Personne ne s’apercevra du miracle, sauf ceux qui avaient déjà goûté à la Charité de Dieu.
Notre Seigneur n’avait pas encore commencé son enseignement, sinon de montrer dans son attitude, dans ses réactions, dans sa manière de parler, qu’Il était la figure visible du Dieu invisible.
Jusqu’alors les disciples croyaient que Jésus était le Messie. Mais par ce miracle, le Christ leur révèle sa gloire, la gloire du fils unique du Père et ils croient plus fermement et plus parfaitement en lui.
Aux noces de Cana, quand Notre Dame eût remarqué ce qui manquait au service, elle dit à Jésus, ils n’ont plus de vin. Quelle réserve dans cette parole ! Marie ne pèse pas sur la volonté de son Fils, elle ne lui adresse pas de requête, elle ne lui donne pas de conseil. Elle ne dépeint même pas la gêne des convives, ni l’embarras des époux. Elle expose simplement les faits ; mais, peut-être pense-t-elle, mon divin Fils est si compatissant, qu’il ne pourra s’empêcher de porter remède au mal qu’on lui indique.
Son clair regard de Mère lit comme à livre ouvert dans l’âme de Jésus. L’intimité de la naissance miraculeuse et de la vie cachée l’ont conduite à une telle complicité ; il n’y a pas besoin de mots entre ces deux âmes jumelles. Aussi n’est-elle pas déconcertée par l’austérité de la réponse de son Fils… Femme mon heure n’est pas venue… Sous la rigueur apparente, elle devine la tendresse secrète ; elle entend oui quand Il semble dire non. Alors, s’adressant avec sa tendresse habituelle, elle donne aux serviteurs ce conseil, faites tout ce qu’il vous dira.
Sait-elle que Notre Seigneur va faire un miracle ? Il serait maladroit de penser que Notre Dame en s’adressant ainsi à son Fils, a une intention cachée, comme si elle savait ce qu’allait réaliser Notre Seigneur. Cana est le premier des signes qu’accomplit Notre Seigneur. Il n’y en eut pas auparavant, parce que les deux qui jusqu’à ce jour avaient connu ce divin Fils n’en avaient pas besoin. Saint Joseph était juste et la Très Sainte Vierge était immaculée… aucun voile humain n’obscurcissait la Foi en son Fils. Nous avons une connaissance postérieure de ces faits… ce serait raisonner d’une façon trop humaine.
Si pure, si noble qu’elle fût, Marie n’était que le « Christ commencé ». Et comme le chef d’œuvre est plus parfait que l’esquisse, il faut s’attendre à trouver dans le Fils de la Vierge, une délicatesse incomparable.
Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Ce précepte formulé par le Sauveur, dans la nuit même où Il fut trahi, résume admirablement le zèle de Notre Seigneur et de Notre Dame. Le zèle pour toutes les âmes… en grec « zelos » signifie « être chaud, entrer en ébullition »… Il traduit bien le mot hébreux « quin’ha » dont la racine désigne « la rougeur qui monte au visage d’un homme passionné ».
L’âme de Jésus est une fournaise ardente de Charité. Et le Cœur Immaculée de Notre Dame est bien trop embrasé par ce feu que son Fils est venu jeter sur la terre, pour qu’elle ne retienne en cet instant sa compassion.
Celui qui aime de Charité accomplit toute la Loi. Mais la Charité l’entraîne bien au-delà ; dépassant les limites du Décalogue, elle le porte à faire du bien à tous ses semblables, spécialement aux plus malheureux et aux plus déshérités. Donner à qui peut nous rendre, c’est le plus souvent une bonne affaire. Pour être généreux, il faut placer sans intérêt et à fonds perdu : lorsque tu donnes un repas, lisons-nous dans saint Luc, n’appelle pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni tes voisins riches, de peur qu’ils ne t’invitent à leur tour et ne te rendent ce qu’ils ont reçu de toi. Mais lorsque tu fais un festin, appelle les pauvres, les estropiés, les boiteux, et les aveugles et tu seras heureux de ce qu’ils ne sont pas en état de te le rendre, car cela te sera rendu à la résurrection des justes.
Le principe est d’une clarté sans ombre. Si nous aimons, si nous donnons, pour qu’on nous rende ou pour que nous soyons reconnus, ce n’est pas de l’amour, c’est du calcul. Il n’y a de véritable amour que l’amour désintéressé. Aimer Dieu par-dessus toutes choses sera préférer la volonté divine à la sienne propre… aimer, c’est faire sienne la volonté de l’autre. Aimer le prochain sera essentiellement l’amour des humbles et des petits.
À Cana, Notre Seigneur et Notre Dame n’avaient rien à attendre en retour. Personne ne s’apercevra du miracle, sauf ceux qui avaient déjà goûté à la Charité de Dieu. Jésus a pratiqué cet amour des humbles d’une façon éclatante. Il s’est donné aux petits. Il n’a rien attendu d’eux que leur amour, dont il n’avait nul besoin, lui qui était au contraire l’unique moyen de leur salut éternel. Il s’est identifié à eux… et nous le voyons à l’aise avec les petites gens, comme ceux de Cana. Le Bon Pasteur est prêt à donner sa vie pour la brebis égarée… une fois retrouvée, il la prend sur ses épaules et c’est la joie au Ciel. Le Christ donne sa vie pour les plus petits.