Saint Ephrem le Syrien

Saint Ephrem le Syrien

Diacre, Docteur de l’Eglise (vers 306-​vers 378).

Fête le 18 juin.

Saint Ephrem le Syrien

Voici le com­men­ce­ment de l’empire des chré­tiens, disaient, en leur enthou­siasme révé­la­teur et naïf, les chro­ni­queurs de Byzance en saluant le règne de Constantin. Sur les ruines, en effet, de la civi­li­sa­tion antique, une jeune aube rayon­nante avait paru : celle de l’ère byzan­tine, où allait s’épanouir, se répandre, s’imposer, demeu­rer à jamais vivante, la sainte, triom­phante, irré­sis­tible et très docte ver­tu du diacre d’Edesse. Non par­fai­te­ment connue et, par-​là, sujette à nombre d’incertitudes ou d’objections, sa vie est entou­rée d’une mys­té­rieuse et d’une sur­na­tu­relle auréole que d’aucuns, un peu témé­rai­re­ment peut-​être, appellent légende. Certes, il existe de réelles contra­dic­tions entre son Testament et la Confession écrite en grec qui lui est attri­buée. Certes, il peut se glis­ser, çà et là, avec gau­che­rie, quelque visible sur­en­chère appor­tée ingé­nu­ment par une pos­té­ri­té spi­ri­tuelle, admi­ra­trice fer­vente ; mais de ses innom­brables écrits, grande leçon pour tous, jaillit en des gerbes d’une clar­té ful­mi­nante le verbe de Dieu,

Sa naissance. – Premières années.

Au pays de Nisibe, dans cette contrée de la Mésopotamie sans cesse mise en effer­ves­cence par les guerres avec les Perses et par les émeutes des fac­tions ariennes, bou­le­ver­sées, par­fois, par des san­gui­naires per­sé­cu­tions, Ephrem naquit, selon les conclu­sions de Mgr Lamy, en l’année 306, sous Constantin le Grand. D’autres le font naître sous Dioclétien. La pre­mière opi­nion semble bien pré­va­loir. Sa mère était ori­gi­naire d’Amid et son père de Nisibe. Celui-​ci, d’après quelques-​uns, était prêtre d’une idole nom­mée Abnil ou Abizal, et donc païen, ain­si que l’aurait été sa compagne.

Toutefois, l’on rap­porte plus géné­ra­le­ment que ses parents étaient chré­tiens, qu’ils tra­vaillaient à la sueur de leur front et vivaient de négoce. Plusieurs de leurs ancêtres avaient illus­tré la pha­lange des mar­tyrs. Eux-​mêmes avaient ser­vi et confes­sé avec une opi­niâtre fidé­li­té le nom de Jésus-Christ.

Ils don­nèrent au nouveau-​né le nom d’Ephraim ou Ephrem, qui signi­fie crois­sant et abon­dant en fruits. Et cela, parce qu’ils se sou­ve­naient d’avoir eu, quelque temps avant l’événement for­tu­né, une vision mer­veilleuse : une vigne lourde de rai­sins leur avait sem­blé sur­gir de la langue de leur fils, puis gran­dir et cou­vrir la terre de son ombre. N’est-ce point là le sym­bole de son élo­quence future, si féconde ?

De bonne heure, il fut offert à Dieu, bien que, d’après la cou­tume sui­vie alors dans l’Eglise, il ne reçût le bap­tême qu’à l’âge de 17 ans, des mains de l’évêque Jacques de Nisibe, qui fut le maître de sa for­ma­tion intel­lec­tuelle et reli­gieuse. Innocence et pié­té ardente, telle fut son enfance tout entière. Il se repro­che­ra plus tard, dans son humi­li­té, la manière dont il avait vécu cette pre­mière époque de sa vie. Sozomène parle de ses faciles mou­ve­ments de colère. Ephrem enri­chit ce témoi­gnage en s’accusant sans réti­cence d’avoir, par espiè­gle­rie, chas­sé devant lui la génisse d’un voi­sin, si bien ou plu­tôt si mal qu’elle devint, au fond d’une forêt, la proie d’animaux sauvages.

Manifestation de la Providence.

