Signer ou ne pas signer la « Correction filiale » ?

La Correction filiale adres­sée, le 24 sep­tembre 2017, au pape François à pro­pos des pas­sages hété­ro­doxes d’Amoris læti­tia, compte à ce jour 235 signa­tures de clercs et d’u­ni­ver­si­taires laïcs. Les 62 pre­miers signa­taires avaient fait savoir, dès le début, qu’ils repré­sen­taient « éga­le­ment d’autres per­sonnes qui n’ont pas la liber­té d’ex­pres­sion néces­saire pour signer ».

C’est ce qu’avoue en toute humi­li­té, sur son blogue le 28 sep­tembre, le Père Ray Blake de Brighton (Royaume-​Uni), qui avait signé la Lettre des 45 théo­lo­giens au car­di­nal Angelo Sodano, en 2016, et qui a renon­cé à signer la Correction filiale en 2017 : « On m’a deman­dé de signer la Correction filiale. J’avais signé l’année der­nière la lettre des 45 uni­ver­si­taires et pas­teurs, et j’ai presque immé­dia­te­ment trou­vé les chars du car­di­nal Nichols (arche­vêque de Westminster. NDLR) garés sur ma pelouse pour m’informer de son mécon­ten­te­ment, ce qui était assez léger en com­pa­rai­son du sort d’autres signa­taires laïcs qui ont été licen­ciés de leur emploi dans des ins­ti­tu­tions catho­liques, le Dr Josef Seifert étant le plus pres­ti­gieux d’entre eux. Je l’admets, j’ai peur de signer et je connais d’autres prêtres qui par­tagent ma peur. Beaucoup de ceux qui auraient pu signer ont, au cours des quatre der­nières années, une cer­taine crainte au sujet de leur posi­tion dans l’Eglise. (…)

« Le cli­mat est mau­vais dans toute l’Eglise, à Rome il est car­ré­ment toxique. Sous François, le Vatican est deve­nu un lieu de peur et d’oppression arbi­traire, comme en témoigne l’éviction du car­di­nal Müller par le pape, et aupa­ra­vant le licen­cie­ment de deux prêtres de la Congrégation de la foi, et par­mi les laïcs, celui de Libero Milone, l’ancien Vérificateur géné­ral des comptes, et bien d’autres. Ce n’est pas seule­ment en théo­lo­gie que 2+2 = 5 ou n’importe quel chiffre choi­si par le pape ce jour-​là, cela s’étend à la mora­li­té et à la décence humaine ordi­naire, et c’est fina­le­ment une attaque grave contre la ratio­na­li­té de la foi catho­lique et la rigueur intel­lec­tuelle. (…) L’Eglise de Jésus-​Christ n’est pas une foule, le grand défaut du pape François est qu’au lieu de ras­sem­bler le trou­peau, il le dis­perse, en envoyant beau­coup de gens dans le désert, ou dans la confu­sion et la peur. »

A côté de ceux qui n’ont pas la liber­té de signer la Correction filiale, il y a aus­si ceux qui, sans la signer, lui apportent leur sou­tien intel­lec­tuel et moral, tel Mgr Nicola Bux [1], prêtre ita­lien très proche de Benoît XVI, qui a accor­dé un entre­tien, le 5 octobre 2017, au site ita­lien La Fede Quotidiana, repris le len­de­main sous forme résu­mée par Maike Hickson sur le site amé­ri­cain OnePeterFive :

« Don Bux sou­ligne que « le droit cano­nique recon­naît que les fidèles ont le droit – et par­fois même le devoir – d’exprimer leurs pen­sées aux pas­teurs pour le bien de l’Eglise ». Les « pas­teurs eux-​mêmes ne sont pas infaillibles », ajoute-​t-​il. Les fidèles sont obli­gés d’obéir au pape lorsqu’il enseigne « de manière défi­ni­tive » une doc­trine de la foi ou de morale, dit Don Bux. La même obli­ga­tion s’applique aux docu­ments non faillibles, c’est-à-dire « aux actes du pape visant à rendre plus clairs cer­tains aspects de la foi et de la morale révé­lées par Dieu ». Cependant, précise-​t-​il, quelqu’un n’a pas à obéir quand les pas­teurs, et sur­tout le pape, au lieu de la ren­for­cer, affai­blissent la foi des chré­tiens avec leurs pen­sées per­son­nelles, par leurs paroles ou leurs actions ». Don Bux semble faire ici une réfé­rence indi­recte à la Correction filiale qui cite expli­ci­te­ment non seule­ment Amoris læti­tia elle-​même, mais vise éga­le­ment des paroles et actions du pape en dehors de ce docu­ment officiel.

