32 ans de relations entre le Vatican et la Fraternité Saint-​Pie X

« Où en sont les rela­tions entre le Vatican et la Fraternité ? »

Combien de fois n’avons-​nous pas enten­du cette ques­tion de la part de nos fidèles. Voici deux ans, une nou­velle phase de ces rela­tions com­men­çait lorsque le car­di­nal Darío Castrillón-​Hoyos fut char­gé par le Saint-​Père de régler la situa­tion. Depuis la lettre de Mgr Fellay au car­di­nal Castrillón-​Hoyos du 22 juin 2001 et les accords pas­sés par l’Association Saint Jean–Marie Vianney en jan­vier 2002 (1) , les choses ont peu évo­lué. (2) Il est donc impor­tant de pro­fi­ter de cet inter­mède pour réflé­chir un peu et dres­ser un bilan.

En effet, les négo­cia­tions com­men­cées en l’année jubi­laire 2000 ne sont pas les pre­mières à avoir eu lieu. L’histoire de la Fraternité, des ori­gines à nos jours, en est parsemée.

Il nous a paru néces­saire et inté­res­sant de reve­nir sur ces diverses pro­po­si­tions romaines : néces­saire pour ne pas oublier d’où nous venons ; inté­res­sant pour jau­ger d’autres pro­po­si­tions, actuelles ou futures, et savoir où nous allons.

L’objectif de notre tra­vail, outre le rap­pel de docu­ments par­fois oubliés des anciens ou incon­nus des plus jeunes, sera de cher­cher le fil conduc­teur qui relie toutes ces pro­po­si­tions romaines. Nous les com­pa­re­rons donc, en sou­li­gnant leurs dif­fé­rences mais aus­si leurs constantes.

De la sorte, s’établira une grille de lec­ture pour le futur, car nous sau­rons ce que l’Eglise conci­liaire comme telle ne sacri­fie­ra jamais, pro­lon­geant d’autant la crise actuelle.

Nous sau­rons aus­si à quels indices recon­naître le retour de l’autorité ecclé­sias­tique à la pro­fes­sion inté­grale de la foi catho­lique, retour qui coïn­ci­de­ra avec l’expulsion de « la fumée de Satan entrée dans le temple de Dieu. »

Il faut noter que les docu­ments men­tion­nés, sou­vent longs, ne seront cités que pour ce qui concerne les rela­tions entre Rome et la Fraternité. Pour situer les choses dans leur contexte, nos lec­teurs se repor­te­ront avec fruit à notre article sur l’histoire des 30 pre­mières années de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X (4).

La commission cardinalice : Une capitulation sans conditions

On se sou­vient que la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, éri­gée cano­ni­que­ment le 1er novembre 1970 par Mgr François Charrière, évêque de Fribourg en Suisse, dut subir dès 1972 des attaques, par­ti­cu­liè­re­ment de la part des évêques fran­çais. Une visite cano­nique du sémi­naire d’Ecône fut dili­gen­tée pour les 11–13 novembre 1974. La fameuse décla­ra­tion de Mgr Marcel Lefebvre qui y fit suite le 21 novembre (5) devait déclen­cher la réac­tion romaine sous forme d’une com­mis­sion car­di­na­lice, com­po­sée des car­di­naux Garrone (Congrégation pour l’Education Catholique), Wright (Congrégation pour le Clergé) et Tabera (Congrégation pour les Religieux), qui publiait le 6 mai 1975 la sen­tence sui­vante :

« Une telle décla­ra­tion nous appa­rais­sait en tous points inac­cep­tables. Il est impos­sible de conci­lier la plu­part des affir­ma­tions conte­nues dans ce docu­ment avec une fidé­li­té authen­tique à l’Eglise, à celui qui en a la charge et au Concile où la pen­sée et la volon­té de l’Eglise se sont exprimées. »

« C’est avec l’entière appro­ba­tion de Sa Sainteté que nous vous fai­sons part des déci­sions suivantes :

1. Une lettre sera envoyée à Mgr Mamie, lui recon­nais­sant le droit de reti­rer l’approbation don­née par son pré­dé­ces­seur à la Fraternité et à ses Statuts. (…)

2. Une fois sup­pri­mée la Fraternité, celle-​ci n’ayant plus d’appui juri­dique, ses fon­da­tions, et notam­ment le sémi­naire d’Ecône, perdent du même coup le droit à l’existence.

3. Il est évident – nous sommes invi­tés à le noti­fier clai­re­ment – qu’aucun appui ne pour­ra être don­né à Mgr Lefebvre tant que les idées conte­nues dans le Manifeste du 21 novembre 1974 res­te­ront la loi de son action. »

Sans par­ler ici des nom­breuses illé­ga­li­tés com­mises au cours d’un pro­cès inique, notons les élé­ments mis en avant par les 3 car­di­naux dans leur réso­lu­tion. Au niveau doc­tri­nal, il est repro­ché à Mgr Lefebvre de contre­dire dans sa décla­ra­tion du 21 novembre 1974 la fidé­li­té à l’Eglise, la fi déli­té à Paul VI et la fi déli­té au concile Vatican II. Il est remar­quable que la ques­tion du rite tra­di­tion­nel, en usage dans la Fraternité dès le début, ne soit pas mise en exergue par les 3 cardinaux.

De ces pré­misses doc­tri­nales, suivent les consé­quences pra­tiques : la sup­pres­sion de la Fraternité, la fer­me­ture du sémi­naire d’Ecône et des autres fon­da­tions, la sus­pen­sion de toute aide à Mgr Lefebvre tant qu’il ne rétrac­te­rait pas sa décla­ra­tion. En réa­li­té, c’est une capi­tu­la­tion sans condi­tion qu’on attend du pré­lat et de ses collaborateurs.

La Secrétairie d’Etat : « Mgr Lefebvre, combien de divisions ? »

Au vu de l’illégalité des mesures prises contre lui par la com­mis­sion car­di­na­lice, Mgr Lefebvre décide de pas­ser outre : il pro­cède à 3 ordi­na­tions sacer­do­tales le 29 juin 1975 à Ecône et conti­nue l’œuvre de la Fraternité et du sémi­naire d’Ecône, illé­ga­le­ment sup­pri­mée. À l’approche des ordi­na­tions sacer­do­tales de l’été 1976, alors que les pre­mières géné­ra­tions de sémi­na­ristes allaient com­men­cer à sor­tir du sémi­naire au terme de leurs 5 années d’étude, les pres­sions vati­canes en vue d’un règle­ment de la situa­tion reprennent. Le car­di­nal Jean Villot, Secrétaire d’Etat du Vatican, ayant été récu­sé par Mgr Lefebvre, c’est Mgr Benelli, sub­sti­tut de la même Secrétairie d’Etat, qui est char­gé du dos­sier. Le 21 avril 1976, il écri­vait au fon­da­teur de la Fraternité :

