Depuis le document Nostra Aetate du Concile Vatican II, les autorités de l’Église ont engagé ce qu’elles-mêmes ont qualifié de dialogue interreligieux. Ce dialogue doit se distinguer du mouvement œcuménique qui fait communiquer les catholiques et tous les autres chrétiens. Il arrive que les rencontres combinent les deux aspects, comme à Assise en 1986, 2002 et 2011. La Fraternité Saint Pie X, à la suite de son fondateur, s’est toujours opposée à ces initiatives, et elle continue à le faire.
Le voyage récent du pape en Irak, en particulier sur le site d’Ur, a donné l’occasion à une énième manifestation de ce genre. Le site d’Ur a une signification particulière car il est le lieu d’origine d’Abraham, alors que ce personnage semble avoir la faveur des chrétiens, des juifs et des musulmans. C’était donc du point de vue du dialogue un lieu symbolique fort, mais hélas pour les organisateurs les juifs brillèrent par leur absence.
Pour nous l’ambiguïté qui entoure le personnage d’Abraham va être l’occasion de dénoncer les méthodes intellectuelles et les finalités du dialogue dans leur ensemble. On soulignera, dans le cas spécifique du dialogue avec l’Islam, le même détournement opéré avec la Vierge Marie.
Une méthode habituelle, la défiguration
Le personnage d’Abraham (Ibrahim en arabe) peut très bien servir de base à un échange intellectuel entre des catholiques et des musulmans. Ces derniers reconnaissent que le Créateur a parlé à cet homme. Nous sommes, comme catholiques, convaincus de la place importante de cette figure du monde d’antan et volontiers nous reconnaissons sa très grande vertu, en particulier sa vertu de foi. Qu’on se rappelle à cet égard ce que nous enseigne, le grand saint Paul : « Et si vous êtes au Christ, vous êtes donc » descendance » d’Abraham » (Gal, 3, 29). Abraham a donc seul ce privilège de porter le titre de père des croyants, tous ceux qui croient au vrai Dieu après lui sont de sa descendance.
Ce terme est en lui-même l’objet d’une méprise. Dans une tribune collective des partisans d’un Islam des Lumières nous pouvions lire dans le Figaro du 9 mars dernier : « “Nous sommes tous des enfants d’Abraham”, le message clef de ce voyage rappelle que musulmans, chrétiens et juifs ont en commun bien plus que ce qui les distingue. » Or derrière cette formule il faut voir une erreur assez grossière, parce que le motif qui font que les juifs et les musulmans considèrent Abraham comme leur père est très différent du motif chrétien. Le fondement de la filiation chrétienne s’appuie certes sur une descendance charnelle du Christ par rapport à Abraham. Jésus, le Seigneur, est fils d’Abraham selon la chair, mais il est plus qu’Abraham. Il le dit clairement aux juifs de son temps qui se revendiquent du patriarche alors qu’ils le refusent comme Christ. Abraham attendait le jour de Dieu, la venue du Messie : « Abraham votre père, a tressailli de joie de ce qu’il devait voir mon jour ; il l’a vu, et il s’est réjoui. » (Je 8, 56)
Juifs et musulmans se réclament pourtant descendants d’Abraham, les uns par Isaac, les autres par Ismaël. D’Ismaël est venue l’héritage religieux du monothéisme que Mohammed restaurera. C’est ainsi que l’Islam en sa dimension arabe prétend trouver une légitimité face à la grande lignée hébraïque des prophètes du vrai Dieu. Les musulmans prétendent ainsi qu’Abraham a reçu l’ordre de sacrifier Ismaël (quoique le texte coranique ne précise pas le nom du fils à sacrifier) et fêtent cet événement le jour de l’Aïd-el-Kébir. Quant aux Juifs, Abraham est véritablement le père charnel et spirituel de la nation juive. Les uns et les autres lient cette filiation/ascendance à l’intégrité religieuse, alors que les chrétiens dissocient depuis l’avènement du Christ la relation spirituelle à Abraham d’avec la relation charnelle : « le fils de la servante naquit selon la chair, et celui de la femme libre en vertu de la promesse » (Ga 4, 23).