Peccadille assu­ré­ment dont nous sou­rions trop volon­tiers, nous, du com­mun des pauvres fidèles. Mais, pour Ephrem, quand c’est de lui qu’il s’agissait, point d’indulgence, de com­plai­sance, de demi – mesure. Comme un crime invo­lon­tai­re­ment com­mis, il déplo­rait aus­si d’avoir été, en ce temps-​là, effleu­ré par de per­sis­tantes, obsé­dantes ten­ta­tions contre la Providence de Dieu. Le démon astu­cieux et sub­til en mali­cieuses res­sources ne lui suggérait-​il pas que le jeu du hasard décide de la plus grande par­tie de notre vie ? Et ne croit – on pas, à s’y méprendre, entendre tin­ter le débit de la mon­naie cou­rante des esprits forts de tous les siècles : « Dieu ne s’occupe pas de ces choses » ?

Cependant le Seigneur, en son incom­men­su­rable bon­té, veillait, lui ména­geant une pro­fi­table leçon. Un jour qu’il voya­geait dans la cam­pagne de la Mésopotamie, le jeune homme ren­con­tra un ber­ger qui, vu l’heure tar­dive, lui offrit hos­pi­ta­li­té. Au milieu de la nuit, des loups assaillirent le trou­peau et le dis­per­sèrent. Pris d’ivresse, le ber­ger n’avait rien enten­du. C’est pour­quoi ceux à qui le trou­peau appar­te­nait le firent mettre en pri­son et, avec lui, Ephrem qu’ils accu­saient de com­pli­ci­té et de rapine. Nulle pro­tes­ta­tion n’y fît. Un cachot se refer­ma sur les deux com­pa­gnons où furent jetés, bien­tôt après, deux autres hommes : l’un accu­sé d’adultère, l’autre de meurtre, tous les deux pareille­ment inno­cents. Sept jours s’étant écou­lés, tan­dis qu’Ephrem était endor­mi, un ange lui appa­rut en songe et lui dit :

– Vis dans la pié­té, et tu recon­naî­tras qu’il y a une Providence. Examine ce que tu as pen­sé et ce que tu as fait, et tu sau­ras par toi – même que tes com­pa­gnons ne souffrent pas injus­te­ment, et que les auteurs des crimes dont ils sont accu­sés seront décou­verts et punis.

Après soixante-​dix jours de cap­ti­vi­té, les pri­son­niers furent ame­nés au tri­bu­nal, où Ephrem entra le der­nier, haras­sé, demi-​nu et ployant sous les chaînes. Ami des siens et l’ayant recon­nu, le juge l’interrogea, fit mettre le ber­ger à la ques­tion, lequel ne tar­da point d’avouer et d’entraîner ain­si l’évidence de l’entière inno­cence d’Ephrem. Quant aux deux autres hommes insi­dieu­se­ment soup­çon­nés, l’un avait ren­du un faux témoi­gnage, l’autre avait, dans le pas­sé, lais­sé périr quelqu’un qu’il aurait pu sauver.

Alors Ephrem se sou­vint des paroles de l’ange. A la lumière de faits irré­cu­sables, il fut inébran­la­ble­ment convain­cu et armé de cette véri­té que rien, pas le moindre fétu de paille, n’échappe au gou­ver­ne­ment et à la jus­tice de Dieu. Tôt ou tard, même en ce monde, tout se paye. Aussi importe-​t-​il, et sans retard, de faire pénitence.

Dans la solitude.

Dès lors la salu­taire et vivi­fiante pen­sée de la fin der­nière, unie à la pieuse crainte de la sen­tence divine, ne quit­te­ra plus son âme géné­reuse, prompte à tous les renon­ce­ments. Entre autres, il écri­ra dans un lan­gage d’or cette page sans pareille :

A la porte du tom­beau viennent s’arrêter et se confondre le cou­pable auda­cieux, le bri­gand avide de pillage, le savant et l’ignorant, le maître et le dis­ciple, jetés pêle-​mêle au-​devant d’un tri­bu­nal, où toutes leurs actions sont pesées dans les balances d’une jus­tice rigou­reuse ; où il n’y a plus de dis­tinc­tion de rang et de condi­tions ; où le monarque com­pa­raît dépouillé de son dia­dème ; où le magis­trat vient rece­voir son arrêt ; où le juste, si sou­vent égor­gé par le crime, attend un nou­veau juge­ment qui le réha­bi­lite et lui assure la récom­pense de ses ver­tus ; où le mau­vais riche, autre­fois nageant dans l’opulence, implore vai­ne­ment une goutte d’eau ; où Lazare est mis en pos­ses­sion de tous les biens. Quel contraste 1 D’une part, pour l’homme opu­lent, à la place de ces richesses qui le ren­daient si fier, des feux ven­geurs, une nuit épaisse ; de l’autre, pour l’humble soli­taire, à la place du cilice et de la bure gros­sière qui le cou­vrait, les plus brillantes parures, un para­dis tout de lumière et toute la magni­fi­cence des rois.