« Vous vous sou­ve­nez cer­tai­ne­ment, en effet, de la démarche envi­sa­gée comme la plus propre pour par­ve­nir à ce résul­tat [le retour à la com­mu­nion effec­tive avec le pape Paul VI]. Après avoir réflé­chi, seul devant Dieu, vous écri­vez au Saint-​Père pour lui dire votre accep­ta­tion du concile Vatican II et de tous ses docu­ments, affir­mer votre plein atta­che­ment à la per­sonne de Sa Sainteté Paul VI et à la tota­li­té de son ensei­gne­ment, en vous enga­geant comme preuve concrète de votre sou­mis­sion au suc­ces­seur de Pierre, à adop­ter et à faire adop­ter dans les mai­sons qui dépendent de vous, le mis­sel qu’il a lui-​même pro­mul­gué en ver­tu de sa suprême auto­ri­té apostolique. »

Deux mois plus tard, à quelques jours des ordi­na­tions sacer­do­tales, il pré­ci­sait son pro­pos en vue d’une solu­tion du dif­fé­rend dans une lettre à Mgr Lefebvre du 25 juin 1976 :

« Le 19 mars, je vous avais dit très fran­che­ment ce qui, dans vos juge­ments néga­tifs sur le Concile, dans vos pro­pos fré­quents sur les orga­nismes du Saint-​Siège et leurs direc­tives en appli­ca­tion du Concile, dans votre façon de pro­cé­der à l’encontre de la res­pon­sa­bi­li­té des autres évêques dans leurs dio­cèses res­pec­tifs, était inad­mis­sible pour Sa Sainteté, contraire à la com­mu­nion ecclé­siale et dom­ma­geable pour l’unité et la paix de l’Eglise. Il vous était seule­ment deman­dé d’admettre clai­re­ment votre tort sur ces points néces­saires pour toute âme catho­lique, après quoi on aurait étu­dié la façon la meilleure de faire face aux pro­blèmes pen­dants posés par vos œuvres.

Le Saint-​Père me charge aujourd’hui même de confir­mer la mesure qui vous a été inti­mée en son nom, de man­da­to spe­cia­li : vous abs­te­nir actuel­le­ment d’ordonner des sémi­na­ristes ; c’est jus­te­ment l’occasion de leur expli­quer, ain­si qu’à leurs familles, que vous ne pou­vez les ordon­ner au ser­vice de l’Eglise contre la volon­té du Pasteur suprême de l’Eglise. Il n’y a rien de déses­pé­rant dans leur cas : s’ils sont de bonne volon­té et sérieu­se­ment pré­pa­rés à un minis­tère pres­by­té­ral dans la fidé­li­té véri­table à l’Eglise conci­liaire, on se char­ge­ra de trou­ver ensuite la meilleure solu­tion pour eux, mais qu’ils com­mencent d’abord, eux aus­si, par cet acte d’obéissance à l’Eglise. »

Les nou­velles pro­po­si­tions faites par Mgr Benelli dans ces deux docu­ments ne sont guères dif­fé­rentes, quant à la sub­stance, des conclu­sions de la com­mis­sion car­di­na­lice de 1975 : accep­ta­tion du concile Vatican II ; atta­che­ment à Paul VI ; uti­li­sa­tion du Missel de Paul VI. En réa­li­té, sous cou­leur de pré­ci­sions, les exi­gences romaines tournent à la déme­sure : on exige main­te­nant l’adhésion à « tous » les docu­ments d’un concile pré­sen­té comme pas­to­ral ain­si que l’attachement à la « per­sonne » du Pontife régnant et à « l’ensemble » de ses enseignements.

Dès ce moment, appa­raît l’exigence d’adopter la litur­gie nou­velle dans la Fraternité comme preuve concrète de soumission.

La lettre du 25 juin 1976 reprend les mêmes élé­ments mais de manière néga­tive, en stig­ma­ti­sant les doutes de Mgr Lefebvre concer­nant le concile Vatican II, les réformes qui en sont issues et les orga­nismes romains char­gés de les appli­quer. Conséquence de cette atti­tude : Mgr Lefebvre doit confes­ser ses erreurs, moyen­nant quoi une solu­tion sera cher­chée aux pro­blèmes pendants.

Ceci dit, au niveau concret, il fau­dra sus­pendre les ordi­na­tions et réexa­mi­ner la pos­si­bi­li­té de réin­sé­rer ces sémi­na­ristes dans « l’Eglise conci­liaire », enti­té nou­velle jux­ta­po­sée ou sub­sti­tuée à l’Eglise catho­lique. La prise en main du pro­blème de la Tradition dans l’Eglise par la Secrétairie d’Etat, char­gée de la poli­tique vati­cane, est symp­to­ma­tique d’une approche plu­tôt étrange du pro­blème : il ne s’agit plus de la foi ou du culte ou de la for­ma­tion du cler­gé, mais bien de la poli­tique. Dans cette pers­pec­tive poli­tique des choses, la seule ques­tion à laquelle on s’attend est : « Mgr Lefebvre, com­bien de divi­sions ? »

Le pape Paul VI : La bombe à neutrons

Or, Mgr Lefebvre, lui, conti­nue à poser le pro­blème au niveau de la foi et ne cesse de stig­ma­ti­ser l’union adul­tère de l’Eglise et de la révo­lu­tion. Il passe outre l’interdiction d’ordonner et, par le fait même, encourt le 1er juillet 1976 la sus­pense a col­la­tione ordi­num (inter­dic­tion d’ordonner) et le 22 juillet 1976 la sus­pense a divi­nis (inter­dic­tion d’administrer les sacrements).

Devant la gra­vi­té des faits, c’est le pape Paul VI lui-​même qui prend en charge cette situation.

Après avoir concé­dé une audience à Mgr Lefebvre à Castel Gandolfo le 11 sep­tembre 1976, il lui adresse une longue lettre dac­ty­lo­gra­phiée le 11 octobre 1976 :

« Concrètement qu’est-ce que Nous vous demandons ?

A. – D’abord et sur­tout, une décla­ra­tion qui remette les choses au point, pour Nous-​même et aus­si pour le peuple de Dieu qui a droit à la clar­té et ne peut plus sup­por­ter sans dom­mage de telles équivoques.

Cette décla­ra­tion devra donc affir­mer que vous adhé­rez fran­che­ment au concile oecu­mé­nique Vatican II et à tous les textes – sen­su obvio(6) – qui ont été adop­tés par les pères du Concile, approu­vés et pro­mul­gués par notre auto­ri­té. Car une telle adhé­sion a tou­jours été la règle, dans l’Eglise, depuis les ori­gines, en ce qui concerne les conciles oecuméniques.

