Bientôt bienheureux ?

Le 19 décembre der­nier, Benoît XVI pro­cla­mait l’héroïcité des ver­tus de Pie XII et de Jean-​Paul II. Avant der­nière étape sur le che­min de la béa­ti­fi­ca­tion pro­pre­ment dite, une telle pro­cla­ma­tion est impor­tante. S’il faut encore attendre la recon­nais­sance du miracle pour qu’un culte soit voué à ces papes défunts, les voi­ci déjà posés en modèle sur le che­min de la sain­te­té : de façon héroïque, nous dit-​on, ils ont pra­ti­qué les ver­tus chré­tiennes, celles-​là même qui font les saints.

Une telle décla­ra­tion, qui nul­le­ment n’engage l’infaillibilité, a curieu­se­ment pro­vo­qué beau­coup de bruit là où il y avait peu à dire, et un bien étrange silence lorsqu’il eut été impor­tant d’élever la voix. On s’est scan­da­li­sé de l’honneur fait à un pape jugé défaillant pen­dant la seconde guerre mon­diale, et on s’est étran­ge­ment tû sur Jean-​Paul II, dont le pon­ti­fi­cat sou­lève pour­tant de graves inter­ro­ga­tions. On a dénon­cé une soi-​disant indif­fé­rence de Pie XII à l’endroit du sort dra­ma­tique que le régime nazi réser­va aux juifs, tan­dis qu’on semble trou­ver natu­rel que Jean-​Paul II, par son pro­pos comme par son bai­ser, consi­dère le Coran comme Parole de Dieu ; ou qu’il implore saint Jean-​Baptiste pour la pro­tec­tion de l’Islam ; ou qu’il par­ti­cipe acti­ve­ment à des cultes ani­mistes dans les forêts sacrées du Togo. La ques­tion ne semble pas se poser de savoir si tels faits et gestes sont com­pa­tibles ou non avec le pre­mier com­man­de­ment. Serait-​ce héroï­ci­té de la foi que de rece­voir les cendres sacrées de Shiva, ou d’aller prier selon un mode juif au Mur des Lamentations ? Toutes ces ques­tions, pour­tant essen­tielles, semblent s’être éva­nouies pour ne lais­ser place qu’à l’enthousiasme et l’engouement auréo­lant l’image média­tique d’un per­son­nage certes charismatique.

Loin de demeu­rer esclaves de ce « bien pen­ser » ambiant, il nous semble impor­tant d’ouvrir ici un double dos­sier. A la mémoire de Pie XII tout d’abord. Car, quoiqu’en disent ses actuels détrac­teurs, il s’avère qu’en ces années noires, sa conduite fut pour le moins héroïque. Défenseur des juifs, il ne s’en est point trou­vé de plus cou­ra­geux que lui en ces moments. Sa cha­ri­té fut telle qu’elle per­mit de sau­ver, aux dires des his­to­riens israé­liens de confes­sion juive, quelque 800 000 vies. A la face de tous ses contemp­teurs de bas étage, nous vou­lons donc chan­ter cet auguste pape, et cla­mer ain­si la sain­te­té de l’Eglise. En nos temps où la cha­ri­té s’est dévoyée en rela­ti­visme de la véri­té pour ne lais­ser fina­le­ment place qu’à une mon­tée des anta­go­nismes raciaux ou com­mu­nau­ta­ristes, puisse la conduite de ce pape, si ferme quant à la véri­té mais si humain envers cha­cun, être le fanal de nos ter­restres chemins !

Notre deuxième volet sera pour Jean-​Paul II. Il est notoire que, selon l’image usi­tée par Benoît XVI, il lais­sa à sa mort l’Eglise tel un bateau pre­nant l’eau de toutes parts. Certes, les situa­tions de crise sont par­fois l’occasion des plus grands héroïsmes, et l’assombrissement d’une époque ne fait que res­sor­tir davan­tage les trop rares repères de lumière. Karol Wojtyla était-​il de ceux-​là ? Les traces lais­sées par ce pape qui vou­lut faire de son pon­ti­fi­cat une illus­tra­tion vivante du concile Vatican II sont-​elles celles que l’Eglise d’aujourd’hui et de demain aura à suivre pour sor­tir vic­to­rieuse et gran­die de la crise qu’elle tra­verse ? Il ne nous semble pas. Et parce qu’une telle béa­ti­fi­ca­tion dépasse le sort d’un homme pour déter­mi­ner celui de l’Eglise dans les années à venir, il nous a sem­blé impos­sible de nous taire complètement.

Admiratives ou dubi­ta­tives, ces lignes nous pla­ce­ront donc au cœur de l’Eglise. Elles n’auraient pas atteint tout leur but si elles n’incitaient pas à prier tou­jours plus pour la papau­té, qui plus est en ces temps litur­giques char­gés de péni­tence mais aus­si d’espérance.

Abbé P. de LA ROCQUE,
Nantes, le 6 mars 2010

FSSPX

M. l’ab­bé Patrick de la Rocque est actuel­le­ment prieur de Nice. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions théo­lo­giques avec Rome entre 2009 et 2011.