Le Christ-​Roi et la doctrine des deux glaives

Fête du Christ-​Roi

Cette fête du Christ-​Roi a été ins­ti­tuée par le pape Pie XI en 1925. Est-​ce à dire que c’est une fête nou­velle, une doc­trine nou­velle que celle de la Royauté de Notre Seigneur ? Evidemment non ! Cette doc­trine a pour elle une grande anti­qui­té et même il existe une fête qui est par­mi les plus anciennes de la litur­gie catho­lique et qui met en avant cette royau­té de Notre Seigneur : c’est la fête de l’Epiphanie. En effet l’un des évè­ne­ments que l’Epiphanie célèbre, c’est l’adoration des Rois mages, au cours de laquelle ils offrirent de l’or à l’Enfant-Jésus. Cette offrande très par­ti­cu­lière est le signe de la recon­nais­sance de la royau­té de l’Enfant-Jésus, de sa royau­té sur les rois et les royaumes terrestres.

La royau­té de Notre Seigneur Jésus-​Christ n’est donc pas une doc­trine nou­velle et elle repose sur les paroles mêmes de Notre Seigneur : dans l’Evangile d’aujourd’hui, Jésus témoigne à Pilate : « je suis Roi ». Mais il existe une autre parole très impor­tante de Notre Seigneur, qu’il a dite à ses apôtres avant de les envoyer prê­cher et bap­ti­ser : « toute puis­sance m’a été don­née dans le Ciel et sur la terre ». Cette affir­ma­tion, c’est l’affirmation de sa domi­na­tion sur toute chose : Notre Seigneur est Roi et sa Royauté est universelle.

En fait nous devons pré­ci­ser : la Royauté de Notre Seigneur est double, elle s’exerce de deux façons dif­fé­rentes, tou­jours par l’intermédiaire de l’Eglise, mais de façon dif­fé­rente. Cette dis­tinc­tion repose aus­si sur une parole de Notre Seigneur : « ren­dez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Cette parole n’est aucu­ne­ment une abdi­ca­tion de la domi­na­tion de Notre Seigneur sur les choses tem­po­relles. Le pape Benoît XVI avait écrit dans son ency­clique Deus Caritas est (25 décembre 2005) : 

« la dis­tinc­tion entre ce qui est à César et ce qui est à Dieu, à savoir la dis­tinc­tion entre État et Église ou, comme le dit le Concile Vatican II, l’autonomie des réa­li­tés ter­restres, appar­tient à la struc­ture fon­da­men­tale du chris­tia­nisme. »

Or cela est faux, bien chers fidèles. Il n’y a pas auto­no­mie des réa­li­tés ter­restres et cela n’appartient aucu­ne­ment à la struc­ture fon­da­men­tale du chris­tia­nisme. Au contraire, toute puis­sance a été don­née à Notre Seigneur au Ciel et sur la terre ; mais il est vrai que cette puis­sance Notre Seigneur l’exerce différemment.

C’est la doc­trine des deux glaives, si bien expri­mée par le pape Boniface VIII, dans la Bulle Unam Sanctam du 18 novembre 1302 :

« les paroles de l’Evangile nous l’enseignent ; dans l’Eglise et en son pou­voir, il y a deux glaives, le spi­ri­tuel et le tem­po­rel. Les deux sont au pou­voir de l’Eglise, le glaive spi­ri­tuel et le glaive tem­po­rel. Cependant, l’un doit être manié pour l’Eglise, l’autre par l’Eglise. L’autre par la main du prêtre, l’un par la main du roi et du sol­dat, mais au consen­te­ment et au gré du prêtre. Il convient que l’autorité tem­po­relle soit sou­mise au pou­voir spi­ri­tuel ».

Cela fut rap­pe­lé dans le Syllabus de Pie IX (8 décembre 1864).

Cette doc­trine est donc irré­pro­chable mais l’homme a de tout temps vou­lu s’en libé­rer, aus­si bien de la royau­té spi­ri­tuelle ou inté­rieure, que de la royau­té tem­po­relle ou sociale.

I – Le refus de la royau­té spi­ri­tuelle par les hommes

De tout temps, les hommes ont donc vou­lu se libé­rer de l’allégeance spi­ri­tuelle qu’ils doivent à Dieu. Le péché per­son­nel est l’aspect mal­heu­reu­se­ment bien concret de ce refus que Notre Seigneur règne sur nous. Le « non ser­viam » du démon se réper­cute et se réper­cu­te­ra jusqu’à la fin du monde sur cette terre. Dans une de ses para­boles, celles des mines en Saint-​Luc, Notre Seigneur nous décrit l’attitude d’un peuple qui refuse de rece­voir celui qui doit deve­nir leur roi : « nous ne vou­lons pas qu’il règne sur nous ». Cette parole, bien chers fidèles, c’est peut-​être trop sou­vent, le cri de notre âme, quand elle refuse de se sou­mettre à Notre Seigneur et à sa Loi. En effet, il arrive mal­heu­reu­se­ment que nous refu­sions de sou­mettre à Notre Seigneur une par­celle de notre vie, un coin de notre âme, un jar­din secret où Dieu n’aurait pas le droit d’entrer et d’exercer sa domination.