Ainsi cette paternité est triple, et donc contradictoire. Si les chrétiens reconnaissent avec les juifs Isaac comme le fils de la promesse, la descendance principale est bien Celui en qui toutes les nations de la terre seront bénies et c’est Jésus-Christ. Par contre, les musulmans détournent la Révélation en inventant un autre récit fondé sur une réappropriation de la figure d’Abraham pour faire de l’Islam une religion qui a toujours existé, une forme de judaïsme arabe en somme.
La même méthode de défiguration est aussi utilisée pour la Vierge Marie dans le cas du dialogue avec l’Islam qui la reconnaît expressément comme figure religieuse d’importance, la figure de la Vierge ne pouvant évidemment pas fonder en quelque manière une base commune avec les juifs qui ne la reconnaissent pas.
Ensemble avec Marie
Depuis quelques années, des catholiques ont entrepris un rapprochement avec les musulmans autour de la figure de Marie. Le groupe Ensemble avec Marie existe dans ce but. Mais pour arriver à cela, il faut gommer ou taire l’équivocité des noms et des personnes qui se trouvent dans le Nouveau Testament et le Coran. D’un côté, il y a une femme, dont la Tradition catholique dit que ses parents sont Anne et Joachim, qui est mère de Jésus (Yashoua) et de l’autre, il y a une femme qui est fille d’Imran (en hébreu Amran) et mère d’Issa. Quoiqu’il en soit de l’obscurité des textes, les musulmans font de Marie une héritière du clan sacerdotal juif, et est dite sœur d’Aaron. Cette dernière précision montre toute la confusion dont est grosse la tradition coranique car de fait la sœur de Moïse et d’Aaron s’appelle Myriam, le nom sémite de Marie.
Le Issa coranique est celui que les musulmans appellent le Messie. Mais il faut bien comprendre que le Issa du Coran ne peut être le fils de Dieu et que Marie, vantée pour sa piété, n’est pas la même que celle du christianisme. Car si Jésus est Dieu, le statut de la Vierge est d’une dignité sans commune mesure avec toute autre mère de prophète ou même avec n’importe quel prophète. Ce n’est un secret pour personne que dans l’Islam la personne la plus importante de l’histoire des hommes est Mohammed, ce qui a pour conséquence de ravaler la Vierge Marie a un rôle bien moins important, et c’est peu de le dire, que celui qu’elle a en réalité.
La première vertu d’un dialogue de cette importance est d’enlever les doutes, de clarifier les concepts, en un mot de manifester la vérité. Et c’est ce qui fait gravement défaut au dialogue interreligieux, il reste volontairement dans le vague pour permettre d’atteindre à un but. Comme ce ne peut être la vérité, il nous faut découvrir quel est il.
La paix sans l’amour de la charité, une fraternité dans l’aveuglement
Le discours du pape à Ur repose sur la trame de la confusion permanente. Il fait croire que les musulmans, les juifs et les chrétiens ont la même foi, et que la distinction entre eux ne serait que culturelle, ainsi qu’elle peut exister entre catholiques latins et orientaux. Alors certes, il y a une volonté de parler d’un amour fraternel qui devrait découler d’un même esprit d’adoration, mais cela reste un mirage. Le pape peut charger l’État Islamique de toutes les fautes, il peut dénoncer autant qu’il veut l’amour immodéré de l’argent et la consommation folle de notre époque – en un sens il a raison – son idéal de fraternité universelle grâce à une vague foi en Dieu est complètement illusoire. Qui adore le vrai Dieu, adore le Christ, qui adore le vrai Dieu, vénère Marie Mère de Dieu, qui adore le vrai Dieu a recours aux sacrements de l’Église qui prodigue ainsi les remèdes que son Maître lui a laissé pour guérir les âmes blessées des hommes.
