Le pape et la papauté

Récemment toute l’Eglise atten­dait l’élection du nou­veau pape. L’attente était d’autant plus grande qu’elle était pré­cé­dée d’événements inat­ten­dus. En effet, c’est avant tout la démis­sion de Benoit XVI qui a pesé sur l’élection du pape François.

Au moment de son élec­tion le nou­veau pape était pour des mil­lions de catho­liques une per­sonne plu­tôt incon­nue. Son choix a sur­pris beau­coup de fidèles. Et les obser­va­teurs ont toute suite remar­qué les dif­fé­rences entre les per­son­na­li­tés de Benoit XVI et de François. Le nou­veau pape a déci­dem­ment éton­né son entou­rage pon­ti­fi­cal à plu­sieurs reprises. Il est cer­tai­ne­ment une per­sonne sus­ci­tant les émo­tions, un per­son­nage médiatique.

A peine commençait-​il à s’installer sur le Siège de Pierre que cer­tains l’ont déjà jugé. Nombreux sont ceux qui n’arrivaient pas à cal­mer leurs ten­dances aux conclu­sions hâtives, à la prise de parole sans une réflexion et une science suf­fi­santes. Chaque infor­ma­tion nou­velle venant de Rome et concer­nant le pape François sus­ci­tait immé­dia­te­ment les com­men­taires ou des ana­lyses cri­tiques. Est arri­vée aus­si la nou­velle concer­nant le dis­cours du pape et les com­men­ta­teurs de ser­vice l’ont déjà clas­sée comme étant conci­liaire, œcu­mé­nique voire syn­cré­tiste. Commençaient alors à appa­raître chez cer­tains la réti­cence et l’amertume aux­quelles se joi­gnaient rapi­de­ment des paroles tristes et hostiles.

Et ce n’est pas fini. Les esprits impré­gnés du per­son­na­lisme sou­vent n’arrivent plus à dis­tin­guer entre la per­sonne et la fonc­tion qu’elle exerce. De là vient toute une série de com­por­te­ments erro­nés. L’antipathie vis-​à-​vis la per­sonne exer­çant une fonc­tion dimi­nue le res­pect dû à la fonc­tion même. Or les catho­liques ne peuvent nier la fonc­tion pon­ti­fi­cale, pour­tant nous savons que cer­tains pra­tiquent leur foi tout sim­ple­ment comme si le Siège Apostolique n’existait pas, ou comme s’ils n’en avaient pas besoin. L’exemple le plus radi­cal d’une telle pen­sée c’est le sédé­va­can­tisme.

Beaucoup oublient que le catho­li­cisme est de par sa nature romain et papal. Et je n’entends pas ici uni­que­ment le catho­li­cisme des latins, c’est à dire des fidèles du rite latin. Car éga­le­ment le catho­li­cisme des fidèles de rites orien­taux, y com­pris des uniates (gréco-​catholiques) est romain. C’est que la roma­ni­té s’exprime avant tout dans la conscience, dans la manière de pen­ser, de réagir. En effet, il n’est pas stric­te­ment néces­saire d’utiliser la langue latine dans la litur­gie pour réflé­chir d’une manière romaine, même si cette pen­sée romaine devien­drait cer­tai­ne­ment impos­sible si l’Eglise d’Occident ces­sait de célé­brer la messe et les sacre­ments en latin, ces­sait de prier le bré­viaire en latin. Si le fleuve devient sec à la source, son estuaire sera éga­le­ment sec.

La roma­ni­té c’est avant tout l’amour de l’Eglise qui est per­son­ni­fiée sur cette terre par la per­sonne du pape. La roma­ni­té c’est l’ultramontanisme qui peut se résu­mer par la per­cep­tion du monde à tra­vers « les lunettes romaines » ; un regard sur le monde depuis la ville de Rome, et plus pré­ci­sé­ment depuis la basi­lique saint Pierre. Louis Veuillot est un excellent exemple de cette atti­tude ultra­mon­taine dont l’dévouement au pape confon­dait plus d’un évêque libé­ral en France. Suivre son exemple c’est non seule­ment retrou­ver la chris­tia­ni­tas, la civi­li­sa­tion chré­tienne, mais éga­le­ment la roma­ni­tas, la civi­li­sa­tion latine et romaine, la plus belle incar­na­tion de cette civi­li­sa­tion chré­tienne générale.

