Sermon de Mgr Lefebvre – Solennité de l’Epiphanie – 12 janvier 1986

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

N’oublions pas que dans la tra­di­tion de l’Église, la fête litur­gique de l’Épiphanie a tou­jours été consi­dé­rée comme l’une des plus impor­tantes de l’année.

En effet, la mani­fes­ta­tion de Notre Seigneur Jésus-​Christ au monde n’est-elle pas un évé­ne­ment consi­dé­rable pour l’humanité, pour le salut de nos âmes, pour l’œuvre accom­plie par Notre Seigneur dans l’Incarnation, et la Rédemption ?

L’antienne du Magnificat des deuxièmes vêpres de cette fête me semble expri­mer d’une manière bien adé­quate la gran­deur du mys­tère de l’Épiphanie :

Tribus mira­cu­lis orna­tum diem sanc­tum coli­mus, dit l’antienne : Aujourd’hui nous fêtons trois grands mystères.

Hodie Stella Magos duxit ad præ­se­pium : L’Étoile a conduit les Mages à la Crèche.

Hodie vinum ex aqua fac­tum est ad nup­tias : L’eau a été trans­for­mée en vin aux noces, de Cana.

Hodie in Jordane a Joanne Christus bap­ti­za­ri voluit, ut sal­va­ret nos : Au Jourdain, saint Jean Baptiste a bap­ti­sé Notre Seigneur pour la Rédemption de nos péchés.

Trois miracles en effet, trois évé­ne­ments impor­tants. Il sem­ble­rait à pre­mière vue que ces évé­ne­ments n’ont pas un lien pro­fond entre eux. Et pour­tant, au contraire, ces trois miracles ont une union pro­fonde dans l’effusion de l’Esprit Saint que Dieu a vou­lu nous don­ner par son Incarnation pour accom­plir sa Rédemption

Propter nimiam cari­ta­tem suam, qua dilexit nos (Ep 3,4). Parce qu’il nous a aimés d’un amour infi­ni, le Bon Dieu a appe­lé les Mages ; Il a appe­lé par l’intermédiaire des Mages, toute l’humanité, toutes les âmes.

Et les phrases, les mots qui sont expri­més dans l’Écriture et qui mani­festent les sen­ti­ments des Mages lorsqu’ils ont vu l’Étoile (sont clairs). Ils ont dit : Ecce Stella (…) magni Régis est : Voici l’Étoile du Grand Roi : Eamus et quæ­ra­mus : Allons, cherchons-​Le ; cher­chons le Grand Roi.

Eux au moins, ont eu cette magni­fique dis­po­si­tion d’âme qui, à l’appel de l’Étoile, à l’appel de Dieu, comme les ber­gers à l’appel des anges, ont répon­du : Nous voi­ci. Où est le Roi pour que nous allions l’adorer ?

Et ils sont par­tis ; ils se sont mis en route et ils ont trou­vé l’Enfant entou­ré de sa Mère et de saint Joseph.

Ne vous semble-​t-​il pas que cet appel nous a été aus­si adres­sé à cha­cun d’entre nous ? Cette étoile est venue illu­mi­ner nos âmes et nous deman­der d’aller à Jésus. Et par quel évé­ne­ment cet appel a‑t-​il été mani­fes­té et com­ment s’est-il mani­fes­té à nous et quel a été le résul­tat de notre réponse ? Eh bien c’est le baptême.

Et pré­ci­sé­ment, le troi­sième miracle cité ce jour, c’est le miracle du bap­tême de Notre Seigneur.

Oui, Notre Seigneur a vou­lu être bap­ti­sé, pour nous com­mu­ni­quer l’Esprit Saint – dont Lui certes n’avait pas besoin – dont Il était rem­pli. Mais Il a vou­lu… c’est saint Jean lui-​même qui le dit : Nous serons bap­ti­sés, Hic est, qui bap­ti­zat in Spiritu sanc­to (Jn 1,33) : dans le bap­tême de l’Esprit Saint, que Notre Seigneur a reçu.

Et alors, ne pensez-​vous pas que lorsque nos parents ont pris la déci­sion, après notre nais­sance, de nous por­ter à l’Église, n’était-ce pas la réponse – notre réponse – impli­cite, incon­nu, bien sûr de nous, nous en étions incons­cients ; mais cepen­dant dès notre nais­sance ; l’Étoile nous est appa­rue, l’appel de Dieu, l’appel des anges, l’appel de l’Église. Et nos parents ont répon­du pour nous et sont allés nous conduire : Eamus e inqui­ra­mus eum, ont dit nos parents : Allons et cher­chons Celui qui a été annon­cé par l’Étoile. Et nos parents savaient bien où le trou­ver, dans l’Église, dans l’Église catho­lique Jésus est pré­sent. Et ils nous ont conduit pour rece­voir le bap­tême de l’Esprit. Et nous avons été inon­dés par la Lumière de l’Esprit, par la cha­ri­té de l’Esprit Saint, par cette com­mu­ni­ca­tion et cette sanc­ti­fi­ca­tion que Notre Seigneur Jésus-​Christ a don­nées aux eaux du bap­tême par son propre baptême.

