Sermon de l’abbé de Cacqueray à Montmartre le 9 juin 2003

[Le sermon a été transcrit en respectant le langage parlé et les intonations.
Les soulignements sont de LPL ]

Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, Ainsi soit il.

Chers confrères,
Mes bien chers frères,

Au terme de ces trois jour­nées de marche et de prière qui nous ont conduits de Notre-​Dame de Chartres au Sacré-​Cœur de Montmartre, nos âmes expriment une joie incom­pré­hen­sible pour ceux qui nous entourent et tel­le­ment pro­fonde pour­tant. Trempés par les averses ou brû­lés par le soleil, tous les muscles et tout le corps dou­lou­reux, nos fatigues et nos sacri­fices sont si peu de choses par rap­port à cette recon­nais­sance qui s’exhale de nos âmes for­ti­fiées, ragaillar­dies par ce bain de jou­vence spi­ri­tuelle qu’est notre pèle­ri­nage. Il nous reste, pour que notre joie soit par­faite, à nous ouvrir avec la plus grande géné­ro­si­té aux grâces qui vont abon­dam­ment des­cendre sur nous pen­dant cette messe d’action de grâces.

Chaque année, il demeure cepen­dant, mes bien chers frères, une ombre à notre allé­gresse qui peut être l’ombre d’une cathé­drale de Chartres dans laquelle nous ne pou­vons entrer, d’une basi­lique du Sacré-​Cœur qui ferme soi­gneu­se­ment ses portes lorsque nous appro­chons. Et c’est l’occasion pour les anciens, par­mi nous, de se pen­cher vers les visages éton­nés des petits enfants pour leur racon­ter une his­toire, qui est leur his­toire, l’histoire de ce ban­nis­se­ment étrange qui nous frappe d’autant plus vive­ment que le mot d’œcuménisme semble suf­fire aujourd’hui pour livrer nos sanc­tuaires aux reli­gions les plus bigar­rées qui puissent exister.

Cette his­toire, notre his­toire, que vous avez peut-​être chu­cho­tée gra­ve­ment à vos enfants sur le che­min du pèle­ri­nage, c’est l’histoire dou­lou­reuse mais belle d’un évêque nom­mé Monseigneur Lefebvre, de la lutte théo­lo­gique indomp­table qu’il mena, de sa fidé­li­té à la vraie messe, de la prise de Saint-​Nicolas du Chardonnet et de la construc­tion à tra­vers le monde de nos cha­pelles, de nos prieu­rés et de nos écoles. Il est impor­tant que cette his­toire soit trans­mise avec beau­coup de soin et beau­coup d’amour d’une géné­ra­tion à l’autre, comme on remet la part la plus pré­cieuse de son héri­tage. Celui qui trans­met son modeste flam­beau doit croire qu’il devien­dra le bran­don qui incen­die­ra un jour le monde des lumières de l’Evangile, de l’amour de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. C’est pour­quoi il doit exis­ter chez nous une obs­ti­na­tion sacrée à trans­mettre et à bien trans­mettre. Cette obs­ti­na­tion, héri­tée de Monseigneur Lefebvre, pro­vient de notre conscience de la mis­sion his­to­rique excep­tion­nelle confiée à la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X et à la Tradition. Elle détient en dépôt l’arche sacrée de la Tradition, du sacer­doce et de la messe et sa sublime mais ter­rible res­pon­sa­bi­li­té consiste à la conser­ver, à la faire rayon­ner ‚et que son rayon­ne­ment aide un jour les auto­ri­tés romaines reve­nues de leurs éga­re­ments à en recon­naître l’authenticité et la nécessité.

Et c’est ain­si que nous ser­vons l’Eglise, que nous met­tons notre hon­neur, tout notre hon­neur à la ser­vir. Nous ne vou­lons pas des plai­sirs et des vani­tés d’ici-bas, nous n’en avons pas le temps ni le goût devant le labeur écra­sant qui nous attend ; nous devons rem­plir une mis­sion unique et héroïque et il ne s’agit pas d’y faillir. Bien sûr, nous avons conscience de la dis­pro­por­tion entre le but ver­ti­gi­neux que nous pour­sui­vons et la fai­blesse de nos moyens, mais forts de l’exemple de nos saints, de Judith ou de sainte Jeanne d’Arc, nous savons que nous pou­vons tout en Celui qui nous for­ti­fie et que, d’une chi­que­naude, le Bon Dieu inver­se­ra un jour le cours des choses. Notre espé­rance est donc immense, enra­ci­née dans les pro­messes d’un Dieu qui ne peut se trom­per ni nous trom­per, et nous ne vou­drions pas que cette espé­rance pût s’affaiblir dans quelque cœur ici pré­sent parce que la crise n’en finit pas, que le com­bat est long ou parce que Rome mani­fes­te­rait des vel­léi­tés d’une paix alléchante.