Il doit être clair que vous accueillez éga­le­ment les déci­sions que Nous avons prises, depuis le Concile, pour le mettre en œuvre, avec l’aide des orga­nismes du Saint-​Siège ; entre autres, vous devez recon­naître expli­ci­te­ment la légi­ti­mi­té de la litur­gie réno­vée, notam­ment de l’Ordo Missæ, et notre droit de requé­rir son adop­tion par l’ensemble du peuple chrétien.

Vous devez admettre aus­si le carac­tère obli­ga­toire des dis­po­si­tions du droit cano­nique en vigueur qui, pour la plus grande part, cor­res­pondent encore au conte­nu du code de droit cano­nique de Benoît XV, sans en excep­ter la par­tie qui a trait aux peines canoniques.

En ce qui concerne notre per­sonne, vous aurez à cœur de ces­ser et de rétrac­ter les graves accu­sa­tions ou insi­nua­tions que vous avez por­tées publi­que­ment contre Nous, contre l’orthodoxie de notre foi et notre fi déli­té à la charge de suc­ces­seur de Pierre, et contre notre entou­rage immédiat.

En ce qui concerne les évêques, vous devez recon­naître leur auto­ri­té dans leurs dio­cèses res­pec­tifs, en vous abs­te­nant de prê­cher et d’y admi­nis­trer les sacre­ments : eucha­ris­tie, confir­ma­tion, ordres sacrés, etc., lorsque ces évêques s’y opposent expressément.

Enfin vous devez vous enga­ger à vous abs­te­nir de toutes les ini­tia­tives (confé­rences, publi­ca­tions…) contraires à cette décla­ra­tion, et à réprou­ver for­mel­le­ment toutes celles qui se récla­me­raient de vous à l’encontre de la même déclaration.

Il s’agit là du mini­mum que doit sous­crire tout évêque catho­lique : cette adhé­sion ne peut souf­frir de com­pro­mis. Dès que vous aurez mani­fes­té que vous en accep­tez le prin­cipe, Nous vous pro­po­se­rons les moda­li­tés pra­tiques de pré­sen­ter cette décla­ra­tion. C’est la pre­mière condi­tion pour que la sus­pense a divi­nis soit levée.

B. – Ensuite res­te­ra à résoudre le pro­blème de votre acti­vi­té, de vos œuvres et notam­ment de vos sémi­naires. Vous com­pren­drez, Frère, que, vu les irré­gu­la­ri­tés et ambi­guï­tés pas­sées et pré­sentes affec­tant ces œuvres, Nous ne pou­vons pas reve­nir sur la sup­pres­sion de la Fraternité sacer­do­tale Saint Pie X. Elle a incul­qué un esprit d’opposition au Concile et à sa mise en œuvre telle que le vicaire de Jésus-​Christ s’appliquait à la pro­mou­voir. Votre décla­ra­tion du 21 novembre 1974 est un témoi­gnage de cet esprit ; et sur un tel fon­de­ment, comme l’a jugé à juste titre notre com­mis­sion car­di­na­lice, le 6 mai 1975, on ne peut bâtir d’institution ou de for­ma­tion sacer­do­tale conforme aux exi­gences de l’Eglise du Christ. Cela n’infirme point ce qui existe de bon dans vos sémi­naires, mais il faut aus­si consi­dé­rer les lacunes ecclé­sio­lo­giques dont Nous avons par­lé et la capa­ci­té d’exercer un minis­tère pas­to­ral dans l’Eglise d’aujourd’hui. Devant ces réa­li­tés mal­heu­reu­se­ment mêlées, Nous aurons le sou­ci de ne pas détruire, mais de cor­ri­ger et de sau­ver autant que possible.

C’est pour­quoi, en tant que garant suprême de la foi et de la for­ma­tion du cler­gé, Nous vous deman­dons d’abord de remettre entre nos mains la res­pon­sa­bi­li­té de votre œuvre, et notam­ment de vos sémi­naires. C’est assu­ré­ment pour vous un lourd sacri­fice, mais c’est un test aus­si de votre confiance, de votre obéis­sance, et c’est une condi­tion néces­saire pour que ces sémi­naires, qui n’ont pas d’existence cano­nique dans l’Eglise, puissent éven­tuel­le­ment y prendre place.

Ce n’est qu’après que vous en aurez accep­té le prin­cipe que Nous serons en mesure de pour­voir le mieux pos­sible au bien de toutes les per­sonnes inté­res­sées, avec le sou­ci de pro­mou­voir les voca­tions sacer­do­tales authen­tiques et dans le res­pect des exi­gences doc­tri­nales, dis­ci­pli­naires et pas­to­rales de l’Eglise. À ce stade, Nous pour­rons entendre avec bien­veillance vos demandes et vos sou­haits, et prendre en conscience, avec nos dicas­tères, les mesures justes et opportunes.

En ce qui concerne les sémi­na­ristes ordon­nés illi­ci­te­ment, les sanc­tions qu’ils ont encou­rues confor­mé­ment aux canons 985, 7° et 2374 pour­ront être levées, s’ils donnent une preuve de rési­pis­cence en accep­tant notam­ment de sous­crire à la décla­ra­tion que Nous vous avons deman­dée. Nous comp­tons sur votre sens de l’Eglise pour leur faci­li­ter cette démarche.

Quant aux fon­da­tions, mai­sons de for­ma­tion, « prieu­rés » et autres ins­ti­tu­tions diverses créées sur votre ini­tia­tive ou avec votre encou­ra­ge­ment, Nous vous deman­dons éga­le­ment de vous en remettre au Saint-​Siège, qui étu­die­ra leur cas, dans ses divers aspects, avec l’épiscopat local. Leur sur­vie, leur orga­ni­sa­tion et leur apos­to­lat seront subor­don­nés, comme il est nor­mal dans toute l’Eglise catho­lique, à un accord qui devra être pas­sé, dans chaque cas, avec l’évêque du lieu – nihil sine epi­sco­po (7) – et dans un esprit qui res­pecte la décla­ra­tion men­tion­née plus haut. »

Ce docu­ment, écrit voi­ci plus de 25 ans, révèle une volon­té tota­li­taire d’écraser toute oppo­si­tion sans aucun recours au dia­logue, à la démo­cra­tie, aux aspi­ra­tions du peuple de Dieu et à l’oecuménisme, deve­nus pour­tant les nou­veaux prin­cipes d’action de l’après-concile.

Il est exi­gé de Mgr Lefebvre une décla­ra­tion où il adhé­re­ra au Concile, accep­te­ra les déci­sions des orga­nismes romains, recon­naî­tra la légi­ti­mi­té du Novus Ordo, se sou­met­tra au Droit Canon (spé­cia­le­ment en matière de peines ecclé­sias­tiques), confes­se­ra l’orthodoxie et la fi déli­té à sa charge de Paul VI, recon­naî­tra l’autorité des évêques dans leurs dio­cèses res­pec­tifs et s’abstiendra de toute ini­tia­tive contraire au conte­nu de la dite décla­ra­tion. Celle-​ci, indis­pen­sable à la levée des peines cano­niques encou­rues à l’été 1976, n’est pas négo­ciable dans son contenu.

