Saint Bède le Vénérable

"The last chapter" - Saint Bède le Vénérable traduit l'évangile selon saint Jean sur son lit de mort, par James Doyle Penrose (1902)

Moine béné­dic­tin, Père et Docteur de l’Église (673–735)
Fête le 27 mai.

Il n’y avait pas encore un siècle que saint Augustin de Cantorbéry, envoyé par saint Grégoire le Grand, était venu de Rome jeter sur la terre de la Grande-​Bretagne la semence de la parole évan­gélique, et déjà une abon­dante mois­son de Saints avait mûri. De cette pha­lange se détache une ligure qui résume toute cette époque d’efflorescence chré­tienne, c’est Bède le Vénérable, le pre­mier par­mi les reje­tons des races bar­bares qui ait conquis une place dans les rangs des Docteurs de l’Eglise.

Il naquit en 673, dans un obs­cur vil­lage voi­sin de Jarrow, dans le com­té de Durham.

Orphelin, il fut, dès l’âge de sept ans, pré­sen­té par ses proches au saint et savant abbé Benoît Biscop qui venait de fon­der (en 674) l’abbaye béné­dic­tine de Saint-​Pierre à Wearmouth, et il prit place par­mi les jeunes enfants que la pié­té de cette époque offrait aux abbayes, afin d’y rece­voir l’instruction pre­mière qui leur per­met­trait plus tard de suivre dans le siècle ou dans le cloître leur véri­table vocation.

Son instruction.

Bède, dont le nom anglo-​saxon signi­fie « prière », à peine entré au monas­tère de Wearmouth parut un modèle pour tous ses com­pagnons d’âge.

En 682, la ruche monas­tique, trop pleine pour suf­fire aux nou­veaux arri­vants, envoya l’abbé Géolfrid avec un groupe de reli­gieux fon­der l’abbaye de Saint-​Paul, à Jarrow. Bède était de ce nombre.

Dans la contrée maré­ca­geuse qu’ils devaient trans­for­mer par leurs tra­vaux, ces moines eurent le sort de presque tous les pre­miers colons. La peste en enle­va dix-​huit : il ne res­ta pour l’office cano­nial que l’abbé Céolfrid et le jeune Bède. Le cœur plein de tris­tesse, Céolfrid conti­nua avec lui la psal­mo­die sacrée, mais sans le chant dés antiennes. Il en fut ain­si pen­dant toute une semaine.

Après ces huit jours, Céolfrid et l’enfant se remirent, non sans grande fatigue, à chan­ter l’office inté­gra­le­ment ; ils conti­nuèrent de la sorte, aidés par les fidèles du voi­si­nage, jusqu’à ce que d’autres reli­gieux fussent venus repeu­pler le cloître désert.

Les règles du chant gré­go­rien avaient été appor­tées en Angleterre par un dis­ciple de saint Grégoire, Jean, chantre de Saint-​Pierre du Vatican, légat apos­to­lique. A la prière de Benoît Biscop, le légat vint à Jarrow où il déve­lop­pa dans un cours public l’ordre de la litur­gie, telle qu’elle se pra­ti­quait à Rome, les rites pres­crits pour les céré­monies, les règles du chant et de la psalmodie.

Sous la direc­tion de cet illustre maître, le jeune élève se pas­sionna pour les mélo­dies gré­go­riennes, pour les magni­fi­cences de la litur­gie sacrée. Sa vive intel­li­gence était d’ailleurs ouverte à toutes les études sérieuses. Il apprit l’Ecriture Sainte aux leçons d’un moine, Thumbert, dont il écri­vit plus tard le nom avec une recon­naissance filiale dans son Histoire des Anglais. Le grec, la poé­sie, les sciences exactes lui furent aus­si enseignés.

Mais la pen­sée de Dieu pré­si­dait à tous les tra­vaux du pieux étu­diant, et lui-​même nous a rap­por­té la prière qu’il fai­sait après l’étude, et par laquelle il ter­mine l’énumération de ses œuvres.

Ô bon Jésus, qui avez dai­gné m’abreuver des ondes suaves de la science, accordez-​moi sur­tout d’atteindre jusqu’à vous, qui êtes la source de toute sagesse, et de ne perdre jamais de vue votre divine présence.

