La conversion de Charles de Foucauld

L’ermitage du père Charles de Foucauld sur le plateau de l’Assekrem. © Thomas Goisque

Aux côtés de saint Paul, saint Augustin ou saint Ignace de Loyola, Charles de Foucauld est une grande figure de converti.

Mgr Lefebvre se recueillant sur la tombe de Charles de Foucauld

Une inconduite notoire

Jeune vicomte, en pos­ses­sion d’un immense héri­tage, l’aspirant de Foucauld s’installe confor­ta­ble­ment dans sa chambre de l’école de cava­le­rie de Saumur. « Qui n’a vu Foucauld dans sa chambre, en pyja­ma de fla­nelle blanche à bran­de­bourgs, ins­tal­lé sur sa chaise longue ou dans un excellent fau­teuil, dégus­tant un savou­reux pâté de foie gras, arro­sé d’excellent vin de Champagne, ne peut se faire une idée de ce qu’est un homme heu­reux de vivre », raconte l’un de ses cama­rades, le futur géné­ral d’Urbal.

La gour­man­dise l’a ren­du gras et lourd mais il soigne son élé­gance ves­ti­men­taire, fai­sant la for­tune des tailleurs et des bot­tiers de Saumur et, pour s’épargner toute fatigue, fait venir le coif­feur à domi­cile. D’une folle pro­di­ga­li­té, il joue des sommes consi­dé­rables, n’allant jamais tou­cher sa solde. Son atti­rance pour les fêtes du monde lui vaut des semaines répé­tées de forteresse.

A l’issue de son séjour à Saumur, l’inspecteur géné­ral don­ne­ra cette appré­cia­tion sur Charles de Foucauld : « A de la dis­tinc­tion, a été bien éle­vé. Mais la tête légère, et ne pense qu’à s’amuser ».

Ne pense-​t-​il qu’à s’amuser, est-​il vrai­ment si heu­reux ? Son com­por­te­ment est tou­te­fois par­fois bien étrange : dis­pa­ru un jour de Saumur, on le retrou­ve­ra dégui­sé en clo­chard, gue­nilleux et misé­rable, errant dans la cam­pagne et men­diant son pain.

Sorti 87ème sur 87 élèves de l’école de cava­le­rie, il est nom­mé sous-​lieutenant au 4ème Hussards à Sézanne ; mais il s’y ennuie affreu­se­ment et se fait muter à Pont-​à-​Mousson où il reprend sa vie de plai­sirs mais en plus grand et en plus déver­gon­dé. C’est alors qu’il affi­che­ra une liai­son avec une cer­taine « Mimi », mon­daine et légère, qu’il pré­sen­te­ra à Sétif, en Afrique, comme la vicom­tesse de Foucauld. Il ira, en effet, prendre ses quar­tiers en Afrique, son régi­ment étant deve­nu en décembre 1880 le 4e Chasseurs d’Afrique. Cette liai­son lui vau­dra reproches puis ordres de ses supé­rieurs, mais le sous-​lieutenant de 23 ans n’admettra pas qu’on s’immisce dans ses affaires per­son­nelles ; il ne se sou­met­tra à per­sonne et pré­fé­re­ra quit­ter l’armée. Sa com­pagne n’est en réa­li­té pour lui qu’une insi­gni­fiante maî­tresse, mais son orgueil le rend intrai­table. Mis en non-​activité « pour indis­ci­pline dou­blée d’inconduite notoire », il rentre en France et s’installe à Evian avec Mimi.

Retour sur son enfance et sa jeunesse

L’élève-officier de Foucauld « a de la dis­tinc­tion, a été bien éle­vé », esti­mait un de ses supé­rieurs. Certes, il n’est pas rare que des parents, pour­tant sou­cieux de don­ner une bonne édu­ca­tion à leurs enfants souffrent de les voir plus tard vivre sans foi ni loi. Il est vrai aus­si que des cir­cons­tances, ou des failles dans l’éducation, peuvent favo­ri­ser des désordres de conduite. Faisons donc un petit flash back sur l’enfance de Charles pour y trou­ver quelque expli­ca­tion au déver­gon­dage du jeune offi­cier. Rappelons tou­te­fois que des cir­cons­tances atté­nuantes ne peuvent excu­ser tota­le­ment de ce que plus tard Charles de Foucauld appel­le­ra « une volon­té posi­tive de reje­ter toute croyance et, à par­tir de là, toute règle ».