Alors plus on nous accuse de ne pas recon­naître le pape, de déso­béir au pape, de ne pas aimer le pape, plus nous devons témoi­gner de notre roma­ni­té, roma­ni­tas, c’est-à-dire de notre atta­che­ment au pape. Nous recon­nais­sons le pape dans l’Eglise, tout comme les enfants recon­naissent leur père dans la famille ; ce père peut avoir des hauts et des bas, des qua­li­tés mais aus­si des véri­tables défauts, il peut rem­por­ter des vic­toires mais aus­si cau­ser des défaites. Mais indé­pen­dam­ment de toutes ces varia­tions, ce père reste immua­ble­ment père.

La fonc­tion du pape dans l’Eglise et celle du père dans la famille ont des nom­breuses carac­té­ris­tiques en com­mun. Elles sont nobles toutes les deux et trouvent leurs fon­de­ments en Dieu Lui même. Le pape est notre père et toute pater­ni­té sur la terre est un écho de la pater­ni­té du Père céleste. La pater­ni­té c’est aus­si la par­ti­ci­pa­tion aux attri­buts divins : la pro­vi­dence, la jus­tice, le gou­ver­ne­ment. La pater­ni­té signi­fie aus­si le com­men­ce­ment, l’édification, le gou­ver­ne­ment et la défense. La pater­ni­té est donc l’une des images les plus signi­fi­ca­tives de Dieu, l’une de de ses ressemblances.

Certes, le péché ori­gi­nel fait que ces belles images de Dieu sont sus­cep­tibles de cor­rup­tion, de défor­ma­tion dans les âmes, mais cela n’empêche pas ces images d’exister. Il y a des pères qui contre­disent le sublime idéal de la pater­ni­té ; il y en a beau­coup plus qui sont des exemples vivants incar­nant l’idéal en ques­tion. Grâce à eux on com­prend mieux ce que cela signi­fie que Dieu est Père, ce que cela veut dire que le pape est père. Et cette digni­té pater­nelle demeu­re­ra tou­jours la même de sorte que toute per­sonne ayant été inves­tie sur la terre de cette digni­té peut retour­ner à l’idéal de la pater­ni­té tel que l’on ren­contre en Dieu.

La pater­ni­té est encore sem­blable à une belle œuvre de musique. L’œuvre en elle-​même est admi­rable, mais si le musi­cien la joue négli­gem­ment, les notes pour­ront son­ner faux. Cela ne rend pas cette œuvre cri­ti­quable pour autant, encore moins son com­po­si­teur. Plutôt que de cri­ti­quer l’œuvre et son com­po­si­teur il faut poin­ter les fautes de musi­cien et indi­quer les moyens de jouer une musique rigou­reu­se­ment fidèle à la partition.

Que de belles paroles Mgr Marcel Lefebvre a pro­non­cé sur la Rome catho­lique. Dans sa décla­ra­tion de 21 novembre 1974 nous lisons :

« Nous adhé­rons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catho­lique, gar­dienne de la foi catho­lique et des tra­di­tions néces­saires au main­tien de cette foi, à la Rome éter­nelle, maî­tresse de sagesse et de vérité. »

L’œuvre de défense de la Tradition catho­lique par Monseigneur a été pré­ci­sé­ment mar­quée par la défense du Siège Apostolique et de la papau­té. Plus par­ti­cu­liè­re­ment son refus de la col­lé­gia­li­té était une consé­quence de son amour pour la papau­té. Catholiques que nous sommes, fidèles de la Tradition, nous devrions nous en sen­tir obligés.