Son ordination.

A dix-​neuf ans, Bède avait par­cou­ru le cycle entier de la science sacrée et pro­fane : la pié­té s’était accrue dans son âme en propor­tion du savoir. Par une glo­rieuse excep­tion il fut ordon­né diacre en 691, par l’évêque d’Exham, saint Jean de Beverley, sous la juri­diction duquel l’abbaye de Jarrow était pla­cée. A trente ans, en 702, il reçut du même pon­tife l’ordination sacer­do­tale, et à par­tir de ce jour jusqu’à sa mort, ce fut lui qui chaque matin chan­ta au chœur la messe conventuelle.

Le maître.

D’élève il pas­sa maître, et bien­tôt six cents dis­ciples de la double com­mu­nau­té de Jarrow et de Wearmouth, sans comp­ter ceux qui accou­raient en foule de dif­fé­rents points de l’Angleterre près de l’illustre doc­teur, assis­taient chaque jour à ses leçons.

Ma vie s’est écou­lée tout entière, disait-​il plus tard, dans l’enceinte de ce monas­tère. En dehors de la médi­ta­tion des Saintes Ecritures, des obser­vances de la dis­ci­pline régu­lière, du chant de la messe quo­ti­dienne au chœur, je n’ai rien connu de plus doux que d’apprendre sans cesse, d’étudier et d’écrire.

Pour avoir une idée de ce que fut son ensei­gne­ment, il suf­fi­rait d’énumérer les trai­tés com­po­sés par lui sur toutes les branches de l’instruction, depuis les règles de l’orthographe jusqu’aux notions les plus éle­vées de la lit­té­ra­ture et de la science. Il se fai­sait tout à tous, dis­tri­buant à la fois le lait de la doc­trine aux enfants et le pain sub­stan­tiel de la science aux intel­li­gences plus élevées.

Bède fut le véri­table « péda­gogue » non seule­ment de l’Angleterre qui enten­dit sa voix, mais de la Germanie qui en reçut l’écho par saint Boniface, et de la France elle-​même, où Alcuin (735–804) vul­ga­ri­sa son ensei­gne­ment à l’Ecole pala­tine de Charlemagne.

Œuvres littéraires et scientifiques.

Trois ans avant sa mort, Bède dres­sa une liste de ses ouvrages ; ils sont au nombre de quarante-​cinq et on y voit men­tion­nés deux recueils de poé­sies, un livre d’hymnes et un livre d’épigrammes. Ces œuvres poé­tiques sont presque entiè­re­ment perdues.

Ses ouvrages scien­ti­fiques et lit­té­raires com­prennent un trai­té d’orthographe, un autre de poé­tique, un petit livre de rhé­to­rique qui abonde d’exemples cités de la Bible et révèle les beau­tés lit­té­raires des psaumes, un trai­té, De la nature des choses, qui est un pré­cis des connais­sances de l’époque sur l’astronomie, la cos­mo­gra­phie, la géo­gra­phie ; on y remarque que Bède déclare déjà que la terre est ronde. Tous ces ouvrages sont comme des manuels à l’usage de ses élèves.

Il faut y ajou­ter les tra­vaux chro­no­lo­giques qui sont d’une très grande valeur.

Le Docteur.

A peine âgé de trente ans, ce doc­teur, « plus facile à admi­rer qu’à louer digne­ment », comme le dit son his­to­rien, avait ache­vé son ency­clopédie lit­té­raire et scien­ti­fique. Il entre­prit alors un gigan­tesque tra­vail d’exégèse patris­tique où il résu­ma tout ce que les Pères les plus accré­di­tés d’Orient et d’Occident avaient écrit sur les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament.

Un par­fum de poé­sie et de sim­pli­ci­té s’exhale de tous ses écrits spi­ri­tuels. Sa doc­trine est celle de saint Augustin, celle de l’Eglise : il avait une pré­di­lec­tion pour le grand doc­teur d’Hippone.