Et pour­tant, nous savons recon­naître Notre Seigneur comme notre roi, et même, s’il plait à Dieu, la plus grande par­tie de notre temps : nous embras­sons l’Evangile de Notre Seigneur, nous accep­tons sa Loi, nous sui­vons sa Morale, nous révé­rons ses pré­ceptes et ses maximes ; nous venons lui rendre un culte public dans nos églises et nos cha­pelles ; enfin nous nous pros­ter­nons en sa Présence pour L’adorer, à la Consécration. Oui, fort heu­reu­se­ment, il y a en nous quelque chose des rois mages ! Mais cepen­dant n’y a‑t-​il pas aus­si quelque chose de la fausse ado­ra­tion des sol­dats du pré­toire ? Il est éton­nant et très ins­truc­tif de noter que dans tous les évan­giles, à deux occa­sions seule­ment, on offre à Notre Seigneur des hom­mages qu’on ne rend qu’aux rois : la pre­mière occa­sion est l’adoration, bien légi­time et admi­rable des rois mages quand ils arrivent à Bethléem, et quand ils offrent l’or comme tri­but à la royau­té de l’Enfant-Jésus ; l’autre mal­heu­reu­se­ment, c’est le simu­lacre de la sou­mis­sion offerte à Notre Seigneur le Vendredi-​Saint par les sol­dats du pré­toire. Ceux-​ci pré­sentent une cou­ronne d’épines à Notre Seigneur ; ils lui font por­ter un roseau pour sceptre et une chla­myde rouge pour sin­ger le man­teau de pourpre des rois.

Saint Bernard com­pare ces deux cou­ron­ne­ments de Notre Seigneur ; celui ren­du par les rois mages et celui adres­sé par les sol­dats romains : 

« les rois se font des cou­ronnes de ce qui leur est offert par les peuples qui leur sont sou­mis ; et comme l’or est le tri­but qu’ils exigent de leurs sujets, de là vient aus­si qu’ils ont des cou­ronnes d’or. Mais que reçoit de nous notre Dieu ? Nous lui pro­dui­sons sans doute pas autre chose que des épines c’est-à-dire des négli­gences et des lâche­tés, des imper­fec­tions et des infi­dé­li­tés, des habi­tudes vicieuses et des attaches cri­mi­nelles. »

Il y a sans doute dans la cou­ronne que nous pré­sen­tons à notre Roi, des épines mêlées à l’or ; et peut-​être même plus d’épines que d’or. Ne nous abu­sons pas nous-​mêmes : quand, en même temps, nous hono­rons Dieu par notre par­ti­ci­pa­tion au culte public, et que nous Le renions dans notre conduite, que nous agis­sons d’une manière contraire à l’Evangile qu’Il nous a prê­ché, c’est bien une cou­ronne d’épines que nous lui présentons.

La coïn­ci­dence de la conclu­sion du synode sur la famille avec la fête du Christ-​Roi n’est pas for­tuite sans doute aux yeux de Dieu : le jour où tous doivent pro­cla­mer encore plus for­te­ment la royau­té de Notre Seigneur, le synode renonce à rap­pe­ler aux hommes que la loi natu­relle, venant de Dieu qui est la Sagesse même, est intan­gible et ne souffre pas d’adaptation selon les époques et les cultures.

Les chefs de l’Eglise n’auraient pas dû battre en brèche cette autre facette de la royau­té de Notre Seigneur, mais ils l’ont fait. Notre Seigneur ne peut se taire, Lui qui est digne de toute notre ado­ra­tion et de tout notre amour. Qu’au moins nous enten­dions ses plaintes et que des grâces de repen­tir contre nos propres outrages contre sa sou­ve­raine Majesté atteignent le fond de nos cœurs. Que notre cœur ne soit pas comme la terre rem­plie d’épines de la para­bole du semeur, c’est-à-dire des cœurs sen­suels et char­nels, des cœurs vains et rem­plis d’orgueil, des cœurs si atta­chés aux biens de ce monde que les épines viennent étouf­fer toute la force et les paroles de Notre Seigneur.