De même que le père de famille peut chan­ce­ler par­fois dans sa tâche, de même à Rome peut se mani­fes­ter la ten­dance néo-​moderniste et néo-​protestante. Et mal­heu­reu­se­ment c’est ce qui est arri­vé à l’époque du der­nier concile. Que faire lorsque le père com­pro­met sa tâche, la déna­ture, s’y montre infi­dèle ? Que doivent faire les enfants lorsqu’ils voient que leur père a été pris dans les tenailles d’une mau­vaise com­pa­gnie et com­met des erreurs ? Ces enfants luttent pour lui, prient pour lui, se sacri­fient pour lui. Ils font tout leur pos­sible pour le sau­ver. Ils doivent dire non à ses erreurs, mais conti­nuent de dire oui à sa per­sonne. Et si ce père ne par­vient pas à les écou­ter, ces enfants l’entourent encore davan­tage de leurs prières et sacri­fices, met­tant leur confiance en Dieu pou­vant faire retrou­ver à leur père le droit chemin.

Dans le cas du pape et de la papau­té nous avons affaire non pas à une fonc­tion natu­relle mais sur­na­tu­relle. Et puisqu’elle est sur­na­tu­relle elle est infi­ni­ment plus haute, plus digne de véné­ra­tion que ce qui est sim­ple­ment natu­rel. Dans l’Eglise catho­lique nous devons res­pec­ter l’ordre qui s’appuie non pas sur la per­fec­tion morale des per­sonnes indi­vi­duelles, comme c’est le cas des anges, mais qui est éta­bli d’après une divi­sion objec­tive du pou­voir dont le foyer se trouve dans la fonc­tion du Souverain Pontife

« Tu dois savoir, écri­vait saint Bernard de Clairvaux au pape Eugène III, que tu est appe­lé sou­ve­rain non pas à cause de la plé­ni­tude de la per­fec­tion mais par com­pa­rai­son par rap­port aux grands de ce monde. Ne pense pas que je com­pare les mérites, je com­pare les fonc­tions. Que cha­cun voit en toi le ser­vi­teur du Christ, et le plus haut par­mi les ser­vi­teurs, quoique cela, comme je viens de le dire, ne sti­pule pas la sain­te­té de quiconque ».

Nous devons redé­cou­vrir à nou­veau la fonc­tion pon­ti­fi­cale. Nous devons prendre de nou­veau conscience que le pape jouit sur la terre d’un pou­voir suprême auquel ses éven­tuels vices ne changent rien. Les saints ont par­fai­te­ment lié l’amour pour les papes avec la conscience qu’un pape n’est pas for­cé­ment un ange, qu’un pape peut même par­fois mener une vie scan­da­leuse. (Il est vrai cepen­dant que jamais un pape n’a répan­du des erreurs par­mi les fidèles !) Et en com­pa­rai­son avec les monarques laïcs, et plus encore avec les fonc­tion­naires répu­bli­cains ou d’autres « repré­sen­tants du peuples », la longue suite des papes paraît comme un cor­tège presque angélique.

Voici com­ment sainte Catherine de Sienne écri­vait au pape Urbain VI, trou­blée qu’elle était de ses sou­cis pontificales :

« Ô très Saint-​Père, soyez patient quand on vous dit ces choses, parce qu’elles ne sont dites que pour l’honneur de Dieu et votre salut, comme doit le faire le fils qui aime ten­dre­ment son père : il ne peut souf­frir qu’on fasse une chose qui serait un tort ou une honte pour son père, et il veille tou­jours avec zèle, parce qu’il sait qu’un père qui gou­verne une grande famille ne peut voir plus qu’un homme, et qu’alors, si ses enfants légi­times ne veillaient point à son hon­neur et à ses inté­rêts, il serait bien sou­vent trom­pé. Il en est ain­si pour vous, très Saint-​Père : vous êtes le père et le sei­gneur de toute la chré­tien­té. Nous sommes tous sous les ailes de Votre Sainteté. Votre auto­ri­té s’étend à tout ; mais votre vue est bor­née comme celle de l’homme, et c’est une néces­si­té que vos enfants voient et fassent, dans la sin­cé­ri­té de leur cœur et sans aucune crainte ser­vile, tout ce qui est utile à l’honneur de Dieu, au vôtre, et au salut des bre­bis qui sont sous votre houlette. »