De ce pré­am­bule théo­rique, on passe au point de vue pra­tique dont les conclu­sions sont tout aus­si extrêmes : confir­ma­tion de la sup­pres­sion de la Fraternité, remise des sémi­naires et de toutes les autres œuvres dans les mains de Paul VI, par­don des peines cano­niques encou­rues par les sémi­na­ristes ordon­nés. Et lorsque Mgr Lefebvre n’aura plus rien : ni Fraternité, ni sémi­naire, ni sémi­na­ristes, ni mai­sons, ni apos­to­lat, le Pape pour­ra « écou­ter avec bien­veillance [ses] demandes et [ses] sou­haits » ! La solu­tion de Paul VI c’est la bombe à neu­trons : son explo­sion fait dis­pa­raître toute vie, mais, après un temps de décon­ta­mi­na­tion, les infra­struc­tures indus­trielles et immo­bi­lières sont réuti­li­sables par l’envahisseur !

La congrégation pour la Doctrine de la Foi : La solution biologique du problème Lefebvre

La Secrétairerie d’Etat conti­nue­ra ses ges­tions dans toute cette affaire jusqu’à la fi n de l’année 1977, en la per­sonne de Mgr Benelli. À par­tir du 28 jan­vier 1978, le Card. Franjo Seper noti­fie à Mgr Lefebvre que c’est lui, en tant que pré­fet de la S.C. pour la Doctrine de la Foi, qui est char­gé de trou­ver un arran­ge­ment. Des dis­cus­sions théo­lo­giques ont lieu en février et mars 1978, mais la mort de Paul VI et celle pré­ma­tu­rée de Jean-​Paul I para­lysent tout.

Élu le 16 octobre 1978, Jean-​Paul II reçoit Mgr Lefebvre le 18 novembre 1978.

Après deux ans d’efforts sans grand résul­tat, le Card. Seper pré­sente à Mgr Lefebvre, dans une lettre du 20 octobre 1980, une décla­ra­tion préa­lable à un accord pratique :

« Tout en atten­dant de vous une claire mani­fes­ta­tion de regret pour les attaques injustes que vous avez for­mu­lées à l’encontre du Concile, des évêques et même du Siège Apostolique, ain­si que pour les dif­fi­cul­tés et même le trouble que votre action a sus­ci­té par­mi les fidèles, le pape Jean-​Paul II demeure à votre égard dans des sen­ti­ments de pater­nelle charité.

C’est selon ses indi­ca­tions que je vous pré­sente main­te­nant d’ultimes propositions :

1. En ce qui concerne l’adhésion aux ensei­gne­ments du concile Vatican II, – que vous vous décla­rez prêt à accep­ter dans le sens indi­qué par le pape Jean-​Paul II, c’est-à-dire « com­pris à la lumière de toute la sainte Tradition et sur la base du Magistère constant de l’Eglise »… – le Saint-​Père attend de vous ce qui est aus­si requis de cha­cun dans l’Eglise, à savoir ce « reli­gio­sum volun­ta­tis et intel­lec­tus obse­quium (8) » dû au magis­tère authen­tique du Pontife Romain, même lorsqu’il ne parle pas « ex cathe­dra » et à l’enseignement sur la foi et les moeurs don­né au nom du Christ par les évêques en com­mu­nion avec le Pontife romain (cf. Constitution Lumen Gentium, n°25). Bien enten­du, une telle adhé­sion doit tenir compte de la qua­li­fi­ca­tion théo­lo­gique que le Concile lui-​même a vou­lu don­ner à ses enseignements…

2. En ce qui concerne la Liturgie, le Saint-​Père attend de vous que vous accep­tiez sans res­tric­tions la légi­ti­mi­té de la réforme deman­dée par le concile Vatican II, aus­si bien dans son prin­cipe que dans ses appli­ca­tions conformes au Missel et aux autres livres litur­giques pro­mul­gués par le Siège Apostolique. Il attend aus­si de vous que vous vous enga­giez à ces­ser de jeter la sus­pi­cion sur l’orthodoxie de l’Ordo Missæ pro­mul­gué par le pape Paul VI. Vous com­pren­drez que c’est là une condi­tion préa­lable et indis­pen­sable. Celle-​ci rem­plie, le Saint-​Père pour­rait envi­sa­ger d’autoriser la célé­bra­tion de la Sainte Messe selon le rite du Missel romain anté­rieur à la réforme de 1969.

3. En ce qui concerne enfin le minis­tère pas­to­ral et les œuvres, le Saint-​Père attend de vous que vous accep­tiez de vous confor­mer aux normes du droit ecclé­sias­tique com­mun, notam­ment pour tout ce qui concerne les ordi­na­tions, les confir­ma­tions,… Dans cette pers­pec­tive, le Saint-​Père serait prêt à dési­gner un délé­gué per­son­nel direc­te­ment res­pon­sable devant lui, qui aurait pour mis­sion d’étudier avec vous la régu­la­ri­sa­tion de votre propre situa­tion ain­si que celle des membres de la Fraternité St-​Pie X par un sta­tut apte à régler une ques­tion de soi assez complexe (…)

Une fois enfin accep­tés par vous ces points pré­cis – et ce devrait être dans une décla­ra­tion pou­vant être ren­due publique – le Souverain Pontife serait dis­po­sé à lever les cen­sures cano­niques et les irré­gu­la­ri­tés qui ont été encou­rues par vous-​même et par les prêtres que vous avez illé­gi­ti­me­ment ordon­nés depuis 1976 (pour ces der­niers, bien sûr, s’ils adhèrent à votre propre démarche). »

Cette pro­po­si­tion est pré­ci­sée et confir­mée dans une seconde lettre du 19 février 1981 :

« Pour cla­ri­fier la situa­tion, permettez-​moi de vous pro­po­ser ici d’une manière pré­cise les points que le Saint-​Père estime indis­pen­sables dans votre décla­ra­tion ; pour la plu­part d’entre eux, je ne puis d’ailleurs que reprendre l’essentiel de ma lettre précédente :

1. Claire mani­fes­ta­tion de regrets pour la part que vous avez eue dans la situa­tion de rup­ture objec­tive qui s’est créée (notam­ment du fait des ordi­na­tions) et pour vos attaques suc­ces­sives, dans le conte­nu et dans les termes, contre le Concile, contre de nom­breux évêques et contre le Siège Apostolique.