Alors qu’il a cinq ans, son père, gra­ve­ment atteint de tuber­cu­lose, donne sa démis­sion d’inspecteur des Eaux et Forêts et devient gra­ve­ment tour­men­té. Il s’en va rési­der chez sa sœur Inès Moitessier tan­dis que sa mère se réfu­gie avec ses deux enfants, Charles et Marie, chez son père, le colo­nel de Morlet. Elisabeth de Foucauld mour­ra d’une fausse couche le 13 mars 1864. Cinq mois plus tard, son époux s’éteint à Paris, loin de ses enfants. Charles, orphe­lin à cinq ans, gar­de­ra sans cesse la nos­tal­gie de ces quelques années pai­sibles où sa mère vivait encore et le tour­nait vers Dieu. Il sera confié, avec sa sœur, à son grand-​père qui se mon­tre­ra d’une grande fai­blesse envers ses petits enfants, sur­tout envers Charles.

A dix ans, il entre en sixième au lycée de Strasbourg où il se montre, d’après son pro­fes­seur, « un élève intel­li­gent et stu­dieux mais loin de faire pres­sen­tir la nature ardente et pri­me­sau­tière qu’il devait mani­fes­ter ». En réa­li­té, Charles est un enfant replié sur lui-​même, d’une forte sen­si­bi­li­té et recher­chant la soli­tude. Il souffre de la mort de ses parents et cela se tra­duit par un tem­pé­ra­ment fer­mé, vul­né­rable et sus­cep­tible, agres­sif et impatient.

C’est alors qu’il retrou­ve­ra comme un nou­veau foyer chez sa tante Inès qui l’accueillera dans sa pro­prié­té près d’Evreux pour quelques semaines de vacances. Il fera sur­tout la connais­sance de celle qui sera son « ange gar­dien » et comme sa deuxième mère tout au long de ses années d’égarement : Marie Moitessier, son aînée de neuf ans, ornée d’une foi pro­fonde et d’une grande bon­té chrétienne.

Mais en 1870 la guerre éclate avec son cor­tège de sang, de famine et de défaites ; elle affec­te­ra dou­lou­reu­se­ment Charles, qui a douze ans.

C’est au lycée de Nancy qu’il fera sa troi­sième. Le 28 avril 1872 fut un de ses plus beaux jours, celui de sa pre­mière com­mu­nion, dont il écri­ra vingt-​cinq ans plus tard qu’elle fut « entou­rée des grâces, des encou­ra­ge­ments de toute une famille chré­tienne, sous les yeux des êtres que je ché­ris­sais le plus au monde ». Marie Moitessier est pré­sente, venue tout exprès de Paris avec un cadeau : le livre de Bossuet qui contri­bue­ra dans quelques années à sa conver­sion. La Providence, comme tou­jours, veille.

Hélas, ce jour de fer­veur sera sans suite. Entré en classe de seconde, Charles de Foucauld s’adonne à toutes sortes de lec­tures qui l’écarteront de la pra­tique reli­gieuse puis contri­bue­ront à lui faire perdre la foi. Dieu n’est plus pour lui que l’Inconnaissable. Ses maîtres sont Montaigne et Voltaire. Il est plon­gé dans le scep­ti­cisme : « rien ne me parais­sait assez prou­vé ; la foi égale avec laquelle on suit des reli­gions si diverses me sem­blait la condam­na­tion de toutes ». Cette « sep­ti­cé­mie » de l’intelligence est aus­si le fruit amer de l’œcuménisme régnant, pro­vo­quée par cette bac­té­rie mor­ti­fère et qua­si homo­nyme : le scep­ti­cisme. Toutes les reli­gions sont éga­le­ment dignes de res­pect, donc aucune n’est vraie – fer­mons la paren­thèse. Charles demeu­re­ra « douze ans sans rien nier et sans rien croire, déses­pé­rant de la véri­té et ne croyant même pas en Dieu, aucune preuve ne (lui) parais­sant assez évidente ».