La digni­té excep­tion­nelle de la fonc­tion papale est très bien expri­mée par les appel­la­tions sui­vantes : Vicarius Christi in ter­ra, Suprema juris­dic­tio, Suprema potes­tas. Dans une seule per­sonne se retrouve un triple pou­voir : celui du prêtre, celui de maître, celui du roi, c’est-à-dire le pou­voir de sanc­ti­fier, d’enseigner et de gou­ver­ner. Le sym­bole en est la tiare dont les trois cou­ronnes expriment éga­le­ment le pou­voir don­né par Dieu au pape sur le ciel, la terre et le pur­ga­toire. Aujourd’hui les papes ne portent plus la tiare, ils l’ont même sup­pri­mé de leurs propres bla­sons. Elle demeure encore, heu­reu­se­ment, sur les bla­sons du Saint Siège et de l’Etat du Vatican. Ces deux bla­sons dif­fèrent par la dis­po­si­tion des clefs de saint Pierre. Ces jus­te­ment avec ces clefs, c’est-à-dire le pou­voir reçu de Dieu, que le pape peut, comme saint Pierre autre­fois, ouvrir ou fer­mer des nom­breuses portes au ciel, sur la terre et au purgatoire.

Vénérer la papau­té c’est véné­rer saint Pierre l’Apôtre, car le Siège Apostolique est le Siège de Pierre. Et tous les papes sont véri­ta­ble­ment des suc­ces­seurs de Pierre. Cet apôtre nous le connais­sons bien par les pages de l’Evangile. Nous connais­sons éga­le­ment ses fai­blesses, mal­gré les­quelles Notre-​Seigneur l’a fait Son vicaire sur la terre. Si donc saint Pierre est pas­sé par les doutes et les défaites, ne nous éton­nons pas que des situa­tions sem­blables ont pu se pro­duire par­mi ses suc­ces­seurs sur la chaire de Pierre à Rome.

Une crise dans l’Eglise est tou­jours une crise de la papau­té. Des crises, il y en a eu au cours de l’histoire bimil­lé­naire de l’Eglise, quoique celle qui a tou­ché l’Eglise au moment du der­nier concile et qui per­dure dans cette phase post­con­ci­liaire est la plus désas­treuse. Est-​ce pour autant que doit dimi­nuer notre amour pour l’Eglise et le Siège Apostolique ? Malgré sa ter­rible ago­nie nous ne ces­se­rons pas d’aimer l’Eglise, au contraire, nous l’aimerons encore davan­tage mal­gré ses souf­frances et ses nom­breuses blessures.

Je connais des familles dont les membres pleurent, car leur père a per­du la foi, est deve­nu bri­sé, alcoo­lique, a com­mis des graves erreurs, a mis sa famille dans une situa­tion très dif­fi­cile. Comment un prêtre récon­forte une telle famille ? Il encou­rage à prier pour un tel père, pour sa conver­sion, pour sa repen­tance. Le prêtre rap­pelle des exemples tirés de l’histoire de l’Eglise, des conver­sions mira­cu­leuses obte­nues par la prière et les sacri­fices des enfants, de l’épouse, des proches parents. Et sur­tout il demande à ce que la famille ne méprise jamais son père mais prie davan­tage pour lui.

A‑t-​on déjà vu une bonne famille aban­don­ner son père parce qu’il est tom­bé malade ? Et com­bien même il serait lui-​même la cause de sa mala­die, cela ne change rien au fait qu’il faut gar­der un tel malade, conti­nuer à le soi­gner. D’autre part le bien de la famille exige une per­cep­tion réa­liste des choses. On ne peut pas se voi­ler la face, ne pas tirer les consé­quences qui s’imposent. En effet, le res­pect et l’amour d’un père malade ne consistent pas à nier l’existence de sa mala­die, à affir­mer que tout va bien dans le meilleur des mondes.