Le seul dan­ger véri­table pour notre petite armée de catho­liques, comme en témoigne tra­gi­que­ment le cler­gé de Campos qui a pris la poudre d’escampette, se trouve là. Je ne crois nul­le­ment que nous soyons mena­cés du dan­ger de la consti­tu­tion d’une petite Eglise sépa­rée de Rome. Notre intel­li­gence et notre doc­trine sont romaines, notre cœur et notre com­bat sont romains. Nous sommes romains par toutes les fibres de notre âme et c’est pour ser­vir Rome, pour l’honneur de ser­vir l’Eglise, qu’à l’instar des zouaves pon­ti­fi­caux, nous menons nos batailles contre cette reli­gion conci­liaire, can­cer qui détruit l’Eglise et défi­gure Rome. Je dirais, mes bien chers frères, que notre souf­france sur­tout est romaine, souf­france de voir l’Eglise dans cet état pitoyable. Elle m’apparaît comme Notre-​Seigneur pen­dant sa Passion, les mains liées, ruis­se­lante de sang après la fla­gel­la­tion, pré­sen­tée à un monde en folie qui lui pré­fère Barabas. Et nous aban­don­ne­rions notre Mère à un tel moment ? Et nous consti­tue­rions une Eglise paral­lèle ? Combien cette pen­sée est ridi­cule et révol­tante ! Nous n’implorons que l’honneur de ne pas la quit­ter et de sor­tir le voile de la Véronique pour la sou­la­ger modestement.

Non, mes bien chers frères, nous ne sommes pas mena­cés par les déman­geai­sons d’une impa­tience sédé­va­can­tiste, d’aller voir ailleurs. Parce que nous sommes pro­fon­dé­ment d’Eglise, il nous en coûte de subir ce ban­nis­se­ment et les opprobres dont nous sommes pour­sui­vis. Comme tous les autres enfants, nous aime­rions nous aus­si être accueillis nor­ma­le­ment dans notre mai­son, que les portes ne soient plus vio­lem­ment fer­mées, uni­que­ment pour nous, à Chartres, à Montmartre ou ailleurs. Et il existe des pré­lats conci­liaires bien per­sua­dés de nos sen­ti­ments pro­fon­dé­ment catho­liques, de cette souf­france tel­le­ment romaine qui ne cesse de ser­rer nos cœurs pour nous dire qu’ils vont nous ouvrir les portes et que nous pour­rons rega­gner nos chambres et que, dans nos chambres, nous pour­rons célé­brer tran­quille­ment notre messe de Saint Pie V. Enfin ter­mi­né le ban­nis­se­ment ! Pouvoir ren­trer dans la mai­son après tant d’années à attendre devant la porte ! 

Bien chers amis, telle est la seule menace qui pèse sur nous : que le chant des sirènes nous enchante et nous convie à cette paix fac­tice, celle où les enfants peuvent rega­gner leurs chambres, à condi­tion qu’ils ne demandent plus que les pièces com­munes de la mai­son soient éga­le­ment ren­dues à la royau­té abso­lue de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Je vou­drais, pour notre for­ti­fi­ca­tion inté­rieure, rap­pe­ler une com­pa­rai­son dont se ser­vit Monseigneur Lefebvre au cours de la période éprou­vante des sacres. Nous voi­ci quinze ans après, mais elle demeure aus­si actuelle. Devant les pro­po­si­tions romaines, il disait qu’il se trou­vait dans une situa­tion com­pa­rable à celle du pape Pie VII face à Napoléon au moment de la signa­ture du Concordat de 1801. « Si je signe, disait Monseigneur, Jean-​Paul II m’imposera plus tard des articles orga­niques », ces fameux articles qui mirent le cler­gé fran­çais sous la botte du petit capo­ral corse. Cette ana­lo­gie est bien inté­res­sante. Le Concile, comme l’a dit l’un de ses prin­ci­paux témoins, a été 1789 dans l’Eglise. 1789 a été sui­vi de 1793, c’est à dire de cette période incroyable de déso­la­tion post-​conciliaire, dont les ravages sont incal­cu­lables. Il existe, devant tant d’abus, un désir de retrou­ver un peu d’ordre ; on recherche un homme fort mais l’on ne trouve qu’un Napoléon, celui qui répri­ma les excès de la Révolution sans reve­nir sur ses prin­cipes. En demeu­rant fer­me­ment atta­ché aux prin­cipes dis­sol­vants du Concile, tout en cher­chant ici ou là à répri­mer cer­tains abus, le pape Jean-​Paul II, qui réunit le Panthéon d’Assise, reçoit le signe du tillac ou baise le Coran, pénètre dans les temples, mos­quées et autres syna­gogues, peut être appe­lé le Napoléon de la Révolution conci­liaire. Prions pour qu’une Sainte Hélène l’aide à en revenir.