« Don Bux déclare alors très clai­re­ment que, dans un tel cas d’affaiblissement de la foi, les chré­tiens « doivent expri­mer (au pape) leur oppo­si­tion avec le res­pect qui lui est dû. L’autorité du pape dans l’Eglise ne doit pas être faus­se­ment confon­due avec un pou­voir abso­lu ». Le prêtre ita­lien espère que les deux pro­po­si­tions du car­di­nal Gerhard Müller et du car­di­nal Pietro Parolin pour une dis­cus­sion plus appro­fon­die sur ces ques­tions, seront prises en compte.

« Bien que Don Bux lui-​même ne soit « pas un théo­lo­gien mora­liste », il pré­cise néan­moins que les nom­breux appels, décla­ra­tions et dubia concer­nant Amoris læti­tia indiquent qu’« une cla­ri­fi­ca­tion est néces­saire ». « On a trou­vé non seule­ment des erreurs théo­lo­giques et des ambi­guï­tés, mais aus­si des erreurs de nature phi­lo­so­phique et logique », explique-​t-​il. (cer­taines des ambi­guï­tés et des erreurs phi­lo­so­phiques et logiques d’Amoris læti­tia ont été fort bien rele­vées et sans cesse expli­quées par le Professeur Josef Seifert) [2].

« Don Bux carac­té­rise la réac­tion défa­vo­rable à la cri­tique d’Amoris læti­tia comme « un débat imper­ti­nent, parce qu’on ne veut pas répondre aux argu­ments de fond ». Amoris læti­tia cause beau­coup de confu­sion quant à son appli­ca­tion, notam­ment dans le cas des per­sonnes divor­cées et rema­riées et de leur accès à la sainte communion.

« A entendre et à lire par tous, Don Bux insiste sur le fait que le pape a « le devoir de pré­ser­ver la foi telle qu’elle a été confiée à l’Eglise » et qu’il doit « la pro­cla­mer de sorte que, de nos jours, les gens puissent se conver­tir au Christ et ne demeurent pas incré­dules ». Le pas­teur ita­lien nous rap­pelle éga­le­ment que la mis­sion ultime de la hié­rar­chie catho­lique n’est pas de résoudre des « pro­blèmes poli­tiques », mais plu­tôt « de pro­cla­mer l’Evangile et d’administrer les sacre­ments ». La mis­sion du prêtre catho­lique est « d’honorer Dieu et de sau­ver les âmes ». Comme le dit Don Bux : « Jésus-​Christ est venu au monde pour sau­ver les âmes du péché et les conduire à Dieu le Père ». Ainsi, il rejette l’idée d’une Eglise « dans laquelle tout le monde, sans néces­sai­re­ment se conver­tir à Jésus-​Christ et indé­pen­dam­ment du Décalogue, conti­nue à vivre comme il veut ».

« Don Bux recon­naît que « l’Eglise se trouve main­te­nant dans une grande confu­sion » et – selon les paroles du Professeur Ernesto Galli Della Loggia (his­to­rien, édi­to­ria­liste au Corriere del­la Sera. NDLR) : « qu’elle entre en concur­rence avec l’ONU, la FAO [Organisation pour l’alimentation et l’agriculture] » qui ne sont pas du tout catho­liques. Don Bux conclut cet excellent entre­tien sur ces paroles : « Jésus a dit que cela ne sert à rien pour un homme de gagner le monde entier, s’il perd son âme » (cf. Mc 8, 36) ».

Sources : mary­mag­da­len /​OnePeterFive – Trad. à par­tir de Benoît et moi et Dieu et moi le nul sans Lui –

Notes de bas de page
  1. Mgr Nicolas Bux, consul­teur de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, de la Congrégation pour le culte divin et la dis­ci­pline des sacre­ments, pro­fes­seur de litur­gie et de théo­lo­gie sacra­men­taire et consul­teur au Bureau des Célébrations litur­giques du Souverain Pontife. On se sou­vient de son adresse du 19 mars 2012 « Lettre de Mgr Bux à Mgr Fellay et aux prêtres de la FSSPX ».[]
  2. Voir : Entretien avec Mgr Schneider sur le Pr Seifert, le car­di­nal Caffarra et le devoir de résis­tance – 17 sep­tembre 2017[]