Ses homé­lies, dont il ne reste que quarante-​neuf, et qui étaient des­ti­nées aux reli­gieux de Jarrow, se répan­dirent dans tous les autres cloîtres béné­dic­tins et notam­ment au Mont-​Cassin. La litur­gie en a pris une ving­taine d’extraits pour les offices du Bréviaire romain.

Huit siècles avant la Réforme, en répon­dant aux erreurs de son temps, il four­nis­sait contre elle des arguments.

On voit qu’il pen­sait comme l’Eglise romaine sur tous les points con­troversés entre les catho­liques et les pro­tes­tants, tels que la prière pour les morts, l’invocation des saints, la véné­ra­tion des reliques et des images, etc. Il attri­bue même des miracles à ces pra­tiques. Il montre que les images ne sont point pros­crites par le Décalogue, et que Dieu défen­dit seule­ment les idoles, puisqu’il ordon­na d’élever le ser­pent d’airain, etc.

Dans une de ses homé­lies, il traite tout par­ti­cu­liè­re­ment de la prière pour les morts.

L’historien.

En 731, il ache­vait la grande œuvre qui lui vaut encore aujour­d’hui l’admiration et la recon­nais­sance du monde savant, et qui est la grande mine exploi­tée par une foule d’historiens et d’hagiographes du moyen âge, Histoire ecclé­sias­tique de la Nation des Anglais. Ce livre immor­tel, qui fait de lui le « père de l’histoire anglaise », cou­ron­na sa pro­di­gieuse car­rière. Bède fut pour la Grande-​Bretagne ce que saint Grégoire de Tours avait été pour les Francs, l’annaliste national.

Il n’avait entre­pris cet ouvrage que sur les ins­tances du pieux et savant roi des Northumbriens, Céolwulf, à qui s’était joint Albin, pre­mier abbé anglo-​saxon du monas­tère de Saint-​Augustin à Cantorbéry.

L’humble auteur dédia son ouvrage au prince en ces termes : « Au très glo­rieux roi Céolwuff, Bède, ser­vi­teur et prêtre du Christ. »

Il écri­vait aus­si à Albin avec une humi­li­té charmante :

Révérendissime Père, vous que je puis appe­ler mon bien-​aimé dans le Seigneur, souvenez-​vous, je vous en sup­plie, de ma fra­gi­li­té, vous et tous les ser­vi­teurs du Christ qui vivent avec vous. Faites prier pour moi tous ceux à qui vous com­mu­ni­que­rez ce modeste opuscule.

Cette Histoire ecclé­sias­tique, qui se par­tage en cinq livres, com­mence par une vie de saint Cuthbert, évêque de Lindisfarne. mort en 687, dans laquelle abondent des détails curieux fai­sant connaître les mœurs de cette époque. Puis, par­tant des pre­mières rela­tions des Bretons et des Romains, le récit se déroule jusqu’à l’année 731, enchâs­sant les affaires de l’Eglise, les affaires civiles, les tra­di­tions reli­gieuses et tous les autres évé­ne­ments dans une seule nar­ra­tion. La bio­gra­phie des cinq pre­miers abbés de Wearmouth et de Jarrow, que Bède a tous connus, ter­mine l’ouvrage.

Bède a encore écrit une Vie de saint Félix de Nole, une Vie et Passion de saint Anastase, aujourd’hui per­due, et un célèbre Marty­rologe qui, à côté des noms des Saints, contient 114 notices historiques.

Dans son Martyrologe, ses som­maires his­to­riques et ses bio­gra­phies de Saints, dit Montalembert, il ajou­tait la démons­tra­tion du gou­ver­ne­ment de Dieu par les faits et les hommes, à l’exposition théo­rique des ensei­gnements de la foi.

Il prouve aus­si que la conver­sion de l’Angleterre est l’œuvre exclu­sive des Papes et que l’Eglise seule pos­sède le secret de la véri­table civilisation.

Sa correspondance et son cœur.

