Analyse de la Constitution Sacrosanctum Concilium du 4 décembre 1963

Accès à la Constitution Sacrosanctum Concilium

Avant de com­men­cer une série d’articles sur cha­cun des textes issus du deuxième concile du Vatican, le pré­sent article veut sim­ple­ment pré­ci­ser, par sou­ci péda­go­gique, la défi­ni­tion de cer­tains termes et don­ner en même temps une rapide trame his­to­rique de ce concile, afin de pou­voir situer ensuite plus aisé­ment les articles suivants.

Présentation historique

Lorsque les évêques ont péné­tré dans la basi­lique Saint-​Pierre de Rome ce 11 octobre 1962, n’allons pas croire qu’ils assis­te­raient béa­te­ment et sans pré­pa­ra­tion aux ses­sions du concile. Dès les mois de juillet août, ils avaient reçu les pre­miers sché­mas (textes pré­pa­rés par des com­mis­sions) afin de les étu­dier et de pou­voir en dis­cu­ter au moment du concile. Les quatre pre­miers textes envoyés étaient dog­ma­tiques, le cin­quième por­tait sur la liturgie.

Quelque part en Hollande

Il est cer­tain que les quatre sché­mas dog­ma­tiques sus­ci­tèrent un véri­table émoi auprès des théo­lo­giens pro­gres­sistes : Schillebeeckx, Chenu, Congar, Küng, Ratzinger les jugèrent trop sco­laires, trop romains, trop dog­ma­tiques, trop sco­las­tiques. En un mot pas assez adap­tés au monde. Aux dires du père Wiltgen, c’est à s’Hertogenbosch que les évêques hol­lan­dais déci­dèrent de com­men­cer par étu­dier le sché­ma sur la litur­gie. Schillebeeckx devait écrire un texte, Küng et Congar se char­ge­raient de convaincre les évêques.

Le prin­cipe est tou­jours le même : plu­tôt que de se trou­ver en désac­cord sur la doc­trine, pré­fé­rence est don­née à dis­cu­ter des points pra­tiques : on trouve tou­jours d’excellents argu­ments pour jus­ti­fier les réformes !

Les discussions

Le texte a été lon­gue­ment et par­fois âpre­ment dis­cu­té. En effet, pré­pa­ré par des hommes de curie et théo­lo­giens, il fut vive­ment cri­ti­qué par les « hommes de ter­rain » qui esti­maient devoir mettre la litur­gie non seule­ment au goût du jour, mais aus­si au goût des cultures.

Les débats com­mencent le 22 octobre. Une ving­taine de congré­ga­tions géné­rales por­tèrent sur ce sujet. On compte envi­ron un mil­lier d’interventions orales ou écrites (plus d’un mil­lier de pages). Il est hélas affli­geant de voir l’aspect presque pué­ril de cer­taines inter­ven­tions. Mais il est cer­tain aus­si que l’audace des inter­ve­nants fut aus­si à l’origine de cer­taines inno­va­tions. Langue ver­na­cu­laire à la messe et aux offices du bré­viaire, com­mu­nion sous les deux espèces, concé­lé­bra­tion, messe face au peuple (un évêque s’y est ris­qué, pré­tex­tant de l’exemple de Notre Seigneur lors de la Cène… [1], réduc­tion du bré­viaire, des céré­mo­nies de cer­tains sacre­ments, sup­pres­sion du noir aux enter­re­ments [2]. C’est lors de son inter­ven­tion du 30 octobre 1962 contre les inno­va­tions pro­po­sées que le Cardinal Ottaviani (l’un des plus grands pré­lats de la curie) s’est vu cou­per le micro sous la risée et les applau­dis­se­ments hos­tiles des pères conci­liaires [3].