2. Adhésion aux ensei­gne­ments du concile Vatican II, « com­pris à la lumière de toute la sainte Tradition et sur la base du magis­tère constant de l’Eglise » (cf. Allocution de S.S. Jean-​Paul II, 5 novembre 1979, A.A.S. LXXI (1979/​II), p. 1452), et compte tenu de la qua­li­fi cation théo­lo­gique que ce Concile a vou­lu don­ner à ses ensei­gne­ments (cf. Notifi cation faite au cours de la 123e congré­ga­tion géné­rale, 16 novembre 1964 – Acta Synodalia S. Concilii OEcumenici Vaticani II, vol. III, pars VIII, p. 10) ; recon­nais­sance du « reli­gio­sum volun­ta­tis et intel­lec­tus obse­quium » dû au magis­tère authen­tique du Pontife Romain, même lorsqu’il ne parle pas « ex cathe­dra », et à l’enseignement sur la foi et les moeurs don­né au nom du Christ par les évêques en com­mu­nion avec le Pontife romain (cf. Constitution Lumen Gentium, n° 25) ; ces­sa­tion de toute polé­mique qui vise­rait à dis­cré­di­ter cer­tains des ensei­gne­ments du concile Vatican II.

3. Acceptation sans res­tric­tions non seule­ment de la vali­di­té de la Messe selon le Novus Ordo dans son édi­tion latine ori­gi­nale, mais encore de la légi­ti­mi­té de la réforme deman­dée par le concile Vatican II – aus­si bien dans son prin­cipe que dans ses appli­ca­tions conformes au Missel et aux autres livres litur­giques pro­mul­gués par le Siège Apostolique –, et aban­don de toute polé­mique ten­dant à jeter la sus­pi­cion sur l’orthodoxie de l’Ordo Missæ pro­mul­gué par le pape Paul VI.

4. Acceptation des normes du droit ecclé­sias­tique com­mun pour tout ce qui concerne votre minis­tère pas­to­ral et vos œuvres ain­si que pour la Fraternité St-​Pie X.

Le délé­gué pon­ti­fi­cal, nom­mé comme vous le sou­hai­tez pour un temps limi­té et pour un but bien déter­mi­né, aura pour mis­sion de trai­ter avec vous des pro­blèmes concrets décou­lant d’une nor­ma­li­sa­tion des rap­ports entre vous-​mêmes et la Fraternité St-​Pie X d’une part et le Siège Apostolique de l’autre. D’une manière plus pré­cise, il devra régler avec vous les ques­tions de la levée offi­cielle des cen­sures, de rites litur­giques pour la Fraternité, enfin du sta­tut juri­dique futur de la Fraternité. »

L’empreinte de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi se fait sen­tir dès qu’elle prend en charge cette affaire. Aux dis­cus­sions théo­lo­giques et aux expli­ca­tions deman­dées à Mgr Lefebvre suc­cède le texte d’une décla­ra­tion doc­tri­nale préa­lable à tout accord pra­tique. Cette décla­ra­tion porte sur : l’adhésion aux ensei­gne­ments du concile Vatican II « inter­pré­té à la lumière de toute la sainte Tradition et sur la base du magis­tère constant de l’Eglise » ; l’acceptation de la légi­ti­mi­té de la réforme litur­gique, dans son prin­cipe comme dans son appli­ca­tion, ain­si que de son ortho­doxie ; la confor­mi­té avec le Droit Canon en matière d’apostolat et de for­ma­tion ecclésiastique.

De cette pre­mière par­tie théo­rique, on passe ensuite à la nomi­na­tion d’un délé­gué apos­to­lique char­gé de régu­la­ri­ser la situa­tion de la Fraternité St-​Pie X et d’arriver à la levée des cen­sures cano­niques encou­rues par Mgr Lefebvre et ses prêtres.

Dans sa seconde lettre, le car­di­nal Seper rajoute un pré­am­bule aux condi­tions signa­lées dans la pre­mière : Mgr Lefebvre devra mani­fes­ter clai­re­ment son repen­tir pour la situa­tion objec­tive de rup­ture due à son fait ain­si que pour les attaques contre le Concile, les évêques et le Siège Apostolique.

Le lec­teur atten­tif s’en sera déjà ren­du compte : la sup­pres­sion de la Fraternité, la fer­me­ture des sémi­naires, la dis­per­sion des sémi­na­ristes et la remise de toutes les œuvres au Saint-​Siège ne sont plus à l’ordre du jour. Il s’agit dès lors de don­ner un sta­tut cano­nique à ce qui existe, ce qu’en terme cano­nique on appelle une sana­tio in radice(9).

Par contre, Mgr Lefebvre reste déses­pé­ré­ment seul dans son com­bat : il pour­rait voir son œuvre recon­nue, mais aucun suc­ces­seur ne lui serait don­né. C’est la réin­té­gra­tion dans le grand cou­rant conci­liaire qui l’attendent, lui et son œuvre. L’heure est à la guerre des tran­chées : cha­cun campe sur ses posi­tions, et Rome attend la « solu­tion bio­lo­gique du pro­blème Lefebvre », c’est-à-dire la mort de l’archevêque.

En fait, c’est le car­di­nal Seper qui devait mou­rir le pre­mier, le 31 décembre 1981. Son rem­pla­çant à la tête de la S.C. pour la Doctrine de la Foi, le Card. Joseph Ratzinger hérite par le fait même des négo­cia­tions avec la Fraternité. L’année 1982 ne devait pas se ter­mi­ner sans une nou­velle pro­po­si­tion romaine, envoyée par le car­di­nal Ratzinger à Mgr Lefebvre le 23 décembre 1982 :

« Je pré­cise immé­dia­te­ment que ces pro­po­si­tions ont été approu­vées par le Souverain Pontife et que c’est sur son ordre que je vous les communique.

1. Le Saint-​Père nom­me­ra au plus tôt un Visiteur Apostolique pour la Fraternité St-​Pie X si vous accep­tez une décla­ra­tion sous la forme suivante :

• Moi, Marcel Lefebvre je déclare avec sou­mis­sion reli­gieuse de l’âme, que j’adhère à tous les ensei­gne­ments du concile Vatican II, c’est-à-dire la doc­trine « com­prise à la lumière de toute la sainte Tradition et du magis­tère constant de l’Eglise » (cf. Discours de Jean-​Paul II au Sacré Collège, 5 de novembre de 1979, AAS LXXI (1979/​55), p. 1452). Cette sou­mis­sion reli­gieuse doit s’entendre en pre­nant en compte la qua­li­fi­ca­tion théo­lo­gique que le Concile lui-​même vou­lut don­ner à ses ensei­gne­ments (cf. Notification faite au cours de la 123° congré­ga­tion géné­rale le 16 novembre 1964).

• Moi, Marcel Lefebvre, je recon­nais le Missel romain ins­tau­ré par le Souverain Pontife Paul VI pour l’Église uni­ver­selle et pro­mul­gué par la suprême et légi­time auto­ri­té du Saint-​Siège à qui revient légi­fé­rer en matière litur­gique dans l’Eglise, et donc qu’il est en soi légi­time et catholique.