Tableau sai­sis­sant qui n’est point, si l’on peut dire, l’aboutissant dû à des expé­riences suc­ces­sives, à des efforts réité­rés pour se convaincre du néant des plai­sirs qui passent.

On aurait, après cela, de fortes rai­sons de s’étonner qu’Ephrem n’eût pas embras­sé, et tout de suite, la vie monas­tique, qu’il n’eût pas choi­si, la plus proche de lui à cette époque, celle des soli­taires de la Mésopotamie.

Ce n’étaient pas com­plè­te­ment des ermites. Ils vivaient, sinon en large com­mu­nau­té, du moins, le plus sou­vent, cha­cun dans une sorte de pauvre hutte voi­sine qui lui ser­vait de cel­lule. Souvent il adve­nait qu’ils demeu­rassent dans les cavernes ou les creux des rochers. De plantes sau­vages, ils fai­saient leur nour­ri­ture ; de l’eau des ruis­seaux, leur breu­vage. La prière, l’étude, de pieux écrits com­po­sés pour la défense de la doc­trine et l’exhortation des éner­gies hési­tantes ou attié­dies, la constante mor­ti­fi­ca­tion exté­rieure et inté­rieure, for­maient la dis­ci­pline de leurs âmes tou­jours plus péné­trées de l’horreur du péché, si minime puisse-​t-​il paraître, tou­jours plus avides d’entrer en pos­ses­sion du divin et par­fait amour.

Les deux Julien. – Concile de Nicée.

Dans sa retraite, dont la crainte constante du juge­ment der­nier fut l’aiguillon et le foyer jamais éteint, Ephrem, pen­dant les pre­mières années, eut, entre autres, deux com­pa­gnons très avan­cés dans les voies de la lumière sur­na­tu­relle et de la sain­te­té. D’abord Julien, qui, plus tard, devait être mis sur les autels, mais, de son vivant, sur­nom­mé « Sabbas » ou « véné­rable vieillard » par ses fils spi­ri­tuels, dont les plus en renom furent Astère, Agrippa et Jacques de Perse, le dis­ciple pré­fé­ré. Puis, un autre Julien, bar­bare ori­gi­naire d’Occident, peut-​être Goth, et dont toute la science venait direc­te­ment de Dieu. Un jour Ephrem lui deman­da pour­quoi, sur cer­tains livres, les mots « Seigneur », « Jésus-​Christ », étaient effacés.

– Je ne puis, répondit-​il, vous rien cacher. La femme péche­resse arro­sa de ses larmes les pieds du Sauveur et les essuya de ses che­veux. Ainsi, par­tout où je trouve le nom de mon Dieu, je l’arrose de mes larmes pour obte­nir de lui la rémis­sion de mes péchés.

– Je sou­haite, reprit Ephrem, que Dieu, selon sa bon­té et sa misé­ri­corde, récom­pense votre dévo­tion ; néan­moins je vous prie d’épargner les livres.

La perte de ce digne soli­taire à qui, croit-​on, il fer­ma les yeux et dont il retra­ça l’existence volon­tai­re­ment immo­lée, lui fut un sujet d’affliction profonde.

La renom­mée des ver­tus d’Ephrem et celle de sa science, elle aus­si véri­ta­ble­ment ins­pi­rée par le Saint-​Esprit, avait dépas­sé non seule­ment les aus­tères limites de sa retraite, mais encore les murs de sa ville natale et les confins de son pays.

