A première vue, le Carême 2020 avait peu de chances de se distinguer de celui des années antérieures. Dès la Septuagésime, les prêtres avaient revêtu les ornements violets et le Gloria ne résonnait plus. L’heure était au choix d’une résolution simple, concrète et efficace pour suivre de plus près le divin Maître. Dès le Mercredi des Cendres, chacun avait commencé à courir pour remporter le prix et gagner la couronne impérissable (1 Cor 9, 24–25). Impavides, tous poursuivaient leurs efforts sous l’impulsion de la grâce divine.
En réalité, la divine Providence nous réservait cette année un Carême particulier.
La propagation d’une maladie à coronavirus et les mesures de confinement national qui ont suivi imposent à tous une quarantaine dont nul ne connait le terme à ce jour. Ce qui est sûr par contre, c’est que les conditions sont idéales pour que nous fassions tous une retraite ouverte. Ce type d’exercice, à l’inverse de la retraite fermée, n’exige en effet ni l’arrêt des occupations ordinaires, ni la réclusion dans lieu retiré, ni l’observance stricte du silence.
Les conditions sont idéales pour que nous fassions tous une retraite ouverte
Pour aborder l’exercice dans les meilleures conditions possibles, il convient au préalable de souligner une évidence, d’éclaircir quelques points et de signaler les opportunités à saisir.
Une évidence à souligner
Dieu manifeste sa volonté, soit de manière générale à tous les hommes, toujours et partout (par le Décalogue, entre autres), soit de manière particulière à chaque individu selon les circonstances concrètes de sa vie (par le devoir d’état).
Qu’est-ce que le devoir d’état ? C’est l’ensemble des obligations qui s’imposent à chacun en raison de sa condition, de son état de vie et des engagements qu’il a librement assumés.
Si Notre Seigneur a pu dire : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 4, 34), combien plus chaque chrétien doit-il s’attacher à faire cette volonté de Dieu qui lui est signifiée par son devoir d’état ? En effet, « ce ne sont pas ceux qui disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux, mais bien celui qui fait la volonté de mon Père… » (Mt 7, 21).
Certes, les circonstances extérieures dans lesquelles s’incarne le devoir d’état peuvent être bouleversées. Certes, l’adaptation à une situation nouvelle peut occasionner des tâtonnements et ne pas être immédiate. Ceci dit, remplir ses devoirs de chrétien, d’étudiant, d’employé, de parent, de prêtre ou de religieux reste la voie royale pour se sanctifier. Avec ou sans virus. Avec ou sans confinement.
Des points à éclaircir
Toute situation inédite pose logiquement des questions et suscite des doutes que beaucoup peinent à résoudre. Examinons ici trois questions d’actualité :
La sanctification du dimanche.
Si les églises restent en principe ouvertes, les offices qui peuvent s’y dérouler ne sont accessibles qu’à un maximum de vingt personnes, lesquelles —à moins d’habiter à proximité de l’église— n’ont pas le droit de s’y rendre.
Le précepte divin (« Tu sanctifieras le jour du Seigneur ») et le précepte apostolique (sanctifier le dimanche) sont toujours d’actualité. En revanche, le précepte ecclésiastique (assister à la messe dominicale) ne peut être accompli en raison d’un inconvénient grave.
Chaque chrétien reste tenu de sanctifier le dimanche, mais, en l’occurrence, il doit le faire autrement qu’en assistant à la messe.
Chaque chrétien reste tenu de sanctifier le dimanche, mais, en l’occurrence, il doit le faire autrement qu’en assistant à la messe. Les messes dominicales avec prédication accessibles sur Internet peuvent être un support utile pour entretenir la vertu de foi, garder une piété liturgique, s’unir au sacrifice rédempteur et se disposer à la communion spirituelle.
Les restrictions à la liberté de circuler.
Craignant de voir les services hospitaliers submergés par l’arrivée massive et cumulée sur quelques jours de patients en état grave, les autorités publiques ont choisi l’option du confinement pour tous.