De plus, Marie s’est mariée le 11 avril 1874 ; elle est deve­nue la vicom­tesse de Bondy. Charles se retrouve plus seul que jamais, ron­gé par ses doutes. Dans cette même année, il passe son pre­mier bac­ca­lau­réat à l’âge de quinze ans et décide d’embrasser la car­rière mili­taire à laquelle il aspire depuis long­temps. Son grand-​père sou­hai­te­rait qu’il pas­sât comme lui-​même par Polytechnique mais Charles, pares­seux, opte pour Saint-​Cyr, plus facile. Il réus­sit tout juste le deuxième bac­ca­lau­réat et com­mence une deuxième année à « Sainte-​Geneviève ». C’est alors que ses doutes, puis l’éloignement de la foi, engen­dre­ront une déchéance morale qua­si com­plète. Citons-​le : « Je vivais comme on peut vivre quand la der­nière étin­celle de foi est éteinte (…) j’étais tout égoïsme, tout impié­té, tout désir du mal, j’étais comme affo­lé ». Rejetant toute croyance, il s’affranchit de toute règle et cela lui parais­sait la seule atti­tude nor­male, cohé­rente : « lorsque je vivais le plus mal, j’étais per­sua­dé que cela était abso­lu­ment dans l’ordre et que ma vie était par­faite ». Paresse et mau­vaise conduite seront les causes de son ren­voi de « Sainte-​Geneviève ». Il met­tra tout de même son point d’honneur à ren­trer à Saint-​Cyr. Avec l’aide du pré­cep­teur que lui don­na son grand-​père, il y fut admis en même temps que Driant, Sarrail et le futur maré­chal Pétain. Mais son cœur ne rêve pas d’honneur et de hauts faits. Charles est indif­fé­rent à la vie, indo­lent, s’ennuie, n’a aucun sou­ci de sa tenue. La nou­velle de la mort de son grand-​père, qu’il aimait ten­dre­ment, bri­se­ra le der­nier lien qui le rete­nait encore. Il se lais­se­ra aller à un véri­table dégoût de vivre, ne fera plus rien, per­dra ses galons et sor­ti­ra de Saint-​Cyr 333e sur 386.

Nous avons déjà évo­qué la triste suite, à Saumur, à Pont-​à-​Mousson et à Sétif où il quit­te­ra l’armée.

Un début de conversion, « naturelle »

A Evian, Foucauld se traîne avec Mimi, cher­chant à s’étourdir dans des plai­sirs mon­dains sans rete­nue. Mais quand il se retrouve seul avec lui-​même il ne trouve que tris­tesse, dégoût, déses­poir ; « Je suis un homme fini », s’écriera-t-il.

C’est alors que sur­vint un évè­ne­ment déci­sif, qui frei­ne­ra sa des­cente aux enfers. Il lit dans un jour­nal : « Sud-​Oranais, insur­rec­tion des Ouled sidi Cheikh – le 4ème Chasseurs est jeté en plein com­bat ». Charles de Foucauld dévore l’article. Ses cama­rades se battent ! Sa réac­tion est immé­diate. Il quitte Evian, se rend à Paris, obtient une audience au Ministère de la guerre et demande sa réin­té­gra­tion dans l’armée, prêt à ser­vir comme simple cava­lier chez les spa­his. Mais son grade lui est ren­du. Il rejoint aus­si­tôt son régi­ment dans le Sud-Oranais.

Mais cet homme pares­seux, jouis­seur, orgueilleux, s’adaptera-t-il à des com­bats d’Afrique ? Laperrine nous répond : « Au milieu du dan­ger et des pri­va­tions des colonnes expé­di­tion­naires, ce let­tré fêtard se révé­la un sol­dat et un chef, sup­por­tant gaie­ment les plus dures épreuves, payant constam­ment de sa per­sonne, s’occupant avec dévoue­ment de ses hommes, il fai­sait l’admiration des vieux mexi­cains du régi­ment, des connais­seurs ». Certes, Charles a retrou­vé la joie et une rai­son de vivre et de se battre, il est franc, ser­viable, déten­du ; mais il est encore loin d’être chré­tien comme en témoignent ces paroles pro­non­cées avec un cer­tain cynisme lors de l’enfouissement d’un che­val qu’il aimait : « Tu appar­tiens à la caté­go­rie de ces che­vaux qui vont droit au para­dis. Je le regrette, car ain­si, nous ne nous ren­con­tre­rons plus jamais ».

Il y a, néan­moins, dans ce départ pour l’Afrique, une pre­mière étape de sa conver­sion. La grâce ne détruit pas la nature et si cette der­nière gran­dit dans le bien, le don de soi, le res­pect de la loi natu­relle, elle offri­ra un ter­rain favo­rable à la grâce. On ne fait pas pous­ser des fleurs sur du béton, même en les arrosant.