Mais la cou­ronne d’épines n’est pas le seul sym­bole de la déri­sion avec laquelle on se moque de Notre Seigneur : par le sceptre que les sol­dats mettent entre les mains de Notre Seigneur, ce sont les incons­tances et nos légè­re­tés per­pé­tuelles à son ser­vice qui sont repré­sen­tées, nous dit saint Bernard. Aujourd’hui avec Notre Seigneur, demain contre lui ou indif­fé­rent à sa cause ; aujourd’hui nous jurons fidé­li­té et atta­che­ment invio­lable à Notre Seigneur, demain nous secoue­rons peut-​être le joug de sa loi, pour­tant si doux et léger. Le roseau dont se sont ser­vis les romains est le signe que nous ne don­nons à Notre Seigneur sur nous, qu’un empire pas­sa­ger, sans soli­di­té, sans consistance.

Puis par le man­teau rouge dont on affuble Notre Seigneur, ce sont nos péchés qui sont repré­sen­tés. Notre Seigneur montre aux apôtres pri­vi­lé­giés sa vraie nature lors de la Transfiguration. Or à ce moment son man­teau appa­raît blanc comme la neige. Ce man­teau devient rouge comme l’écarlate, comme le pro­phé­ti­sait Isaïe :

« Qui est celui-​là qui vient de Bosra en habits écar­lates ? […]Pourquoi y a‑t-​il du rouge à ton vête­ment ? Au pres­soir j’ai fou­lé seul, et, par­mi les peuples, per­sonne n’a été avec moi ».

Ce rouge, c’est le signe que Notre Seigneur a pris sur lui nos péchés, comme le dit, là aus­si, le pro­phète Isaïe : 

« Si vos péchés sont comme l’écarlate, ils devien­dront blancs comme la neige ! S’ils sont rouges comme la pourpre, ils devien­dront comme la laine. »

Paroles ô com­bien conso­lantes après la médio­cri­té trop évi­dente de nos hom­mages envers notre Roi et Seigneur ! Mais ce résul­tat, bien chers fidèles, Notre Seigneur l’a acquis au prix de son sang et de ses souffrances.

Il nous faut recon­naître notre bas­sesse mais aus­si nous tour­ner vers Notre Seigneur qui a dit : 

« Venez à moi vous tous qui ployez sous le far­deau et je vous refe­rai. » (1)

Ces far­deaux, ce sont nos fai­blesses, notre inca­pa­ci­té à vrai­ment hono­rer Dieu comme il le mérite, nos péchés qui peuvent peser sur notre conscience. Ce qu’il faut, c’est nous tour­ner vers Notre Seigneur, avec confiance et contri­tion sin­cère, parce qu’Il le veut !

C’est cela la misé­ri­corde vraie, dans ce double mou­ve­ment : vers nos péchés pour les admettre, les regret­ter et répa­rer ; et vers Notre Seigneur pour en obte­nir le par­don. C’est une façon aus­si de pro­cla­mer la royau­té de Notre Seigneur sur nos âmes.

II – Le refus de la royau­té sociale par les hommes

En plus de vivre comme de fidèles sujets de notre Roi, de pro­cla­mer sa royau­té sur nos âmes, nous devons aus­si pro­cla­mer la royau­té sociale de Notre Seigneur. Je serai plus suc­cinct sur ce point pour ne pas aug­men­ter la durée de ce ser­mon, bien que ce sujet soit aus­si essen­tiel. Le pou­voir tem­po­rel a vou­lu soit s’affranchir du pou­voir spi­ri­tuel c’est-à-dire l’Eglise, soit le domi­ner. A ce sujet, rappelons-​nous cette belle réplique du car­di­nal Pie à l’empereur des Français, Napoléon III, qui refu­sait de recon­naître le domaine de Notre Seigneur sur son pays : 

« Sire, je ne sais pas si le moment est venu pour Jésus-​Christ de régner, je ne suis pas un poli­tique ! Mais ce que je sais, c’est que, si le moment n’est pas venu pour le Jésus-​Christ de régner, alors le moment n’est pas venu pour les gou­ver­ne­ments de durer. »(2)

Les enne­mis de l’Eglise n’ont jamais vou­lu de cette royau­té sociale de Notre Seigneur : mal­heur à eux ; leurs gou­ver­ne­ments n’ont pas duré et ils ne dure­ront pas. Mais le plus mal­heu­reux, c’est que des catho­liques eux-​mêmes, les catho­liques libé­raux en par­ti­cu­lier, ont pris l’exemple de l’ancien peuple élu, en décla­rant fina­le­ment qu’ils ne vou­laient pas que Jésus règne sur eux, leurs cités et leurs pays. Cela est allé au point que le Vatican a deman­dé de sa propre ini­tia­tive, en 1983, l’abolition du Concordat avec l’état ita­lien, « ne vou­lant pas de pri­vi­lège face aux citoyens des autres reli­gions » (car­di­nal Casaroli). Jean-​Paul II décla­rant à l’époque : « notre socié­té est carac­té­ri­sée par le plu­ra­lisme reli­gieux ». Et il en tira les consé­quences : Il ne convient plus « que l’autorité tem­po­relle soit sou­mise au pou­voir spi­ri­tuel ».

