[Le sermon a été transcrit en respectant le langage parlé et les intonations.
Les soulignements sont de LPL ]
Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, Ainsi soit il.
Chers confrères,
Mes bien chers frères,
Au terme de ces trois journées de marche et de prière qui nous ont conduits de Notre-Dame de Chartres au Sacré-Cœur de Montmartre, nos âmes expriment une joie incompréhensible pour ceux qui nous entourent et tellement profonde pourtant. Trempés par les averses ou brûlés par le soleil, tous les muscles et tout le corps douloureux, nos fatigues et nos sacrifices sont si peu de choses par rapport à cette reconnaissance qui s’exhale de nos âmes fortifiées, ragaillardies par ce bain de jouvence spirituelle qu’est notre pèlerinage. Il nous reste, pour que notre joie soit parfaite, à nous ouvrir avec la plus grande générosité aux grâces qui vont abondamment descendre sur nous pendant cette messe d’action de grâces.
Chaque année, il demeure cependant, mes bien chers frères, une ombre à notre allégresse qui peut être l’ombre d’une cathédrale de Chartres dans laquelle nous ne pouvons entrer, d’une basilique du Sacré-Cœur qui ferme soigneusement ses portes lorsque nous approchons. Et c’est l’occasion pour les anciens, parmi nous, de se pencher vers les visages étonnés des petits enfants pour leur raconter une histoire, qui est leur histoire, l’histoire de ce bannissement étrange qui nous frappe d’autant plus vivement que le mot d’œcuménisme semble suffire aujourd’hui pour livrer nos sanctuaires aux religions les plus bigarrées qui puissent exister.
Cette histoire, notre histoire, que vous avez peut-être chuchotée gravement à vos enfants sur le chemin du pèlerinage, c’est l’histoire douloureuse mais belle d’un évêque nommé Monseigneur Lefebvre, de la lutte théologique indomptable qu’il mena, de sa fidélité à la vraie messe, de la prise de Saint-Nicolas du Chardonnet et de la construction à travers le monde de nos chapelles, de nos prieurés et de nos écoles. Il est important que cette histoire soit transmise avec beaucoup de soin et beaucoup d’amour d’une génération à l’autre, comme on remet la part la plus précieuse de son héritage. Celui qui transmet son modeste flambeau doit croire qu’il deviendra le brandon qui incendiera un jour le monde des lumières de l’Evangile, de l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est pourquoi il doit exister chez nous une obstination sacrée à transmettre et à bien transmettre. Cette obstination, héritée de Monseigneur Lefebvre, provient de notre conscience de la mission historique exceptionnelle confiée à la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X et à la Tradition. Elle détient en dépôt l’arche sacrée de la Tradition, du sacerdoce et de la messe et sa sublime mais terrible responsabilité consiste à la conserver, à la faire rayonner ‚et que son rayonnement aide un jour les autorités romaines revenues de leurs égarements à en reconnaître l’authenticité et la nécessité.
Et c’est ainsi que nous servons l’Eglise, que nous mettons notre honneur, tout notre honneur à la servir. Nous ne voulons pas des plaisirs et des vanités d’ici-bas, nous n’en avons pas le temps ni le goût devant le labeur écrasant qui nous attend ; nous devons remplir une mission unique et héroïque et il ne s’agit pas d’y faillir. Bien sûr, nous avons conscience de la disproportion entre le but vertigineux que nous poursuivons et la faiblesse de nos moyens, mais forts de l’exemple de nos saints, de Judith ou de sainte Jeanne d’Arc, nous savons que nous pouvons tout en Celui qui nous fortifie et que, d’une chiquenaude, le Bon Dieu inversera un jour le cours des choses. Notre espérance est donc immense, enracinée dans les promesses d’un Dieu qui ne peut se tromper ni nous tromper, et nous ne voudrions pas que cette espérance pût s’affaiblir dans quelque cœur ici présent parce que la crise n’en finit pas, que le combat est long ou parce que Rome manifesterait des velléités d’une paix alléchante.
Le seul danger véritable pour notre petite armée de catholiques, comme en témoigne tragiquement le clergé de Campos qui a pris la poudre d’escampette, se trouve là. Je ne crois nullement que nous soyons menacés du danger de la constitution d’une petite Eglise séparée de Rome. Notre intelligence et notre doctrine sont romaines, notre cœur et notre combat sont romains. Nous sommes romains par toutes les fibres de notre âme et c’est pour servir Rome, pour l’honneur de servir l’Eglise, qu’à l’instar des zouaves pontificaux, nous menons nos batailles contre cette religion conciliaire, cancer qui détruit l’Eglise et défigure Rome. Je dirais, mes bien chers frères, que notre souffrance surtout est romaine, souffrance de voir l’Eglise dans cet état pitoyable. Elle m’apparaît comme Notre-Seigneur pendant sa Passion, les mains liées, ruisselante de sang après la flagellation, présentée à un monde en folie qui lui préfère Barabas. Et nous abandonnerions notre Mère à un tel moment ? Et nous constituerions une Eglise parallèle ? Combien cette pensée est ridicule et révoltante ! Nous n’implorons que l’honneur de ne pas la quitter et de sortir le voile de la Véronique pour la soulager modestement.