Un coup de tonnerre

Le 13 novembre 1962, la pré­si­dence du concile a mis fin aux dis­cus­sions sur le sché­ma de la litur­gie : les votes sont à l’ordre du jour pour le len­de­main. Mais sur­tout, une déci­sion du pape a été lue dans l’aula conci­liaire. Répondant à la demande de quelques quatre cents évêques, le pape Jean XXIII fait ins­crire saint Joseph au canon de la messe. Les obser­va­teurs sont atter­rés, les évêques mécon­tents : alors que l’épiscopat du monde entier est en dis­cus­sion pré­ci­sé­ment sur la litur­gie, le pape prend une déci­sion seul et sans les consul­ter et la leur impose !

Le vote

Le 14 novembre 1962 2162 voix sur 2215 approuvent les cri­tères direc­tifs pour la révi­sion du sché­ma et que les amen­de­ments soient sou­mis au fur et à mesure. Les amen­de­ments sont sou­mis au fur et à mesure. Enfin, le 4 décembre 1963 les pères conci­liaires sont invi­tés à voter le texte défi­ni­tif. Les résul­tats donnent 2147 pla­cet contre 4 non pla­cet. Les applau­dis­se­ments fusent alors : c’est le pre­mier texte voté après deux sessions !

Le pape Paul VI pro­mulgue la consti­tu­tion immédiatement.

Présentation de Sacrosanctum Concilium

Le pre­mier élé­ment que l’on se doit de noter est la nature de ce texte. Sacrosanctum conci­lium est une consti­tu­tion dog­ma­tique [4]. Le terme dit l’intention des pères conci­liaires. Une telle consti­tu­tion est d’ordre doc­tri­nal. Ce qui signi­fie qu’elle n’est pas avant tout pra­tique. Nulle trace donc de déci­sions concrètes, d’ordres ou d’injonctions. Le texte veut se mou­voir dans l’ordre des principes.

Une suite logique et chronologique…

On peut se deman­der à bon droit si un tel texte était néces­saire. En effet, quelques années aupa­ra­vant, le pape Pie XII avait pro­mul­gué une ency­clique fort com­plète sur le sujet [5]. Cependant, lorsque, avant le concile, les évêques avaient été consul­tés, le sujet de la litur­gie avait été l’un des plus deman­dés. Saint Pie X avec le bré­viaire (1911) et la musique sacrée (1903) avait com­men­cé une réforme de la litur­gie. Pie XII, avec la semaine sainte que nous connais­sons aujourd’hui avait pour­sui­vi cette réforme. En France sur­tout, on connaît bien aus­si le mou­ve­ment litur­gique… C’est pour­quoi, il n’y a pas lieu de s’étonner de voir la litur­gie à l’ordre du jour.

Encore une réforme ?

Le texte du concile est clair : il s’agit d’apporter une nou­velle pierre de touche à ce qui a déjà été accom­pli en matière de litur­gie. On peut dire que le concile se veut une réforme didac­tique de la litur­gie pour une meilleure par­ti­ci­pa­tion et com­pré­hen­sion des fidèles. Le sou­ci des pères conci­liaires est de rendre la litur­gie acces­sible aux fidèles afin de sus­ci­ter un plus grand enthousiasme.

Le plan du texte

Après une intro­duc­tion, le texte com­prend sept par­ties. En réa­li­té, on peut les réduire à deux points : la pre­mière par­tie d’une part et les six autres d’autre part. Le pre­mier cha­pitre traite des prin­cipes géné­raux et des normes à appor­ter « pour la res­tau­ra­tion et le pro­grès de la litur­gie ». Les six autres cha­pitres ne sont que l’application de ces normes aux dif­fé­rentes par­ties et com­po­santes de la litur­gie : l’eucharistie (la messe), les autres sacre­ments, l’office divin, l’année litur­gique, la musique sacrée, l’art sacré et le maté­riel du culte. Suit enfin un appen­dice qui traite de la révi­sion du calen­drier liturgique.

Analyse

Il est dif­fi­cile en peu de lignes de faire une ana­lyse suc­cincte qui veuille dire l’essentiel sans cari­ca­tu­rer. Nous nous arrê­te­rons donc à quelques grandes lignes.

