À propos de l’adhésion au Concile Vatican II par Mgr Fernando Ocariz


Mgr Fernando Ocariz, vicaire géné­ral de la Prélature de l’Opus Dei, a publié l’ar­ticle ci-​dessous dans l’Osservatore Romano, alors que l’Eglise se pré­pare à fêter les 50 ans de la convo­ca­tion du Concile Vatican II par le pape Jean XXIII.

A l’occasion du 50e anniversaire de sa convocation

L’approche du cin­quan­tième anni­ver­saire de la convo­ca­tion du Concile Vatican II (25 décembre 1961) invite à une célé­bra­tion, mais aus­si à une nou­velle réflexion sur la récep­tion et l’application des docu­ments conci­liaires. Outre les aspects plus direc­te­ment pra­tiques de cette récep­tion et appli­ca­tion, avec leurs lumières et leurs ombres, il semble oppor­tun de rap­pe­ler éga­le­ment la nature de l’adhésion intel­lec­tuelle qui est due aux ensei­gne­ments du Concile. Bien qu’il s’agisse d’une doc­trine fort connue et dotée d’une abon­dante biblio­gra­phie, il n’est pas super­flu de la rap­pe­ler à grands traits, étant don­né la per­sis­tance des inter­ro­ga­tions posées, même dans l’opinion publique, sur la conti­nui­té de cer­tains ensei­gne­ments conci­liaires avec les ensei­gne­ments pré­cé­dents du Magistère de l’Église.

Tout d’abord, il ne semble pas inutile de rap­pe­ler que la visée pas­to­rale du Concile ne signi­fie pas qu’il n’est pas doc­tri­nal. Les pers­pec­tives pas­to­rales se fondent, en effet, sur la doc­trine, et il ne peut en être autre­ment. Mais il importe sur­tout de répé­ter que la doc­trine est ordon­née au salut, et son ensei­gne­ment par­tie inté­grante de la pas­to­rale. En outre, dans les docu­ments conci­liaires, il est évident qu’il existe de nom­breux ensei­gne­ments de nature pure­ment doc­tri­nale : sur la Révélation divine, sur l’Église, etc. Comme l’écrivit le bien­heu­reux Jean Paul II : « Avec l’aide de Dieu, les Pères conci­liaires ont pu éla­bo­rer, au long de quatre années de tra­vail, un ensemble consi­dé­rable d’exposés doc­tri­naux et de direc­tives pas­to­rales offerts à toute l’Église » (Constitution apos­to­lique Fidei depo­si­tum, 11.X.1992, Introduction).

§ 1 – L’adhésion due au Magistère

Le Concile Vatican II n’a défi­ni aucun dogme, au sens où il n’a pro­po­sé aucune doc­trine au moyen d’un acte défi­ni­tif. Toutefois, le fait qu’un acte du Magistère de l’Église ne soit pas garan­ti par le cha­risme de l’infaillibilité ne signi­fie pas qu’il puisse être consi­dé­ré comme « faillible », au sens où il trans­met­trait une « doc­trine pro­vi­soire » ou encore des « opi­nions auto­ri­sées ». Toute expres­sion du Magistère authen­tique doit être accueillie pour ce qu’elle est véri­ta­ble­ment : un ensei­gne­ment don­né par des pas­teurs qui, dans la suc­ces­sion apos­to­lique, parlent avec un « cha­risme de véri­té » (Dei Verbum, n° 8), « pour­vus de l’autorité du Christ » (Lumen gen­tium, n° 25), « sous la lumière du Saint-​Esprit » (ibid.).

Ce cha­risme, cette auto­ri­té et cette lumière furent cer­tai­ne­ment pré­sents au Concile Vatican II. Refuser cela à l’ensemble de l’épiscopat réuni cum Petro et sub Petro pour appor­ter un ensei­gne­ment à l’Église uni­ver­selle, ce serait nier une par­tie de l’essence même de l’Église (cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration Mysterium Ecclesiae, 24.VI.1973, nn° 2–5).

Naturellement, les affir­ma­tions conte­nues dans les docu­ments conci­liaires n’ont pas toutes la même valeur doc­tri­nale et ne requièrent donc pas toutes le même degré d’adhésion. Les divers degrés d’adhésion aux doc­trines pro­po­sées par le Magistère ont été rap­pe­lés par Vatican II, au n° 25 de la Constitution Lumen gen­tium, puis résu­més dans les trois para­graphes ajou­tés au Symbole de Nicée-​Constantinople dans la for­mule de la Professio fidei, publiée en 1989 par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi avec l’approbation de Jean Paul II.