Non, mes bien chers frères, nous ne sommes pas menacés par les démangeaisons d’une impatience sédévacantiste, d’aller voir ailleurs. Parce que nous sommes profondément d’Eglise, il nous en coûte de subir ce bannissement et les opprobres dont nous sommes poursuivis. Comme tous les autres enfants, nous aimerions nous aussi être accueillis normalement dans notre maison, que les portes ne soient plus violemment fermées, uniquement pour nous, à Chartres, à Montmartre ou ailleurs. Et il existe des prélats conciliaires bien persuadés de nos sentiments profondément catholiques, de cette souffrance tellement romaine qui ne cesse de serrer nos cœurs pour nous dire qu’ils vont nous ouvrir les portes et que nous pourrons regagner nos chambres et que, dans nos chambres, nous pourrons célébrer tranquillement notre messe de Saint Pie V. Enfin terminé le bannissement ! Pouvoir rentrer dans la maison après tant d’années à attendre devant la porte !
Bien chers amis, telle est la seule menace qui pèse sur nous : que le chant des sirènes nous enchante et nous convie à cette paix factice, celle où les enfants peuvent regagner leurs chambres, à condition qu’ils ne demandent plus que les pièces communes de la maison soient également rendues à la royauté absolue de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Je voudrais, pour notre fortification intérieure, rappeler une comparaison dont se servit Monseigneur Lefebvre au cours de la période éprouvante des sacres. Nous voici quinze ans après, mais elle demeure aussi actuelle. Devant les propositions romaines, il disait qu’il se trouvait dans une situation comparable à celle du pape Pie VII face à Napoléon au moment de la signature du Concordat de 1801. « Si je signe, disait Monseigneur, Jean-Paul II m’imposera plus tard des articles organiques », ces fameux articles qui mirent le clergé français sous la botte du petit caporal corse. Cette analogie est bien intéressante. Le Concile, comme l’a dit l’un de ses principaux témoins, a été 1789 dans l’Eglise. 1789 a été suivi de 1793, c’est à dire de cette période incroyable de désolation post-conciliaire, dont les ravages sont incalculables. Il existe, devant tant d’abus, un désir de retrouver un peu d’ordre ; on recherche un homme fort mais l’on ne trouve qu’un Napoléon, celui qui réprima les excès de la Révolution sans revenir sur ses principes. En demeurant fermement attaché aux principes dissolvants du Concile, tout en cherchant ici ou là à réprimer certains abus, le pape Jean-Paul II, qui réunit le Panthéon d’Assise, reçoit le signe du tillac ou baise le Coran, pénètre dans les temples, mosquées et autres synagogues, peut être appelé le Napoléon de la Révolution conciliaire. Prions pour qu’une Sainte Hélène l’aide à en revenir.
Mais n’oublions pas, quant à nous, l’acharnement et l’habileté de Napoléon pour désarmer la Vendée militaire. Ce que Turreau et ses colonnes infernales ne parvinrent pas à faire, Hoche puis Napoléon l’obtinrent par leur diplomatie. Qu’il suffise d’écouter leurs mots d’ordre « Inspirez de la confiance aux Vendéens par des mesures même un peu contre-révolutionnaires. Flattez leurs idées religieuses ». La paix de Montfaucon vint couronner leur politique d’une pacification élaborée au sein de la société moderne issue de la Révolution. Nous n’arrêterons pas notre combat pour une paix factice, à portée de main, car nous comprenons que notre combat dépasse celui de nos halliers ou de nos prieurés. Nous nous battons pour la Sainte Eglise et notre combat ne connaîtra aucune trêve tant que le poison sera encore distillé dans les veines de notre Mère la Sainte Eglise. Les coups que nous recevons ou que nous donnons, nous ne les donnons pas, nous ne les recevons pas pour rien, et le Bon Dieu nous encourage à persévérer dans notre combat par des signes qui nous le manifestent de temps en temps. Ce pèlerinage de Montmartre représente, d’une façon visible, l’un de ces signes et son renouvellement dans le temps, chaque année, est le témoin de la persévérance fidèle que nous devons avoir dans ce combat.
Alors, mes bien chers frères, vive notre combat qui est un beau combat, un combat d’Eglise. Ne désertons pas nos places que nous envient les anges et les saints du Ciel et croyons que Dieu nous donnera certainement la victoire. Que les catholiques de Tradition enthousiasmés par le combat qu’ils mènent soient fermes dans la foi, remplis d’espérance et que leur charité rayonne autour d’eux. Que nos familles profondément catholiques, réfractaires à toutes les mondanités stérilisantes fournissent ce terreau privilégié où le Bon Dieu choisit des vocations ardentes à partir à la conquête de la sainteté et au service de l’Eglise. Y a‑t-il plus bel idéal qui puisse être choisi ?
Humblement nous allons maintenant, par l’intercession de saint Pie X et de la Très Sainte Vierge Marie, nous tourner vers le Sacré-Cœur de Jésus pour lui confier le District de France en particulier, avec ses intentions qui lui sont les plus chères :
- que nos familles soient profondément chrétiennes ;
– que nos écoles portent leurs élèves vers la ressemblance de Notre-Seigneur ;
– que le poison de l’hérésie et de l’erreur n’infeste pas nos intelligences ;
– que nos chefs de famille combattent pour la cité chrétienne ;
– que nos prieurés soient des havres de sanctification ;
– que notre Tiers-Ordre soit toujours plus nombreux et plus fervent ;
– que nos prêtres, remplis de sainteté, soient des apôtres infatigables dans leur apostolat ;
– que la dévotion des premiers samedis du mois soit partout diffusée dans nos chapelles ;
– que la France, fille aînée de l’Eglise, ainsi que tous les autres pays représentés ici, reviennent de leurs égarements et se tournent vers l’Eglise ;
– que nous continuions à nous battre sans faiblir et à souffrir autant et aussi longtemps qu’il le faudra, bien heureux d’avoir cet honneur de pouvoir servir l’Eglise.
Ainsi-soit-il.
Abbé Régis de Cacqueray