La langue grecque lui était deve­nue tout aus­si fami­lière que la langue syriaque. Aussi ne doit-​on pas s’étonner de sa pré­sence, en 325, au Concile de Nicée, laquelle ne peut plus se qua­li­fier de légen­daire. Nul n’ignore que ce Concile, si impor­tant, si défi­ni­tif pour le dogme catho­lique, fut convo­qué par le Pape saint Silvestre sur les ins­tances de l’empereur Constantin le Grand qui, bien que caté­chu­mène encore, vou­lut y assis­ter pour être témoin et média­teur de la paix de l’Eglise, et ain­si apai­ser le trouble gran­dis­sant sus­ci­té par les héré­tiques pro­po­si­tions d’Arius. Celui-​ci, appe­lé à com­pa­raître à la séance pré­pa­ra­toire du 19 juin pour s’en expli­quer, pro­cla­ma sans ver­gogne que le Fils de Dieu n’était pas de toute éter­ni­té, qu’il avait été tiré du néant et que, simple créa­ture de Dieu, en rai­son même du com­mun libre arbitre, il pou­vait choi­sir entre le bien et le mal. Après de tels blas­phèmes, si inju­rieux quant à la forme, si piètre en réa­li­té quant au fond, et qui, par leur cynisme, dis­si­paient toute espèce de mal­en­ten­du, les Pères, dès le début du mois sui­vant, com­men­cèrent le pro­cès de l’hérésiarque, qui devait abou­tir, avec sa condam­na­tion et ses fausses pro­messes de repen­tir, à l’impérissable pro­fes­sion de foi, connue dans la suite sous le nom de Symbole de Nicée.

A Edesse. – L’éloquence de saint Ephrem.

Une tra­di­tion rap­porte que, s’en reve­nant du Concile, les évêques fon­dèrent des écoles dans les villes de leur siège. Ephrem fut appe­lé à diri­ger celle qu’avait ouverte Jacques de Nisibe. Ce fut aus­si lui qui, voyant la cité assié­gée par Sapor, roi des Perses, en 338, obtint par de fer­ventes prières que l’ennemi, cette fois, s’éloignât sans par­ache­ver un avan­tage incon­tes­table, une vic­toire, selon les pré­vi­sions des hommes, inévi­table. Quelque dix ans plus tard mou­rait le saint évêque Jacques. Puis, vers 363, les Perses s’étant désor­mais ren­dus maîtres du ter­ri­toire de Nisibe, Ephrem gagna Edesse.

« Diacre de l’Eglise d’Edesse. » Ainsi est-​il appe­lé par saint Jérôme et par Pallade ; mais on a des rai­sons assez convain­cantes de pen­ser que, trans­por­tés par l’attrait de son élo­quence et conquis par l’exemple de ses mérites, les fidèles deman­dèrent qu’il fût éle­vé à la digni­té sacerdotale.

Ne le fait-​il pas, d’ailleurs, entendre dans le dis­cours sur le sacer­doce qu’il adresse au cler­gé, et dans lequel il se met par­mi ceux qui ont reçu cette digni­té « par la ver­tu du Saint-​Esprit et l’imposition des mains » ? A la pré­di­ca­tion, il se pré­pa­rait par la prière et par les larmes. Car il eut, faveur habi­tuelle chez lui, le don des larmes, ce signe visible de l’amour par­fait. Son zèle sus­ci­tait sa parole et la dépas­sait. Les Écritures, tou­jours pré­sentes à la pen­sée d’Ephrem, étaient le suc, sans cesse renou­ve­lé, de ses exhor­ta­tions. Il adve­nait qu’il fût enva­hi par une connais­sance infuse, au point de s’écrier un jour, sous l’abondance des ins­pi­ra­tions célestes : « Retenez, Seigneur, les flots de votre grâce. » Et c’est pour­quoi, dans le tes­ta­ment lais­sé à ses dis­ciples, il recom­mande avec insis­tance aux habi­tants d’Edesse de ne jamais oublier ni ses conseils ni ses pré­ceptes, et de se bien gar­der de les mépri­ser comme des paroles humaines ; il ne leur avait don­né que ce qu’il avait reçu de la bon­té divine.

Saint Ephrem écri­vant ses com­men­taires sur les saintes Ecritures (d’a­près une gra­vure ancienne)

Union de la vie ascétique et de la vie apostolique.