C’est pour­quoi je n’ai jamais nié ni ne nie­rai que les Messes célé­brées selon le Novus Ordo soient valides ; de même je ne sau­rais aucu­ne­ment insi­nuer qu’elles sont héré­tiques ou blas­phé­ma­toires ou qu’elles doivent être évi­tées par les catholiques.

Ces deux para­graphes ont été mûre­ment étu­diés de la part du Siège Apostolique, et il ne peut être envi­sa­gé de les modi­fier. Par contre, on admet­tra que vous ajou­tiez, à titre per­son­nel, un com­plé­ment dont le conte­nu pour­rait être le suivant :

• En conscience je me sens obli­gé d’ajouter que l’application concrète de la réforme litur­gique pose de graves pro­blèmes qui doivent pré­oc­cu­per l’autorité suprême.

C’est pour­quoi je désire une nou­velle révi­sion des livres litur­giques dans le futur de la part de l’autorité elle-même.

Vous pou­vez éven­tuel­le­ment modi­fier ce der­nier para­graphe, sous réserve natu­rel­le­ment que votre for­mu­la­tion soit accep­tée par le Saint-Père.

1. Si vous décla­rez votre dis­po­ni­bi­li­té à sous­crire la décla­ra­tion ci-​dessus, il sera pos­sible de fixer la date de l’audience que le Saint-​Père vous accor­de­ra, et qui pour­rait mar­quer le début de la Visite Apostolique.

2. La sus­pens a divi­nis dont vous avez été frap­pé ne dépend pas des pro­blèmes concer­nant l’acceptation du concile Vatican II et de la réforme litur­gique (c’est-à-dire des deux points tou­chés dans la décla­ra­tion pré­vue), mais du fait que vous avez pro­cé­dé à des ordi­na­tions mal­gré la pro­hi­bi­tion du Saint-​Siège. Cette sus­pens sera donc levée dès lors que vous aurez décla­ré votre inten­tion de ne plus faire d’ordinations sans l’autorisation du Saint-Siège.

Logiquement du reste, la ques­tion devrait se résoudre à l’issue de la Visite Apostolique.

3. La situa­tion des prêtres que vous avez ordon­nés depuis juin 1976 sera réglée cas par cas s’ils acceptent de signer per­son­nel­le­ment une décla­ra­tion ayant le même conte­nu que la vôtre.

Je dois ajou­ter enfin que, pour ce qui concerne l’autorisation de célé­brer la Sainte Messe selon l’Ordo Missæ anté­rieur à celui de Paul VI, le Saint-​Père a déci­dé que la ques­tion serait réso­lue pour l’Eglise uni­ver­selle et donc indé­pen­dam­ment de votre propre cas. »

La for­mu­la­tion du docu­ment reprend la divi­sion bipar­tite. D’abord une par­tie doc­tri­nale qui exige la recon­nais­sance du concile et du mis­sel de Paul VI. On concède à Mgr Lefebvre d’exprimer cer­taines réserves sur la réforme litur­gique tout en lais­sant l’autorité suprême juge des cor­rec­tions éven­tuelles à appor­ter. Ensuite, la lettre passe aux aspects pra­tiques : la pos­si­bi­li­té d’une audience avec le Souverain Pontife, la levée des cen­sures sous réserve de ne pas pro­cé­der à des ordi­na­tions sans l’autorisation du Saint-​Siège, l’organisation d’une Visite Apostolique, le règle­ment de la situa­tion des prêtres déjà ordonnés.

La recon­nais­sance de la légi­ti­mi­té et de l’orthodoxie du Novus Ordo, ici comme dans la lettre du car­di­nal Seper du 20 octobre 1980, est une condi­tion sine qua non à l’autorisation de célé­brer la Sainte Messe selon le rite tra­di­tion­nel. On sait que l’Indult du 3 octobre 1984, qui se vou­lait la solu­tion à cette ques­tion pour l’Eglise uni­ver­selle, met­tra comme condi­tion à la demande d’autorisation ponc­tuelle de célé­bra­tion du rite tra­di­tion­nel de « n’avoir aucune part avec ceux qui mettent en doute la légi­ti­mi­té et l’orthodoxie du Missel romain pro­mul­gué par le pape Paul VI (10) ».

Autant dire que l’Indult per­met­tant la Messe tra­di­tion­nelle était fait pour ceux qui n’en avaient nul besoin puisqu’ils confes­saient au préa­lable la légi­ti­mi­té et l’orthodoxie de la nou­velle Messe.

Les choses n’évolueront pas jusqu’à ce que Mgr Lefebvre remette les choses sur le ter­rain pra­tique : l’âge avan­çant, le pré­lat se devait de pen­ser à sa succession.

L’annonce par Mgr Lefebvre d’un pos­sible sacre d’évêque ame­na le car­di­nal Ratzinger à le rece­voir (14 juillet 1987), à orga­ni­ser une Visite Apostolique de la Fraternité par le Card. Edouard Gagnon (8 novembre – 8 décembre 1987) et à fina­li­ser des pour­par­lers par un pro­to­cole d’accord signé le 5 mai 1988.

On y lisait dans la par­tie doctrinale :

« Moi, Marcel Lefebvre, Archevêque-​Evêque émé­rite de Tulle, ain­si que les membres de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X par moi fondée :

1. Nous pro­met­tons d’être tou­jours fidèles à l’Eglise catho­lique et au Pontife romain, son Pasteur Suprême, Vicaire du Christ, Successeur du bien­heu­reux Pierre dans sa pri­mau­té et Chef du Corps des Evêques.

2. Nous décla­rons accep­ter la doc­trine conte­nue dans le numé­ro 25 de la Constitution dog­ma­tique Lumen Gentium du concile Vatican II sur le magis­tère ecclé­sias­tique et l’adhésion qui lui est due.

3. A pro­pos de cer­tains points ensei­gnés par le concile Vatican II ou concer­nant les réformes pos­té­rieures de la litur­gie et du droit, et qui nous paraissent dif­fi­ci­le­ment conci­liables avec la Tradition, nous nous enga­geons à avoir une atti­tude posi­tive d’étude et de com­mu­ni­ca­tion avec le Siège Apostolique, en évi­tant toute polémique.

4. Nous décla­rons en outre recon­naître la vali­di­té du sacri­fice de la Messe et des sacre­ments célé­brés avec l’intention de faire ce que fait l’Eglise et selon les rites indi­qués dans les édi­tions typiques du Missel et des Rituels des sacre­ments pro­mul­gués par les papes Paul VI et Jean-​Paul II.

5. Enfin, nous pro­met­tons de res­pec­ter la dis­ci­pline com­mune de l’Eglise et les lois ecclé­sias­tiques, spé­cia­le­ment celles conte­nues dans le code de droit cano­nique pro­mul­gué par le pape Jean-​Paul II, res­tant sauve la dis­ci­pline spé­ciale concé­dée à la Fraternité par une loi particulière. »

On retrouve ici la volon­té de par­tir d’une base doc­tri­nale avant d’en venir aux solu­tions concrètes.