Ainsi nous avons répon­du à l’appel de Dieu. Le bap­tême est néces­saire, indis­pen­sable pour rece­voir cet Esprit du Seigneur. Si quelqu’un ne reçoit pas le bap­tême de l’eau et de l’Esprit, dit Notre Seigneur à Nicodème, il ne pour­ra pas entrer dans le royaume des Cieux.

Quelle phrase ter­rible et en même temps impor­tante. Si nous ne sommes pas bap­ti­sés, du bap­tême de l’eau et de l’Esprit, c’est-à-dire un bap­tême valide, un bap­tême qui rem­plit vrai­ment nos âmes de l’Esprit Saint, nous ne pour­rons pas entrer dans le royaume des Cieux.

Sans doute, il y a trois bap­têmes : le bap­tême du mar­tyre, bap­tême du sang, le bap­tême de désir et le bap­tême de l’eau. Mais le bap­tême de désir est en défi­ni­tive ce bap­tême de l’eau dési­ré expli­ci­te­ment, impli­ci­te­ment, par les per­sonnes qui se sou­mettent à la volon­té du Bon Dieu et que le Bon Dieu estime dis­po­sées à rece­voir cette grâce du bap­tême, du bap­tême de désir.

Mais cepen­dant, ce que Jésus a vou­lu d’une manière nor­male, d’une manière géné­rale, c’est le bap­tême de l’eau. Dès le pré­di­ca­tion des apôtres, trois mille per­sonnes ont été bap­ti­sées. C’est la porte d’entrée, d’entrée dans la famille divine, dans la famille de la très Sainte Trinité. C’est l’entrée, le com­men­ce­ment de notre filia­tion divine, notre union à Notre Seigneur Jésus-​Christ, au Bon Dieu. Et rece­vant cet Esprit Saint, nous aurons à accom­plir notre voca­tion. Notre voca­tion qui sera de réa­li­ser l’amour de Dieu et l’amour du pro­chain, par l’exercice des ver­tus chré­tiennes. Vertus théo­lo­gales, et ver­tus morales, natu­relles et sur­na­tu­relles. Ce sera notre rôle, cha­cun à notre place.

Mais le Bon Dieu, Notre Seigneur, a vou­lu don­ner un carac­tère par­ti­cu­lier à la grâce qu’il enten­dait nous don­ner au mariage chré­tien. Non pas que Notre Seigneur ait pla­cé le mariage au-​dessus du sacer­doce, mais Il a vou­lu à l’entrée même de sa vie publique. Il a vou­lu sanc­ti­fier le mariage. Et le sanc­ti­fier d’une manière tout à fait par­ti­cu­lière, par un miracle tout spé­cial, en trans­for­mant l’eau en vin.

Pourquoi cela ? Pourquoi cette trans­for­ma­tion de l’eau en vin ? Il est clair que c’est le sym­bole de la trans­for­ma­tion qui s’opère dans le sacre­ment de l’Eucharistie par le vin qui se trans­forme dans le Sang de Notre Seigneur Jésus-​Christ, source de l’Esprit Saint, source de la charité.

Notre Seigneur a vou­lu signi­fier par là, que l’Eucharistie devait être l’aliment de ceux qui sont unis dans les liens du mariage, mais aus­si de tous ceux qui ont une voca­tion à rem­plir. Et par le fait même que Notre Seigneur fai­sait là une allu­sion évi­dente au sacre­ment de l’Eucharistie, Il fai­sait aus­si une allu­sion au sacer­doce. Pas d’Eucharistie, sans le sacerdoce.

Ainsi, dans ces trois miracles qui sont signi­fiés aujourd’hui par la litur­gie de l’Église, se trouve expri­mée d’une manière admi­rable toute l’œuvre que Notre Seigneur Jésus-​Christ a vou­lu réa­li­ser ici-​bas : l’œuvre de sa Rédemption.

Il appelle ; Il appelle par les anges. Il appelle par l’Étoile. Ces anges, cette étoile, ce sont en réa­li­té et en véri­té main­te­nant les prêtres, les reli­gieux, les reli­gieuses et tous les chrétiens.