Il est facile de faire une ana­lo­gie entre la situa­tion de telles familles et l’état de la crise actuelle dans l’Eglise, dans la papau­té. Un poi­son mor­tel empoi­sonne depuis cin­quante ans la doc­trine, la litur­gie, le sacer­doce, les fidèles de l’Eglise. Ce poi­son néo-​moderniste, néo-​protestant, pro­gres­siste et libé­ral touche tout le monde ; l’Eglise entière en est tou­chée depuis le plus petit de ses membres jusqu’au plus grand, jusqu’au Saint-​Père à Rome. Mais cela reste notre Eglise, notre père. Nous n’avons pas d’autre Eglise ou d’autre père dans ce monde ! Plus nous voyons que le Saint-​Père se tait face à la crise dans l’Eglise, voire l’aggrave par son propre com­por­te­ment, plus il nous faut agir, dans la mesure de nos capa­ci­tés, pour sau­ver la famille qu’est l’Eglise. Et on ne peut pas sau­ver une famille sans son père. Quelles sont donc les pos­si­bi­li­tés ? Sommes nous un concile œcu­mé­nique ? Sommes nous la Providence Divine ? Non, mais le Bon Dieu peut rendre effi­caces nos désir de secou­rir le Saint-Père.

Alors ins­cri­vons sur les ban­nières de notre vie catho­lique c’est mots d’ordre : Amour de la papau­té, Défense de la papau­té, Sacrifice, s’il faut, de sa vie pour l’Eglise, et donc avant tout pour la papau­té. Le renou­veau que nous atten­dons ne peut venir que par la réforme de la tête. Mais si nous ne savons même plus com­ment elle est cette tête, com­ment peut on la sou­te­nir ? Si nous avons le dégoût de l’institution même de la papau­té, com­ment peut-​on deve­nir ses défen­seurs ? Comment contri­buer à sa gué­ri­son ? Comment le fils peut-​il aider à gué­rir son père s’il éprouve de l’aversion pour lui et l’a déjà chas­sé de son cœur ? Bien que nous soyons, en tant que fidèles à la Tradition catho­lique, stig­ma­ti­sés par les hommes d’Eglise, par la hié­rar­chie, nous devons cepen­dant conti­nuer à lut­ter spi­ri­tuel­le­ment, par les sacri­fices, pour l’Eglise et pour le pape. Car le moyen par lequel nous pou­vons réa­li­ser au mieux notre devoir par rap­port à l’Eglise ce sont la prière et la pénitence.

Sainte Catherine de Sienne, en appre­nant l’amplification de la crise de l’Eglise et de la papau­té s’écriait : « Malheur à moi, oh mon âme mal­heu­reuse, source de tout mal ! » C’est en effet dans les péchés qu’elle voyait la source des mal­heurs acca­blants l’Eglise. Cette atti­tude nous apprend où devons nous cher­cher des vraies sti­mu­la­tions pour notre apos­to­lat. Tout d’abord la puri­fi­ca­tion de nos âmes, la pure­té de nos inten­tions, la vie habi­tuelle dans l’état de la grâce sanc­ti­fiante, voi­là des choses qui peuvent réel­le­ment contri­buer à la conso­li­da­tion de toute l’Eglise, qui peuvent aider le pape à accom­plir ses devoirs.

Ne croyez-​vous pas que le com­bat de Saint-​Père contre le mal lui sera d’autant plus facile que nous serons plus avan­cés dans la sain­te­té ? Et si la lutte ne lui sera cer­tai­ne­ment pas épar­gnée, ne pensez-​vous pas qu’il dépend de nous de l’accompagner dans cette bataille ou de l’abandonner dans la soli­tude ? C’est pour­quoi je vous le demande : priez pour le Saint-Père !