Il est deman­dé à Mgr Lefebvre d’adhérer au concile Vatican II et au magis­tère ecclé­sias­tique ; d’avoir une atti­tude posi­tive et non polé­mique sur les points liti­gieux du Concile, de la litur­gie et du Droit Canon ; de recon­naître la vali­di­té de la Nouvelle Messe et de rece­voir le Droit Canon de 1983. En contre­par­tie, le Vatican recon­nais­sait l’existence de la Fraternité, la spé­ci­fi­ci­té de son cha­risme, le droit de Mgr Lefebvre d’avoir un suc­ces­seur, la levée des cen­sures encou­rues par Mgr Lefebvre et ses prêtres ain­si qu’une amnis­tie géné­rale pour les mai­sons fon­dées irrégulièrement.

On se sou­vien­dra que devant le refus romain de déter­mi­ner la date du sacre épis­co­pal et la pré­sen­ta­tion par Mgr Bovone, secré­taire de la S.C. pour la Doctrine de la Foi, d’une lettre où Mgr Lefebvre devait recon­naître ses erreurs, ce der­nier dénon­ça sa signa­ture du pro­to­cole d’accord dès le len­de­main. L’avenir devait don­ner rai­son sur ce point à l’archevêque car la Fraternité Saint-​Pierre, béné­fi­ciaire de l’accord du 5 mai, ne devait jamais voir la cou­leur de l’évêque promis.

Sa recon­nais­sance juri­dique dans l’Eglise, sa dépen­dance de la com­mis­sion « Ecclesia Dei », l’obligation de dépendre des évêques conci­liaires pour les ordi­na­tions de ses sujets devaient conduire la Fraternité Saint-​Pierre à un bi-​ritualisme, de droit et de fait, et à l’acceptation des prin­ci­pales nou­veau­tés conciliaires.

La congrégation pour le Clergé : Le chèque en blanc

Rien ne bou­ge­ra dans les rela­tions entre Rome et la Fraternité jusqu’au pèle­ri­nage de la Tradition à Rome en août 2000. Les approches anté­rieures du pro­blème ayant échoué, il fal­lait innover.

D’où, l’approche, plus prag­ma­tique que doc­tri­nale, du car­di­nal colom­bien Castrillón-​Hoyos : il fal­lait arri­ver au plus vite à un accord pra­tique, sans s’arrêter aux dif­fé­rences doc­tri­nales. Pour dire les choses clai­re­ment, il s’agissait de signer au plus vite un chèque en blanc dont le mon­tant ne serait éta­bli que plus tard, sans doute trop tard (11).

Or, la Fraternité St-​Pie X, par la bouche de son Supérieur Général, remit les choses en place, en deux temps. D’abord, Mgr Fellay posa comme préa­lable l’assainissement du cli­mat dans l’Eglise en deman­dant au car­di­nal Castrillón-​Hoyos, le 21 jan­vier 2001, la liber­té de la litur­gie tra­di­tion­nelle dans l’Eglise pour tout prêtre de rite latin ain­si que la décla­ra­tion de nul­li­té des cen­sures frap­pant les évêques tra­di­tion­nels. Puis, dans une lettre du 22 juin 2001 adres­sée au même pré­lat, il devait rap­pe­ler la dimen­sion pro­pre­ment doc­tri­nale du com­bat en cours : deux tra­di­tions théo­lo­giques s’affrontent dans l’Eglise depuis le Concile et les nou­veau­tés (concile, messe, droit canon, caté­chisme) sont les fruits amers d’une nou­velle théo­lo­gie, déjà ample­ment condam­née du temps de Pie XII.

Les deux lettres res­tèrent long­temps sans réponse, mais cer­tains conti­nuèrent mal­gré tout à rêver de récon­ci­lia­tion. C’est le cas de Mgr Licinio Rangel et du cler­gé tra­di­tio­na­liste du dio­cèse bré­si­lien de Campos qui for­ma­li­sa un accord avec le car­di­nal Castrillón-Hoyos.

L’accord com­pre­nait une décla­ra­tion doc­tri­nale que Mgr Rangel signa au nom de tous, le 18 jan­vier 2002 :

« Je déclare, en union avec les prêtres de l’Administration Apostolique « Saint Jean-​Marie Vianney » de Campos, au Brésil, les poins suivants :

1. Nous recon­nais­sons le Saint-​Père, le pape Jean-​Paul II, avec tous ses pou­voirs et pré­ro­ga­tives, lui pro­met­tant obéis­sance filiale et offrant nos prières pour lui.

2. Nous recon­nais­sons le concile Vatican II comme l’un des conciles oecu­mé­niques de l’Eglise catho­lique, l’acceptant à la lumière de la sainte Tradition.

3. Nous recon­nais­sons la vali­di­té du Novus Ordo Missæ, pro­mul­gué par le pape Paul VI, chaque fois qu’il est célé­bré cor­rec­te­ment et avec l’intention d’offrir le véri­table sacri­fice de la sainte messe.

4. Nous nous enga­geons à appro­fon­dir toutes les ques­tions encore ouvertes, pre­nant en consi­dé­ra­tion le canon 212 du code de droit cano­nique et avec un sin­cère esprit d’humilité et de cha­ri­té fra­ter­nelle envers tous. »

On retrouve les points doc­tri­naux déjà spé­ci­fiés dans l’ensemble des pro­po­si­tions et accords anté­rieurs : recon­nais­sance du pape Jean-​Paul II ; recon­nais­sance du concile oecu­mé­nique Vatican II inter­pré­té à la lumière de la Tradition ; recon­nais­sance de la vali­di­té du Novus Ordo ; volon­té d’approfondir les ques­tions non réso­lues avec humi­li­té et charité.

Quant aux points pra­tiques, sont concé­dées : une struc­ture de type épis­co­pal à l’Association S. Jean-​Marie Vianney dans les strictes limites du dio­cèse de Campos et la pro­messe d’un suc­ces­seur pour Mgr Licinio Rangel. Le choix de cet évêque sera révé­la­teur, à lui seul, des inten­tions romaines en la matière, mais on peut augu­rer sans être pro­phète que tout sera mis en œuvre pour que le concile Vatican II et la nou­velle messe deviennent à terme la norme dans cette Association.