Nous devons tous être des anges, être des étoiles, pour ceux qui ne sont pas encore unis à Notre Seigneur Jésus-​Christ, pour les ame­ner, les ame­ner à quoi ? les ame­ner où ? à Notre Seigneur JésusChrist. Par quel moyen ? Par le bap­tême, pour les laver dans le Sang de Jésus-​Christ et leur don­ner la grâce, grâce sanc­ti­fiante que Notre Seigneur Jésus-​Christ a vou­lu signi­fier par son bap­tême, bap­tême de l’Esprit Saint. L’Esprit Saint était pré­sent sur Notre Seigneur Jésus-​Christ par la colombe qui repré­sen­tait l’Esprit Saint. Cette sanc­ti­fi­ca­tion, ce feu de la Vérité et de l’amour qui rem­plit les âmes par le bap­tême, voi­là ce que nous devons dési­rer pour tous ceux qui n’ont pas le baptême.

Prier, pour qu’ils aient au moins le bap­tême de désir, afin de pou­voir par­ti­ci­per vrai­ment à l’Esprit Saint et à la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et puis ensuite, réa­li­sant notre voca­tion là où nous sommes – la voca­tion que le Bon Dieu nous a don­née – la réa­li­ser par­ti­cu­liè­re­ment par le moyen de l’Eucharistie, par le sou­tien de l’Eucharistie, par l’aliment de l’Eucharistie, par ce Sang de Notre Seigneur Jésus-​Christ qui est comme un vin géné­reux qui coule dans nos veines et qui nous rem­plit du désir d’aimer Dieu et d’aimer notre pro­chain et de tout faire pour contri­buer, col­la­bo­rer à la réa­li­sa­tion de la Rédemption, le grand mys­tère de la Rédemption.

Ce sont donc là, les pen­sées de l’Église qui nous sont ain­si sug­gé­rées par cette magni­fique antienne, au cours des deuxièmes vêpres.

Puissions-​nous, mes chers amis, et vous mes bien chers frères, puissions-​nous vivre de cette foi, de la foi en Notre Seigneur Jésus-​Christ, source de l’Esprit Saint, source de notre filia­tion divine, source de la puri­fi­ca­tion de nos âmes, de l’éloignement du péché, pour être tout entiers à Dieu et accom­plir ain­si notre voca­tion, cha­cun à notre place, selon la volon­té de Dieu.

Mais hélas, on doit consta­ter aujourd’hui, que pré­ci­sé­ment, c’est la foi qui dis­pa­raît. On ne vit plus en union avec Notre Seigneur ; on ne croit plus même à la divi­ni­té de Notre Seigneur Jésus-​Christ. La reli­gion de Notre Seigneur Jésus-​Christ devient une reli­gion par­mi les autres. C’est presque blas­phé­mer que de faire dire une chose pareille. Car il n’y a qu’un Roi ; il n’y a qu’un vrai Roi : le Grand Roi. Signum magni Régis, disent les Mages. L’Étoile est vrai­ment le signe du Grand Roi et il n’y en a point d’autre.

Alors pour nous, pre­nons la réso­lu­tion de vivre notre foi, de la vivre dans nos églises, dans nos cha­pelles ; de gar­der à nos cha­pelles, à nos églises, ce carac­tère de la foi, si beau, si entraî­nant, si encou­ra­geant. On se demande com­ment l’on a pu trans­for­mer nos temples, nos églises, en des temples pro­tes­tants. Alors que tout nous aide et nous sanc­ti­fie, aide à gar­der la foi dans nos églises telles que l’Église les avait conçues, dans la tradition.

Gardons la foi aus­si, par­tout où nous sommes. Dans nos cel­lules, dans notre vie quo­ti­dienne, met­tons des signes de notre foi : le Crucifix, des images pieuses, des Images saintes qui nous élèvent, qui nous placent dans cette ambiance de la famille des élus, à laquelle nous sommes appe­lés et non pas des images pro­fanes et quel­que­fois hon­teuses, qui détournent nos regards de Dieu, de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Soyons dignes de la Sainte Église catho­lique, de la Tradition et gar­dons la foi, afin de par­ti­ci­per un jour à la gloire du Bon Dieu.

Les Rois Mages ont trou­vé, avec Jésus la Vierge Marie et saint Joseph. Aimons à vivre dans la com­pa­gnie de Jésus et de Marie et de Joseph. Ce sera pour nous un moyen de gar­der la foi. Car rien qu’à pen­ser à ce que Marie et Joseph pou­vaient dans leur cœur, expri­mer devant l’Enfant-Jésus, devant l’Enfant-Jésus ado­ré par les ber­gers et par les Mages, quelle joie pour eux, la révé­la­tion du mys­tère de cet Enfant qui est devant eux : l’Enfant-Dieu.

Pour nous aus­si, deman­dons à la Vierge Marie et deman­dons à saint Joseph qu’ils nous com­mu­niquent leur foi.

Que nous ayons toute notre vie, la foi qu’eux-mêmes ont eue jusqu’à leur der­nier sou­pir, afin de pou­voir par­ta­ger un jour, leur joie dans le Ciel.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.