Mgr Lefebvre disait un jour :

« Loin de nous de dou­ter si nous devons prier à l’intention du pape. Au contraire, nous dou­ble­rons plu­tôt nos prières et nos sup­pli­ca­tions afin que le Saint Esprit veuille lui don­ner la lumière et la force néces­saires pour main­te­nir et défendre la foi ».

Plus les choses vont mal à Rome, plus nous devons prier indi­vi­duel­le­ment et en com­mu­nau­té dans nos cha­pelles et nos églises.

Je sou­li­gne­rais de nou­veau que le pou­voir papal est un pou­voir sur­na­tu­rel, or au niveau sur­na­tu­rel tout com­mence par la prière, tout dépend de la prière. C’est pour­quoi veillons sur nos pen­sées, ne nous arrê­tons pas uni­que­ment sur les images, sur les paroles exté­rieures. Si à cause des faits objec­tifs, des faits graves contre la doc­trine catho­lique immuable venant du plus haut point de l’Eglise, tels l’œcuménisme ou la col­lé­gia­li­té, si à cause de ces faits nous sommes obli­gés de s’opposer au pape, que cette atti­tude nous rem­plisse de dou­leur. Et mal­gré cette oppo­si­tion néces­saire gar­dons à l’égard de la hié­rar­chie ecclé­sias­tique le res­pect du à sa dignité.

Notre-​Seigneur nous a appris que si nous devons déso­béir à nos supé­rieurs, nous devons cepen­dant res­pec­ter la digni­té qui leur a été confé­rée par le Bon Dieu (cf. Mt 23, 2–3). C’est pour­quoi en sui­vant l’exemple de saint Augustin, de saint Maximilien Kolbe gar­dons cette règle d’or : haïs­sons le péché, aimons celui qui erre.

En ce qui concerne notre pro­chain, gar­dons un esprit sin­cè­re­ment chré­tien, carac­té­ri­sé par le réa­lisme et l’objectivité. Ces deux carac­té­ris­tiques cor­res­pondent au com­man­de­ment de Notre-​Seigneur : Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés (Lc 6, 37). Alors ne jugeons pas les inten­tions humaines, celles-​ci Dieu seul les connaît. Par contre nous pou­vons nous pro­non­cer sur les actes exté­rieures selon qu’il est écrit : Vous les recon­nai­trez à leurs fruits (Mt 7, 16).

Les actes humains doivent être pru­dents, par consé­quent jugés, y com­pris les actes d’un père. Il nous faut refu­ser d’obéir aux ordres mau­vais, mais ce refus il faut aus­si l’accomplir de manière à ce que l’on puisse voir clai­re­ment que notre inten­tion n’est pas de dédai­gner le père ; que notre inten­tion est seule­ment de rem­plir notre devoir d’obéissance supé­rieure envers Dieu Lui même ; que notre inten­tion est de répa­rer les abus de pou­voir com­mis par Son vicaire sur la terre. Ainsi cette atti­tude res­te­ra bien­veillante quoique expri­mée sous une forme de refus.

Dire non au pou­voir ne fait pas de vous auto­ma­ti­que­ment un révo­lu­tion­naire. Lorsque Paul VI aban­don­nait l’insigne de sa digni­té sur­na­tu­relle, la tiare, des nom­breux catho­liques s’y sont oppo­sés inté­rieu­re­ment, la mort dans l’âme. Il arrive par­fois qu’un roi va jusqu’à rejoindre la révo­lu­tion ; cer­tains de ses sujets défendent alors sa cou­ronne aban­don­née afin de la lui rendre le jour où il se repen­ti­ra. Et puis la bien­veillance vis-​à-​vis d’un père errant c’est une ver­tu véri­table, qui por­te­ra cer­tai­ne­ment des fruits doux, même s’il fau­dra les attendre. A contra­rio, les condam­na­tions amères amé­liorent rare­ment la situation.