Le der­nier élé­ment connu des démarches en cours est la lettre de 15 pages que le car­di­nal Castrillón-​Hoyos adres­sait à Mgr Fellay le 5 avril 2002. Elle confirme, si besoin était, le carac­tère pra­tique de la solu­tion recherchée :

« J’ai cru que ces débats théo­lo­giques, certes impor­tants et non dépour­vus de dif­fi­cul­tés, pour­raient se dérou­ler au sein de l’Eglise, après avoir atteint la pleine com­mu­nion sub­stan­tielle qui, cepen­dant, n’exclut pas une saine critique. »

On ne peut s’empêcher de res­sen­tir un cer­tain malaise en consta­tant que la lettre de Mgr Fellay du 21 jan­vier 2001 n’est même pas men­tion­née dans l’historique des évè­ne­ments qui couvre le pre­mier quart de la mis­sive car­di­na­lice. Ce malaise aug­mente lorsqu’on s’aperçoit que l’étude remise aux auto­ri­tés sur Le pro­blème de la réforme litur­gique ne fait l’objet d’aucun com­men­taire. Or, comme nous l’avons remar­qué plus haut, il s’agit là de deux points clé de la posi­tion actuelle de la Fraternité, l’un au niveau pra­tique, l’autre au niveau spé­cu­la­tif. Alors, quand le car­di­nal Castrillón-​Hoyos écrit à Mgr Fellay que « la cri­tique requiert une com­pré­hen­sion de la pen­sée authen­tique d’autrui et doit se fon­der sur la vraie foi catho­lique », c’est le « medice, cura te ipsum (12) » de Notre Seigneur qui nous vient à l’esprit.

Pour le reste, ce long plai­doyer laisse clai­re­ment entre­voir qu’il ne sau­rait être ques­tion de mettre en cause, sur des points essen­tiels, ni le concile Vatican II : « … comme si la pro­messe du Seigneur n’était plus valide depuis le concile Vatican II », ni la Messe de Paul VI :

« Le secré­taire [de la Fraternité] s’exprima d’une façon extrê­me­ment dure à pro­pos du rite actuel de la sainte Messe auquel par­ti­cipent les fidèles unis au Vicaire du Christ et à leurs Evêques, affir­mant qu’un tel rite est « mau­vais ». » Nihil novi sub sole.

Leçons du passé, orientations pour l’avenir

Avant de conclure, qu’il nous soit per­mis de pré­sen­ter en un tableau synop­tique l’ensemble des pro­po­si­tions romaines faites à ce jour à la Fraternité Sacerdotale St-​Pie X.

A la lec­ture du tableau synop­tique (ci-​dessous), il appert clai­re­ment que si les pro­po­si­tions romaines cédèrent peu à peu sur la ques­tion dis­ci­pli­naire et cano­nique (exis­tence de la Fraternité, des sémi­naires, des prieu­rés, etc.), en revanche l’acceptation du Concile et de la Messe de Paul VI sont des préa­lables non négo­ciables, exi­gés par les auto­ri­tés actuelles dans l’Eglise. Rien d’étonnant à cela puisque ces deux points défi­nissent le carac­tère conci­liaire de ces auto­ri­tés ecclé­sias­tiques. Ôtez-​les et l’Eglise « conci­liaire » cesse d’exister !

Si au com­men­ce­ment de l’histoire de la Fraternité, Mgr Lefebvre pen­chait pour une solu­tion pra­tique et un modus viven­di concret, la pro­fon­deur de la crise et sa pro­lon­ga­tion dans le temps lui firent voir l’impossibilité d’un accord pra­tique, sans un fon­de­ment doc­tri­nal commun.

Certes, l’autorité conci­liaire depuis une quin­zaine d’années n’a ces­sé de vou­loir faire signer à Mgr Lefebvre et à ses suc­ces­seurs des for­mules doc­tri­nales por­tant sur le Concile et la nou­velle Messe.

Il est tou­te­fois évident que ces textes sont équi­voques dans la mesure où ils ne signi­fient pas la même chose des deux côtés. Ce qui favo­ri­se­rait néces­sai­re­ment la secte moder­niste qui s’est empa­ré des postes de com­mande dans l’Eglise.

Il semble donc indis­pen­sable de conti­nuer le com­bat doc­tri­nal contre les erreurs contem­po­raines : tels Mgr Lefebvre pré­sen­tant à Rome ses dubia sur la liber­té reli­gieuse (13) ou Mgr Fellay pré­sen­tant à Jean-​Paul II ses doutes sur la réforme litur­gique (14). Tout accord véri­table devra se faire sur la base de la doc­trine tra­di­tion­nelle, seule voie de salut. À l’inverse, il fau­dra reje­ter tout accord ten­dant à déter­mi­ner la dose de libé­ra­lisme et de moder­nisme que les défen­seurs de la Tradition seraient prêts à ava­ler pour être réin­té­grés dans le péri­mètre visible de l’Eglise officielle.

Lorsque qu’existera la com­mu­nion dans la pro­fes­sion de la doc­trine tra­di­tion­nelle, il n’y aura plus aucun dif­fé­rend à régler. Tant qu’un tel accord fera défaut, les for­mules pseu­do doc­tri­nales seront des accords de dupes et leur volet pra­tique une ten­ta­tive de plus pour que le petit reste, lui aus­si, lui enfin, sacri­fie à la révolution.

Abbé François Knittel

Source : Nouvelles de Chrétienté n° 76 de juillet-​août 2002

Notes de l’article

(1) Revue Dios nun­ca muere, n° 8, p. 4–7
(2) Le 5 avril der­nier, le car­di­nal Castrillón a adres­sé une réponse à la lettre de Mgr Fellay. Nous en dirons un mot.
(3) Paul VI, Discours du 30 juin 1972.
(4) Revue Dios nun­ca muere, n° 3, p. 13–21
(5) Il s’agit du texte qui com­mence par ces paroles : « Nous adhé­rons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catho­lique…» et pour­suit : « Nous refu­sons par contre et avons tou­jours refu­sé de suivre la Rome de ten­dance néo-​moderniste et néo-​protestante… »
(6) Dans leur sens obvie.
(7) Qu’on ne fasse rien sans l’évêque.
(8) Soumission reli­gieuse de l’intelligence et de la volonté.
(9) Figure du Droit Canon qui per­met, après la dis­pa­ri­tion d’un empê­che­ment, de don­ner vali­di­té à une action pas­sée, en la consi­dé­rant comme valide depuis le com­men­ce­ment par une fic­tion juridique.
(10) Indult Quattuor abhinc annos.
(11) Aux dires de Mgr Lefebvre, un autre pré­fet de la S.C. pour le Clergé, le car­di­nal Silvio Oddi, avait eu avec lui une atti­tude prag­ma­tique simi­laire : « On m’a conseillé une fois : « Signez, signez que vous accep­tez tout, et puis vous conti­nuez comme avant ! » – Non ! On ne joue pas avec sa foi ! » (Ils l’ont décou­ron­né, Fideliter, 1987, p. 230)
(12) Lc 4, 23.
(13) Dubia sur la Déclaration conci­liaire sur la liber­té reli­gieuse, pré­sen­tés à la S.C.R. pour la Doctrine de la Foi, par Mgr Marcel Lefebvre, en octobre 1985
(14) Etude théo­lo­gique et litur­gique Le pro­blème de la réforme litur­gique, pré­fa­cé par Mgr Fellay, le 2 février 2001.