Dans son principe et indépendamment des conséquences néfastes qu’elle risque d’induire à moyen et long terme, cette décision n’outrepasse pas les compétences de l’autorité publique. Si l’État ne saurait disposer licitement du corps et de la vie des citoyens, il lui appartient de mettre leur agir au service du bien commun. Au besoin par des préceptes, des lois et des ordonnances.
Parfois, l’autorité restreint la liberté de circuler. Nul n’a oublié le sort jadis réservé aux pestiférés et aux lépreux, dont le mal était aisément identifiable.
Parfois, l’autorité restreint la liberté de circuler. Nul n’a oublié le sort jadis réservé aux pestiférés et aux lépreux, dont le mal était aisément identifiable. Parfois, l’État restreint la liberté de résidence. Qui ne se souvient des 300.000 alsaciens évacués entre 1er et le 3 septembre 1939 ? Dans un cas comme dans l’autre, les sacrifices exigés des citoyens ne se justifient que s’ils sont conformes aux exigences du bien commun dont l’État est l’humble serviteur.
Le dilemme des personnels soignants.
La quantité réduite de respirateurs artificiels ne permet pas de traiter la totalité des patients en détresse respiratoire grave. Des choix s’imposent. Ce drame touche particulièrement le personnel médical, mais il inquiète confusément chacun d’entre nous en tant que malade potentiel.
En période normale, les autorités sanitaires veillent à ce que les besoins en matière de santé et les moyens disponibles pour les satisfaire soient proportionnés. En situation de catastrophe, les moyens disponibles ne suffisent plus pour répondre à l’augmentation massive des besoins. Il revient au personnel médical d’évaluer le meilleur usage à donner aux moyens disponibles pour soigner un maximum de patients.
A l’impossible, nul n’est tenu
Le corps médical reste certes au service de tous les malades, mais il ne peut lutter contre la maladie qu’avec les moyens dont il dispose. A l’impossible, nul n’est tenu. Pas même les soignants en situation de catastrophe.
DES OPPORTUNITÉS À SAISIR
Fidèle à son devoir d’état et éclairé sur les questions inédites, chacun doit saisir les opportunités que la quarantaine lui offre.
D’abord, lire.
Même confiné, chacun continue à accomplir ses tâches coutumières. Les leçons sont apprises et les devoirs scolaires rendus. Le travail à la maison voire au dehors se poursuit. Les tâches ménagères sont assurées.
Les restrictions imposées aux déplacements offrent toutefois un double bénéfice : plus de temps libre et moins de stress. Or, la lecture demande justement du calme et du temps.
Sachons en faire bon usage. Consacrons le temps qui nous est offert à des lectures sérieuses et formatrices. Combien de livres passionnants empilés sur nos étagères sans avoir jamais été ouverts !
Ensuite, prier.
Jésus-Christ y insiste : « Il faut toujours prier et ne jamais se lasser » (Lc 18, 1). Combien peu d’effets ont ces paroles sur nous, tant l’ascèse de la prière nous rebute ! Nous passons des heures à pianoter sur notre portable, mais nos prières du matin et du soir se réduisent souvent à trois Je vous salue Marie récités à toute vitesse !
Profiter du temps qui nous est offert
Alors, pourquoi ne pas profiter du temps qui nous est offert pour reprendre une vie de prière plus stable, plus nourrie et plus intense. Et puisque la famille est réunie par la force des choses en un même lieu, pourquoi ne pas reprendre, si nécessaire, le chapelet quotidien en famille ?
Enfin, resserrer les liens de la charité.
L’ordre de la charité nous commande d’aimer Dieu par-dessus tout et le prochain comme nous-même. Et ce prochain, ces jours-ci, c’est d’abord et surtout les membres de notre famille.
Si, habituellement, chacun vit un peu dans son monde, le moment n’est-il pas venu de resserrer les liens de la charité qui doivent unir tout de manière spéciale les membres d’une famille chrétienne ?
Abbé François Knittel, prêtre de la FSSPX
Sources : La Lettre de Saint Florent n° 268 de avril 2020 /La Porte Latine du 30 mars 2020
Voir aussi : Examen de conscience pour les fidèles confinés