Les effets de ce pre­mier pas sont en tout cas de bon augure : Il brise sa soli­tude, entre en contact avec les autres. Surtout il se réha­bi­lite auprès des siens. Sa tante recon­naît son cou­rage et l’intègre dans ce qui repré­sente la tra­di­tion fami­liale. Ensuite, Charles décou­vrit la fra­ter­ni­té d’armes. Il est à la tête d’une troupe d’hommes qui feraient n’importe quoi pour lui parce qu’ils sentent qu’il les aime. Enfin, il ren­con­tra des adver­saires, les arabes, qui « pro­dui­sirent sur lui une pro­fonde impres­sion », comme il le dira plus tard. Et puis il connut cette fas­ci­na­tion du désert dont parle Lyautey : « l’Afrique, ce fut une ivresse de deux ans, l’oubli, une ivresse pure, celle-​là, une gri­se­rie de soleil, de lumière »…, et Psichari d’ajouter : « parce que l’Afrique est la figu­ra­tion de l’éternité, j’exige qu’elle me donne le vrai, le bien, le beau et rien de moins »…

En jan­vier 1882, Foucauld demande un congé à ses chefs pour faire « un voyage en Orient », ce qui lui fut refu­sé. Il obtien­dra alors sa démis­sion de l’armée pour entre­pren­dra une explo­ra­tion du Maroc, pays mys­té­rieux et répu­té dan­ge­reux où per­sonne n’était encore entré. Pour ne pas dévier de notre pro­pos, rete­nons de ce voyage ces paroles brèves pro­non­cées à son retour et qui donnent une idée de sa téna­ci­té : « Cela a été dur, mais très inté­res­sant, et j’ai réus­si ». Il n’y a pas fait que des décou­vertes géo­gra­phiques, il a ren­con­tré des hommes pros­ter­nés devant leur Dieu. « La vue de ces musul­mans vivant dans la conti­nuelle pré­sence de Dieu m’a fait entre­voir quelque chose de plus grand et de plus vrai que les occu­pa­tions mon­daines », écrira-​t-​il plus tard à son cou­sin Henry de Castries.

A peine reve­nu de son explo­ra­tion, il se donne à nou­veau à la débauche, preuve que, si l’idée d’un Dieu fait son che­min, la grâce n’a pas encore œuvré dans son âme. C’est Marie de Bondy, sa cou­sine, qui le sau­ve­ra. Sa bien­veillance, faite de patience et de cha­ri­té, et sans doute sa prière, l’inciteront à « voir et res­pec­ter le bien oublié ». Il mène­ra dès lors une exis­tence soli­taire, mais d’une soli­tude peu­plée des pré­sences aimées et silen­cieuses de sa famille.

L’heure de Dieu

En février 1886, Charles de Foucauld loue un appar­te­ment à Paris, à deux cent mètres de l’église Saint-​Augustin. Il veut tra­vailler et pré­pa­rer d’autres explo­ra­tions. Se pen­chant quelques années plus tard sur son pas­sé, il écri­ra : « Mon cœur et mon esprit res­taient loin de vous, mon Dieu, mais je vivais pour­tant dans une atmo­sphère moins viciée ; ce n’était pas la lumière ni le bien, il s’en faut… mais ce n’était plus une fange aus­si pro­fonde, ni un mal aus­si odieux… La place se déblayait peu à peu… l’eau du déluge cou­vrait encore la terre, mais elle bais­sait de plus en plus, et la pluie ne tom­bait plus… Vous aviez bri­sé les obs­tacles, assou­pli l’âme, pré­pa­ré la terre en brû­lant les épines et les buissons ».

En tra­vaillant le récit de ses explo­ra­tions, Foucauld se remé­more les ren­contres faites au Maroc et la forte impres­sion que lui avait cau­sée les musul­mans. Mais il ne se fera pas musul­man : « L’islamisme n’a pas assez de mépris pour les créa­tures pour pou­voir ensei­gner un amour de Dieu digne de Dieu. Sans la chas­te­té et la pau­vre­té, l’amour et l’adoration res­tent très impar­faits ». Ce Dieu qu’il cherche, digne d’un amour par­fait, le pré­pare dou­ce­ment : « La chas­te­té me devint une dou­ceur et un besoin du cœur ». Sa tante, Mme Moitessier et sa cou­sine, Mme de Bondy, contri­buent par leur affec­tion et leur déli­ca­tesse à son égard, à éle­ver ses sen­ti­ments : « Vous leur ins­pi­riez, mon Dieu, de me rece­voir comme l’enfant pro­digue à qui on ne fai­sait même pas sen­tir qu’il eût jamais aban­don­né le toit pater­nel. Vous leur don­niez pour moi la même bon­té que j’eusse pu attendre si je n’avais pas failli. Je me ser­rai de plus en plus contre cette famille bien-​aimée. J’y vivais dans un tel air de ver­tu que ma vie reve­nait à vue d’œil, c’était le prin­temps ren­dant la vie à la terre après l’hiver ; c’était à ce doux soleil qu’avaient crû ce désir du bien, ce dégoût du mal, cette impos­si­bi­li­té de retom­ber dans cer­taines fautes, cette recherche de la vertu ».