Mais n’oublions pas, quant à nous, l’acharnement et l’habileté de Napoléon pour désar­mer la Vendée mili­taire. Ce que Turreau et ses colonnes infer­nales ne par­vinrent pas à faire, Hoche puis Napoléon l’obtinrent par leur diplo­ma­tie. Qu’il suf­fise d’écouter leurs mots d’ordre « Inspirez de la confiance aux Vendéens par des mesures même un peu contre-​révolutionnaires. Flattez leurs idées reli­gieuses ». La paix de Montfaucon vint cou­ron­ner leur poli­tique d’une paci­fi­ca­tion éla­bo­rée au sein de la socié­té moderne issue de la Révolution. Nous n’arrêterons pas notre com­bat pour une paix fac­tice, à por­tée de main, car nous com­pre­nons que notre com­bat dépasse celui de nos hal­liers ou de nos prieu­rés. Nous nous bat­tons pour la Sainte Eglise et notre com­bat ne connaî­tra aucune trêve tant que le poi­son sera encore dis­til­lé dans les veines de notre Mère la Sainte Eglise. Les coups que nous rece­vons ou que nous don­nons, nous ne les don­nons pas, nous ne les rece­vons pas pour rien, et le Bon Dieu nous encou­rage à per­sé­vé­rer dans notre com­bat par des signes qui nous le mani­festent de temps en temps. Ce pèle­ri­nage de Montmartre repré­sente, d’une façon visible, l’un de ces signes et son renou­vel­le­ment dans le temps, chaque année, est le témoin de la per­sé­vé­rance fidèle que nous devons avoir dans ce combat.

Alors, mes bien chers frères, vive notre com­bat qui est un beau com­bat, un com­bat d’Eglise. Ne déser­tons pas nos places que nous envient les anges et les saints du Ciel et croyons que Dieu nous don­ne­ra cer­tai­ne­ment la vic­toire. Que les catho­liques de Tradition enthou­sias­més par le com­bat qu’ils mènent soient fermes dans la foi, rem­plis d’espérance et que leur cha­ri­té rayonne autour d’eux. Que nos familles pro­fon­dé­ment catho­liques, réfrac­taires à toutes les mon­da­ni­tés sté­ri­li­santes four­nissent ce ter­reau pri­vi­lé­gié où le Bon Dieu choi­sit des voca­tions ardentes à par­tir à la conquête de la sain­te­té et au ser­vice de l’Eglise. Y a‑t-​il plus bel idéal qui puisse être choisi ?

Humblement nous allons main­te­nant, par l’intercession de saint Pie X et de la Très Sainte Vierge Marie, nous tour­ner vers le Sacré-​Cœur de Jésus pour lui confier le District de France en par­ti­cu­lier, avec ses inten­tions qui lui sont les plus chères :

- que nos familles soient pro­fon­dé­ment chrétiennes ;
– que nos écoles portent leurs élèves vers la res­sem­blance de Notre-Seigneur ;
– que le poi­son de l’hérésie et de l’erreur n’infeste pas nos intelligences ;
– que nos chefs de famille com­battent pour la cité chrétienne ;
– que nos prieu­rés soient des havres de sanctification ;
– que notre Tiers-​Ordre soit tou­jours plus nom­breux et plus fervent ;
– que nos prêtres, rem­plis de sain­te­té, soient des apôtres infa­ti­gables dans leur apostolat ;
– que la dévo­tion des pre­miers same­dis du mois soit par­tout dif­fu­sée dans nos chapelles ;
– que la France, fille aînée de l’Eglise, ain­si que tous les autres pays repré­sen­tés ici, reviennent de leurs éga­re­ments et se tournent vers l’Eglise ;
– que nous conti­nuions à nous battre sans fai­blir et à souf­frir autant et aus­si long­temps qu’il le fau­dra, bien heu­reux d’avoir cet hon­neur de pou­voir ser­vir l’Eglise.

Ainsi-​soit-​il.

Abbé Régis de Cacqueray

Capucin de Morgon

Le Père Joseph fut ancien­ne­ment l’ab­bé Régis de Cacqueray-​Valménier, FSSPX. Il a été ordon­né dans la FSSPX en 1992 et a exer­cé la charge de Supérieur du District de France durant deux fois six années de 2002 à 2014. Il quitte son poste avec l’ac­cord de ses supé­rieurs le 15 août 2014 pour prendre le che­min du cloître au Couvent Saint François de Morgon.