Les seize lettres qui nous res­tent de la Correspondance de Bède nous révèlent son cœur. Cette âme qui se tra­hit à tra­vers ses écrits est une âme sainte. Les sen­ti­ments affec­tueux et les ten­dresses de l’intimité s’unissent tout natu­rel­le­ment chez lui à cette soif de la science, à cet amour impé­rieux de l’étude, à cette ardeur du tra­vail, à la pra­tique des ver­tus et à ce noble sou­ci des choses divines et célestes qui font de lui le type accom­pli du moine.

On cite, spé­cia­le­ment, une lettre qu’il écri­vit en 734, peu de temps avant sa mort, à son dis­ciple Egbert nou­vel­le­ment élu évêque d’York. C’est une sorte de trai­té du gou­ver­ne­ment spi­ri­tuel et tem­po­rel de la Northumbrie. Cette lettre, qui est comme le tes­ta­ment spi­ri­tuel du grand Docteur, jette une vive lumière sur l’état de l’Eglise anglo-saxonne.

Bède com­mence par exhor­ter son élève à médi­ter et étu­dier l’Ecriture Sainte pour y trou­ver les conso­la­tions dont parle saint Paul. Puis il lui rap­pelle les devoirs d’un évêque :

Souvenez-​vous que la par­tie la plus essen­tielle de votre devoir est de mettre par­tout des prêtres éclai­rés et ver­tueux, de vous appli­quer avec un zèle infa­ti­gable à nour­rir vous-​même votre trou­peau ; de faire en sorte que le vice dis­pa­raisse ; de tra­vailler à la conver­sion des pécheurs ; d’avoir soin que tous les dio­cé­sains sachent l’Oraison domi­ni­cale et le Symbole des apôtres et qu’ils soient par­fai­te­ment ins­truits des dif­fé­rents articles de la religion.

Il insiste ensuite sur la com­mu­nion fré­quente des fidèles. :

Elle est en usage, dit-​il, dans toute l’Eglise du Christ, en Italie, dans les Gaules, en Afrique, en Orient. Chez nous cet acte de reli­gion, le plus impor­tant de tous, le plus néces­saire à la sanc­ti­fi­ca­tion des âmes, est presque incon­nu des laïques. Beaucoup de fidèles se contentent de com­munier deux ou trois fois par an, quand ils pour­raient, avec un peu de pré­pa­ra­tion, s’approcher des célestes mys­tères au moins tous les dimanches et toutes les fêtes d’apôtres et de martyrs.

Parmi ses autres lettres, l’une est un opus­cule scien­ti­fique sur les équi­noxes ; une autre traite de la célé­bra­tion de Pâques ; sept, adres­sées à son ami saint Acca, exposent des ques­tions exé­gé­tiques ; dans une autre, il remer­cie l’abbé de Cantorbéry, Albin, de son appui dans la com­po­si­tion de l’Histoire ecclé­sias­tique.

Cette vie lim­pide et glo­rieuse ne fut pas cepen­dant sans nuage. Comme tous les hommes de ver­tu, il s’attira l’hostilité de quelques esprits étroits. On alla même jusqu’à le trai­ter d’hérétique parce que dans sa chro­no­lo­gie il avait com­bat­tu l’opinion, alors répan­due, que le monde ne devait durer que six mille ans. Cette accu­sa­tion d’hérésie fit tant de bruit qu’il en était ques­tion jusque dans les chan­sons gro­tesques des paysans.

Bède en fut fort affli­gé. Pour se jus­ti­fier, il com­po­sa une véri­table apo­lo­gie adres­sée à un moine sous forme de lettre et dans laquelle il s’élevait contre la manie de déter­mi­ner la fin du monde. Cet écrit bien­tôt répan­du dans toute l’Angleterre mit fin à la calomnie.

Par contre, à ses nom­breux amis, Bède ne cesse de deman­der de prier pour lui. Cette pieuse anxié­té pour assu­rer à son âme le secours de la prière après sa mort se retrouve à chaque ins­tant dans ses let­trés ; elle achève d’imprimer le cachet de l’humble et vrai chré­tien à ce grand savant, dont la vie fut si bien remplie.

Certains his­to­riens ont dit qu’il était deve­nu aveugle à la fin de sa vie, ce qui ne l’empêchait ni d’enseigner ni de prêcher.