Les affir­ma­tions du Concile Vatican II qui rap­pellent des véri­tés de foi requièrent évi­dem­ment l’adhésion de la foi théo­lo­gale, non pas parce qu’elles ont été ensei­gnées par ce Concile, mais parce qu’elles avaient déjà été ensei­gnées de façon infaillible comme telles par l’Église, soit en ver­tu d’une déci­sion solen­nelle, soit par le Magistère ordi­naire et uni­ver­sel. Le même assen­ti­ment plein et défi­ni­tif est requis pour les autres doc­trines rap­pe­lées par le Concile Vatican II et déjà pro­po­sées par un acte défi­ni­tif lors de pré­cé­dentes inter­ven­tions magistérielles.

Les autres ensei­gne­ments doc­tri­naux du Concile requièrent des fidèles le degré d’adhésion appe­lé « assen­ti­ment reli­gieux de la volon­té et de l’intelligence ». Il s’agit d’un assen­ti­ment « reli­gieux », qui n’est donc pas fon­dé sur des moti­va­tions pure­ment ration­nelles. Cette adhé­sion ne se pré­sente pas comme un acte de foi, mais plu­tôt d’obéissance ; elle n’est pas sim­ple­ment dis­ci­pli­naire, mais enra­ci­née dans la confiance en l’assistance divine au Magistère, et donc « dans la logique et sous la mou­vance de l’obéissance de la foi » (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Donum veri­ta­tis, 24.V.1990, n° 23). Cette obéis­sance au Magistère de l’Église ne consti­tue pas une limite impo­sée à la liber­té, mais elle est, au contraire, source de liber­té. Les paroles du Christ « qui vous écoute m’écoute » (Lc 10, 16) sont éga­le­ment adres­sées aux suc­ces­seurs des Apôtres ; écou­ter le Christ signi­fie rece­voir en soi la véri­té qui libère (cf. Jn 8, 32).

Dans les docu­ments magis­té­riels, il peut y avoir éga­le­ment – comme c’est effec­ti­ve­ment le cas dans le Concile Vatican II – des élé­ments non spé­ci­fi­que­ment doc­tri­naux, de nature plus ou moins cir­cons­tan­cielle (des­crip­tions de l’état de la socié­té, sug­ges­tions, exhor­ta­tions, etc.). Ces élé­ments doivent être accueillis avec res­pect et gra­ti­tude, mais ne requièrent pas une adhé­sion intel­lec­tuelle au sens propre (cf. Instruction Donum veri­ta­tis, nn° 24–31).

§ 2 – L’interprétation des enseignements

L’unité de l’Église et l’unité dans la foi sont insé­pa­rables, ce qui implique éga­le­ment l’unité du Magistère de l’Église en tout temps, en tant qu’interprète authen­tique de la Révélation divine trans­mise par la Sainte Écriture et par la Tradition. Cela signi­fie, entre autres, qu’une carac­té­ris­tique essen­tielle du Magistère est sa conti­nui­té et son homo­gé­néi­té dans le temps. Continuité ne signi­fie pas absence de déve­lop­pe­ment ; tout au long des siècles, l’Église pro­gresse dans la connais­sance, l’approfondissement et l’enseignement magis­té­riel de la foi et de la morale catho­lique qui en découle.

