Les Noces de Cana (8)

Le miracle de Cana. Changement de l'eau en vin. Crédit : Pascal Deloche / Godong.

Personne ne s’apercevra du miracle, sauf ceux qui avaient déjà goû­té à la Charité de Dieu.

Notre Seigneur n’avait pas encore com­men­cé son ensei­gne­ment, sinon de mon­trer dans son atti­tude, dans ses réac­tions, dans sa manière de par­ler, qu’Il était la figure visible du Dieu invisible.

Jusqu’alors les dis­ciples croyaient que Jésus était le Messie. Mais par ce miracle, le Christ leur révèle sa gloire, la gloire du fils unique du Père et ils croient plus fer­me­ment et plus par­fai­te­ment en lui.

Aux noces de Cana, quand Notre Dame eût remar­qué ce qui man­quait au ser­vice, elle dit à Jésus, ils n’ont plus de vin. Quelle réserve dans cette parole ! Marie ne pèse pas sur la volon­té de son Fils, elle ne lui adresse pas de requête, elle ne lui donne pas de conseil. Elle ne dépeint même pas la gêne des convives, ni l’embarras des époux. Elle expose sim­ple­ment les faits ; mais, peut-​être pense-​t-​elle, mon divin Fils est si com­pa­tis­sant, qu’il ne pour­ra s’empêcher de por­ter remède au mal qu’on lui indique.

Son clair regard de Mère lit comme à livre ouvert dans l’âme de Jésus. L’intimité de la nais­sance mira­cu­leuse et de la vie cachée l’ont conduite à une telle com­pli­ci­té ; il n’y a pas besoin de mots entre ces deux âmes jumelles. Aussi n’est-elle pas décon­cer­tée par l’austérité de la réponse de son Fils… Femme mon heure n’est pas venue… Sous la rigueur appa­rente, elle devine la ten­dresse secrète ; elle entend oui quand Il semble dire non. Alors, s’adressant avec sa ten­dresse habi­tuelle, elle donne aux ser­vi­teurs ce conseil, faites tout ce qu’il vous dira.

Sait-​elle que Notre Seigneur va faire un miracle ? Il serait mal­adroit de pen­ser que Notre Dame en s’adressant ain­si à son Fils, a une inten­tion cachée, comme si elle savait ce qu’allait réa­li­ser Notre Seigneur. Cana est le pre­mier des signes qu’accomplit Notre Seigneur. Il n’y en eut pas aupa­ra­vant, parce que les deux qui jusqu’à ce jour avaient connu ce divin Fils n’en avaient pas besoin. Saint Joseph était juste et la Très Sainte Vierge était imma­cu­lée… aucun voile humain n’obscurcissait la Foi en son Fils. Nous avons une connais­sance pos­té­rieure de ces faits… ce serait rai­son­ner d’une façon trop humaine.

Si pure, si noble qu’elle fût, Marie n’était que le « Christ com­men­cé ». Et comme le chef d’œuvre est plus par­fait que l’esquisse, il faut s’attendre à trou­ver dans le Fils de la Vierge, une déli­ca­tesse incomparable.

Aimez-​vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Ce pré­cepte for­mu­lé par le Sauveur, dans la nuit même où Il fut tra­hi, résume admi­ra­ble­ment le zèle de Notre Seigneur et de Notre Dame. Le zèle pour toutes les âmes… en grec « zelos » signi­fie « être chaud, entrer en ébullition »… Il tra­duit bien le mot hébreux « quin’ha » dont la racine désigne « la rou­geur qui monte au visage d’un homme passionné ».

L’âme de Jésus est une four­naise ardente de Charité. Et le Cœur Immaculée de Notre Dame est bien trop embra­sé par ce feu que son Fils est venu jeter sur la terre, pour qu’elle ne retienne en cet ins­tant sa compassion.

Celui qui aime de Charité accom­plit toute la Loi. Mais la Charité l’entraîne bien au-​delà ; dépas­sant les limites du Décalogue, elle le porte à faire du bien à tous ses sem­blables, spé­cia­le­ment aux plus mal­heu­reux et aux plus déshé­ri­tés. Donner à qui peut nous rendre, c’est le plus sou­vent une bonne affaire. Pour être géné­reux, il faut pla­cer sans inté­rêt et à fonds per­du : lorsque tu donnes un repas, lisons-​nous dans saint Luc, n’appelle pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni tes voi­sins riches, de peur qu’ils ne t’invitent à leur tour et ne te rendent ce qu’ils ont reçu de toi. Mais lorsque tu fais un fes­tin, appelle les pauvres, les estro­piés, les boi­teux, et les aveugles et tu seras heu­reux de ce qu’ils ne sont pas en état de te le rendre, car cela te sera ren­du à la résur­rec­tion des justes.

Le prin­cipe est d’une clar­té sans ombre. Si nous aimons, si nous don­nons, pour qu’on nous rende ou pour que nous soyons recon­nus, ce n’est pas de l’amour, c’est du cal­cul. Il n’y a de véri­table amour que l’amour dés­in­té­res­sé. Aimer Dieu par-​dessus toutes choses sera pré­fé­rer la volon­té divine à la sienne propre… aimer, c’est faire sienne la volon­té de l’autre. Aimer le pro­chain sera essen­tiel­le­ment l’amour des humbles et des petits.

À Cana, Notre Seigneur et Notre Dame n’avaient rien à attendre en retour. Personne ne s’apercevra du miracle, sauf ceux qui avaient déjà goû­té à la Charité de Dieu. Jésus a pra­ti­qué cet amour des humbles d’une façon écla­tante. Il s’est don­né aux petits. Il n’a rien atten­du d’eux que leur amour, dont il n’avait nul besoin, lui qui était au contraire l’unique moyen de leur salut éter­nel. Il s’est iden­ti­fié à eux… et nous le voyons à l’aise avec les petites gens, comme ceux de Cana. Le Bon Pasteur est prêt à don­ner sa vie pour la bre­bis éga­rée… une fois retrou­vée, il la prend sur ses épaules et c’est la joie au Ciel. Le Christ donne sa vie pour les plus petits.