Satisfaction

A pre­mière vue, on ne peut être que satis­fait de ce texte. D’ailleurs, n’a‑t-il pas été approu­vé par la qua­si tota­li­té des pères conci­liaires ?
La sanc­ti­fi­ca­tion des hommes et la glo­ri­fi­ca­tion de Dieu y sont rap­pe­lées [6] ; la litur­gie est défi­nie comme prin­cipe de la pié­té [7] ; le latin est prô­né [8] ; le chant gré­go­rien reste le chant d’Eglise [9] ; on entend don­ner une bonne for­ma­tion aux pas­teurs, clercs et fidèles [10]

Et pour­tant, n’est-ce pas le sul­fu­reux théo­lo­gien Schillebeeckx [11] qui se réjouis­sait de cette consti­tu­tion, la qua­li­fiant de chef d’œuvre ? Voilà un signe qui ne trompe pas…

Des omissions…

Il est cer­tain que ce texte reprend en grande par­tie l’encyclique Mediator Dei de Pie XII, même s’il ne la men­tionne pas. Mais le sché­ma conci­liaire n’a pas la même qua­li­té que le texte du pape. En effet, là où Pie XII, pour mieux cer­ner l’objet de la litur­gie, condam­nait les erreurs oppo­sées (archaïsme, etc), le concile semble, lui, avan­cer en eau calme, comme si aucun dan­ger ne mena­çait. Ainsi, cette consti­tu­tion laisse pla­ner une sen­ti­ment d’assurance : elle prône une réforme de la litur­gie, sans se rendre compte qu’il y a tout autour des écueils à évi­ter. Le silence sur les erreurs dénote très clai­re­ment un esprit dévoyé. D’autant plus que c’est le magis­tère qui parle. Ces omis­sions sont donc la porte ouverte à des erre­ments que l’on consta­te­ra aisément…

Des contradictions…

Un autre pro­blème plane dans le texte. On pour­rait le qua­li­fier de contra­dic­tion, encore qu’il ne soit pas énon­cé pré­ci­sé­ment de cette façon. En effet, la consti­tu­tion rap­pelle bien cer­tains prin­cipes. On ne peut alors qu’être satis­fait. Mais aus­si­tôt le prin­cipe affir­mé, le texte laisse la pos­si­bi­li­té de le modi­fier. On ne dit pas oui. On ne dit pas non. On dit oui, mais…

Par exemple, au numé­ro 22, il est dit que seul le Siège apos­to­lique, et dans cer­taines limites l’évêque, peut régler la litur­gie. Mais au numé­ro sui­vant on per­met des inno­va­tions si c’est utile.

Au numé­ro 36, il est affir­mé clai­re­ment que « l’usage de la langue latine, sauf droit par­ti­cu­lier, sera conser­vé dans les rites latins ». Au para­graphe sui­vant, on lit avec éton­ne­ment : « Toutefois, … l’emploi de la langue du pays peut être sou­vent très utile pour le peuple ; on pour­ra donc lui accor­der une plus large place… »

Vers une dérive ?

Enfin, une expres­sion symp­to­ma­tique revient assez sou­vent. Le texte parle très abon­dam­ment de la « par­ti­ci­pa­tion active » [12] des fidèles. C’est un réel pro­blème car cette acti­vi­té n’est pas défi­nie. En réa­li­té, en matière de sacre­ments, seul le ministre (le prêtre et l’évêque, en rai­son de leur carac­tère sacer­do­tal) ont un rôle actif. Les fidèles (le peuple de Dieu comme les appelle la consti­tu­tion par deux fois) ont un rôle pas­sif, en ce sens que ce ne sont pas eux qui « font » les sacre­ments : ils les reçoivent et ont un droit à les rece­voir en rai­son de leur carac­tère bap­tis­mal. En ce sens, ils sont dits passifs.