Cette trai­trise des catho­liques libé­raux ouvrit grande une brèche où les enne­mis de l’Eglise se sont engouf­frés pour bafouer encore plus l’honneur de Notre Seigneur. 

Alors bien chers fidèles, c’est à nous, membres de l’Eglise catho­lique de défendre cette hon­neur outra­gé de Notre Seigneur : en agis­sant à notre niveau, dans la socié­té, pour qu’au moins on ne bafoue pas impu­né­ment l’honneur de notre sainte Religion ; et sur­tout en fai­sant que bien réel­le­ment, Notre Seigneur règne dans nos âmes. 

Ainsi-​soit-​il.

Abbé Thierry Legrand +, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X – Bruxelles, le 25 octobre 2015

Notes de LPL

(1) Matthieu 11, 28–30
(2) C’était en 1856, le 15 mars. A l’empereur, qui se flat­tait d’a­voir fait pour la reli­gion plus que la Restauration elle-​même, il répon­dit : « Je m’empresse de rendre jus­tice aux reli­gieuses dis­po­si­tions de votre Majesté et je sais recon­naître, Sire, les ser­vices qu’elle a ren­dus à Rome et à l’Église, par­ti­cu­liè­re­ment dans les pre­mières années de son gou­ver­ne­ment. Peut- être la Restauration n’a-​t-​elle pas fait plus que vous ? Mais laissez-​moi ajou­ter que ni la Restauration ni vous, n’a­vez fait pour Dieu ce qu’il fal­lait faire, parce que ni l’un ni l’autre vous n’a­vez rele­vé Son trône, parce que ni l’un ni l’autre vous n’a­vez renié les prin­cipes de la Révolution dont vous com­bat­tez cepen­dant les consé­quences pra­tiques, parce que l’é­van­gile social dont s’ins­pire l’État est encore la décla­ra­tion des droits de l’homme, laquelle n’est autre chose, Sire, que la néga­tion for­melle des droits de Dieu. Or, c’est le droit de Dieu de com­man­der aux États comme aux indi­vi­dus. Ce n’est pas pour autre chose que Notre Seigneur est venu sur la terre. Il doit y régner en ins­pi­rant les lois, en sanc­ti­fiant les mœurs, en éclai­rant l’en­sei­gne­ment, en diri­geant les conseils, en réglant les actions des gou­ver­ne­ments comme des gou­ver­nés. Partout où Jésus-​Christ n’exerce pas ce règne, il y a désordre et déca­dence. Or, j’ai le devoir de vous dire, qu’Il ne règne pas par­mi nous et que notre Constitution n’est pas, loin de là, celle d’un État chré­tien et catho­lique. Notre droit public éta­blit bien que la reli­gion catho­lique est celle de la majo­ri­té des Français, mais il ajoute que les autres cultes ont droit à une égale pro­tec­tion. N’est-​ce-​pas pro­cla­mer équi­va­lem­ment que la consti­tu­tion pro­tège pareille­ment la véri­té et l’er­reur ? Eh bien ! Sire, savez-​vous ce que Jésus-​Christ répond aux gou­ver­ne­ments qui se rendent cou­pables d’une telle contra­dic­tion ? Jésus-​Christ, roi du ciel et de la terre, leur répond : « Et Moi aus­si, gou­ver­ne­ments qui vous suc­cé­dez en vous ren­ver­sant les uns les autres, Moi aus­si Je vous accorde une égale pro­tec­tion. J’ai accor­dé cette pro­tec­tion à l’empereur votre oncle ; j’ai accor­dé la même pro­tec­tion aux Bourbons, la même pro­tec­tion à Louis-​Philippe, la même pro­tec­tion à la République et à vous aus­si la même pro­tec­tion vous sera accor­dée ». L’empereur arrê­ta l’é­vêque : « Mais encore, croyez-​vous que l’é­poque où nous vivons com­porte cet état de choses, et que le moment soit venu d’é­ta­blir ce règne exclu­si­ve­ment reli­gieux que vous me deman­dez ? Ne pensez-​vous pas, Monseigneur, que ce serait déchaî­ner toutes les mau­vaises pas­sions ?» « Sire, quand de grands poli­tiques comme votre Majesté m’ob­jectent que le moment n’est pas venu, je n’ai qu’à m’in­cli­ner parce que je ne suis pas un grand poli­tique. Mais je suis évêque, et comme évêque je leur réponds : « Le moment n’est pas venu pour Jésus-​Christ de régner, eh bien ! alors le moment n’est pas venu pour les gou­ver­ne­ments de durer.»