Saint Bède, deve­nu aveugle, conti­nue d’en­sei­gner et de prêcher

Derniers jours du maître.

Ses der­niers moments ont été décrits jusque dans les moindres détails par un témoin ocu­laire, un dis­ciple fidèle, Cuthbert, qui fut plus tard abbé de Jarrow et dont les larmes ont dû cou­vrir plus d’une fois le par­che­min sur lequel il retra­çait cette scène.

Vous dési­rez de moi écrit-​il, que je vous dise com­ment Bède notre Père et notre Maître, le bien-​aimé de Dieu, est sor­ti de ce monde. C’est une conso­la­tion pour ma dou­leur, en même temps qu’une peine de plus, d’avoir à vous l’écrire.

Deux semaines envi­ron avant Pâques [17 avril 735], il fut pris d’une dif­fi­cul­té de res­pi­rer, mais sans éprou­ver une grande dou­leur. Il vécut ain­si jusqu’à la fête de l’Ascension [qui était le 26 mai], tou­jours joyeux et gai, ren­dant grâces à Dieu.

Tous les jours, selon sa cou­tume, il nous don­nait ses leçons, il employait le reste de sa jour­née à chan­ter des psaumes ; et toutes les nuits, après un court som­meil, il les pas­sait, sans fer­mer les yeux, dans les actions de grâces. Dès son réveil il se remet­tait à prier les bras en croix. II chan­tait tan­tôt les textes de saint Paul, et plu­sieurs autres pas­sages de l’Ecriture, tan­tôt des vers qu’il avait com­po­sés en notre langue, et aus­si des antiennes.

Ici le nar­ra­teur s’interrompt pour citer dix vers anglais recueillis sur les lèvres du mourant.

D’autres fois nous lisions, mais les larmes inter­rom­paient la lec­ture, et nous ne lisions jamais sans pleu­rer. Les qua­rante jours de Pâques à l’Ascension s’écoulèrent ain­si. Il disait avec saint Paul : « Le Seigneur fla­gelle le fils qu’il va rece­voir. » On lui enten­dait dire aus­si ces paroles de saint Ambroise : « Je n’ai point vécu de manière à rou­gir de vivre par­mi vous, et je ne crains point de mou­rir parce que nous avons un Dieu qui est la bon­té par essence. »

Pendant ces jours, et en sus des leçons qu’il nous don­nait, il entre­prit deux ouvrages, une tra­duc­tion de l’Evangile selon saint Jean, en notre langue, et quelques extraits d’Isidore de Séville. Car, disait-​il, « je ne veux pas que mes dis­ciples lisent des men­songes, et qu’après ma mort ils se livrent à des tra­vaux inutiles ».

Le mar­di avant l’Ascension, il se sen­tit une dif­fi­cul­té de res­pi­rer plus grande qu’à l’ordinaire. On remar­qua un peu d’enflure à ses pieds. Il conti­nua néan­moins de dic­ter gaie­ment et quel­que­fois il ajou­tait : « Hâtez- vous, car je ne sais com­bien de temps je res­te­rai avec vous, ni si mon Créateur ne m’appellera pas bientôt. »

Un autre his­to­rien ajoute que « l’enflure de ses pieds l’avertissant qu’il appro­chait de sa der­nière heure, il vou­lut rece­voir l’Extrême- Onction, puis le saint Viatique ».

Il pas­sa la nuit en action de grâces. Le len­de­main matin, mer­cre­di, veille de l’Ascension, il ordon­na de trans­crire ce qui était com­men­cé, et nous tra­vaillâmes jusqu’à l’heure de Tierce. Vint ensuite la pro­ces­sion accou­tumée en ce jour, avec les reliques des Saints, et nous la suivîmes.

Mais un de nous res­ta près du malade et lui dit :

— Il manque encore un cha­pitre, maître bien-​aimé, au livre que vous avez dic­té ; serait-​ce une trop grande fatigue que de vous faire par­ler davantage ?

— Non, répondit-​il, prends la plume et écris promptement.

A l’heure de None, il me char­gea d’aller cher­cher tous les prêtres du monas­tère ; il fit ses adieux à ses frères et les sup­plia de prier pour lui : ces entre­tiens durèrent jusqu’à l’heure des Vêpres.