On peut lire dans la prière des enfants d’Abraham prononcée par le pape à Ur ce passage : « Ouvre nous cœurs au pardon réciproque et fais de nous des instruments de réconciliation, des bâtisseurs d’une société plus juste et plus fraternelle ». En définitive, ce qu’on peut reprocher à toutes ces tentatives, c’est de faire d’une paix terrestre le but ultime de l’action religieuse. Les erreurs religieuses ne sont plus dénoncées, car dans cette perspective elles n’ont pas de consistance. La faute c’est de ne pas aimer son prochain sur cette terre, ou autrement dit de le priver d’une vie juste et digne. On peut d’ailleurs se demander ce qu’est une vie juste et digne quand la vérité est absente. L’imprécision des termes permet de jeter de la poudre aux yeux en affichant une volonté d’universalisme fondée sur une ambiguïté entretenue.
Et c’est le même défaut qu’on lit sous la plume d’Ensemble avec Marie : « Nous sommes tous appelés à promouvoir une société plus fraternelle, riche de la diversité des cultures et des religions, dans le cadre d’une laïcité ouverte et dynamique, respectueuse de la liberté de culte et du droit à la différence. » Il est difficile d’écrire des lignes plus naïvement sophistiques. D’une part parce qu’elle méconnaît la réalité d’une société dont les composantes s’ignorent de plus en plus, de cultures qui ne se comprennent pas parce qu’elles ont une vision religieuse incompatible, cultures auxquelles se surajoutent des pans entiers de la population résolument indifférentes à la religion quand elles n’y sont pas hostiles. Qu’à cela ne tienne, Marie modèle de foi va nous rapprocher en nous aidant à devenir de meilleurs musulmans et de meilleurs chrétiens. Mais attention ! Ni syncrétisme, ni prosélytisme, il faut promouvoir la fraternité, mais une fraternité sans Dieu :
Le deuxième écueil est celui du syncrétisme, qui nous ferait croire que finalement nous avons tous le même Dieu, nous croyons tous pareil, et que nous sommes tous d’accord. Non, le syncrétisme est une source de conflit entre tous les hommes parce que personne ne s’y reconnaît et personne ne se sent respecté dans son chemin ni dans ce qu’il porte en lui. Il y a un troisième chemin, il est celui qu’a choisi Ensemble avec Marie. C’est celui de la fraternité. La fraternité ne demande pas le semblable mais une altérité de communion et de respect. C’est cela l’enjeu de cet après-midi : trouver le chemin de l’altérité et de la communion.
Mgr Beau, Conférence aux Bernardins, 25 mars 2017
Encore une fois on ne peut que constater l’absurdité d’une telle démarche. Bâtir une société de fraternité en excluant positivement la question de la vérité sur Dieu ne peut aboutir qu’à une seule cité : Babel, la cité de la confusion. Déjà on voit que les mots perdent leur sens, les chrétiens engagés dans la voie d’un tel dialogue ont l’esprit qui ne voit plus clair au point d’oser dire que les deux récits de l’Annonciation, l’évangélique et le coranique, disent la même chose.
Qu’il nous soit permis de rappeler les éternelles paroles de saint Pie X quand il condamnait les rêves du Sillon :
Non, Vénérables Frères, il n’y a pas de vraie fraternité en dehors de la charité chrétienne, qui, par amour pour Dieu et son Fils Jésus-Christ notre Sauveur, embrasse tous les hommes pour les soulager tous et pour les amener tous à la même foi et au même bonheur du ciel. En séparant la fraternité de la charité chrétienne ainsi entendue, la démocratie, loin d’être un progrès, constituerait un recul désastreux pour la civilisation.
Saint Pie X, Notre Charge Apostolique.
Le 25 mars prochain nous fêterons l’Annonciation qui nous rappelle cet événement extraordinaire de l’Incarnation, nous fêterons aussi le trentième anniversaire du rappel à Dieu de notre fondateur qui fut si clairvoyant et courageux pour dénoncer tous les délires dont nous sommes encore témoins. Nous prierons la Vierge Marie non pas pour qu’elle garde les musulmans dans leur erreur sur sa personne mais nous demanderons qu’elle intercède auprès de son Fils afin qu’Il illumine tous ceux qui refusent encore de le reconnaître et qu’Il garde en sa charité ceux qui ont déjà le bonheur d’y être.