Au Concile Vatican II, il y eut diverses nou­veau­tés d’ordre doc­tri­nal sur le carac­tère sacra­men­tel de l’épiscopat, la col­lé­gia­li­té épis­co­pale, la liber­té reli­gieuse, etc. Bien que l’assentiment reli­gieux de la volon­té et de l’intelligence soit requis face à des nou­veau­tés dans des matières rela­tives à la foi et à la morale qui ne sont pas pro­po­sées au moyen d’un acte défi­ni­tif, cer­taines d’entre elles ont été et sont encore l’objet de contro­verses en ce qui concerne leur conti­nui­té avec le Magistère pré­cé­dent, c’est-à-dire leur com­pa­ti­bi­li­té avec la Tradition. Face aux dif­fi­cul­tés qui peuvent appa­raître pour com­prendre la conti­nui­té de cer­tains ensei­gne­ments conci­liaires avec la Tradition, l’attitude catho­lique, compte tenu de l’unité du Magistère, consiste à cher­cher une inter­pré­ta­tion uni­taire, dans laquelle les textes du Concile Vatican II et les docu­ments magis­té­riels pré­cé­dents s’éclairent mutuel­le­ment. Le Concile Vatican II doit non seule­ment être inter­pré­té à la lumière des docu­ments magis­té­riels pré­cé­dents, mais cer­tains de ces der­niers sont éga­le­ment mieux com­pris à la lumière de Vatican II. Cela n’a rien de nou­veau dans l’histoire de l’Église. Qu’on se rap­pelle, par exemple, que des notions impor­tantes pour la for­mu­la­tion de la foi tri­ni­taire et chris­to­lo­gique uti­li­sées au pre­mier Concile de Nicée (hypós­ta­sis, ousía) virent leur signi­fi­ca­tion pro­fonde pré­ci­sée par les Conciles postérieurs.

L’interprétation des nou­veau­tés ensei­gnées par le Concile Vatican II doit donc repous­ser, comme le dit Benoît XVI, l’herméneutique de la dis­con­ti­nui­té par rap­port à la Tradition, tan­dis qu’elle doit affir­mer l’herméneutique de la réforme, du renou­veau dans la conti­nui­té (Discours, 22.XII. 2005). Il s’agit de nou­veau­tés, au sens où elles expli­citent des aspects nou­veaux, non encore for­mu­lés par le Magistère, mais qui, au plan doc­tri­nal, ne contre­disent pas les docu­ments magis­té­riels pré­cé­dents. Pourtant, dans cer­tains cas – par exemple la liber­té reli­gieuse –, elles com­portent éga­le­ment des consé­quences très diverses quant aux déci­sions his­to­riques sur les appli­ca­tions juri­diques et poli­tiques, étant don­né les chan­ge­ments de situa­tions his­to­riques et sociales. Une inter­pré­ta­tion authen­tique des textes conci­liaires ne peut être faite que par le Magistère même de l’Église. C’est pour­quoi le tra­vail théo­lo­gique d’interprétation des pas­sages qui, dans les textes conci­liaires, sus­citent des inter­ro­ga­tions ou semblent pré­sen­ter des dif­fi­cul­tés, doit avant tout tenir compte du sens dans lequel les inter­ven­tions suc­ces­sives du Magistère ont enten­du ces pas­sages. Quoi qu’il en soit, des espaces légi­times de liber­té théo­lo­gique demeurent, pour expli­quer, d’une façon ou d’une autre, la non-​contradiction avec la Tradition de cer­taines for­mu­la­tions pré­sentes dans les textes conci­liaires et, par consé­quent, pour expli­quer la signi­fi­ca­tion même de cer­taines expres­sions conte­nues dans ces passages.

À cet égard enfin, il ne semble pas super­flu de tenir compte du fait que presque un demi-​siècle s’est écou­lé depuis la conclu­sion du Concile Vatican II, et qu’au cours de ces décen­nies, quatre Pontifes romains se sont suc­cé­dé sur la chaire de Pierre. En exa­mi­nant le Magistère de ces Papes et l’adhésion que lui a don­née l’épiscopat, une éven­tuelle situa­tion de dif­fi­cul­té devrait se chan­ger en une adhé­sion sereine et joyeuse au Magistère, inter­prète authen­tique de la doc­trine de la foi. Cela devrait être pos­sible et sou­hai­table, même s’il devait sub­sis­ter des aspects que la rai­son ne sai­sit pas plei­ne­ment, en lais­sant tou­te­fois la place à des espaces légi­times de liber­té théo­lo­gique pour un tra­vail d’approfondissement tou­jours oppor­tun. Comme l’a récem­ment écrit Benoît XVI, « les conte­nus essen­tiels qui depuis des siècles consti­tuent le patri­moine de tous les croyants ont besoin d’être confir­més, com­pris et appro­fon­dis de manière tou­jours nou­velle afin de don­ner un témoi­gnage cohé­rent dans des condi­tions his­to­riques dif­fé­rentes du pas­sé » (Benoît XVI, Motu pro­prio Porta fidei, n° 4).

Mgr Fernando Ocáriz – 2 décembre 2011