cher pour­quoi la suprême Sagesse a choi­si de don­ner une grâce à l’un plu­tôt qu’à l’autre… Non, n’entrez jamais dans cette curio­si­té, car ayant tout suf­fi­sam­ment et abon­dam­ment ce qui est requis pour le Salut, quelle rai­son peut avoir l’homme du monde de se plaindre, s’il plait à Dieu de répar­tir ses grâces plus lar­ge­ment aux uns qu’aux autres. 

Les grands prêtres demandent un signe. Notre-​Seigneur leur répond, et remar­quons qu’Il ne remet pas en cause leur auto­ri­té, mais Il ne leur donne pas ce signe qu’ils attendent. Il leur répond, et Il conduit ces âmes au dilemme de toute âme : l’intelligence réclame tou­jours des signes, des preuves, or la foi n’a qu’un seul argu­ment, l’autorité de Dieu qui parle, qui se révèle. Pour croire, il faut la grâce sur­na­tu­relle. Notre-​Seigneur ne donne qu’un signe obs­cur et à venir, exi­geant de son audi­toire qu’il croit en lui sans autre preuve que Lui-​même. Saint Jean en écri­vant son évan­gile le com­prend et nous le trans­met. Jésus fera des miracles pen­dant la Pâque, mais l’apôtre n’a pas cru utile de les rapporter.