L’action com­mu­nau­taire récla­mée par le texte conci­liaire laisse pla­ner une ambi­guï­té sérieuse et impor­tante qui tend à mettre sur le même pied prêtres et fidèles. C’est l’amorce de la doc­trine du sacer­doce com­mun dont nous aurons à par­ler plus tard.

Il y aurait d’autres pas­sages à rele­ver tels la place émi­nente don­née aux Ecritures, l’absence de men­tion de la Tradition en matière de sacre­ments ou même pour le canon de la messe, l’importance péda­go­gique de la litur­gie, que la briè­ve­té de cette étude ne nous per­met pas d’expliciter.

Des fruits non voulus ?

On juge l’arbre à ses fruits : nou­velle messe, nou­veaux mis­sels, nou­veaux sacre­ments… Et pour­tant, on enten­dra (ou on a enten­du…) sou­vent dire que le concile n’a pas vou­lu tous les fruits (enten­dez les abus…) qui s’en sont suivis.

Il faut répondre que le concile n’a pas empê­ché ces fruits, ne les a pas condam­nés et a leur a lais­sé la porte ouverte. Il existe des omis­sions qui sont cou­pables, et reti­rer les fruits mau­vais ne suf­fit pas à assai­nir l’arbre.

En conclusion

En réa­li­té, ce texte est emprunt d’un esprit libé­ral. D’une part la véri­té est affir­mée, mais l’erreur n’est pas condam­née. D’autre part, affir­mer un prin­cipe en droit et concé­der qu’on ne peut l’appliquer en fait, res­sor­tit aus­si à cet esprit. Enfin, ce libé­ra­lisme est moder­niste par les affir­ma­tions dan­ge­reuses de par­ti­ci­pa­tion active et peuple de Dieu, les­quelles affir­ma­tions seront déve­lop­pées par la suite dans la théo­rie du sacer­doce commun.

La consti­tu­tion Sacrosanctum conci­lium est donc fau­tive non seule­ment par ses expres­sions mal­heu­reuses qui sous-​tendent une théo­lo­gie nou­velle mais aus­si par ses omis­sions coupables.

Bref, en un mot et pour faire court, avec cette consti­tu­tion, la litur­gie ne semble plus ordon­née pre­miè­re­ment à Dieu, mais à l’homme.

C’est donc un nou­veau culte qui y est initié.

Abbé Gabriel Billecocq, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Notes de bas de page
  1. Intervention de Mgr Duschak, vicaire apos­to­lique de Calapan aux Philippines. Cf. AS I/​II, 109–112.[]
  2. Mgr Sansierra d’Argentine, AS I/​II, 301–302.[]
  3. AS I/​II, 18, 20. D’ailleurs ce pré­lat se dis­pen­se­ra d’as­sis­ter à cer­taines séances dans l’au­la conci­liaire, ce qui fera mon­ter la ten­sion.[]
  4. Il n’y a que trois consti­tu­tions dog­ma­tiques issues de ce concile.[]
  5. Il s’agit de Mediator Dei, en novembre 1947.[]
  6. n° 10[]
  7. n° 12 et 13[]
  8. n° 36[]
  9. n° 116[]
  10. n° 15 à 19[]
  11. Edward Schillebeeckx (1914–2009) domi­ni­cain belge for­mé chez les Jésuites à Louvain. Lorsqu’il ira étu­dier au Saulchoir chez les domi­ni­cains (1945–1947) il sera pro­fon­dé­ment influen­cé par ses maîtres Chenu et Congar. Voulant conci­lier tho­misme et phé­no­mé­no­lo­gie, Schillebeeckx cherche à don­ner une place impor­tante dans la théo­lo­gie à l’action de l’homme, révi­sant ain­si le dogme comme une action de col­la­bo­ra­tion entre l’homme et Dieu.[]
  12. n° 11, 14, 19, 30, 31, 48, 79, 114, 121.[]