Si donc il nous arri­ve­ra de refu­ser l’obéissance, et nul ne peut exclure qu’il ne devra le faire un jour pour défendre la foi, posons alors cet acte de refus d’un cœur endo­lo­ri, d’une âme triste et déchi­rée. Que nos cœurs se nour­rissent alors de l’amour sur­na­tu­rel envers le père qui s’éloigne de l’essentiel de sa voca­tion pater­nelle. Et si notre oppo­si­tion devra être publique, ne ména­geons pas nos larmes, car après tout il s’agit de notre père.

C’est dans une telle situa­tion que s’est trou­vé saint Paul lorsqu’il a dû dire non à saint Pierre. Dans l’épitre aux Galates nous lisons : « Mais lorsque Céphas vint à Antioche, je lui résis­tai en face, parce qu’il était digne de blâme. » (Gal 2, 22). Oui, à ce moment là Céphas était digne de blâme, mais cepen­dant il res­ta digne d’amour. Et saint Paul lui a mon­tré les deux, en le repre­nant avec l’amour que l’on doit envers un père.

Une telle atti­tude est une tâche extrê­me­ment déli­cate, d’autant plus qu’elle est contraire à notre nature bles­sée. Cependant nous avons l’Immaculée à notre aide ; tour­nons nous vers elle en deman­dant les forces néces­saires. A Fatima elle nous a don­né l’exemple de l’amour du pape et de la papau­té. Hyacinthe, ayant reçu de Marie la vision du pape, la racon­tait vive­ment à François et à Lucie :

« J’ai vu le Saint-​Père dans une très grande mai­son. Il était age­nouillé auprès d’une table, son visage caché dans ses mains et il pleu­rait. Dehors il y avait beau­coup de per­sonnes qui lui jetaient des pierres, d’autres criaient et disaient des gros­siè­re­tés. Pauvre Saint-​Père, nous devons beau­coup prier pour lui ».

Nous répé­tons aujourd’hui au pape François la demande concer­nant la Tradition catho­lique que Mgr Lefebvre for­mu­lait autre­fois au pape Jean-​Paul II :

« Très Saint Père, pour l’honneur de Jésus-​Christ, pour le bien de l’Eglise, pour le salut des âmes, nous vous conju­rons de dire un seul mot, une seule parole, comme Successeur de Pierre, comme Pasteur de l’Eglise uni­ver­selle, aux Evêques du monde entier : „Laissez faire » ; „Nous auto­ri­sons le libre exer­cice de ce que la Tradition mul­ti­sé­cu­laire a uti­li­sé pour la sanc­ti­fi­ca­tion des âmes » ».

Enfin, nous ne pou­vons oublier que mal­gré les erreurs de son vicaire visible, tem­po­rel, c’est tou­jours Jésus-​Christ qui conti­nue à gou­ver­ner l’Eglise. Et c’est Lui qui a la puis­sance et la force pour vaincre l’ennemi des âmes. Tournons nous donc vers Lui et Sa Mère Immaculée, en demeu­rant dans la prière et la péni­tence à l’intention du Souverain Pontife. Répétons nous sou­vent, en les para­phra­sant, ces paroles de saint Ambroise adres­sées à sainte Monique pleu­rant le sort de son fils Augustin encore incroyant : « Le père de tant de larmes ne peut pas ne pas retour­ner à la Tradition catho­lique et apos­to­lique ».

Que sur­tout dans ces temps par­ti­cu­liè­re­ment trou­blées par la gra­vi­té de la crise de la papau­té nous accom­pagne cette belle prière tirée des Litanies de tous les saints : « Dieu tout-​puissant et éter­nel, ayez pitié de votre ser­vi­teur, notre pon­tife François, et dirigez-​le, par votre bon­té, dans la voie du salut éter­nel ; afin que, par votre grâce, il désire ce qui vous plaît, et l’accomplisse de toutes ses forces. »

Abbé Karl Stehlin, supé­rieur de la Maison auto­nome des Pays de l’Est

Sources : Site de la Maison auto­nome des Pays de l’Est/​Traduction pour La Porte Latine de Adalbert