Et le dis­ciple dont j’ai par­lé lui dit encore :

— Cher maître aimé, il reste un ver­set qui n’est point écrit.

— Ecris-​le donc, répon­dit Bède.

Et le dis­ciple ayant ter­mi­né en quelques ins­tants s’écria : — Maintenant, c’est fini.

— Tu dis vrai, reprit alors le maître, c’est fini. Prends ma tête dans tes mains et tourne-​moi, car j’éprouve une grande conso­la­tion à diri­ger mon regard vers le Lieu Saint où j’ai tant prié.

Et ain­si, cou­ché sur le plan­cher de sa cel­lule, et tour­né du côté du sanc­tuaire, il se mit à chan­ter une der­nière fois : « Gloire au Père, au Fils et au Saint-​Esprit », puis il s’endormit pai­si­ble­ment dans le Seigneur. Il allait ache­ver dans les siècles des siècles la doxo­lo­gie inter­rom­pue sur ses lèvres par l’ange de la mort.

Il n’avait que soixante-​deux ans. C’était le mer­cre­di soir 25 mai 735.

Comme une fête com­mence avec les pre­mières Vêpres, plu­sieurs auteurs ont écrit que saint Bède mou­rut le jour de l’Ascension, ce qui a fait pla­cer au 26 mai la date de sa mort.

Son titre de Vénérable.

Comme tous les autres saints de cette époque, Bède fut cano­ni­sé par la voix popu­laire, taci­te­ment approu­vée de l’Eglise, et l’Ordre de Saint-​Benoît a tou­jours célé­bré sa mémoire comme celle d’un Saint et d’un Docteur.

Ce der­nier titre, les évêques d’Angleterre le sol­li­ci­tèrent dès 1855. La ques­tion fut reprise en 1890, sous le pon­ti­fi­cat de Léon XIII et, grâce sur­tout au zèle du futur car­di­nal Vives y Tuto char­gé de cet exa­men, elle abou­tit heu­reu­se­ment. Par un décret du 13 novembre 1899, saint Bède a été décla­ré Docteur, et sa fête, fixée au 27 mai, a été éten­due à l’Eglise universelle.

Le titre de Vénérable par lequel il est dési­gné, lui était déjà don­né de son vivant, à cause de ses ver­tus, et, comme on lisait publi­quement dans l’Eglise ses ser­mons et ses homé­lies, on ne pro­non­çait son nom qu’en l’accompagnant de ce vocable. Cette cou­tume per­sista après sa mort et elle a été pour ain­si dire consa­crée par le Martyrologe romain qui lui garde ce titre.

Ses reliques.

Son corps fut ense­ve­li d’abord dans la cha­pelle du monas­tère de Jarrow, où de nom­breux pèle­rins vinrent visi­ter son tom­beau. Divers miracles confir­mèrent son renom de sain­te­té. Des autels lui furent éle­vés, et ses restes furent long­temps l’objet du culte des fidèles. En 1020, ses reliques furent por­tées à Durham, enfer­mées dans un coffre de bois et dépo­sées dans la châsse de saint Cuthbert. En 1155, Hugues, évêque de Durham, les pla­ça dans une châsse magni­fique enri­chie d’or, d’argent et de pier­re­ries ; elles y res­tèrent jusqu’à la pro­fa­na­tion géné­rale sous Henri VIII, qui fit démo­lir la châsse et dis­per­ser les ossements.

A. E. A.

Sources consul­tées. — Mgr Battandier, Bède Docteur de l’Eglise (dans Annuaire pon­ti­fi­cal de 1901, p. 37). — P. Godet, Bède le Vénérable (Dictionnaire de Théo­logie catho­lique). — H. Quentin, Bède le Vénérable (Dictionnaire d’ar­chéo­lo­gie chré­tienne et de litur­gie). — Herbert Thurston, Bède (The Catholic Encyclopedia, New-​York, 1913). — (V. S. B. P., n° 276.)

Source de l’ar­ticle : Un Saint pour chaque jour du mois, Mai, La Bonne Presse, 1932