Charles de Foucauld lit encore des phi­lo­sophes païens, mais en éprouve une vive décep­tion, n’y trou­vant « que le vide et le dégoût ». C’est alors qu’il tombe sur le livre que lui avait offerte sa cou­sine le jour de sa pre­mière com­mu­nion : Elévations sur les mys­tères, de Bossuet, qui lui fait « entre­voir que peut-​être la reli­gion chré­tienne était vraie ». Il cherche en fait des ver­tus païennes dans un livre chré­tien, demeu­rant au plan pure­ment moral, tout en pen­sant qu’il ne peut atteindre la véri­té et connaître la vraie reli­gion. C’est encore l’exemple de Marie de Bondy qui cor­ri­ge­ra sa tra­jec­toire spi­ri­tuelle : « Puisque cette âme est si intel­li­gente, la reli­gion qu’elle croit si fer­me­ment ne sau­rait être une folie comme je le pense ». 

Pourtant Marie n’agissait que par son silence, sa dou­ceur, sa bon­té, sa per­fec­tion, tra­vaillant ain­si avec Dieu. Cette méthode lui avait été ensei­gnée par son confes­seur, l’abbé Huvelin, vicaire à la paroisse Saint-​Augustin. Lui-​même avait cou­tume de dire : « Lorsque l’on veut conver­tir une âme, il ne faut pas la prê­cher ; le meilleur moyen n’est pas de lui faire des ser­mons, c’est de lui témoi­gner qu’on l’aime ». Ce conseil était d’autant plus frap­pant que ce prêtre,  agré­gé d’histoire et grand ora­teur, était par­fai­te­ment capable d’user d’arguments fort convain­cants, comme aus­si Marie de Bondy.

Au cours du mois d’octobre 1886, Foucauld res­sent une faim extra­or­di­naire de Dieu. « Mon Dieu, si vous exis­tez, faites que je vous connaisse ! » est la prière qu’il répète inlas­sa­ble­ment dans des églises. Il attend une réponse de Dieu, mais veut aus­si inter­ro­ger un « maître en reli­gion ». Sa cou­sine lui parle de l’abbé Huvelin, auquel elle a déjà vrai­sem­bla­ble­ment par­lé de Charles. Dans les der­niers jours d’octobre, un matin, Charles de Foucauld entre dans l’église Saint-​Augustin. Il cherche l’abbé Huvelin, et le trouve à son confes­sion­nal. « Monsieur l’abbé, je ne viens pas me confes­ser, mais vous poser des ques­tions sur Dieu et la reli­gion ». L’abbé Huvelin lui dit sim­ple­ment : « Mettez-​vous à genoux et confessez-​vous ». Aussitôt après, il lui dit d’aller communier.

Sa conver­sion est totale. Charles de Foucauld fait alors le don abso­lu de toute sa vie : « Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je com­pris que je ne pou­vais faire autre­ment que de ne vivre que pour lui ». Les mots de Saul, conver­ti sur le che­min de Damas : « Que voulez-​vous que je fasse »?, lui revien­dront désor­mais sou­vent sur les lèvres, jusqu’en 1888, l’année où il trou­ve­ra sa voca­tion : Là aus­si, l’abbé Huvelin lui mon­tre­ra le che­min qu’il devra suivre : « Notre Seigneur a tel­le­ment pris la der­nière place que jamais per­sonne n’a pu la lui ravir ».

L’abbé Henri Huvelin (1830–1910). Normalien, agré­gé d’histoire, de grec et de lettres, il fut ordon­né prêtre en 1867. En 1873, son père retrouve la foi, c’est son pre­mier conver­ti. En 1875, il est nom­mé vicaire à l’église Saint-​Augustin où ses confé­rences connaissent un grand suc­cès auprés des jeunes gens et où sur­tout son confes­sion­nal ne désem­plit pas. Appelé l’apôtre de Paris, com­pa­ré au Curé d’Ars, il est là, dit-​il, “non pour poser des idées mais pour aider la grâce”. Accablé depuis 1888 d’une cruelle mala­die, elle ne l’empêchera pas d’assurer son minis­tère jusqu’à la fin. Emile Littré, ancien franc-​maçon, père du célèbre dic­tion­naire et du posi­ti­visme, comp­ta par­mi ses conver­tis et diri­gés. Il s’éteint au soir du 10 juillet 1910, avec sur ses lèvres ces mots : « Numquam satis ama­bo », je n’ai­me­rai jamais assez.

Source : Fideliter n°231 de mai-​juin 2016