Il ne menait plus seule­ment, on le voit, la rigou­reuse vie d’un Père du désert. Ses occu­pa­tions l’obligeaient à demeu­rer qua­si conti­nuel­le­ment en rela­tion avec le monde. Sinon, point d’apostolat pos­sible. Obligation lui était donc de tem­pé­rer son ascé­tisme et ses mor­ti­fi­ca­tions exces­sives. La mesure, lorsqu’on songe à cette âme aux sur­na­tu­relles et débor­dantes ardeurs, appa­raît bel et bien comme une ver­tu héroïque. De là, ses avis de modé­ra­tion et de prudence.

– Mieux vaut, disait-​il, man­ger en ren­dant grâces à Dieu qui nous nour­rit, que de jeû­ner en cri­ti­quant, en condam­nant ceux qui mangent et rendent grâces à Dieu. Etes-​vous à table, man­gez, mais ne déchi­rez pas la répu­ta­tion de votre prochain…

Voilà tra­cé, en termes d’une sim­pli­ci­té frap­pante, l’indispensable moyen de par­ve­nir à la sanc­ti­fi­ca­tion. Savoir répri­mer l’intempérance du par­ler, domp­ter tout sem­blant de médi­sance, à plus forte rai­son de calom­nie, c’est un invi­sible cilice jamais relâ­ché, le règne invin­cible de la mor­ti­fi­ca­tion inté­rieure qu’exaltera, quelques siècles plus tard, saint Ignace de Loyola dans ses Exercices.

Renoncement, orai­son, labeur intel­lec­tuel et doc­tri­nal, apos­to­lat pro­di­gué quand il impor­tait, don­naient à Ephrem une auto­ri­té aus­si réelle que l’évidence même. Outre les ins­truc­tions publiques qui, autour de lui, réunis­saient les habi­tants d’Edesse ; outre les conseils que, dans sa cel­lule, venaient qué­rir reli­gieux et fidèles, il répon­dait encore à des étran­gers qui le consul­taient par lettres. Devant tant de marques de véné­ra­tion et de confiance, son humi­li­té, tou­jours vigi­lante, s’interposait.

Lutte contre l’hérésie.

L’humilité, source inta­ris­sable de cha­ri­té, n’est pas, ne sau­rait être, à moins de se tra­ves­tir et de s’amoindrir, une abdi­ca­tion. Le nom, les per­fec­tions et les droits de Dieu mécon­nus ou inju­riés, l’enseignement de l’Eglise renié ou contre­fait, imposent à cer­taines heures de ne pas craindre, selon la force dont on dis­pose, d’intervenir et d’élever la voix. De toute la puis­sance non seule­ment de son élo­quence, mais encore de sa doc­trine et de sa science, Ephrem se dres­sa contre les innom­brables héré­sies qui infes­taient la chrétienté.

Ses œuvres, écrites en langue syriaque et grecque, et tra­duites en latin par Pierre Mobarak, et, après la mort de celui-​ci, par Étienne Evode Assémani dans la pre­mière moi­tié du xviiie siècle, en demeurent le témoi­gnage immor­tel. Elles forment six in-​folio impri­més par la typo­gra­phie Vaticane, de 1732 à 1746. Nous y appre­nons avec quelle ardeur il com­bat­tit tour à tour et vic­to­rieu­se­ment les erreurs des ano­méens, des macé­do­niens, des mil­lié­naires, des mar­cio­nites, des mani­chéens, des mes­sa­liens ou euchites, des apol­li­na­ristes et des nova­tiens. Saint Grégoire de Nysse rap­porte que ces héré­tiques, mal­gré leur audace et leurs arti­fices, furent inca­pables de résis­ter à la vigueur de ses réfutations.

De toutes les héré­sies, celles qu’il atta­qua avec plus d’impétuosité encore que les autres, et que, de son lit de mort, il ana­thé­ma­ti­sa d’une façon par­ti­cu­lière, furent les erreurs des apol­li­na­ristes et celles des mes­sa­liens. A quel degré émi­nent de savoir Apollinaire, le fon­da­teur de la pre­mière, n’était-il point par­ve­nu ! Membre du cler­gé de Laodicée, ayant connu le grand Athanase, il pas­sait par­mi ses contem­po­rains pour un des esprits les plus remar­quables de son époque, l’égal même de saint Basile et de saint Grégoire de Nazianze.

Consacré évêque, mais deve­nu la proie de l’orgueil, il com­men­ça à ensei­gner l’erreur et à for­mer des disciples.

Les apol­li­na­ristes, que saint Epiphane appelle dimoe­rites « par­ta­gés », pré­ten­daient que dans l’humanité de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ il n’y avait point d’âme et que la divi­ni­té ani­mait immé­dia­te­ment les organes du corps. Néanmoins, ils finirent par accor­der au Fils de Dieu l’âme « sen­si­tive » dif­fé­rente de lame « intel­li­gente ». « Ils lui don­naient, dit saint Augustin, l’âme des bêtes et lui refu­saient celle de l’homme. » Quant à la Trinité, tels les sabel­liens, ils n’y recon­naissent le Père, le Fils et le Saint-​Esprit que comme des « noms » ou des « rôles » appar­te­nant à la même personne.

Les mes­sa­liens, eux, sem­blaient ne prendre le nom de chré­tiens que pour le désho­no­rer. De chef atti­tré, ils n’en pos­sé­daient pas, non plus que de dogme pré­cis. Comme ils fai­saient pro­fes­sion de renon­cer au monde et que, sous la robe monas­tique, ils ensei­gnaient les impié­tés des mani­chéens, ils pas­saient pour des reli­gieux. Ils croyaient que cha­cun est sou­mis à un démon ; que le bap­tême est sem­blable à une hache cou­pant les branches exté­rieures du péché, mais que, l’homme ne pou­vant enle­ver de son âme le démon, que seule la prière serait capable de chas­ser, il est inutile de rece­voir le bap­tême. Ils condam­naient le tra­vail des mains, men­diant leur pain sous pré­texte de pau­vre­té, pré­ten­dant que la prière devait res­ter toute leur occu­pa­tion. Ils employaient, néan­moins, la plus grande par­tie du jour à dor­mir, puis débi­taient leurs songes comme des révé­la­tions et des prophéties.

Visite à saint Basile. – Retour à Edesse.
Mort de saint Ephrem.

Certains bio­graphes veulent qu’Ephrem, sur le tard de sa vie, ait, durant huit années, par­cou­ru l’Egypte, pour y com­battre les ariens. Le plus cer­tain est qu’on le trouve, vers 373, à Césarée, auprès de saint Basile.

Un jour, celui-​ci, par une révé­la­tion inté­rieure, recon­nut dans la foule, après l’office divin, cet étran­ger dont il avait déjà enten­du par­ler, soit dans sa visite aux soli­taires de la Mésopotamie, soit par Eusèbe de Samosate. Il s’approcha de lui :

– N’êtes-vous pas Ephrem le Syrien, ami de la soli­tude, celui qui s’est sou­mis avec tant de cou­rage au joug du Seigneur ?

– Je suis, répon­dit l’inconnu inter­pel­lé, Ephrem qui marche le der­nier dans la car­rière céleste.

De retour dans la ville d’Edesse, qu’avait épar­gnée sans doute la per­sé­cu­tion de Valens, mais qui res­tait pri­vée de son cler­gé et déso­lée par la famine, le voi­ci soi­gnant les pauvres, adou­cis­sant leur misère, exhor­tant les riches à la géné­ro­si­té. Charitable, il l’est jusqu’au der­nier ins­tant, où, dans la séré­ni­té, il rend son âme à Dieu pour les droits de qui il avait tou­jours bataillé. C’est, croit-​on, en l’an 378, le 18 juin (ailleurs on lit le 9) ; la date du 18 juin, à la fois quant au jour et au mois, serait tenue aus­si pour l’anniversaire de la nais­sance du grand apôtre que Benoît XV, le 5 octobre 1920, a pro­cla­mé Docteur de l’Eglise. Le même Pape a fixé au 18 juin la fête de saint Ephrem, alors que pré­cé­dem­ment le Martyrologe romain citait son nom au 1er février.

Dominique Roland Gosselin.

Sources consul­tées. – Saint Ephrem (Lille, 1849) – Casimir Emereau, Saint Ephrem le Syrien, son œuvre lit­té­raire grecque (Paris). – F. Nau, article « Ephrem (Saint) », dans Dictionnaire de théo­lo­gie catho­lique de A. Vacant (Paris, 1924). – Annuaire pon­ti­fi­cal catho­lique de 1921 (Paris). – (V. S. B. P., n° 259.)

Source de l’ar­ticle : Un saint pour chaque jour du mois, Juin, 2e série, La Bonne Presse